Un temps frais. L'excitation d'un nouveau départ, les têtes qui se recroisent, les câlins agités, excités de retrouver les vieux copains, les vieilles copines, les meilleurs amis dans tous les sens. Parce qu'iels allaient bien, et il fallait le fêter. Les bons potes qui se serrent la main un peu trop solennellement et dans tout ça, les têtes blondes, les gamins paumés, les petits et petites nouvelles qui errent en espérant trouver réconfort auprès des référents, peut-être à tort. D'autres, plus solitaires, plus assuré.e.s, se baladaient comme si de rien était, avec une sale tête, celle de l'adolescence et des crises qu'on excuse toujours, une fois dépassé la trentaine. Il y avait les calmes, aussi, qui réussissaient à s'arracher un sourire en se croisant dans les dortoirs. Il y avait les regards noirs : les ennemis ont la peau dure, la cohabitation était un mot qui pouvait faire mal au cœur. Dans tout ça, on en trouvait peu de différents à ces idées vues. Mais il y avait des exceptions. Il y avait toujours des exceptions. Et non, ici, ce n'était pas le petit Timothé qui se préparait à lancer des pétards dans la foule d'étudiants dont il était question ici... vous auriez grandement préféré connaître l'histoire du petit Timothé en colle, mais aujourd'hui, c'était l'extravagante condescendance qui pointait le bout de son nez.
C'était l'émulsion chez les Voltalis. Tous les artistes en herbe reprenaient leur poste. Un véritable bordel d'affaire jetées çà et là, à la rencontre des murs et des gens, au détour d'un rire, il y avait un instrument qu'on grattait frénétiquement, un danseur derrière et une voix tenor en soutient. On avait ceux qui lisaient et qui s'échangeaient les lectures. Ceux enfermés dans leur chambre à la recherche d'une pause avant de foncer dans le tas. Il y avait les autres, dont on parle moins, parce que, quand on était pas suffisamment bruyant, on ne prenait pas de place dans la narration.
Et, au milieu de ce brouhaha, un nouvel arrivant fit son entrée à grand coup de pied dans la porte. Skate coincé entre son sac à dos et ledit dos, une petite valise à se demander s'il y avait réellement des affaires dedans, un casque avec de la musique à fond sur les oreilles et des lunettes de soleil bien trop clichées pour être portées sérieusement, c'était une tête blonde. La musique ne résonnait que dans sa tête et pourtant, il n'y avait que ça de vrai autour de sa personne. Son déhanché était inimitable. Au rythme de la batterie, de celle de la basse, la silhouette presque fantomatique avançait pas à pas, frappant d'un coup de hanche sa valise pour la faire rouler en avance, n'attendant que la fin de ses mouvements pour aller plus loin.
Un tour sur elle-même, un regard à gauche, un regard à droite, une caresse discrète de la hanche d'un beau gosse qui passait là. La tête blonde bondit au-dessus des traînards, sur le sol, qui discutait, esquiva ceux qui couraient dans le couloir, tapa sa valise d'un coup de pied presque trop gracieux pour sa carrure. Ses lèvres s'agitaient à la même allure que les paroles défilaient dans ses oreilles. Quelques regards suspicieux se posèrent sur cette drôle de personne qui faisait son chemin, petit à petit, gigotant son popotin comme une danseuse exotique, bougeant son buste comme un danseur moderne, glissant ses pieds sur le sol comme un palet sur la glace.
Le numéro résonna dans sa tête, celui de sa chambre. Il y aurait de la décoration à faire, du réaménagement, des fenêtres anti-suicide à crocheter pour les ouvrir pleinement et fumer le soir, quand tout le monde dormirait. Tout un tas de jolis choses, c'était certain. Oups. Un peu trop loin. Marche arrière, la silhouette s'arrêta, baissant très légèrement ses lunettes pour regarder avec dédain le numéro de sa porte, l'aventure commençait là.
La porte s'ouvrit, nouvelle entrée, nouvelle extravagance. Eliott retira son casque pour scruter la pièce. Son colocataire était en avance. Les lunettes toujours un peu plus bas sur le nez, iel considéra un instant le type en face. Blond, yeux verts, bien bâti.
-Sa-lut beau gosse. T'es l'troisième pas dégueu qu'je croise dans c'dortoir. Bon. J'suis garé où ? Il pointa le lit vide et y poussa sa valise. Pouha, c'est carrément plus cool que mes précédents internats ici. Un peu trop d'pokémon à mon goût, mais j'vais m'y habituer.
Iel avait ouvert sa valise, attrapant toutes ses fringues en boule avant de les enfoncer dans sa commode. De son sac à dos, iel sortit un paquet de gâteaux dont la date d'expiration avait quelque peu été dépassée, mais surtout dont la consistance se rapprochait plus des gâteaux mous de grand-mère que de sablés croustillants. Après en avoir enfourné un dans sa bouche, faisant de son mieux pour ne pas grimacer, iel lui tendit le paquet.
-Moi c'est Eliott. T'as faim ?
Sourire en coin, drôle de petit haussement de sourcil. Le bougre ne semblait tout simplement pas avoir une once de réserve. Au mieux, Eliott savait qu'iel n'allait pas tenir très longtemps ici avant de se faire exclure et, au pire, qu'iel se montrerait suffisamment chiant pour que les... personnalités difficiles encadrer -dirons-nous- ne l'approchent pas pendant ses années d'études. Pour l'instant, la tête blonde jouait un jeu très apprécié, celui de tâter le terrain, savoir à quel genre de mentalité iel avait affaire, comprendre l'atmosphère dans laquelle iel évoluerait à partir de maintenant...
-J'te jure, ces gâteaux valent tout l'or du monde.
… et emmerder son prochain.