GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

Mon Ipok est vieux.

Il m’a été offert à mon entrée à l’académie. Je ne l’ai jamais cassé, ni changé. A l’époque, il s’agissait déjà pour moi d’une merveille de technologie : écran tactile, messagerie instantanée, carte géolocalisée, et surtout, la sacro-sainte fonction Pokédex.

Mais quand on regarde les machines confiées aujourd’hui, il fait pâle figure. Déjà parce que sa coque est abîmée de toute part, il y a de la salissure dans les rainures, un petite fissure dans le coin inférieur gauche de l’écran, et surtout sa batterie ne tient désormais guère plus que cinq heures. Les téléphones plus récents se chargent en trente minutes à peine, et tiennent toute la journée, eux.

Pourtant, à quoi bon avoir un téléphone qui charge vite quand ton équipe entière constitue une batterie sur pattes ? Et puis, je l’aime bien, ce téléphone. Certes, je ne peux pas le déverrouiller avec mon empreinte digitale, la fonction photographie est bien moins qualitative, et il n’y a plus la moindre coque compatible dans les commerces, mais… Je l’aime bien. C’est mon téléphone, quoi.

Forcément, quand on se trimballe un appareil aussi vieux, on a quelques habitudes. Il a une place toute désignée dans mon sac, que j’atteins en un mouvement de poignet. Je connais naturellement l’emplacement de chacune des applications, sans avoir besoin de regarder l’écran. Et j’ai mon cercle de contact régulier que j’essaye (à peu près) de tenir au courant de mes aventures.

Dont Jackie ne fait pas partie.

Je ne parle pas beaucoup à la Générale Jackie. Notre dernier entretien au sein de l’académie a dû contenir autant de mots que l’ensemble des phrases que nous nous sommes échangés pendant l’intégralité ma scolarité.

Je ne l’ai jamais portée dans mon cœur, et je crois bien que c’était réciproque. Tout du moins, jusqu’à ce que je sorte du coma.

Je ne sais pas si c’est la chute de Lansat, le fait que j’ai dû accomplir des prouesses physiques inouïes pour renouer avec mon corps, ou mon émancipation de mon statut de jeune élève, mais… J’ai la sensation que depuis, elle m’estime genre. Un chouïa. Ce qui est, énorme, par rapport à notre relation passée.

Bref.

En gros j’ai reçu un SMS de Jackie. Elle veut que je vienne la voir dans son bureau. Et ça m’a surpris.

Mais genre, grave.

Déjà parce que j’avais pas souvenir de l’avoir enregistrée dans mon répertoire (et pourtant, c’est bien son nom qui s’est affiché à l’écran). Et ensuite, parce que…

Elle… Elle me veut quoi ?! Ça ne lui a pas plu, que je me manifeste en tant que Coach au sein de l’école sans la consulter ? Je devais lui demander une permission ?! C’est vrai qu’elle gère le Pôle Pokéathlète, désormais… Merde ! J’espère que je n’ai pas commis d’impair ; mes coachings, c’est ma principale source de revenue !

En plus… J’ai passé l’âge des convocations, non ? Puis franchement, elle aurait au moins pu me renseigner sur le sujet de notre rencontre… Elle ne m’a même pas laissé le choix de la date et l’heure ! Non, honnêtement, je ne suis plus censé recevoir d’heures de colle, on est bien d’accord ?!

Pff… De toute façon, je crois bien que Jackie fait partie des trois femmes, avec ma mère et ma fiancée, à qui je ne dois surtout pas poser de Laporeille. Donc, bah… Let’s go, I guess ?

C’est ainsi que je me retrouve devant la porte de son nouveau bureau. Et que j’appose ma main sur la poignée.

« -Bonjouuur, Matricule 074. Enfin… C’est toujours le mien, pas vrai ? Vous ne l’avez pas attribué à un nouvel élè…. ?  »

De l’autre côté, il y a Jackie, comme escompté.

Mais pas que.

Deux individus se tiennent à ses côtés. Une femme, dont les cheveux foncés, taillés en carré, et les lunettes rectangulaires lui confèrent un air sérieux et autoritaire. Si elle n’est pas aussi imposante que la Générale Jackie, elle me met néanmoins une tête de plus. Le blondinet qui se tient dans son ombre fait pâle figure, entre deux silhouettes féminines si grandes, d’autant qu’il paraît plus petit que moi. Il a entre ses mains un bloc-note et un crayon, qu’il n’utilise pas en l’état.

Le rideau de la pièce est tiré, et les rayons du soleil peinent à filtrer au travers. La lampe de bureau de Jackie est certes allumée, mais elle n’éclaire qu’une petite portion de la salle ; le reste baigne dans une ambiance sombre et tamisée. De quoi renforcer le ton mystérieux de cette entrevue.

« -Entrez, 074. »

Sur le coup de son invitation, j’opine du chef et me décide à avancer au-delà du seuil d’entrée. Je prends le soin de refermer la porte derrière-moi, tandis que les personnes présentes m’observent. La Générale s’avance alors à ma rencontre.

« -La discussion qui a précédé votre départ ne me laissait pas à penser que vous seriez de retour si tôt au sein de notre académie, pour être tout à fait franche. »

Je me gratte la tête, circonspect.

« -Ce… N’était pas tout à fait dans mes plans, moi non plus. Mais euh, vous inquiétez pas… C’est que temporaire. »

Je ne suis à l’académie que parce que c’est arrangeant dans le cadre de la grossesse d’Erika. Pour l’instant, je me contente de mettre un maximum d’argent de côté – une fois les jumeaux nés, je compte bien me trouver un emploi au plus proche de la maison

Jackie acquiesce subrepticement, et… Me passe devant. Elle marque un arrêt juste avant de me dépasser, et appose une main sur mon épaule.

« -Ces personnes veulent vous parler. »

Elle ajoute la suite à voix basse.

« -J’ignore pourquoi toi spécifiquement. Mais écoute bien leur proposition.
-… ? »

Je la fixe d’un air interrogateur. Sauf que je n’ai pas le temps de la questionner, puisqu’elle se remet à avancer et…

Quitte son bureau.

La porte se referme dans un « clac » bien audible, me laissant seul avec ces deux inconnus. Ce… N’est pas tout à fait la façon dont j’imaginais cette entrevue, on ne va pas se mentir. Lentement, je me retourne et les dévisage dans l’expectative. Dès lors que le silence est retombé, la femme s’avance.

« -Vous êtes bien Ginji Labelvi, c’est ça ?... »

Je la toise.

« -… Et vous, vous êtes ? »

Le comportement de Jackie… M’inquiète quelque peu. Les trois maigres phrases qu’elle m’a lancé avant de disparaître… Sonnent comme un avertissement. Outre sa suspicion apparente, il y a des signes qui ne trompent pas : le passage du vouvoiement au tutoiement, ou ce geste de proximité bien étranger à la Générale, par exemple.

Du peu que je peux deviner, ces deux individus ont demandé à s’entretenir avec moi. Pourquoi est-ce que la directrice du Pôle Pokéathlète se retrouve à organiser cette rencontre ? Pourquoi ne pas prendre contact directement avec moi ? Et si Jackie est leur seul lien, pourquoi nous permettre de nous installer dans son bureau ? Je vois deux explications possibles.

La première, c’est qu’ils veulent me voir en qualité de Coach, et qu’ils souhaitaient au préalable attester de mes compétences auprès d’elle directement.

La deuxième… C’est que l’organisatrice de cette rencontre n’est pas tant la professeure Jackie, directrice de Pôle… Que Générale Jackie, l’ancienne Vice-directrice de la Pokémon Community, et chargée de la sécurité du campus.

Elle semble ignorer les raisons précises de cette rencontre, mais m’a malgré tout demandé d’écouter leur demande. Ce n’est pas rien. Si j’avais dû rester seulement méfiant à leur encontre, elle me l’aurait dit, ne serait-ce que via son message. Il doit donc y avoir un enjeu spécifique que j’ignore.

Je ne peux pas m’empêcher de me sentir tendu. Je n’aime pas tant que ma réputation me précède.

« -Julia Leclair, de la section mobile d’étude de terrain de l’Académie de Paldea. Et voici Miguel Ange, un élève effectuant son doctorat à mes côtés. Nous sommes ravis de vous rencontrer. »

Le blondinet opine du chef en signe de salutations, que je lui rends. Paldea, hein ? J’ai entendu parler de son académie. Apparemment, certains de ses ressortissants sont apparus sur l’île, dernièrement. Avec l’ouverture nouvelle de la région, il est peu étonnant d’en rencontrer des expatriés.

Madame Leclair s’écarte, et désigne les trois chaises placées devant le bureau de Jackie.

« -Prenez place, je vous prie. Nous avons une proposition à vous faire, mais avant, nous avons quelques questions à vous poser. »

Je m’avance docilement, non sans jeter un œil en direction de la porte.

« -La Générale ne pouvait pas rester ?
-Nous l’avons déjà briefée sur les raisons de cette entrevue. Et nous avions pensé que vous préférerez nous répondre dans un cadre confidentiel… »

Un cadre confidentiel ? Quel genre de questions souhaitent-ils me poser dont Jackie ne peut pas entendre la réponse ? Je prends place en même temps qu’eux, et me tiens face à la dénommée Julia.

« -Commençons par une simple formalité. Pouvez-vous nous communiquer votre nom, votre prénom, et votre parcours ?
-... »

La pertinence d’une telle interrogation me laisse circonspect, mais je n’ose la remettre en doute. Je tiens à savoir au plus vite où ils veulent en venir. Et puis, je présume qu’il faut bien commencer quelque part...

« -Labelvi, Ginji. Après avoir effectué des études de spécialiste type et de coach au sein de la Pokémon Community, j’ai fait le tour du monde en tant que Champion Electrik. Depuis récemment, je propose mes coachings au sein du nouveau campus. »

Miguel acquiesce subrepticement, et note des choses sur son bloc-note. J’ai l’impression néanmoins qu’il se contente en l'état de cocher quelques cases.

« -Merci. Que connaissez-vous de la région de Paldea ? »

Je hausse les sourcils. Puis, les épaules.

« -… Pas grand-chose. Mon voyage s’est arrêté avant qu’on ait des nouvelles sur la réouverture de la frontière. Je crois savoir qu’on a aperçu des Pokémon en provenance de là-bas à Kalos, mais sans plus.
-En parlant des Pokémon de la région… Avez-vous eu l’occasion d’en rencontrer ?
-Non, du coup. Je voulais prendre part à la Sortie Capture organisée là-bas, mais je n’ai pas eu le temps.
-Je vois. »

Elle s’assure d’un coup d’œil que son assistant ait fini de prendre note, et enchaîne.

« -Combien de Pokémon dits Légendaires ou Fabuleux avez-vous pu rencontrer au cours de votre carrière de dresseur ? »

Mon visage reste le plus stoïque possible. Malgré tout, j’avoue être un poil surpris par la direction abrupte que prend cet entretien.

« -Mes camarades de classe et moi en avons croisé plusieurs au cours de nos études. Un Manaphy. Un Celebi. Un Type:0, brièvement. Et un Magearna. »

Cette fois, les notes de Miguel se font un peu plus frénétiques.

« -Quatre, alors. Et après votre départ de l’académie ?
-... »

Je la fixe droit dans les yeux au moment de répondre.

« -Aucun. » j’hésite un instant avant d’enchaîner « Je crois savoir qu’un Keldeo a fait son apparition sur Adala juste après que je sois parti. Mais du coup, je l’ai loupé. »

Julia acquiesce.

« -Et connaissez-vous les espèces dites Ultra-Chimères ? En avez-vous déjà rencontré ?
-Ouais, je vois ce que c’est. Il y en a eu à l’académie, récemment. Mais je présume que vous êtes déjà au courant… ? Avant ça, pas vraiment. J’en avais juste entendu parler.
-Et… Les Pokémon Paradoxes ? »

Mon expression se fait cette fois-ci plus dubitative. Ces questions commencent à me titiller, et je ne sais toujours pas pourquoi on me les poses. Probablement pour ça que je coupe court à cet interrogatoire.

« -Pourrait-on au moins m’expliquer ce que je fais ici ? »

Julia esquisse un fin sourire. Miguel lève les yeux de ses notes pour nous toiser tour à tour, visiblement curieux de la suite. La scientifique – je présume – se décide finalement à me répondre.

« -Il y a au centre de Paldea un cratère. Au fond de celui-ci se trouve la Zone Zéro. Jusqu’à peu, les accès à celle-ci était restreinte, mais… Eh bien, en même temps que les frontières rouvrent, il semblerait que les conditions pour y accéder se soient légèrement assouplies. Il est donc de nouveau possible d’y mener des études de terrain. » elle se tourne vers son étudiant « Montre-lui le croquis. »

Le concerné a un instant de surprise en se retrouvant brusquement mêlé à la conversation, mais réagit néanmoins en feuilletant son carnet. Il glisse vers moi une feuille de papier sur laquelle une silhouette a été crayonnée.

« -On trouve des espèces de Pokémon… Particulières, tout au fond du cratère. Des Pokémon… Plutôt violents, et… Inadaptés à notre monde, dira-t-on. La plupart d’entre eux font montre d’une grande véhémence, et il est très difficile de les approcher. Outre cela, leur apparence et leurs caractéristiques sont tout ce qu’il y a de plus insolites. Nombreux sont ceux à remettre en question le fait même qu’ils puissent être des Pokémon. »

J’attrape le papier qu’on me tend.

« -Ce que vous me décrivez là ressemble trait pour trait à une Ultra-Chimère. »

Madame Leclair a un léger rire.

« -Eh bien… Vous pouvez les considérer comme tels, oui… »

Mon regard se pose sur la feuille. C’est une silhouette bipède, visiblement imposante, et à l’aspect monstrueux…

« -Mais gardez bien en tête que ce n’en sont pas. Ils viennent encore… D’ailleurs. »

Je lui jette un regard en coin.

« -… Comment peut-on… Venir d’encore plus loin qu’une Ultra-Brèche ? »

Elle maintient son rictus, mais ne répond pas pour autant. Je comprends alors que je n’aurai aucune réponse de ce côté là. Soit parce qu’elle ne veut pas me le dire, soit parce qu’elle-même n’en sait rien. Je m’intéresse donc plutôt au dessin, que je rends au prénommé Miguel.

« -Oui, bon, c’est une sorte de Tyranocif. Il ressemble un peu à celui qu’on peut voir dans ce film, là… Méga-Monstres IV ?
-Ce n’en est pas un.
-Pardon ?
-Il ne s’agit pas d’un Tyranocif. Celui-ci est de type Electrik. »

Je cligne des yeux.

« -Un… Tyranocif de Paldea, donc ?
-Une fois encore : ce n’est pas un Tyranocif. Et encore mois une forme régionale, ou une évolution alternative à Ymphect.
-... »

Ma langue claque, irritée.

« -Vous avez l’air bien renseignée, pour quelqu’un incapable de me dire d’où ça vient. Qu’est-ce que vous attendez de moi au juste ?
-Que vous nous accompagnez dans la Zone Zéro, et que vous le capturiez.
-… Réellement ? Vous avez juste besoin de capturer un Pokémon, et... La solution la plus simple pour vous, c'est d'aller rencontrer un inconnu à l’autre bout du monde pour lui faire cette demande spécifique ?  
-Vous êtes un spécialiste du type Electrik, non ? Diplômé de l’académie. Et vous avez une expérience du monde dans son ensemble. Sans parler du fait que vous avez déjà eu à faire à des Pokémon coriaces au fil de votre parcours. Vous me semblez être le candidat idéal.
-Il y a des tas d’autres profils qui remplissent vos critères. Vous n’avez pas une Championne Electrik, à Paldea ?
-Le Défi des Arènes a ouvert récemment, elle ne peut pas s’absenter. En fait, vous êtes le seul Champion Electrik n’ayant aucune obligation présentielle.
-…
-Vous n’avez pas à vous montrer méfiant. Cette mission sera particulièrement enrichissante pour vous en tant que dresseur. Et elle se fait sous la supervision de nos deux établissements : l’Académie de Paldea, et la Pokémon Community. Rien que cela. Ce Pokémon a juste vocation à être étudié. Une fois ce travail effectué, vous pourrez le relâcher personnellement si vous souhaitez être certain qu’il n’en soit pas fait mauvais usage.
-Navré, mais je vais malgré tout devoir décliner.
-… Et puis-je vous demander pourquoi ?
-Devoir me frotter à un spécimen semblable à une Ultra-Chimère, c’est déjà pas fou de base. Mais le faire à l’autre bout du monde, dans une région inconnue, dans un lieu lui-même inexploité, alors que ma fiancée est enceinte jusqu’aux os… Non merci.
-L’expédition ne durera que trois jours maximum. Et des procédures de sécurité seront déployées.
-Ça ne suffira pas à me convaincre.
-Ce sera également très bien payé.
-… Toujours pas.
-Je veux dire… Très. Bien payé.
-… »

Je soutiens son regard.

« -… Trois jours, vous dites ?
-Et l’expédition sera parfaitement confidentielle. Seulement connue de votre directeur, du nôtre, et de la Générale. Votre fiancée n’aura aucune raison de s’inquiéter en votre absence.
-... »

J’arrache le dessin des mains de son silencieux assistant, et l’observe une nouvelle fois. Un Tyranocif qui n’en est pas un. Et de type Electrik. Je dois juste capturer cette chose ? Tss. Je n’ai jamais capturé de Pokémon dans le but de les revendre ou de les échanger… D’ailleurs, ma dernière acquisition va faire une plombe. Suis-je au moins capable d’accomplir cette mission ?

« -… Vous me laissez la journée pour y réfléchir ?
-Il va de soi. Vous n’aurez qu’à faire part de votre réponse à la Générale lorsque votre décision sera prise. »

Elle se lève de sa chaise, et récupère le papier entre mes mains. Miguel fait de même, et les deux se dirigent vers la porte du bureau.

« -En espérant pouvoir vous compter parmi les membres de l’expédition... »

L’assistant effectue une courbette polie en guise de salutation. Puis les deux individus franchissent le palier.

Je me retrouve seul dans la pièce, avec mes pensées pour unique compagnie.

« -… »

Non.

Il faut que j’en cause avec Erika.







« -Je vous préviens, au premier SMS de ma fiancée je me barre.
-Bien entendu.
-Non, je veux dire… N’importe quand ! Quand bien même on serait poursuivis par je-ne-sais quelle créature, je vous abandonne et me téléporte instant auprès d’elle !
-Notre Abra est là pour ça, c’est prévu.
-Elle est à huit mois de grossesse, d’accord ? Et elle attend des jumeaux. En général, ils naissent prématurés, alors… C’est possible qu’il se passe un truc, vous comprenez ? Et je ne tiens pas à rater la naissance de mes enfants.
-C’était déjà clair les cinq fois précédentes, monsieur Labelvi.
-Bon. Ok. Tant mieux alors. Con… Content qu’on soit sur la même longueur d’onde. »

Notre véhicule s’arrête, signe que nous sommes arrivés à destination. Julia et Miguel n’attendent pas plus longtemps pour sortir. J’ouvre à mon tour la portière, et pose pieds à terre…

Nous sommes à flanc de montagnes. Un immense bâtiment cubique se dresse devant nous. Les environs sont déserts et la route n’est constituée que d’une vaste terre aride et rocailleuse. S’il n’y avait pas eu ce Poste d’Observation, je vois difficilement ce qu’on aurait pu venir faire ici.

Je tourne le dos à notre destination pour observer le paysage. Toute la portion ouest de Paldea s’étend sous mes yeux. C’est une belle région. Il y fait chaud, la végétation y abonde et… Les habitants semblent avoir une notion particulièrement affinée de la gastronomie. Cela me plaît bien.

Lorsque j’ai accepté cette mission, on m’a très vite prévenu qu’on ne s’attarderait qu’au fond du Cratère – d’autant que j’ai insisté pour réduire au maximum la durée de l’expédition. L’idée de devoir ignorer tout le reste d’un pays si prometteur m’a d’abord attristé, mais…

Notre tour du monde, à Erika et moi, s’est arrêté avant Paldea. Peut-être qu’une fois les enfants nés… Nous pourrions y passer nos premières vacances ?

Je secoue la tête de gauche à droite. C’est un peu tôt pour se projeter. D’abord, je dois m’assurer que leur première année sur terre se passe bien pour eux deux.

Et pour ça…

Il me faut toujours plus d’argent.

« -Monsieur Labelvi ?
-J’arrive. Oh, et, euh… Appelez-moi Ginji. Par pitié. »

Julia acquiesce en un sourire, et m’invite à rentrer dans le Poste d’Observation. Le bâtiment est vide et semble inutilisé depuis une plombe. Mais les quelques installations en place semblent néanmoins fonctionnelles.

« -Nous allons descendre par la passerelle, derrière cette porte. Le Portail Zéro est juste une plate-forme, il n’y a pas vraiment de système de téléphérique. »

Miguel ouvre la marche, et m’indique de la main le trajet à suivre. Effectivement, cet endroit n’offre pas grand-chose d’intéressant, en l’état. Pourtant, quand je franchis la dernière porte...

Un vent frais vient souffler sur mon visage. Mes vêtements s’agitent quelque peu, et je lève un bras par réflexe pour me protéger les yeux. Une vive lumière émane de la passerelle sur laquelle la salle s’ouvre… L’épaisse brume qui s’étend devant moi reflète les rayons du soleil, et m’éblouit légèrement. Je finis néanmoins par m’y accoutumer, et ose m’avancer un peu plus jusqu’au rebord…

On ne voit absolument rien de ce qui se trouve en dessous. Ce brouillard bouche complètement la vue sur le creux du Cratère. C’est… Intrigant. Très intrigant.

« -… La Zone Zéro est là-dessous ? »

Miguel opine du chef. A mesure que je scrute cette brume, que je perçois les mouvements du vent, et ressens le vide sous mes pieds… Une étrange sensation parcourt mon corps.

Ouais, c’est ça. Je crois que c’est de l’excitation.

Il serait mentir que de prétendre que je ne suis pas captivé par un tel spectacle. Cela fait… Combien de temps, que je ne suis pas parti à l’aventure ? Il est vrai qu’Erika et moi avons beaucoup voyagé, mais… Nous nous écartions rarement des sentiers battus…

Alors que là…

C’est l’inconnu complet. Un lieu qui n’est pas autorisé, et peu documenté… Dire que j’ai le droit de me rendre au cœur de la région de Paldea, sans même avoir visité cette dernière, dans un lieu où ses habitants eux-même ne peuvent aller. C'est... Tout de même une sacré opportunité.  

… Ouais. Je m’avoue vaincu.

Je suis complètement en train de me laisser prendre.

« -Vous m’avez parlé d’un second Poste d’Observation qu’il fallait rallier, c’est bien ça ?
-Tout à fait. Il se situe en contre-bas, bien en amont du fond du Cratère. Nous allons devoir descendre en rappel avec.… »

Je réajuste la lanière de mon sac, et fais un pas au dessus du vide. J’ai déjà cessé de l’écouter.

« -Ok, faites ça. Je vous retrouve là-bas ! »

Mes doigts viennent presser une Pokéball. Mon corps bascule complètement dans le néant, et… C’est la chute libre.

« -RAAAAAAAAAAAAAAAA ! »

Ma Ptéra laisse ensuite s’échapper un hurlement ravi.

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

La sensation de chute qui accompagne la descente de Sharon me secoue l’estomac. Depuis longtemps, j’ai appris à dompter la peur qui fait vibrer mon cœur, pour pleinement apprécier la montée d’adrénaline. Le contact du vent, cette vitesse galvanisante… L’impression de glisser sur l’air, de parfaitement maitriser son corps en dépit des forces gravitationnelles, et d’aspirer à une liberté totale qui outrepasse les carcans physiques. On se sent rarement aussi vivant.

Mes sens sont d’autant plus exaltés que ma vision est totalement obstruée par la brume qui couvre le Cratère de Paldea. Je ne peux m’en remettre qu’à mon toucher, mes tripes, et ma Ptéra. Fermement accrochée à cette dernière, je me laisse choir jusqu’à de nouveau percevoir…

Et lorsque nous surgissons des nuages, mes yeux récupèrent enfin toute mon attention.

« -… ! »

Il est difficile de croire qu’un lieu aussi nuageux puisse arbitrer pareille verdoyance. Des herbes hautes tapissent les falaises qui constituent le cœur du Cratère, et scintillent avec autant d’éclat que l’eau qui s’écoule des cascades. Cristalline, elle laisse entrapercevoir la roche dans le lit de ses rivières, et nourrit toute la flore de sa fraicheur. Les arbres sont peu nombreux, bien en peine d’ancrer leurs racines sur ces chemins tortueux et sur ces ponts de pierre naturels ; ils laissent entièrement respirer les pâtures, et ainsi donc, en dépit du fait que tout soit cloisonné de part en part…

Le tout semble si... Ouvert.

« -… Wow…  »

Sharon se rapproche doucement du sol, dès qu’elle aperçoit un lieu propice à l’atterrissage. Je quitte son dos sans parvenir à détacher mes yeux du décor, et effectue quelques pas machinaux pour me rapprocher du rebord. Je me penche tout doucement vers l’avant… Et constate que le cratère descend en continu, jusqu’à un point que je ne peux apercevoir.

« -Raaaa ! »

Sharon s’ébroue, et avance en observant les alentours. Son attention est rapidement attirée par une immense pierre, incrustée dans la paroi du Cratère… Je réalise très vite qu’elle n’a aucun rapport avec le premier caillou trouvé sur le chemin, en vue de ses reflets nacrés et de sa forme singulière. Je m’en approche à mon tour, et appose une main dessus…

« -C’est du cristal… ? »

La Zone Zéro semble en abriter plusieurs. C’est de là que vient tout cet aspect luminescent… ?

Je finis par m’en désintéresser, et passe une main sur l’encolure de ma Ptéra.

« -Bon. On doit trouver ce Poste d’Observation…  »

Nous avançons le long d’un sentier, peuplé par plusieurs espèces de Pokémon. Il y a beaucoup de têtes connues : des Cotovol, des Aéromite, des Akwakwak… Et même des Raichu. Dans l’immédiat, je ne me sens pas vraiment dépaysé par la faune de Paldea, alors j’avance d’un pas léger.  

Du moins, jusqu’à ce que j’aperçoive un étrange Girafarig. Celui-ci est bien plus grand que ceux du reste du monde, et… C’est marrant, on croirait qu’il porte un gigantesque hoodie, du motif de sa queue. A-attendez, non… C’est justement sa queue qui a pris place sur sa tête !

« -C’est quoi, une forme régionale… ? »

J’attrape mon Ipok, et ouvre l’application Pokédex. Celui-ci ne tarde pas à m’apporter une réponse.

 « -Farigiraf, Pokémon Long-Cou. Evolution de Girafarig. Grâce à la synchronisation des ondes cérébrales de sa tête et de sa queue, ses pouvoirs psychiques sont dix fois plus puissants que ceux de Girafarig. »

Girafarig… A une évolution ?! Eh bien… Paldea me réserve son lot de surprises, à ce que je vois…

Si cette découverte est amusante, elle n’est hélas pas l’objectif de mon expédition. Je fais rapidement signe à Sharon de reprendre la marche avec moi, mais…

« -… Sharon ? »

La Ptéra est… Figée. Son regard s’est arrêté sur une zone en contre-bas… D’où il est possible de voir une végétation foisonnante, qui contraste pas mal avec le reste du Cratère. Difficile de la décrire en détail depuis ma position, mais du peu que je parviens à voir, il semble y avoir de nombreux arbres et plantes colorées rassemblées dans un même périmètre. Comme une sorte de… Jungle. Circonspect, je me rapproche de ma partenaire.

« -Il y a un problème… . ?
-RAAAA ! »

Sans crier gare, Sharon ouvre en grand sa gueule et m’attrape par le col du t-shirt. D’un mouvement sec, elle me jette sur son dos, et décolle dès qu’elle sent mes mains s’agripper à son cou. Du moins, si par décoller, j’entends fondre directement sur l’endroit qui a capté son intérêt…

« -E-eh ! Tu fais quoi ?! »

Néanmoins peu à même de contester sa décision de nous jeter dans le vide maintenant que nous y sommes, je m’accroche fermement à elle. Il ne faudra que quelques secondes pour débarquer en trombe dans cette jungle, dans laquelle elle plonge sans hésitation aucune.

PAF !

Elle atterrit lourdement au sol. Ce n’est qu’à ce moment là qu’elle cesse de s’agiter, et prend le temps d’observer son nouvel environnement. J’en profite pour descendre de son dos, et faire de même.

La flore contraste violemment avec tout ce que la Zone Zéro parait proposer. Les troncs des arbres sont immensément larges, les feuilles prennent toute la place et s’étendent sans retenue là où elles peuvent. Il y a d’ailleurs une étonnante variété de spécimens différents, avec des formes plus tortueuses voire plus colorées. Les fleurs laissent émaner une odeur forte, dont la fragrance m’oblige presque à me couvrir le nez, mais que Sharon renifle avec intérêt.

Passé un instant, elle semble même plutôt enthousiasmée par ce décor. La voila qui sautille d’un arbre à l’autre pour le renifler ou se frotter à lui. Je ne crois pas l’avoir déjà vue se montrer autant intéressée par quelque chose qui puisse se trouver à terre – et surtout si bas dans la croûte terrestre.

« -Cet… Endroit te plaît, Sharon ?
-PTERAAAA ! »

Je pense pouvoir déduire un « oui » de ce cri ravi. Dans ce cas, je suis bien curieux de savoir de quel spécimen de plante il s’agit… Si ça lui plait tant, peut-être devrai-je en ramener pour en faire pousser à la maison ? Je n’ai jamais rien vu de tel, pour être honnête. Mes compétences en botanique restent celles d’un amateur, donc je demanderai à Julia si c’est quelque chose d’envisageable.

Julia ! Merde. On s’est totalement éloignés du point de rassemblement. Ca la fout d’autant plus mal que c’est moi qui les ai laissés en plan, de prime abord…

« -Il va falloir remonter. On essayera de récupérer quelques-unes de ces plantes pour toi, d’accord… ? »

Au moment où je viens chercher l’approbation de ma partenaire, un bruissement attire notre attention à tous les deux. Nous nous retournons d’un même geste, pour constater qu’une présence arrive dans notre direction. Des bruits de pas métalliques martèlent le sol, et fondent sur nous…

Sharon vient se positionner entre elle et moi par réflexe, juste avant qu’elle ne surgisse. La silhouette du Pokémon reste un instant couverte par l’obscurité au moment où elle se trouve dans les airs, mais elle se fait plus précise lorsqu’elle retombe lourdement au sol. Je reconnaîtrai ces trois yeux uniques entre milles : ce sont ceux d’un Magnéton.

Un Magnéton.. Couvert de fourrure.

Et bipède.

« -… Qu’est-ce que… ?! »

Ok, ça c’est bizarre. L’essentiel de son corps se compose comme celui d’un Magnéton classique, mais pourtant, deux grands aimants viennent faire office de pattes. En plus de la fourrure, le spécimen possède des marques sur ce qui semble être son œil principal. D’ailleurs, parlant d’yeux, ceux-ci sont jaunes à contrario du blanc habituel des Magnéton que je connais. Pour finir, des boulons forment une sorte d’appendice caudal à l’arrière de son corps…

Son apparence est un peu trop proche de Magnéton pour être une évolution alternative. Là, je suis assez certain qu’il s’agit d’une nouvelle forme. Une seconde fois, je dégaine mon Pokédex pour en avoir le cœur net…

« -Ses attributs correspondent à ceux d'une créature évoquée dans un récit d'exploration. On manque de données sur lui, car nul n'en a jamais capturé. »

… Pardon ?

« -Il ressemble vaguement à un Magnéton qui aurait vécu 10 000 ans, selon un article paru dans une revue consacrée aux phénomènes paranormaux.
-…. Dix mille quoi ?! »

Je fais un pas de recul. A l’aune de ces nouvelles informations, je suis immédiatement plus prudent. Un Pokémon que nul n’a jamais capturé. Très bien. Je vais savoir concilier avec. Pas de soucis. D’autant que le Pokédex dit qu’il « ressemble » à un Magnéton, mais n’a pas l’air d’insinuer que c’en est un. Et il est incapable de me donner un nom. Super…

« -SAAAAAAAABLE !
-RAAAAAAA ! »

A son grincement agressif, Sharon répond d’un hurlement provocateur.  Une pensée me vient alors : le fait que ma Ptéra soit intéressée par cet endroit… A-t-il un rapport avec le fait que cette créature date d’il y a dix mille ans ?

Compte tenu du contexte, et du fait que nous soyons attendus ailleurs, il serait bien raisonnable de fuir.

Sauf qu’il y a bien trop de questions que je me pose pour repartir comme si de rien n’était !

« -Théo, à toi ! »

L’ironie du sort veut que mon Magnéton n’ait jamais émis le souhait d’évoluer. Le voilà donc qui apparaît aux côtés de Sharon, ses trois rubans abîmés noués à chacun de ses écrous. Les yeux de mon partenaire et de son adversaire se croisent immédiatement, provoquant la surprise du premier, et l’agitation du second.

« -Théo ! Ce Magnéton serait une sorte de…. Euh, ancêtre à toi ? Je ne sais pas trop. Tu crois que tu peux essayer d’établir la communication avec lui ? »

Ses trois yeux glissent vers moi d’un air circonspect. Pour autant, il s’applique diligemment à la tâche en émettant une série de sons semblables à du morse, comme pour discuter avec lui. Cela parait fonctionner, puisque le Pokémon inconnu s’immobilise un instant.

Il lève les deux aimants qui lui font office de pattes…

… Et martèle le sol avec.

Cela produit instantanément de violentes secousses qui font trembler la terre même. Tant bien que mal, je tente de garder l’équilibre.

« -C’est… Une attaque Piétisol ?! »

De… Depuis quand les Magnéton apprennent des attaques de type Sol ?! Eh bien, depuis dix mille ans, apparemment. Si Sharon parvient à décoller à temps et à éviter les secousses, Théo lui, est complètement désorienté à cause des vibrations. Il ne parvient pas à maintenir sa lévitation, et percute violemment le sol.

« -Th… Théo !
-RAAAA ! »

Tout en battant des ailes, Sharon se place en vol stationnaire entre Théo et moi, alors que la terre elle continue de trembler. Tant bien que mal, je saisis mon Magnéton par l’un de ses aimants, et nous hisse sur le dos du Pokémon préhistorique.

« -On… On s’en va ! »



C’est à bout de souffle que nous sommes arrivés au Poste d’Observation. Je suis encore assis sur l’un de ses fauteuils lorsque les portes s’ouvrent en grand, et que deux scientifiques équipés de baudriers entrent à l’intérieur.

« -Je comprends mieux votre titre de "Souris Survoltée". Si vous comptez encore nous filer entre les doigts comme ça, je crains que notre collaboration soit mise à mal. »

Je me lève aussitôt, et désigne mon Magnéton de la main. Théo se remet à peine de l’attaque Piétisol qu’il a reçu. Puisqu’il est encore un peu groggy, Sharon le surveille de près.

« -C’était quoi… Ce Magnéton que j’ai vu ? »

Julia et Miguel s’arrêtent net, s’échangent un regard, puis me dévisagent.

« -Vous... Vous avez déjà été aussi loin dans le Cratère… ? »

Cette fois, c’est ma Ptéra que j’indique.

« -L’endroit lui a paru familier. Est-ce que par hasard… La Zone Zéro aurait préservé la... La même faune que depuis des millénaires ? »

Julia ne répond pas tout de suite. Elle se gratte la tête, hésitante.

« -... Vous avez dû faire la rencontre du spécimen baptisé Pelage-Sablé. Votre intuition va dans le sens de la majorité des recherches : tout indique que ce Pokémon provient d’un temps aujourd’hui révolu. » elle marque une courte pause, et me jauge de haut en bas « Vous avez eu de la chance de vous en être tiré indemne.
-... »

Je détourne le regard, honteux.

« -J’ai été pris au dépourvu quand il a lancé cette attaque de type Sol. D'habitude, les Magnéton n’en ont aucune. On a pris de l’altitude, et un peu par dépit, nous nous sommes enfuis. » je claque de la langue « J’aurai aimé l’affronter. »

La scientifique hausse les sourcils, mais je ne lui laisse pas le temps de réagir.

« -Le Tyranocif que je dois capturer... Il est du même acabit ? » une autre question me vient à l’esprit, alors j’enchaîne « Est-ce que vous souhaitez que je le capture, lui aussi ? Ce… Pelage-Sablé ? »

Julia s’éloigne pour approcher l’un des ordinateurs du Poste d’Observation. Elle vérifie quelques informations dessus, et tout en pianotant sur le clavier, me répond.

« -Pour votre première question : oui, en quelques sortes, ils sont sujets au même phénomène. Pour la seconde : non. Dans l’immédiat, nos recherches se concentrent sur le Tyranocif. Enfin, si l’occasion de revoir ce Pelage-Sablé se présentait, la question se poserait peut-être… »

Elle presse le bouton du clavier avec un peu plus de fermeté au moment d’entrer sa dernière commande, avant de s’en détourner. Le pas vif, elle retourne auprès de l’entrée, où l’attend Miguel.

« -… Mais je crains que cela soit pour une fois prochaine. Notre itinéraire n’inclut pas cette zone. » elle me fait un signe de la tête, en direction de la sortie « Vous venez ? »

Je soupire. Je crois que j’ai raté une occasion en or de me confronter avec un Pokémon rare. J’avance à mon tour, et d’une gestuelle similaire, j’invite Sharon et Théo à fermer la marche.

« -.... Par pitié, tutoyez-moi. »

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

Après avoir quitté le poste d’observation, nous nous sommes enfoncés plus profondément dans le cratère. Lors de notre halte avec Sharon, nous avons exploré une sorte de jungle à la forte végétation, mais cette fois-ci, nous nous dirigeons plutôt dans les galeries, sous terre.

Si la partie exposée du cratère a été capable de préserver sa faune et sa flore même après des milliers d’année, j’ose à peine imaginer ce que l’on peut trouver par ici. Les cristaux visibles à l’extérieur sont également présents une fois dans la montagne, et ils le sont en plus grande quantité encore. Des fragments minuscules parsèment les parois, et de part le différentiel de luminosité, ils ressortent particulièrement bien. Evidemment, on retrouve aussi leur version gigantesque, qui constitue des obstacles naturels à notre progression.

Sharon et Théo observent le tout avec une profonde fascination. Si le spectacle est en effet particulièrement charmeur, j’avoue être préoccupé. Notre précédente rencontre avec Pelage-Sablé accapare toujours mes pensées. Pourrais-je espérer le revoir un jour, pour l’affronter en bonne et due forme ? Est-il envisageable de le capturer ? De le domestiquer ? Des questions que je n’ose pas vraiment poser à mon escorte. De toute façon, Julia répondra certainement à demi-mot, et Miguel persistera dans son mutisme. Pas sûr que je m’en retrouve plus avancé.

Alors que nous marchons dans un silence absolu, interrompu par le seul bruit de nos pas, des structures familières commencent à surgir parmi les galeries.

« -Nous arrivons au niveau du laboratoire. »

Si l’apparence de celui-ci est semblable aux postes d’observation, il y a tout de même une différence de taille. Ou plutôt… Deux. Son envergure, et…

« -… Il a été construit à même le cristal ?
-Pas tout à fait. »

Nous nous arrêtons devant la grande porte circulaire, accessible via une rampe. L’ensemble du bâtiment est complètement absorbé par cette roche transparente et luminescente.

« -… Le laboratoire était là en premier. C’est le cristal qui l’a absorbé ensuite. »

Je détaille le phénomène avec une certaine perplexité. Est-ce… Vraiment possible ? Vue la tête du laboratoire, celui-ci ne doit pas dater de plus de cinquante ans. Une telle quantité de cristal peut réellement se former en un tel délai ?...

Je m’attendais à ce que nous pénétrons à l’intérieur du laboratoire, mais il n’en est rien. Julia et Miguel se contentent de passer devant, et de continuer en direction des profondeurs.

« -On ne rentre pas à l’intérieur ? »

Elle secoue la tête de gauche à droite.

« -Le laboratoire est en ruine. Plus rien ne fonctionne… Et de toute façon, ce qui nous intéresse se trouve plus bas. »

J’opine du chef, et indique à mes compagnons de fermer la marche.

Du fait que nous ayons dépassé le cœur du complexe scientifique, je me serai attendu à trouver une nouvelle succession de galeries et de parois rocheuses en contre-bas. Pourtant, je découvre avec une certaine surprise que d’autres infrastructures artificielles, typiquement humaines, occupent les sous-sols inférieurs. Des blocs de béton entier sont exposés ça et là, desquels dépassent des barres métalliques ; un amalgame de fils et de câbles, formés par divers appareils défectueux, ont été rassemblés dans un coin ; le sol est comme… Goudronné ? Avec ce qui ressemble à un morceau de route ; il y a même quelques néons et…  Qu’est-ce que c’est que ça ?

Je m’arrête pour ramasser une grande plaque en verre. Il y a quelque chose d’écrit dessus, et qui clignote… Mais en lettres numériques. On dirait… L’écran d’une tablette, mais… Sur un panneau transparent. Je dois détailler sa surface très attentivement pour y percevoir ce qui ressemble à des micros-circuits électriques.

L’écriture en elle-même ne me parle pas. En fait… Il y a quelque chose d’étrange avec cet endroit. Cela ne ressemble pas à une portion du laboratoire, mais plutôt… Aux restes d’une ville souterraine ? Et visiblement, très avancée technologiquement.

« -On y est. »

Julia et Miguel s’arrêtent au milieu de la route, et se retournent.

« -Le Pokémon que nous recherchons se trouve dans cette zone. Nous ne pourrons pas le localiser avec exactitude, donc à partir de maintenant, nous nous en remettons à vous. »

Je détaille encore une fois les environs. Ca… Ne ressemble pas vraiment à l’habitat idéal pour un Pokémon sauvage. D’ailleurs, je ne m’y connais pas tant que ça, en Tyranocif. Cela dit, si l’on part du principe que celui que je cherche est effectivement de type Electrik, et que nous nous trouvons actuellement dans les galeries d’une montagne… Peut-être bien qu’il s’agît d’un décor adéquat.

… Pour autant…

« -Est-ce que… Vous pouvez m’en dire un peu plus, sur cet endroit ? A… Quoi sert tous ces aménagements ? Ce sont des déchets du laboratoire ? Ou… Une sorte de zone de détente pour les chercheurs qui travaillaient ici ? »

Les sourcils de Julia se froncent en un air de contrariété. Visiblement, cette question la met mal à l’aise.

« -Eh bien…. Comment expliquer… ? »

Elle entrouvre la bouche, à moitié plongée dans sa réflexion sur la façon dont elle va tourner sa phrase. Néanmoins, mon attention se détache d’elle, pour se focaliser sur un détail au loin. Parmi les décombres, dans la pénombre de la galerie, quelque chose vient de bouger. Des yeux jaunes, particulièrement bien visibles malgré le noir, se détachent. Ce qui est étonnant, c’est que ce n’est en rien grâce à la réflexion de la lumière dans ses pupilles que je les vois, puisqu’il n’y a aucun éclairage ici. C’est plutôt comme si… Les yeux eux-mêmes étaient éclairés.

Plus que ces yeux, je perçois aussi un mouvement en leur provenance.

Ainsi que le chargement d’une attaque.

« -SHARON ! »

Je m’élance, et du bras, écarte Julia et Miguel de la trajectoire de la capacité. Un rayon énergétique est tiré dans ma direction, mais au même moment, ma Ptéra ouvre la gueule en grand pour tirer un Ultralaser visant à l’intercepter. Les deux rayons rentrent en collision à mi-parcours, et produisent une explosion qui, en plus de secouer la galerie, génère un épais nuage de fumée. Sans visibilité aucune, il n’est plus possible d’observer la source de l’attaque.

« -METTEZ-VOUS A L’ABRI ! »

Je pousse les deux scientifiques pour les inciter à s’écarter du centre de la galerie, et les fais se réfugier derrière un bloc de béton. Sharon volète pour se positionner devant, tandis que Théo se place juste au-dessus. Bien qu’à couvert, je jette un œil sur l’écran de fumée en entendant des bruits en sa provenance. Des bruits lourds, mécaniques… Et très vite, je constate qu’une silhouette s’en détache.

Une créature faite de métal, à la forme triangulaire, et aux paumes gigantesques. Un peu comme… Un Hariyama. Mais…

… Cybernétique ?

Une arrivée qui, si elle prend la cheffe d’expédition au dépourvu, ne génère pas pour autant une telle stupeur.

« -… Paume-de-Fer. Les rumeurs disent vrais, vous avez un véritable talent pour attirer à vous les Pokémon Electriks. »

Je la dévisage un instant, puis avise de nouveau notre assaillant.  

« -Ces yeux… Ce sont des écrans ! C’est… C’est un robot, pas vrai ?! Mes… Mes Pokémon Electriks ne ressemblent pas du tout à ça ! »

Elle dirige son attention sur Théo.

« -Je ne vois pas de grande différence avec votre Magnéton.
-Vous… Vous fichez de moi ?!
-GAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAR !
-RAAAAAAAAAAA ! »

L’entité ‘’Paume-de-Fer’’ pousse un cri semblable à celui d’une voix artificielle, auquel répond ma Ptéra par un nouveau hurlement. J’avise la créature, et serre les dents.

« -On parlera de ça plus tard. Vu sa tête, je présume qu’il est aussi de type Acier ?
-Paume-de-Fer partage de nombreuses spécificités avec Hariyama. Il semblerait qu’il en conserve le type Combat.
-… Vous ne dîtes pas ça sérieusement ? »

Donc… En dépit de toute cette armature métallique… Et de son NOM… Cette chose serait de type Electrik et Combat ? Si c’est bien vrai… Ce n’est bon ni pour Sharon, ni pour Théo…

Je me redresse, et quitte l’abri pour avoir une vraie visibilité sur le terrain. La fumée a fini de se dissiper, et le Pokémon nous fait pleinement face. C’est vraiment un putain de cyborg. Son corps est partiellement couvert de néons, et ses paumes lévitent par je-ne-sais quelle science ou magie.

Je glisse ma main dans mon sac, et attrape une Pokéball.

« -Sharon, Théo. Restez en défense. »

J’envoie ensuite la Pokéball droit devant moi.

« -Oz ! »

Le Raichu d’Alola apparait en un bref éclair lumineux. S’il se prépare à lancer une réplique cinglante comme à son accoutumée, il s’interrompt bien vite en constatant ce à quoi il fait face. Etrangement, il m’adresse un regard peu assuré.

« -Cré… Crétin… ? Qu’est-ce…. Qu’est-ce que c’est que ce truc ?!
-GAAAAAAAAAAAAAAR ! »

Est-ce que mon starter l’a vexé ? Honnêtement, j’en doute. Il a juste très envie d’en découdre, et prépare même une nouvelle attaque.

« -Ecoute, je sais que ça en a pas l’air, mais… Ca va le faire ! Balance ton meilleur Psyko, s’il te plaît ! »

Oz lève la patte, et plisse les yeux. Les pouvoirs psys ne sont pas ceux qu’il préfère maitriser, mais depuis le temps qu’il a acquis ses capacités mentales, mon partenaire s’est énormément entraîné. Son regard s’illumine d’une lueur violacée, et d’un mouvement ample du bras, exerce une pression sur le Pokémon adverse. Celui-ci interrompt sa propre attaque, et tente de repousser l’agression psychique à l’aide de ses imposantes mains.

« -Julia avait raison… Il est faible face aux attaques Psys. » je me tourne vers les scientifiques « Prenez la fuite tant qu’il est immobilisé ! On vous rattrape ! »

Ils acquiescent, et sortent précipitamment de leur abri pour s’enfoncer plus loin dans les galeries. Théo les suivent de près, imité par une Sharon en difficulté pour se déplacer. Une fois les risques de victimes collatérales écartés, j’énonce la suite.

« -Dès que tu le relâches, tu disparais avec Tunnel.
-Rai ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le Pokémon manque de perdre l’équilibre au moment où la pression se relâche d’un seul coup, et qu’il se retrouve à amortir sa propre force. Oz plonge les pattes en avant en direction du sol, et creuse à vive allure un tunnel au travers de cette étrange surface bétonnée. Lorsqu’il s’en rend compte, le Hariyama cybernétique tape violemment du poing sur les parois de la grotte, mais…

« -Maintenant ! »

Le Raichu surgit de terre, et percute violemment la créature. La succession de ses secousses, ainsi que l’affaiblissement du terrain à cause du tunnel, génèrent un affaissement sous ses pieds, dans lequel il chute. Tout en s’enfonçant dans le sol, le Paume-de-Fer agite ses énormes mains et produit des sons hystériques.

« -Désolé… Si tu es vraiment de type Electrik, tu ne dois pas apprécier des masses…  »

Oz profite qu’il soit piégé pour foncer en ma direction. Dès qu’il passe à côté, je m’agrippe à son épaule et monte sur sa queue. Lui et moi nous éloignons alors de cette chose, quelle qu’elle soit, et fonçons rattraper le reste de l’expédition.

Il ne faudra guère longtemps pour atteindre Sharon, Théo, Julia et Miguel. Ces derniers continuent de progresser dans les galeries même une fois qu’on les a rejoints.

« -Vous avez réussi… ? J’étais certaine de pouvoir compter sur vous. »

Je pose pieds à terre, et désigne le vide derrière moi.

« -Qu’est-ce que c’était que ça ?! Mon Magnéton est peut-être une créature artificielle, mais il s’agit seulement d’un Pokémon dont le corps est constitué de métal. Ca… C’était un putain de robot ! Q… »

Je la dévisage.

« -Quel genre d’expérimentations menez-vous dans ce laboratoire, au juste ?! »

Julia replace ses lunettes sur son nez. Elle parait réfléchir un instant à sa réponse, mais heureusement, cette dernière va enfin en mon sens.

« -En effet, peut-être est-il temps que vous en appreniez un peu plus sur ce qu’il se passe au fond de la Zone Zéro.  »

En même temps qu’elle dit cela, elle se remet à progresser dans les galeries. Oz et moi échangeons un regard, avant de nous mettre en route à sa suite.

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

« -Je pense que vous vous méprenez sur l’origine de ce Pokémon. Il ne s’agit ni d’une création de notre part, ni même d’une mutation. Il est apparu ici… Tel quel. »

Julia, Miguel et moi-même continuons de nous enfoncer dans les galeries de la Zone Zéro, escortés par mes trois compagnons. Sharon semble mal à l’aise à l’idée d’avancer dans un lieu si étroit, et Oz est encore perturbé par sa récente confrontation. Théo, lui, reste comme à son habitude, imperceptible.

« -… Comment un Pokémon de ce genre peut naître ainsi à l’état sauvage ? Et en quoi est-ce spécifique à ce cratère ? »

La scientifique claque des doigts en réaction à ma remarque.

« -Questions pertinentes, puisqu’elles trouvent leur réponse dans le même phénomène. Vous vous souvenez, du laboratoire juste au dessus de nous ? » j’acquiesce « Je vous ai mentionné qu’il tombait en ruine. Il se trouve qu’il contenait une machine… Singulière, capable de ramener des Pokémon de très, très loin. Mais cette machine s’est autodétruite il y a quelques semaines, et ce faisant… L’explosion qu’elle a produite, en plus d’avoir ramené quelques derniers spécimens, a matérialisé avec eux ce qui s’apparente à leur biome d’origine.
-…. »

Je m’immobilise. Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’elle me raconte ?

« -… C’est quoi, "une machine capable de ramener des Pokémon de très loin" ? Et qu’est-ce que ça veut dire, "très loin" ? » je fronce les sourcils « Ce n’est pas la première fois que vous dîtes ça. Vous avez déjà mentionné quelque chose de similaire, quand nous avons parlé des Ultra-Chimères. »

Elle s’arrête à son tour, plongée dans une profonde réflexion. Son mutique assistant la toise d’un air incertain, comme si lui-même était curieux d’entendre sa réponse.

« -Je ne sais pas. »

Je claque de la langue, irrité.

« -Comment ça, vous ne savez pas ? »

Elle se retourne pour me toiser droit dans les yeux.

« -C’est pour ça que nous faisons cette étude. Nous cherchons à déterminer… D’où viennent ces créatures, et… » elle les détourne au dernier moment « … De quand.
-…. »

C’est le mot que j’attendais. Celui grâce auquel tout prend beaucoup plus de sens. Fébrile, je lève un bras pour désigner la zone que nous venons de quitter.

« -Ces débris… Ces morceaux de trottoir… Ces appareils… Ce… Cyborg… » j’ai encore un peu de mal à croire ce que je m’apprête à dire « Ce sont des choses… Que votre "machine" a ramené du futur, c’est ça ? »

Une autre pensée me traverse l’esprit.

« -Il n’y a pas que ça. Tout à l’heure… Ce… Pelage-Sablé. Vous…  » mes neurones finissent de connecter l’ensemble « Vous m’avez laissé penser que cette jungle est restée telle quelle pendant 10 000 ans, mais en fait… Il n’en est rien… Cette jungle provient DIRECTEMENT d’il y a 10 000 ans ! Tout comme ses Pokémon ! »

Cela explique encore plus l’attrait de Sharon pour cet endroit. Ainsi que le tempérament ultra-violent de ces créatures, qui se retrouvent projetées dans un lieu et une époque qu’elles ne connaissent pas. Sans parler du manque d’information à leur égard !

Pourtant, malgré que cela puisse expliquer certaines choses, Julia souffle du nez, comme amusée.

« -Je vous l’ai dit. Nous ne savons pas. Du moins… Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons affirmer avec exactitude. » elle me tourne le dos, et se remet à marcher « Admettons que ce Pelage-Sablé soit effectivement un ancêtre lointain de votre Magnéton. Comment se fait-il que nous n’en ayons jamais trouvé aucune trace ? Pas d’empreinte, pas de fossile… Alors que nous sommes pourtant capables d’estimer quelles étaient les bactéries présentes sur terre lors de sa genèse, et que nous avons des Vieil Ambre pour attester de l’existence de votre Ptéra, par exemple. »

J’avise tour à tour mes compagnons, étonnement adaptés à cette explication, et leur fais signe de reprendre la marche à leur tour. Nous nous remettons ainsi à progresser dans les galeries.

« -Quant à Paume-de-Fer… Admettons également qu’il s’agisse là d’un descendant futur aux Hariyama de notre époque. Pensez-vous réellement que l’évolution fonctionne ainsi ? Que d’une génération à une autre, les Hariyama se soient subitement transformés en créature synthétique ? Il serait bien plus probable d’imaginer qu’il est une créature montée de toute pièce, ou alors… »

Elle marque une pause, qu’elle ne semble pas décidé à combler tout de suite.

« -… Ou alors… ? »

Julia réfléchit un instant supplémentaire.

« -… Qu’elle existe effectivement à l’état naturel, mais… Dans un monde aux règles différentes du nôtre. »

Je me gratte la tête.

« -… Donc en gros…. Vous hésitez entre…. "Ces créatures viennent d’une autre époque", et…. "Ces créatures viennent d’un univers parallèle" ? »

Elle acquiesce, avec une conviction que j’ai rarement vue chez elle.

« -C’est une bonne synthèse. Et c’est pour ça que nous avons besoin de vous.  » elle tourne la tête pour me regarder tout en marchant « Nous avons des éléments qui nous permettraient de corroborer l’une de ces hypothèses, pour peu que nous parvenions à analyser le spécimen adéquat. Celui que nous vous avons demandé de capturer. Donc... » elle regarde de nouveau devant elle « … Vous savez tout. »

Même si je comprends un peu mieux les raisons de ma présence ici, il y a encore une question m'intrigue.

« -Pourquoi ne pas m’avoir expliqué tout ça depuis le début ?
-Vous m’auriez cru ?
-… »

Je croise les bras. Finalement, mon air perplexe se mue en un sourire nerveux.

« -Cela peut sembler étonnant, avec mon jeune âge, mais… Depuis que je suis dresseur, j’en ai vu, des choses. Vraiment, vous avez pas idée. Des choses… Que vous êtes complètement incapables d’imaginer, ou même concevoir. »

Oz hoche lentement de la tête. On imagine sans mal à son expression contrariée que nombres d’images défilent à vive allure devant ses yeux.

Mon rictus se renforce pour devenir un rire plus franc.

« -… Mais toute cette histoire de machine temporelle, ou presque, là…. Franchement, j’ai jamais vu ça. Même moi, j’avoue que ça me dépasse. »

Les sourires de Julia et Miguel se renforcent à leur tour.

« -Navrée de ne pas vous avoir tout dit. Mais je pense que vous comprenez pourquoi, désormais. »

Je hausse les épaules.

« -Ouais, ouais. » je prends ensuite une posture plus nonchalante « Ok, je sais que je vous avais déjà donné mon accord, mais… Si cela peut vous aider à faire la lumière sur tout ce bordel, je veux bien vous le capturer, ce "Tyranocif du futur". »

Une réponse qui semble les satisfaire.

Nous continuons de descendre dans la Zone Zéro.

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

Le museau d’Oz se fronce, et il grimace. Son regard noir se dirige vers l’étendu auprès de laquelle nous avançons.

« -Urgh. Du sable. »

Je lui coule un œil laconique.

« -Tu lévites, tu n’as littéralement plus de raison valable de détester le sable. »

Il accompagne sa réponse télépathique d’un cri agacé.

« -Rai ! Tu sais bien que les grains dans le pelage, c’est horrible ! S’il y a des rafales, tu seras celui en charge de me les retirer ! »

Je roule des yeux, mais avec un fin rictus amusé. Heureux de constater que même confronté à des cas de voyage temporel ou transdimensionnel, mon starter et moi trouvons le moyen de nous chamailler.

Néanmoins, son observation est exacte. L’endroit dans lequel nous arrivons est couvert de sable. Des déchets métalliques en ressortent ci et là. En m’approchant, je tire sur l’un d’eux et révèle une pièce mécanique couverte de rouille. Théo, de ses trois yeux, la détaille avec intérêt.

« -Si votre Magnéton a des connaissance en métallurgie, il constatera que cette pièce, tout comme toutes celles trouvables dans ce désert, sont d’un alliage inconnu à notre monde. »  

Je balaie les environs du regard. Le plafond est bien plus haut et percé par endroit, donc la luminosité y est meilleure que dans le reste des profondeurs. On dirait une sorte de désert, mais… C’est étrange de trouver autant de ferraille et de machinerie au beau milieu d’une terre aride, non ?

« -Je vous ai révélé ne pas savoir si ces biomes proviennent d’une différente temporalité, ou dimension. Ce que je peux espérer, en revanche… C’est que si cet endroit dépeint notre futur, puisse-t-il être le plus lointain possible. »

Après que Théo l’ait passé en revenue, je finis par reposer la pièce métallique. Un pas après l’autre, je progresse sur le sable, et observe attentivement notre environnement.

« -Le Tyranocif est dans le coin ?
-A partir du moment où nous avons dépassé le laboratoire, il peut se trouver n’importe où. Votre rôle est justement de le débusquer, et de le capturer.
-... » j’inspire lentement « Ok, je la refais. »

Je plisse doucement les yeux.

« -Vous feriez mieux de retourner au laboratoire. Il est dans le coin. »

La scientifique et son assistant mutique me toisent d’un air perplexe.

« -Vous semblez bien sûr de vous. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?  Et pourquoi devrions-nous nous éloigner ? »

Je fais passer mon sac devant moi, et fouille dedans.

« -En admettant que leur aspect cybernétique n’ait aucune influence sur leur type, et puisque c’est à moi que vous avez fait appel… Je présume qu’il est de type Electrik et Roche. Les Tyranocif, les vrais, préfèrent généralement les montagnes, mais… C’est fréquent qu’ils se positionnent dans les déserts en l’attente d’adversaire. Cet endroit est couvert de sable… Nous sommes au cœur d’une montagne… Et il y a probablement des batteries et des appareils électriques qui jonchent le sol. Je n’imagine pas de meilleur cadre pour un supposé "Tyranocif du futur". »

Tout en parlant, j’attrape diverses Pokéballs. Après l’avoir remerciée d’une caresse sur l’encolure, j’abrite Sharon dans la sienne, puis fais de même avec Théo après avoir tapoté chacune de ses têtes. Je ne garde alors plus qu’une seule sphère en main, et Oz constate avec désarroi que ce n’est pas la sienne.

« -Quant à votre deuxième question, c’est parce que vous allez nous gêner. »

Je me retourne et les toise un à un, impassible.

« -Allez. Du balai. Si votre truc existe vraiment, je vous promets de vous le ramener. Alors partez, et laissez-nous faire.
-… »

Julia échange une œillade avec Miguel, et sourit distraitement.

« -Eh bien, si vous prenez l’affaire en main… Bon courage à vous. »

Sans insister plus longtemps, elle claque des doigts et fait apparaître son Abra à leurs côtés. Un flash plus tard, et les voila tous les trois partis.

Ne restent qu’Oz et moi, au beau milieu des profondeurs du cratère. Mon partenaire me dévisage un instant, avant de profiter du silence pour reprendre la parole.

« -Tu prends la confiance, dis donc. »

Sa remarque me fait souffler du nez.

« -On s’est confrontés à bien pire, tu ne crois pas ?
-Franchement, je ne sais pas. On ne sait pas ce dont elle est capable, cette chose. Je ne serai pas contre retourner dans ma Pokéball, par précaution… »

Je souris, amusé, avant de grimper à l’arrière de sa queue.

« -Essaie pas de te défiler. Promis, si tu finis couvert de sable, je te laisserai au repos pendant deux semaines. »

Il plisse les yeux, et commence à faire crépiter l’électricité sous nos corps.

« -Et pourquoi pas un mois entier ? »

Je lui tapote le dos.

« -Attrapons-le, et on en rediscute. »

Il s’élance, et fonce à travers le désert. Une Pokéball toujours en main, j’observe avec beaucoup d’attention les alentours.

Cette fameuse créature est là, quelque part. Je le sais. Je le ressens. Et… J’ai comme l’impression… Qu’elle aussi, a détecté notre présence.

Alors… Montre toi, Tyranocif de métal.

Je t’attends.

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

L’étendue de sable est vaste. Difficile de croire que nous sommes seulement dans un cratère. En fait, à bien y réfléchir…

Peut-être n’y sommes nous même plus.

Combien de mètres d’altitudes avons-nous sauté, Sharon et moi ? Combien de temps nous sommes nous enfoncés dans les galeries, sous la terre ? Si cela trouve, nous sommes purement et simplement, sous Paldea.

Pourtant, il y a des brèches, dans les parois, et la lumière parvient jusqu’à nous. Mais provient-elle du soleil pour autant ? Pourrait-elle être produite par des cristaux ? Ou… Autre chose ? Est-ce au moins de la lumière naturelle ? Est-ce que…

Réfléchir en terme d’environnement classique est pertinent ?

Après tout, Julia l’a mentionné, plus tôt : ce ne sont pas seulement les Pokémon, qui ont été transportés par la machine, mais leur écosystème tout entier. Serait-il possible, qu’avec… Ils aient conservé les lois métaphysiques de leur époque ? Ou de leur monde ?

Je n’ai ni les connaissances ni les moyens de répondre à de telles questions. Moi, tout ce que je peux faire, c’est ce que n’importe quel Gamin Sébastien de la Route 1 est censé pouvoir accomplir : capturer des Pokémon.  

Rien de plus facile, non ?

Je suis un dresseur de Pokémon. Un métier aux horaires plutôt flexible, auquel 90 % de la population s’adonne, aux risques incertains et dont le système économique est plus que nébuleux. Donc cette mission, elle est tout ce qu’il y a de plus classique, pour quelqu’un de ma trempe, non ?

Sauf que non. Surfer sur les dunes de sables aux côtés de mon compagnon de toujours, dans ce décor post-apocalyptique, à la recherche d’un spécimen cryptique…

C’est putain d’exaltant.

Une des raisons pour laquelle j’ai congédié les deux scientos, d’ailleurs. Ils me pompaient mon énergie, entre Julia et ses émotions dignes d’un ordinateur, et Miguel qui… Ne fait pas grand-chose à part exister… Paye ton équipe de bout-en-train, quoi.

Allez… ‘Faut pas que je laisse l’excitation m’emporter. Là, ici, quelque part… Se cache un Pokémon jamais vu à la surface. Il faut que je le débusque. Nous devons l’affronter. Je le veux.

« -… Oz ! Ralentis !
-Rai. »

L’allure du Raichu d’Alola diminue alors que nous approchons d’une énième carcasse métallique. Celle-ci… Est différente des autres.

C’est même assez clair.

Déjà, elle est presque intégralement sortie hors du sable. C’est une sorte de… Gros cylindre, vert, mais plus épais en bas qu’en haut. Aucune trace de rouille, elle est très propre, mais surtout…

Quatre fentes. Il y a quatre fentes en forme de goutte d’eau, deux de part et d’autres, et une cinquième qui représente un losange.

Ce sont les mêmes motifs que sur le corps d’un Tyranocif.

Un large sourire se dessine sur mes lèvres. Oz s’est arrêté, et je dois lutter de toutes mes forces pour ne pas bondir au sol et m’en approcher. Il a l’air éteint, mais il peut tout aussi bien sortir de sa veille en m’entendant marcher, ou en sentant mes vibrations, j’en sais rien… En tout cas, en l’état, il n’a détecté ni Oz ni moi.

Si ça se trouve, il dort vraiment. Ou alors… Nous arrivons trop tard, et il n’a plus de batterie. Comment est-ce que ça marche ces trucs, au juste ? Théo n’est pas un appareil électrique, c’est un organisme vivant, mais cette chose… ? En est-il autant pour elle ?  

Arf. Je présume que c’est pour le découvrir qu’on me paye…

« -Hongta… A toi de jouer. »

Je presse le bouton de la Pokéball que je garde en main depuis tout à l’heure. Mon Motisma Laveuse en sort, et observe les alentours avec une certaine anxiété. Du doigt, je lui désigne alors l’engin métallique…

« -Arrose-moi ça. »

S’il détaille d’abord la carcasse d’un air circonspect, il finit par s’exécuter et charger une attaque Hydrocanon. L’eau tourne à pleine vitesse derrière le hublot de sa machine, et gonfle petit à petit son tuyau… Jusqu’à ce qu’un torrent jaillisse de l’ouverture, et percute de plein fouet l’objet inconnu.

« -FFFFFfffffeeeEeeeeeeEEEEEeeeeRRRr…. ! »

Sa réaction ne se fait pas attendre. Un cri strident, des crépitements électriques, et tout d’un coup, c’est comme si l’appareil se mettait en marche. Les fentes s’illuminent d’une lumière verdâtre, et les diverses extrémités du cylindre s’activent. Des pattes sortent des parties inférieures, des bras lui poussent sur les côtés, une queue se déploie et des pics se dressent dans son dos. Saccadée, la créature a un peu de mal à se déployer à cause de l’eau qui s’infiltre dans son armature, mais une tête finit par surgir sur l’extrémité supérieure.

Et pousse un nouveau cri.

« -FEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEERRRRRR !
-Oz, Hongta… ON DÉMARRE ! »

Au même moment, mes deux Pokémon se mettent à foncer à travers la dune, toujours en lévitant. La créature que nous venons de réveiller, et qui ressemble définitivement à un Tyranocif robotique, commence à tirer plusieurs Rayon Chargé dans notre direction.

Ce qui m’arrache un profond fou rire. Oz, moins serein, me coule un regard mauvais.

« -Je… Je peux savoir ce que tu trouves si drôle ?! »

J’ai besoin d’un instant pour reprendre mon souffle, et lui répondre.

« -Elle avait raison… Julia avait raison ! Regarde ça…. Son corps est couvert de métal, il fait des attaques électriques, et pourtant… Il craint l’eau ! Il a DÉTESTÉ cette attaque Hydrocanon ! AHAHA ! C’est génial ! C’est vraiment… Un Tyranocif de type Electrik ! »

Une nouvelle attaque Rayon Chargé est tiré dans notre direction, mais cette fois-ci, elle ne nous rate que de peu.

« -J’aimerai BEAUCOUP partager ton enthousiasme, Crétin, vraiment, mais MAINTENANT ON FAIT QUOI ?
-C’est bien simple… On l’attrape ! »

Je fais signe à mes deux Pokémon de le contourner, mais chacun dans un sens différent. Lorsque Hongta lui passe devant, la créature tente de le cibler. J’attrape donc une Honor ball confiée par les scientifiques, et profite d’être dans son dos pour la lui lancer.

A ma grande surprise néanmoins, un rayon d’énergie part de ses pics, et vaporise ni plus ni moins la sphère. Je vois…

Ce n’est pas parce qu’on a trouvé sa faiblesse…  Que c’est gagné pour autant.

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

Lorsqu’une attaque fuse à travers le désert, elle fait voltiger le sable alentours et perce au travers des dunes. Il faut faire attention à la dispersion des grains, mais aussi aux quelques vestiges métalliques ci et là qui peuvent exploser ou pire, faire ricocher l’attaque en notre direction.

« -On se croirait dans MadMaskadra Fury Road… Ah ! Non !… Méga-Monstres IV ! On y est !
-Mais… De quoi est-ce que tu parles ?!
-Tismaaaa ?... »

Visiblement, Oz et Hongta ne prennent pas autant de plaisir que moi dans cette course poursuite par un robot Tyranocif  au milieu d’une terre apocalyptique. C’pas bien grave, je leur en veux pas. Ils rattraperont leur culture cinématographique quand nous serons rentrés à la maison.

« -Ok, je me concentre, promis ! » je fourre ma main dans ma poche « Hongta, continue de l’asperger d’eau, mais tout autour ! Il n’est pas très mobile, on devrait pouvoir l’immobiliser dans le sable.
-M-Mo…. ! »

Bien qu’inquiet, il s’exécute. Quant à moi, je parviens enfin à attraper mon Ipok, et à ouvrir l’application Pokédex.

« -Oz, essaye de rester à raisonnable distance ! Il faut que je le scanne !
-O… Ok ! »

Faisant pression sur sa queue, Oz, influe sur sa trajectoire et effectue un arc de cercle en guise de demi-tour. Je reste fermement accroché à lui, faisant fi du sable sur la trajectoire, et tente de cadrer ce spécimen du mieux que je peux avec la caméra de mon appareil. Elle a besoin d’un certain temps pour former une image nette, mais… Après un court instant…

Un résultat sort.

« -Il présente des similitudes avec une entité qui figure dans un certain récit d'exploration sous le nom d'"Épine-de-Fer". »

Mes yeux se détournent de l’écran, et je toise le Tyranocif. Cette simple description fait naître en moi une certaine fascination.

« -Epine-de-Fer… C’est donc ça ton nom ! »

Pour la première fois depuis le début du combat, il semble réagir à autre chose que nos attaques. Sa tête tourne dans ma direction, et me scrute. Un son numérique émane de son corps robotique.

« -FEEEEEER ! » 

J’attrape une nouvelle Honor ball, et la fait rebondir dans ma main.

« -Ok, mon grand… J’ignore si tu me comprends, mais… »

J’immobilise la sphère entre mes doigts, et la pointe en sa direction.

« -On a besoin de comprendre ce que tu es ! D’où tu viens ! Et pour ça… Je ne vais pas avoir d’autres choix que de t’attraper ! »

J’arme ensuite mon geste…

« -Alors donne tout ce que t’as, parce que si ça s’arrête trop vite, je vais le regretter !
-FEEEEEEEEEEEER ! »

La sphère part dans sa direction. Oz s’écarte immédiatement de sa trajectoire, car un nouveau Rayon Chargé va pour la percuter. Une fois encore, elle explose en morceau.

Il est combatif, mais… Il va falloir bien plus pour me décourager !

GINJI LABELVI

« Asymptote en plus l’infini »

Une nouvelle détonation retentit lorsqu’une énième attaque Rayon Chargé pulvérise mon Honor ball. J’ignore combien coûtent ces choses, mais j’espère pour les financements de cette expédition que c’est peu.

Dans mon esprit résonne la voix de mon stater.

« -On va devoir lui tourner autour pendant longtemps ?… Je ne vais pas te mentir, Crétin, je ne vais pas pouvoir maintenir cette allure indéfiniment. »

Cela fait un moment désormais que le combat a commencé. Oz et Hongta profitent de leur lévitation pour survoler les dunes, et contourner l’Epine-de-Fer. Ce dernier ne peut que se tourner, se retourner et se re-retourner pour nous garder dans sa ligne de mire, afin de peut-être, nous toucher.

Mais il n’y a guère que mes balls qu’il parvient à atteindre. C’est logique, elles constituent des cibles bien plus simple que mes compagnons ; du moins, tant que nous restons en mouvement. Mais s’ils venaient à fatiguer et à ralentir… Les choses pourraient rapidement tourner en notre défaveur.

Heureusement, l’aspersion de Hongta commence à faire effet. Autour du Pokémon futuriste, le sable humidifié commence à s’agglutiner pour former un amas homogène et gluant. Déjà qu’il n’est pas très mobile, nous allons réduire ses possibilités de déplacement au minimum.

« -Oz, je vais te confier quelque chose. Tu vas lancer une attaque Tunnel, et à mon signal, tu lui remontes dessus !
-… ! »

Il me lance une œillade incertaine.

« -Tu… Tu es sûr de ton coup ? »

J’acquiesce vivement, et lâche mon starter. Il continue ainsi sa trajectoire, tandis que je me laisse tomber au sol.

« -... On ne peut plus ! »

Je me réceptionne en une roulade, et Oz disparaît derrière les dunes. Hongta et moi nous retrouvons seuls à seul, face à cette créature sortie tout droit d’un livre de science-fiction.

« -Hongta, Onde Folie !
-Motiiiii ! »

Le spectre hantant génère une lueur blanchâtre entre ses ectoplasmes. Alors que l’attention de l’Epine-de-Fer se concentre sur le pauvre petit humain immobile que je suis, il ne voit pas arriver vers lui cette pulsion de folie qui volette tranquillement jusqu’à son corps.

« -Par pitié, faîtes que son terminal ne soit pas immunisé… »

Un programme peut-il réellement devenir fou ? C’est la question à trois millions de Pokédollars. Je suis quelque peu anxieux en le voyant charger une capacité à mon intention, mais fort heureusement, la lueur finit par rentrer en contact avec son corps, et aussitôt, son tir part de travers.

« -Parfait, il est confus ! Hongta, Reflet !
-Iiiiiismaaaaa ! »

Bien content d’augmenter son potentiel défensif, le Motisma se démultiplie, d’abord en créant un double de son corps, qui lui-même en génère un, qui lui aussi en fait apparaître un troisième, qui à son tour…

Bref, en un instant, l’Épine-de-Fer se retrouve encerclé de mirages visuels. Sa confusion ne doit guère aider à y voir plus clair… Le voila donc qui se met à tirer à tout va, dans des proportions et directions absurdes.

« -OZ, MAINTENANT ! »

La terre se met à trembler sous ses pieds (pattes ? Comment on appelle les jambes d’un Pokémon robot ?). Lorsqu’il s’en rend compte, il souhaite en faire bouger un, mais le sable qui s’est solidifié tout autour de lui l’en empêche. Ses capteurs sonnent de tous les côtés à cause des multiples reflets de Motisma, et ne parviennent pas à déterminer de cible à privilégier. C’est ainsi qu’Oz parvient à porter son attaque, sans qu’il puisse la parer.

Il surgit de terre, et le percute de plein fouet. L’attaque est diablement efficace – preuve une fois encore de son double type –, mais l’élément qui va tout changer… C’est l’Honor ball que le Raichu d’Alola lâche au moment de lui rentrer dedans.

« -YES ! Vas-y ! »

Pour la première fois, une sphère de capture rentre en contact avec son corps. Dans l’incapacité la plus totale de la voir venir, le Pokémon se laisse absorber par cette dernière en un franc rayon de lumière.

Finalement, le silence retombe brusquement dans le désert, en même temps que cette Honor ball dans le sable. Oz et Hongta reviennent tous deux se placer à mon niveau, tandis que nous observons avec intensité la sphère s’agiter. Une fois. Deux fois.

Trois fois.

« -… OUI ! On a réussi ! »

Je me tourne vers Hongta pour highfive son tuyau, puis vers Oz pour faire de même avec ses pattes.

« -Félicitations ! Tu as capturé ton premier Pokémon ! »

Le Raichu d’Alola me toise d’un air circonspect, avant d’observer la sphère.

« -… Attends, ça voudrait dire que c’est moi le dresseur ? »

Sa remarque me fait rire, et je vais pour récupérer l’Honor ball. Je la soupèse un instant de mes doigts, avant d’attraper mon Ipok.

« -Ça dépend, tu te sens l’âme de dresser un tel spécimen ?
-… Non, ça ira. Je te le laisse. »

Je compose ensuite le numéro de la scientifique. Il ne lui faut pas bien longtemps pour décrocher.

« -Allô ?… Vous êtes vivants ?
-C’est bon. On l’a, votre Tyranocif du futur. »




Deux jours se sont écoulés depuis la capture d’Epine-de-Fer.

Deux jours pendant lesquels nous avons squatté l’un des Postes d’Observation de la Zone Zéro. Je me serai attendu à ce que les tests se fassent à l’extérieur du Cratère, ou même qu’on me congédie le temps de ces derniers… Mais non.

A dire vrai, ces observations ne sont pas très palpitantes. Déjà, on a essayé de s’assurer que le Pokémon répondait bien à mes ordres : et oui, il est étonnement docile. Puis on a déterminé la liste de ses capacités. Sa taille, son poids, ses caractéristiques physiques… Bref, tout ce qui tôt ou tard doit finir dans un Pokédex.

Julia est d’ailleurs très vite parvenue à certaines conclusions sur son tempérament.  

« -Sa physionomie est semblable à un Tyranocif, mais contrairement à celui-ci, il est plus calme et préfère éviter les combats inutiles. »

J’ai eu une pointe de remord face à cette annonce. Les Pokémon Paradoxe, cette catégorie à laquelle appartient Epine-de-Fer, et qui regroupe tous les Pokémon issus de la machine, semblent pour leur grande majorité propices à la brutalité. Puisqu’il s’agissait d’une créature semblable à Tyranocif, j’ai supposé qu’il en était de même pour lui, et je l’ai attaqué sans sommation. En y repensant, il a dû subir notre prise de contact comme une simple agression… Si ça se trouve, on aurait pu sympathiser avec lui sans recourir à une telle violence gratuite.

Étrangement, il ne semble pas m’en tenir rigueur. Il répond bien aux ordres. Il nous suit, mes Pokémon et moi, machinalement. Je m’attendais à devoir le dompter un minimum, mais… Non, il obéit assez simplement.

« -Bon, et au final… Comment ça se fait que ce soit un robot, mais qu’il ne soit pas de type Acier ? »

Julia a répondu très simplement à cette question qui m’obsède depuis le début de l’expédition.

« -Parce qu’il n’est pas fait d’acier. Comme les machines trouvées dans le désert, l’alliage qui le compose est inconnu – du moins pour notre époque. Il doit s’agir d’une matière capable de reproduire les sensibilités à certains types… D’ailleurs, le qualificatif "Fer" de son nom ne fait pas forcément référence à un revêtement métallique. Ça peut être en lien avec les atomes que produit le noyau de certaines étoiles géantes en fin de vie… »

Par la suite, elle a commencé à émettre des hypothèses sur une une origine potentiellement extraterrestre. C'est à ce moment là qu'elle m’a perdu.


Tout en m’étirant, j’observe la mer de nuage au dessus de nos têtes.

C’est une chance incroyable d’avoir pu visiter un lieu aussi hors du commun. Le Cratère de Paldea est d’une magnificence certaine, et c’est sans parler des singularités temporelles qui se trouvent ci et là. En tant que dresseur, je peux m’estimer heureux d’avoir eu le droit à une telle opportunité.

Les portes du Poste d’Observation s’ouvrent derrière moi, et Julia et Miguel en émanent.

« -Vous êtes prêt à partir ? »

Au final, elle n’aura fait que me vouvoyer tout du long de la mission...

« -Hm ! »

Je me retourne, et lui tends la main, dans l’attente de quelque chose.

« -Mais avant ça… Vous permettez, que j’aille libérer notre sujet d’étude ? »

L’expression de Julia se fait pensive.

« -Eh bien… A ce propos… »

Aussitôt, je lève les yeux au ciel, et lâche un soupir d’exaspération. Baissant le bras, je fais quelques pas frustrés.

« -Et voila ! On y est ! Vous allez me dire que vous comptez l’étudier quelques jours de plus, c’est ça ? Que vous allez peut-être conserver la Honor ball, ou je ne sais quoi ? Et dans six mois, je vais apprendre que vous avez monté une armée de robots destructeurs que vous allez mettre en marche sur la ville la plus proche ? Bon sang, vous ne pouvez pas vous en empêcher, hein ! Vous, les scientifiques, c’est TOUJOURS la même rengaine ! »

Impassible, Julia me toise en attendant que je termine de parler, pour faire de même.

« -… Si vous le souhaitez, vous pouvez l’emmener avec vous. »

Je m’arrête, et la dévisage.

« -…. Que quoi ? »

Elle s’approche de moi, et saisit la sphère entre ses doigts, qu’elle fixe.

« -Intégrez-le dans votre équipe. Dressez-le, entraînez-le. Combattez avec. En échange, je vous demande un rapport mensuel et exhaustif de vos observations. Comment est-ce que son corps évolue ? Montre-t-il des signes d’affection ? Il y a-t-il un élément que nous aurions manqué dans sa façon de fonctionner ? »

Tout en concluant, elle pose l’Honor ball dans le creux de ma main.

« -Vous serez rémunéré pour chacun des bilans effectués, bien évidemment. Par contre, les potentiels frais d’élevage seront à votre charge.
-A… Attendez une seconde ! »

J’observe la sphère sans comprendre.

« -Je… Je croyais que cette créature était inadaptée à notre monde ! En plus… On ne sait pas tout, sur elle ! Si ça se trouve, elle peut s’avérer plus puissante ou plus dangereuse qu’elle n’y paraît… Et je vais bientôt avoir des enfants, moi ! Je peux pas me ramener à la maison, et faire, "Chérie, regarde ça, j’ai ramené un cyborg du futur !" C’est beaucoup trop dangereux ! »

Elle hausse les épaules.

« -Qu’est-ce qui vous oblige à le sortir dans votre maison ? Vous n’avez qu’à le conserver dans une Boîte PC, et l’appeler lorsque le cadre ou le contexte s’y prête.
-… Une… Boîte PC ? »

Pour la première fois depuis que je la côtoie, Julia affiche une réelle expression blasée.

« -Oui, vous savez, cette… Technologie que les dresseurs utilisent pour stocker leurs compagnons, puisque, normalement… Ils n’ont pas le droit d’avoir plus de six Pokémon sur eux…
-… »

Ne cherchant pas à argumenter plus que ça, elle se retourne, et va pour retourner à l’intérieur du laboratoire.

« -Vous faîtes comme vous voulez. Le contrat avec l’académie impliquait que vous pouviez dispenser du Pokémon Paradoxe à votre convenance si vous vous montrez apte à le dresser. Soit vous le gardez, soit vous le relâchez dans la Zone Zéro. C’est à vous d’en décider.
-Le contrat… ? »

Une…

Une petite minute !

« -Vous voulez dire que… L’académie vous a demandé l’autorisation de conserver ce Pokémon Paradoxe ? »

Est-ce… Pour ça que toute cette mission s’est effectuée via l’intermédiaire de la Générale Jackie ? Depuis le début… Est-ce qu’elle savait où tout ceci allait nous mener ? L’acquisition de cet Epine-de-Fer était son objectif initial, tout compte fait ?

Hélas, Julia n'est aucunement disposée à me répondre.

« -Bon courage pour votre future vie parentale, Labelvi. Nous ferons de nouveau appel à vous si le besoin s’en fait sentir. »

Sur ces paroles, Miguel et elle franchissent la porte du laboratoire à contre-sens, et elle se referme sur leur passage. Observant une nouvelle fois l’Honor ball dans le creux de ma main, mon regard finit progressivement par se perdre dans le vide.

« -… Hmm. Même diplômé, cette école ne compte pas me lâcher la grappe, de ce que je vois. »

Je saisis le sifflet autour de mon cou, et souffle dedans. Après quelques battements d’ailes, Sharon vient se poser à mon niveau, et me donne libre accès à son dos. Je grimpe dessus, et une fois installé, lui donne immédiatement l’ordre de décoller.

Je n’ai plus eu l’occasion de capturer de nouveau Pokémon depuis mon départ de l’académie. J’ignore si cette acquisition est réellement une bonne chose, mais…

En tant que spécialiste Electrik…

Non, en tant que champion Electrik…

... Eh bien, je me vois mal refuser une telle offre.







Au cri strident qu’ils viennent d’entendre, les laborantins comprennent que Ginji et sa Ptéra viennent de décoller. Les yeux rivées sur les écrans de son ordinateur, Julia semble compiler quelques données. Elle pressent néanmoins le regard brûlant de son assistant sur son dos.

« -… Oui, Miguel ? »

Le doctorant, resté mutique tout du long, prend alors la parole.

« -Pourquoi… Lui avoir menti ? »

Sa supérieure ne le fixe que du coin de l’œil.

« -A propos de Mashynn. Vous lui avez dit qu’elle était trop occupée, mais… Nous ne l’avons jamais contactée. Nous nous sommes directement adressés à lui… A ce dresseur qui vit de l’autre côté du globe. Pourquoi lui avoir demandé de l'aide à lui, spécifiquement ? »

Julia ne cesse de pianoter sur son ordinateur. Pourtant, elle a vraisemblablement changé de tâche, puisqu’elle fait basculer son affichage sur l’écran géant qui surplombe la pièce.

« -Savez-vous comment fonctionnait la machine temporelle avant son explosion ? Pour ramener ces Pokémon, j’entends. »

Il acquiesce.

« -Via des Master balls ?
-Exact. »

Elle affiche sur l’écran la photo de l’Epine-de-Fer, et une autre, montrant une sphère dont le mécanisme de fermeture est visiblement cassé.

« -Celle de cet Epine-de-Fer s’est cassée en deux, c’est pourquoi il est retourné à l’état sauvage. Néanmoins… J’ai quand même été en mesure d’en extraire quelques données. »

Elle ouvre ensuite divers documents numériques.

« -Une Pokéball contient, entre autres, trois principales données, qui servent à identifier son possesseur. Son nom, son genre, et son ID dresseur. »

Julia lève les yeux de son ordi portable pour fixer le grand écran.

« -L’ID dresseur de cette ball n’a aucune correspondance dans la base de donnée de la ligue. En fait, c’est un ID qui n’a pas encore été assigné. Pour le genre, nous avions tout simplement "homme". Et quant au nom inscrit dans les métas-données… »

Elle l’affiche en grand plan.

« -Tanguy Labelvi. »

Elle se retourne pour toiser Miguel. Son regard laconique laisse place à un sourire enthousiaste.

« -… Est-ce que Ginji Labelvi vous a mentionné qu’il attendait des enfants ? »