Déjà un mois s’est écoulé depuis mon arrivée. Comme le temps passe vite ! J’ai rapidement pris mes marques en tant que professeure vacataire et je sens que les élèves m’ont bien accepté comme tel. Chaque jour, avec l’aide de Donna, je prépare des cours théoriques mais aussi pratiques pour les aider dans leur formation de ranger. Je m’occupe essentiellement des premières années, ceux pour qui l’apprentissage vient juste de débuter et qui ont encore tant de chose à découvrir sur le monde et leur vocation. Occasionnellement, j’ai réalisé des interventions chez des un peu plus âgés, leur parlant notamment de médecine, de situations d’urgences et de poisons. Je ne le savais pas, mais j’ai découvert que mes travaux sur les toxines étaient arrivés jusqu’à certains élèves ici, me connaissant déjà de noms. Une drôle de fierté. J’ai ainsi pu leur expliciter davantage certains éléments de mes recherches, pour leur plus grand plaisir, et le mien aussi.
Ce mois passé à Almia m’a également permis de faire plus ample connaissance avec Camille. Après mon premier passage dans son infirmerie, nous avons longuement discuté autour du diner servi par le pensionnat, afin d’apprendre à mieux nous connaitre. Depuis, nous passons tous nos repas ensemble, et aussi mes moments libres entre deux cours. J’ai appris qu’il était ranger diplômé de cette même école, avec le double cursus médecine. Un très beau parcours, surtout que si j’en crois les dires des enfants, il a été diplômé avec les honneurs malgré sa tendance un peu turbulente avec son groupe de l’époque. Un jeune homme très intelligent, avec un potentiel énorme que l’école a su exploiter. De ce que j’ai compris, il ne part presque plus en mission ces derniers temps, occupant son poste d’infirmier à l’école qui lui a été proposé l’an dernier. Il n’a pas détaillé plus que ça cette prise de poste, mais il se doute certainement que j’ai compris ce qu’il se cachait derrière ça. Entre médecins, difficile de se cacher ce genre de chose, et sa démarche parfois hésitante après une longue journée où il a été sur tous les fronts ne m’a pas laissé indifférente. Il s’est blessé, d’une façon ou d’une autre, et depuis le terrain ne doit plus lui être aussi aisé qu’avant. Mais je n’ai jamais évoqué le sujet directement. Il m’en parlera à un moment s’il le souhaite, sinon je me contenterais de mes déductions.
Au-delà de simples connaissances, je dois dire que l’on s’est rapproché, beaucoup, sans que jamais rien ne soit dit officiellement. Il y a un certain feeling entre nous, une certaine attraction que je ne peux nier. Une sorte d’alchimie. Mais je suis peut-être la seule à le ressentir de cette façon. Et puis, malgré ces drôles de sentiment sur lesquels je ne place pas forcément de mots pour le moment, il y a la crainte. Car ma carrière professionnelle est toute tracée, et je ne pense pas qu’elle soit compatible avec une quelconque relation. J’ai choisi de passer ma vie sur les routes, tantôt en tant que médecin itinérante, tantôt en tant que ranger. Je ne serais jamais réellement fixée quelque part, incapable de tenir en place face à tout ce que j’ai envie d’accomplir. Et qui voudrait de quelqu’un comme ça pour construire sa vie ?
Cet après-midi, pendant la pause avant la reprise des cours pour la fin de la journée, Camille est justement venu me voir. Rien d’inhabituel, jusqu’à son étrange proposition.
— Ce soir, je sors avec mes amis, ceux dont je t’ai rapidement parlé. Tu veux venir avec nous ?
— C’est très gentil de me proposer mais j’ai cru comprendre que vous n’arriviez pas forcément à caler tous vos emplois du temps très souvent. Je ne voudrais pas gâcher vos retrouvailles.
— Tu ne les gâcheras pas. Et puis je leur ai déjà demandé, ils sont d’accord pour que tu viennes.
— En fait je n’ai plus le choix que de venir, c’est ça que tu es en train de me dire – ajoutais-je avec un rire.
— Tu as toujours le choix, je dissipe juste les questions que je savais que tu te poserais.
Il m’a anticipé à ce point ? Même si mes réflexions sont probablement assez classiques lorsque l’on se fait inviter à rejoindre un autre groupe d’ami mais quand même, cela me fait tout drôle. Mimant un instant de réflexion, je finis par lui répondre.
— C’est d’accord je viens. Il y a un dress code ou quelque chose comme ça ?
— Viens comme tu voudras. Je viendrais te chercher tout à l’heure pour qu’on y aille ensemble.
— On fait comme ça, à tout à l’heure !
Excellent timing puisque la cloche sonne de nouveau, annonçant la fin de la pause. Je lui fais un signe de la main avant que chacun retourne à ses activités, en attendant la sortie de ce soir.
***
Encore dans ma chambre prêtée gracieusement par l’école, je vérifie que tout est en ordre. Un jean classique mais brodé sur tout le long des jambes avec des fleurs diverses, retroussé pour laisser visible mes chevilles et le bracelet qui l’accompagne ainsi que mes baskets blanches. En guise de haut, j’ai opté pour le seul vêtement un peu plus habillé que j’ai emmené dans mes valises, à savoir une chemise noire très légèrement décolletée. Pour le reste, j’ai rassemblé mes cheveux dans une queue de cheval haute, non sans au préalable les avoir tressés sur le côté. Ma marque de fabrique. Une fine chaine en argent autour du cou, des boucles d’oreilles fleuries assorties à mon jean, quelques bracelets divers et un peu de mascara plus tard je suis enfin prête à décoller. Juste à temps puisqu’au même moment quelqu’un frappe à ma porte. Pas besoin d’être le plus des détectives pour deviner de qui il s’agit.
— Je suis prête j’arrive !
Mon petit sac à dos sur le dos, je quitte ma chambre sous le regard amusé de Camille. Lui aussi s’est habillé différemment pour l’occasion. Un pantalon droit gris avec un fin quadrillage blanc et un petit pull tout aussi élégant. Mon temps d’hésitation pour le souligner à voix haute lui suffit à prendre les devants.
— Tu es très belle Idalienor. Cette chemise te va bien.
— Je te retourne le compliment Camille.
Sans en ajouter davantage, le jeune homme me guide pour rejoindre ses amis. Nous avions rendez-vous pour 20 heures, et force est de constater que nous sommes légèrement en retard. Après une petite marche, le blond finit par m’ouvrir la porte d’un bar qui a l’air tout ce qu’il y a de plus classique. Mais avant d’être placé à une table, comme c’est coutume de le faire, l’infirmier fait un signe au serveur qui lui rend avant de se diriger de lui-même vers un autre lieu de la pièce principale.
— Tu as tes habitudes ici ?
— Si tu savais. On vient ici depuis très longtemps avec les autres. On a notre salle réservée maintenant.
Pour accompagner ses dires, il ouvre une porte plutôt bien dissimulée pour ceux qui n’auraient pas l’habitude, révélant une autre pièce, très différente de l’ambiance d’à côté. Beaucoup plus calme, composée d’une seule table basse et de quelques coussins déjà sur le sol, elle est très clairement conçue pour des groupes qui recherchent plus un endroit pour se poser et discuter qu’un véritable lieu de fête. Autour de cette table, trois jeunes hommes sont déjà là. Un avec les cheveux bruns, un sourire jusqu’aux oreilles, un autre aux longs cheveux blonds, plus réservés et un dernier aux cheveux clairs affichant un léger sourire en nous voyant arriver. Mais je remarque vite un point commun entre tous. Ils ont chacun ces restes de colorations bleues, les mêmes que Camille.
— Toujours en retard Camille, mais t’as de la chance Mickael est encore plus en retard que toi. Enchantée Idalienor. Super content de te voir.
— Enchantée. Je n’ai même pas besoin de me présenter visiblement, Camille l’a fait à ma place.
— Si tu savais…
Avant que le blond n’ait eu le temps de finir sa phrase, il se stoppe dans son élément, une légère grimace sur le visage, comme si on lui avait donné un coup. Ce groupe a l’air très amusant.
— Mais en revanche il ne m’a pas donné vos prénoms à tous.
— Pardon je suis bête ! Moi c’est Noé, et voilà Azel, celui qui tire la tronche, et Isac, le plus timide.
— Sympa les présentations Noé.
— Et il en manque encore un, il ne devrait pas tarder à arriver.
Au même moment, la porte s’ouvre de nouveau sur un jeune homme essoufflé avec des dreads, les yeux d’une teinte étrangement proche du rouge.
— Ah bah te voilà enfin Mickael !
— Désolé les gars pour le retard
— Il y a intérêt à ce que ton excuse commence par No et finisse par Lan sinon c’est non accepté
— ….
— Bon, excuse acceptée.
— Il va vraiment falloir Azel que tu acceptes l’idée qu’on ait perdu ce pari. Laisse le tranquille il y a bien le droit de vivre sa vie de son côté aussi.
Alors que nous prenons tous place autour de la table, je ne peux m’empêcher de les regarder tous. La dynamique entre eux fait plaisir à voir. Il y a comme une alchimie entre eux tous. Chacun a l’air de rester soit même tout en trouvant sa place dans ce drôle de groupe. Alors qu’ils continuent à s’échanger des répliques cinglantes dont ils ont l’air d’être les seuls à avoir le secret, Noé m’interpelle.
— Désolé Idalienor on doit surement t’embêter avec nos histoires.
— Oh non pas du tout ne t’en fais pas ! Je me disais juste…est-ce que vous avez vraiment parié que Mickael n’oserait jamais inviter ce Nolan à sortir avec lui et que comme vous avez perdu vous vous êtes tous teint les cheveux en bleu ?
Un léger silence s’impose, jusqu’à ce que Mickael s’exclame.
— Vous lui avez raconté ça d’emblée ?! Mais quelle image elle va avoir de moi maintenant ?!
Camille, le principal visé par l’accusation, lève les mains au ciel, riant de bon cœur.
— Je t’assure que je ne lui ai rien dit. Elle a deviné toute seule.
— Bon sens de l’observation Idalienor.
— Rassure toi Mickael je n’en pense rien ! Tu as bien le droit de sortir avec qui tu veux, je suis très ouverte là-dessus. C’est plus les quatre autres que je juge en vérité ahah
— Au moins ça c’est dit.
— J’avoue que ce n’était pas le plus malin de notre part. Mais au final c’était amusant non ? Mickael s’est trouvé quelqu’un, et nous on a gagné une coloration qui va bien partir à un moment de toute façon.
Le groupe part dans un rire collectif que je ne peux m’empêcher de suivre. Les liens entre ces différentes personnalités ont l’air vraiment fort. Camille sourit beaucoup avec eux, plus que d’habitude quand il est à l’école en tout cas. J’ai le sentiment qu’être avec ses amis lui fait vraiment beaucoup de bien. Ça me fait plaisir à voir, ne pouvant de mon côté réprimé un sourire attendri.
Finalement, un serveur entre pour que nous puissions pendre notre commande. Les garçons ont l’air décidé à boire un peu pour fêter, je cite selon Noé, l’introduction d’Idalienor au club des cinq et à la belle histoire d’amour en perspective de Mickael. Il est clairement le plus énergique du groupe et sa bonne humeur semble communicative. Même les plus fermés Isac et Azel se laissent prendre au jeu, trinquant avec joie à cette drôle de soirée. Un verre d’une bière aux fruits rouges conseillées par les garçons, je continue de jauger un peu toutes les personnalités de ce groupe. Mais Noé ne me laisse jamais bien longtemps à l’écart de leur conservation, curieux à mon sujet et appuyé par ses amis.
— Donc Idalienor tu es vacataire à l’école c’est ça ? Tu restes encore combien de temps ?
— C’est ça ! Je reste encore un mois puis je rentre à la Pokemon Community. Il faut quand même que je valide mon diplôme officiellement avant de quitter l’académie.
— Si je peux me permettre, tu as l’air d’avoir à peu près le même âge que nous non ?
— Je crois que j’ai un an de moins. J’ai 21 ans, en partant du principe que vous avez tous le même âge que Camille.
— Tu as bien raison. Mais je suis étonnée, la Pokemon Community vous garde aussi longtemps ? Nous à 18 ans, au pire du pire 19 ans maximum nous sommes diplômés et ranger certifiés.
— C’est vrai, mais vous vous commencez tous à 12 ans. A la PC, ce n’est pas forcément le cas. On peut entrer de nos 12 ans jusqu’à nos 15 ans. Moi je suis arrivée à mes 15 ans, donc forcément je suis un peu décalée.
— Pourquoi avoir commencé si tard ?
— Idalienor tu n’es pas obligée de répondre.
Je sens la main du basané bouger par réflexe pour se placer sur un de mes genoux, dans l’angle mort des autres garçons. Je ne m’attendais pas à un tel contact de ma part. Il semble profondément inquiet, du fait que lui connait la raison de ce décalage dans ma scolarité. En lui souriant, je pose ma main sur la sienne pour répondre franchement à Noé.
— Ça ne me gêne pas d’en parler. Ma maman est décédée quand j’étais jeune. Comme je suis l’ainée de ma famille et que mon père a eu des soucis de santé après avoir perdu sa femme, j’ai dû gérer la maison quelques temps, le temps qu’il aille mieux.
— Je suis désolée, j’en ai trop demandé. C’était impoli de ma part, j’aurais dû me douter que ce n’était pas par choix.
— Ne fais pas cette tête, c’était il y a longtemps et puis je ne vis pas mal le fait d’être toujours à l’école à mon âge.
— Ça ne sera qu’une fois de plus où tu parles trop, on commence à avoir l’habitude.
— Mais Azel t’es pas gentil avec moi
— Ne t’en fais vraiment pas Noé, et puis moi aussi j’ai tendance à mettre les pieds dans le plat sans le vouloir ahah.
La discussion reprend bien vite un ton plus léger, de quoi rassurer Camille. Je l’ai senti tendu lorsque l’on m’a obligé indirectement à parler de ça. Pour lui, cela doit être encore différent. Nos premiers échanges parlaient de mes blessures après tout. Il doit y avoir un certain écho pour lui. Nous commandons finalement nos repas, me laissant tenter par une tradition locale mais qui n’a pas l’air mauvaise du tout et recommandé par les cinq garçons, habitant régulier de l’île. Et je ne suis pas déçue. Le repas se poursuit joyeusement entre diverses discussions.
— Au final Idalienor tu as le parcours inverse de Camille si ta première spécialité c’est la médecine.
— Oui, c’est amusant comme coïncidence. Mais je suis très contente d’être bientôt ranger également, même si ça ne sera pas au même niveau que vous.
— Raconte-nous, quel a été ton déclic de ranger ? On dit qu’on en a tous un à un moment.
Je réfléchis un instant à sa question. C’est vrai qu’être ranger n’est pas un rêve d’enfant comme beaucoup. La vocation n’est venue que plus tard. D’abord parce que Cael m’y avait initié et qu’il me fallait une seconde spécialité, puis ensuite parce que je trouvais qu’elle s’accordait plutôt bien avec la spécialité médecine et mes projets futurs. Mais après une courte réflexion, je crois avoir la réponse.
— Je pense que c’est cette mission que j’ai faite à Alamos avec un très bon ami à moi il y a deux ans. Ça a été très intense, un peu difficile aussi, mais ça m’a vraiment fait comprendre que c’était aussi ça que je voulais faire. J’avais l’impression d’être à ma place, je ne sais pas si je suis claire.
— Non c’est très clair ne t’en fais pas.
— Attends Alamos, le dérèglement de la tour du temps et de l’espace orchestré par le maire ? Avec Nil, Nanaba et Esteban ?
— Oui exactement.
Tous les garçons s’arrêtent d’un seul coup, tous leurs regards braqués sur moi, sans trop comprendre pourquoi. Je repose ma fourchette, intimidée.
— J’ai dit quelque chose de mal ?
Camille est le premier à réagir, très surpris.
— Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais participé à cette mission ?
— Je ne pensais pas que c’était aussi important, et je ne pensais pas que vous en auriez entendu parler.
— Tu rigoles, cette mission a été ultra médiatisé dans la fédération. Une superbe réussite malgré la complexité de l’affaire. Maintenant que j’y réfléchis, il est vrai que dans le rapport il était mentionné la présence de deux étudiants de la Pokemon Community.
— Oui, c’était moi et Cael Joy, un ranger et ami. Il est sur l’île lui aussi actuellement.
— Vous avez beaucoup de chance d’être parti en mission avec ce trio. Ils sont un groupe très réputé avec un taux de réussite excellent.
— Je dois avouer que je ne m’étais pas renseignée jusque-là. C’est vrai qu’ils sont très fort, pour les avoir vu à l’œuvre. Leur groupe fonctionne très bien. Nanaba a été gravement blessé sur place mais elle a gardé un sang froid à toute épreuve. Vous les connaissez aussi du coup ?
— Pas personnellement, mais Nanaba a été élève ici à Almia. Elle a quelques années de plus que nous, on a eu le temps de voir ses exploits en tant qu’étudiante.
— D’accord je comprends mieux ! En tout cas j’espère qu’elle va bien et que sa blessure n’est plus un problème. J’avais fait de mon mieux pour les sutures mais dans l’urgence je ne sais pas si elles étaient sublimes.
Cette mission a été vraiment impressionnante à tous les niveaux. Ces accès de rage des pokemons étaient d’une particulière violence, comparable aux pokemons obscurs. Et puis il y a eu ces changements chez Cael qui en est venu aux mains contre moi, l’évolution de Zeno pour me protéger, ma dégringolade dans les escaliers de la tour du temps et j’en passe. Heureusement, plus de peur que de mal sur cette chute. Et Nanaba qui avait été tailladé profondément par un pokemon sauvage. Avec Clémence, nous avions fait de notre mieux pour stopper l’hémorragie et l’opérer en urgence en procédure à des soins prioritaires puis à des sutures pour refermer la plaie.
— Tu es vraiment impressionnante – ajoute simplement Camille
— Pas tant que ça ahah, j’ai l’habitude de ce genre d’exercice. Et puis j’ai un papa chirurgien, c’est peut-être dans les gènes !
Le repas se poursuit ainsi dans cette même ambiance festive. Je m’entends vraiment bien avec ce groupe dans lequel je me suis sentie vite à l’aise. Ils doivent avoir un don pour ça. Chacun me parle en laissant exprimer sa personnalité comme si j’avais toujours été là, les questions pour me connaitre en moins. Isac, pourtant le plus timide du lot, en profite pour me raconter des histoires sur eux quand ils étaient à l’académie, particulièrement leur premier coup foireux à 5 ! Ils en parlent avec un certain amusement mêlé à de l’émotion. Ils avaient 12 ans après tout, cela commence à remonter un peu. A les écouter, je réalise que les professeurs ont dû en voir de toutes les couleurs. Jamais dans la méchanceté, mais toujours là pour faire des blagues ici et là et désobéir aux consignes qu’ils jugeaient peu utiles. Des garçons en pleine adolescence en somme.
J’apprends également l’ordre de rencontre de ce groupe. Noé et Camille sont les premiers à avoir sympathisé dès la rentrée scolaire. Puis, intrigué par ce drôle de duo, Mickael les aurait rejoints. D’abord pour en apprendre plus, avant de devenir de véritables amis. Ensuite, Isac a été impliqué involontairement dans une des missions nocturnes des trois garçons. Ils ont certes été punis mais l’amitié qui va en naitre est bien au-dessus de ça. Enfin, Azel, dernier arrivé, est intégré de force au groupe par Noé et finira par y rester. Une sacrée construction mais qui les aura suivis jusqu’ici. Je ris à chacune de leur blague de bon cœur. Ils font vraiment plaisir à voir. De telles amitiés, ce n’est pas tous les jours qu’on en voit.
Pour clôturer le repas, une dernière tournée de boissons est commandée. Je n’abuse pas de trop en partant sur un alcool plus fort et continue sur cette bière très bonne que les garçons m’ont recommandée. On trinque à nouveau joyeusement, mais je retiens dans mon esprit plusieurs questions, en recoupant une principale en vérité. Ils devaient sans doute former un groupe ranger à la sortie de l’école. Et si Camille a été blessé, peut-être était-ce en mission ? Et peut-être qu’eux aussi ? Je n’ai pas eu de mal à apercevoir l’imposante cicatrice derrière le crane de Noé, mal dissimulée par ses cheveux coupés court à cet endroit. J’ai aussi remarqué que Mickael avait fini par mettre des lunettes au cours de la soirée. Quant à Isac, il a régulièrement l’air ailleurs. Au-delà de la timidité, c’est comme s’il entendait quelque chose que nous n’entendions pas. Le seul pour qui je n’ai rien décelé c’est Azel. Je pourrais leur demander plus en détails ce qu’ils ont fait après leur diplôme, mais ça ne serait pas poli de ma part. Après tout je les connais à peine.
— Je reviens les gars, le devoir m’appelle – s’exclame Noé.
— Dis plutôt que ta vessie t’appelle. C’est ça de boire trop de bières.
— Ahah on ne peut rien te cacher
Pendant ce moment de flottement, je perçois un geste de la part du brun. Il me fait signe de le suivre. Si au début la demande me parait étrange, je finis par ne pas me poser plus de questions et me lever également, trouvant une excuse.
— Je vais prendre l’air deux minutes je reviens tout de suite
— Et une autre succombe aux effets de l’alcool une. C’est quoi ces gens qui tiennent rien du tout
— Tu veux qu’on te rappelle ce que tu as fait pendant ta dernière cuite ?
— Non merci ça ira
— Tu veux que je t’accompagne ?
— Non Camille t’embête pas j’en ai vraiment pas pour longtemps. Histoire juste de me rafraichir.
Je lui adresse un sourire pour le rassurer avant de quitter la pièce, juste derrière Noé. Sans poser trop de questions, je le suis à l’extérieur du bâtiment. Il s’accoude à une rambarde, attendant probablement que j’en fasse de même.
— Joli mensonge. Simple efficace.
— Je peux te retourner le compliment. De quoi voulais-tu me parler à l’abri des regards de tes meilleurs amis ?
— De Camille
— Ah ?
Je ne m’attendais pas vraiment à ça. Enfin pas que je m’attendais à quelque chose de précis, mais je n’avais pas imaginé le brun me parler de son ami.
— Il t’apprécie vraiment beaucoup, je suis heureux de le voir comme ça à nouveau.
— Moi aussi je l’apprécie beaucoup. Mais où veux-tu en venir ?
Je sens son regard pourtant si joyeux devenir beaucoup plus dur. Et pourtant, je n’ai pas l’impression que ça m’est adressé personnellement.
— Tu es une fille intelligente. Tu as bien compris que nous tous, nous ne sommes plus rangers, en tout cas plus à temps plein comme avant.
— Je m’en suis doutée, mais je n’ai pas eu les détails. J’ai compris que Camille était blessé aux jambes, et toi tu as été opéré au crâne. Pour les autres je ne sais pas, mais j’imagine qu’ils ont des séquelles. Une ancienne mission ?
— Oui. Il y a un peu plus d’un an, l’une de nos missions a mal tourné, et nous avons tous été grièvement blessé. Je ne m’étends pas sur les détails, je n’en ai pas le droit, mais aucun de nous n’en est ressorti indemne. Je m’estime avoir été le plus chanceux, car je n’ai aucune séquelle désormais de cet incident.
— Mais par solidarité avec tes amis, tu as décidé de ne plus exercer complètement alors que tu le pouvais. Tu es d’une loyauté fabuleuse.
— Je ne sais pas si c’est de la loyauté, mais je me voyais mal continuer à exercer à fond alors que mes meilleurs amis ne le pouvaient plus. Ça m’aurait fait trop mal au cœur.
Son visage laisse apparaitre une mine beaucoup plus triste. Il a sans doute eu un traumatisme crânien. Ça lui a certes valu une opération et une cicatrice au passage, mais bien traité il n’y a aucune séquelle et la vie peut reprendre normalement. Cela n’est certainement pas le cas pour les autres. Rien qu’à voir Camille, j’imagine que les autres ont des afflictions similaires.
— Les autres t’en parleront un jour, s’ils le souhaitent. Je ne suis pas là pour révéler leur secret.
— Je comprends, et je ne cherche pas à savoir contre leur volonté.
— Camille avait une petite amie avant. Ils s’étaient rencontrés pendant notre scolarité et semblaient très heureux ensemble. Mais peu de temps après l’accident, elle l’a quitté…
Je ne peux complètement réprimer un soupire de surprise, imaginant sans mal ce qui va suivre.
— A cette époque, on ne savait même pas si Camille allait pouvoir remarcher un jour. Elle lui a dit qu’elle ne pouvait pas supporter le fait de vivre avec quelqu’un d’handicapé ainsi, et qui avait en plus perdu à tout jamais sa place de ranger professionnel.
— C’est horrible.
— Oui… On était là pour le soutenir, et le voir répéter qu’il pouvait la comprendre n’a fait que nous rendre plus en colère contre elle, particulièrement moi. Même s’il mimait que ça ne l’affectait pas plus que ça, c’était un mensonge. Il a une certaine fierté, mais on ne peut pas nier le mal-être ressenti après une rupture, surtout dans ces circonstances.
Voilà un plan de la vie de Camille dont je n’avais absolument pas connaissance. Cela a du être terrible pour lui. Surtout que le connaissant il a dû minimiser la douleur pour ne pas inquiéter ses amis qui devaient gérer leurs propres problèmes de leur côté. Il a tout intériorisé. La pire des douleurs.
— Au final, Camille a défié les pronostics et a pu remarcher. Il est certes limité sur certains efforts, mais il peut mener une vie normale. Il a obtenu ce post à l’école, et comme nous tous, a pu commencer à se reconstruire une nouvelle vie, différente. J’ai vu la façon dont il te regarde, la façon qu’il a de te parler, de te sourire. Et je pense sincèrement qu’il aimerait que tu fasses partie de cette nouvelle vie.
Je ne peux réprimer des rougeurs sur mes joues, que la noirceur de la nuit ne masque qu’à peine. Je ne pensais pas que Noé me dirait ça de cette façon et qu’il confirmerait que je ne laisse pas indifférent Camille. Je ne sais pas exactement ce que le garçon attend de moi, alors je laisse le brun continuer.
— Camille est mon meilleur ami, et je refuse qu’il soit blessé à nouveau comme il a été blessé par le passé. Alors s’il te plait, ne lui fais pas de mal.
Je n’ai jamais vu une telle expression dans les yeux de Noé. Ce mélange de sérieux, de tristesse mais aussi d’une certaine colère contre un passé que je n’ai pas connu directement mais que je ne peux ignorer. Je ne sais même pas moi-même ce que je compte faire avec Camille. J’ai des milliers de questions, des milliers de crainte et d’appréhension. Pourtant, je n’arrive à lui dire qu’une seule chose.
— Je te le promets
— Je pense sincèrement que tu es une bonne personne pour lui Idalienor. N’en doute pas.
Il se redresse subitement et me fait signe de le rejoindre. Après tout nous sommes partis depuis un moment, les autres vont finir par se poser des questions. Revenus dans la pièce principale, Azel ne manque pas de lancer une remarque.
— T’as été long ! T’es tombé dans le trou ou quoi ?
— J’ai pas assez bu pour ça pas comme toi la dernière fois. Il y avait juste du monde.
— Tout va bien Idalienor ?
— Oui ça va super !
Je lui adresse de nouveau un sourire et essaie de changer de sujet, sans savoir si cela va vraiment fonctionner. Nous restons tous là encore un peu jusqu’à ce que Mickael initie le mouvement pour quitter le bar. Après tout, tout le monde travaille demain on ne peut pas s’éterniser. J’adresse des remerciements aux garçons pour m’avoir si bien accueilli qui me les rendent sans souci, pressés que l’on se revoit une prochaine fois avant mon retour sur Adala. Des grands signes de bras plus tard, nous prenons avec Camille la direction de l’académie.
Je n’avais pas forcément anticipé que les températures retomberaient autant avec la soirée, m’obligeant à ramener mes bras contre moi pour me réchauffer. Décelant ce geste, Camille retire son pull et le dépose sur mes épaules.
— C’est gentil, mais tu vas avoir froid tu devrais le reprendre.
— Garde-le ne t’en fais pas.
Dans le même temps, il sort de sa poche une cigarette mais semble hésite un peu avant de l’allumer.
— Ça ne te gêne pas, que je fume à côté de toi ?
— Non. Ma mère fumait aussi, je me suis habituée à l’odeur. Je dois dire que maintenant je l’apprécie, ça me replonge dans certains souvenirs.
L’infirmier finit par allumer sa cigarette avant d’inspirer une première fois, puis une seconde. La fumée apparait clairement dans la nuit, avant de se dissiper dans l’air en douceur.
— Mon frère ainé est décédé d’un cancer quand j’étais enfant. J’avais à peu près le même âge que quand tu as perdu ta maman. Il me tuerait s’il me voyait faire.
— Je suis désolée d’apprendre que toi aussi tu as perdu quelqu’un. Mais je ne pense pas qu’il te tuerait pour si peu. Au contraire, je pense qu’il serait fier de toi. Fier de qui tu es devenu.
Les compliments sortent tout seul et sans que je ne le réalise vraiment, la proximité entre nos deux corps est de plus en plus importante, tellement que nos mains se frôlent à chacun de nos pas, sans pour autant que cela soit désagréable.
— De quoi vous parliez avec Noé ?
J’affiche immédiatement une expression surprise, me grillant définitivement.
— J’imagine que ce n’est pas la peine de chercher à mentir ?
— Je connais mon meilleur ami par cœur. Je sais quand il ment. Et il n’est pas forcément le plus discret, du moins quand on le connait.
— Je veux bien te croire ahah.
— Alors, pourquoi t’a-t-il emmené dehors à l’écart ?
— Il voulait me parler. Il m’a parlé de toi en vérité.
— Et que t’a-t-il dit ?
— Il m’a parlé de votre accident, et aussi de ton…ex petite-amie. Il ne pensait pas à mal je te rassure ! Au contraire il s’inquiète beaucoup pour toi !
— Je sais bien qu’il ne pensait pas à mal. Il expire à nouveau de la fumée de sa bouche. Mais il ne devrait pas autant parler, ni s’inquiéter. Je vais très bien, tout ça c’est du passé.
— Mais peut-on réellement laisser une histoire comme ça derrière soi ?
— Oui, on le peut.
Son corps s’est ensuite figé sur le chemin, sa cigarette échouée sur le sol, et j’ai compris ce qu’il voulait faire. Et je ne l’en ai pas empêché lorsque j’ai vu sa tête se pencher vers moi, puis ses lèvres se déposer délicatement sur les miennes. Avec douceur, je lui rends son baiser. Nous restons ainsi plusieurs longues secondes, à découvrir petit à petit nos lèvres, dans la limite du possible vu l’endroit où nous nous trouvons. Une nouvelle chaleur prend alors place à l’intérieur de mon corps, comme si elle avait toujours attendu là, prête à s’embraser au bon contact.
Camille est surement le bon contact que j’ai toujours attendu inconsciemment.
Lorsque nous nous séparons enfin, les joues légèrement rougies, je ne peux m’empêcher de détourner les yeux, les doutes refaisant surface tout aussi vite qu’ils avaient disparu.
— Tu n’as pas aimé ?
— Si si, j’ai beaucoup aimé. Ce n’est pas ça…
— Alors explique moi, je peux tout entendre.
Sa main vient se glisser dans la mienne, comme pour me rassurer. Guidée par l’obscurité et le ciel teinté d’étoiles, j’essaie de lui expliquer correctement mes réflexions de ces derniers jours.
— Je ne suis pas…comme les autres. Je ne serais surement jamais capable de me fixer quelque part. J’ai pleins de projets qui m’obligeront à être souvent en déplacement, à fréquenter diverses personnes, dans un cadre professionnel et amical. J’ai une grande famille envahissante avec ses propres soucis. Je n’ai même jamais été réellement en couple. Alors, je ne suis probablement pas ce que tu attends de moi…
— Mais que crois-tu que j’attende de toi Idalienor ?
Je ne m’attendais pas à cette réponse. Mes yeux reviennent se perdre dans les siens, infiniment sérieux. Sa main se serre un peu plus autour de la mienne pour compléter ses dires.
— Je n’attends pas que tu sois un standard que tu te serais imaginé comme étant la femme parfaite. J’ai su qui tu étais dès que nous nous sommes rencontrés. Tu ne m’as jamais rien caché de qui tu étais vraiment. Et c’est pour le toi comme tu es réellement que j’ai commencé à avoir des sentiments. Et si ces sentiments sont réciproques, alors je suis prêt à prendre le temps qu’il faudra pour que nous trouvions nos solutions. Pour que, d’une façon ou d’une autre nous soyons ensemble, même si ne nous sommes pas tout le temps l’un contre l’autre.
Camille venait définitivement de plonger mon cœur dans un étau de chaleur et de soulagement. Il a tout compris. Il m’a particulièrement bien comprise. Et je ne sais même pas comment le remercier. Les yeux légèrement humides, je lui réponds enfin.
— Ils le sont. Nos sentiments sont réciproques.
Et nos lèvres se scellent à nouveau ensemble pour un autre baiser, plus passionné que le précédent. Nous ne disons rien, mais tous nos sentiments passent par cet échange physique qui vient confirmer ce que chacun nous pensions de notre côté. On vient de se trouver, et une connexion particulière s’est établie. Une connexion que nous ne pouvons plus nier. Lorsque nous nous détachons de nouveau, le souffle court, prêt à se replonger dans un nouveau baiser rempli d’amour, il murmure contre mon cou.
— Est-ce que tu veux…venir dormir avec moi ?
— Oui Camille…
***
Mes yeux s’ouvrent difficilement, s’adaptant à la lumière du jour recouvrant toute la pièce. Nous n’avons pas pris la peine de fermer les volets hier à notre retour, permettant à la lumière de s’infiltrer tôt, bien avant nos réveils habituels pour le début des cours. En sous-vêtements, tout mon corps est calé contre celui du basané, encore endormi. Je ne bouge pas d’un pouce, d’une part pour ne pas le réveiller, mais surtout pour profiter encore un peu du calme et de la chaleur de son corps contre le mien. Là, comme ça, je me sens si bien.
Il ne faut pas bien longtemps avant que mes yeux saphir rencontrent ceux du beau blond, émergeant à son tour.
— Bonjour Idalienor…
— Bonjour Camille…
— Tu as bien dormi ?
— Très très bien, et toi ?
— Comme je n’avais pas dormi depuis longtemps
Nous sourions ensemble avant de laisser nos lèvres se rejoindre pour un nouveau baiser. Les sensations sont indescriptibles et ne perdent pas en intensité malgré le nombre de baiser échangé depuis hier soir entre nos deux âmes. Je le sens serrer ses bras un peu plus autour de mon dos et mes hanches pour me rapprocher encore un peu plus de lui. Sa tête contre mon cou, il murmure, provoquant des frissons de mon côté.
— J’aimerais rester là toute la journée.
— Moi aussi, mais le travail nous attend. En parlant de ça…
— Je sais…restons discret. Rien devant les enfants, sinon ils ne nous lâcheront pas d’une semelle. Et je ne parle même pas des professeurs. Je suis sûre que Donna serait capable de le hurler sur tous les toits.
— Tu es le meilleur
Je lui adresse un rapide baiser avant de m’extirper du lit, direction la salle de bain. Je rattrape mes habits d’hier, seulement bon à me permettre de faire l’aller-retour entre sa chambre et la mienne avant de lui dire.
— Au fait, tu devrais peut-être envoyer un message à Noé, Mickael Isac et Azel sur votre conversation de groupe
— Pourquoi ?
— Oh surement parce qu’ils ont envoyé des messages toute la soirée pour savoir si tu avais, je cite « conclus avec ta très jolie brune aux yeux océans ».
Alors que Camille devient rouge comme une tomate, je lui adresse un sourire amusé avant de me glisser dans la douche. Une nouvelle journée commence. Mais toutes celles qui vont suivre n’auront plus rien à voir avec les précédentes.
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