— Vous êtes sûr que ce n’est pas la peine que je mette une perruque ?

— Oui ne t’en fais pas. Irina Van Lope n’a existé que très peu de temps, et la seule photo de ton alter ego a été effacée très rapidement par tes anciens encadrants. Le risque que quelqu’un te reconnaisse est quasiment inexistant. Tu serais bien moins à l’aise avec une perruque de toute façon. Et puis ça serait trop dommage de ne pas coiffer une si belle chevelure.

Le fait que quelqu’un d’autre que sa mère le coiffe est déjà relativement surprenant. Et c’est encore plus improbable lorsque l’on sait que la personne qui tient la brosse à cheveux, c’est Marc, champion de Atalanopolis et ancien maitre de la ligue pokemon d’Hoenn.

— Ce que je te propose, c’est de laisser la majeure partie de tes cheveux détachés. Ils encadreront ton visage et masqueront ses traits légèrement carrés. Quoi que je pense que même à la fin de ta puberté, tu conserveras un visage pas trop difficile à féminiser. On va tout de même prendre une part de ta masse capillaire et la nouer en chignon à l’arrière avec des petites tresses. Ça sera travaillé sans être trop complexe. Regarde bien ce que je fais dans le miroir, tu devras pouvoir le refaire seul pour les prochains jours, je ne pourrais pas te coiffer à chaque fois.

— Oui d’accord, je vais faire attention.

Positionné devant un miroir, presque comme s’il était dans un salon de coiffure, le garçon se concentre sur les mains habiles de son mentor d’alternance, démêlant avec une certaine grâce son imposante masse bleue.

— D’où te vient une telle chevelure ? C’est assez atypique, je ne crois pas souvent des gens aux cheveux similaires aux miens.

— La quantité je la tiens de ma mère. Elle a énormément de cheveux, pire encore que moi. Pour la couleur, c’est la même que celle de Diego, tout simplement.

— Qui est Diego ?

— L’homme qui a mis ma mère enceinte. Mais il ne m’a jamais élevé comme un père. Pour moi c’est un membre lambda de mon clan, rien de plus.

— D’accord je comprends.

La situation est étrange à bien des égards, mais fait sens avec un petit peu de contexte. Itzan est actuellement en alternance. Une étape au-dessus des missions que son référent lui a assigné jusque-là. Il va travailler pendant deux semaines pour Marc, un étrange personnage mais qui a malgré tout vite mis en confiance le gitan.

— Tu sais, c’est bien la première fois que je vois un garçon de ton âge proposer d’entrée de jeu de se déguiser en fille pour une mission, surtout aussi longue. C’est assez surprenant.

— J’aime bien me déguiser pour ces missions-là. Et vous savez, vous n’êtes si le premier ni le dernier à me le dire. Même si souvent, c’est plutôt le mot inadapté qui ressort.

— En tout cas rassure toi ce n’est pas ce que m’a dit ton professeur quand il t’a proposé pour ce travail. Et il n’y a pas de mal à apprécier ça. Te définis-tu comme genderfluid ? Ou autrement sur le spectre du genre ?

Itzan ne s’attendait pas du tout à cette question. Tellement qu’il en reste complètement silencieux, fixant simplement son reflet dans le miroir et celui de son tuteur, regardant sur son téléphone quelques inspirations pour sa coiffure.

— Je ne l’ai eu que quelques fois au téléphone, mais Monsieur Nahr n’a pas l’air d’être le meilleur pour parler de ce genre de choses. Je connais mieux Heartnett. Il est très excentrique, encore plus que moi, mais ce sont des thématiques auxquels il est sensible. Il est très ouvert et peut être une bonne oreille.

— Excusez-moi, mais je n’ai pas compris ce que veut dire genderfluid, ou spectre du genre.

— Aaaaah. Ceci explique cela alors. Je vais t’expliquer, attends une seconde.

Le coordinateur repose son téléphone sur un pupitre non loin et commence enfin réellement la coiffure. Les deux mains plongées dans ses cheveux, il revient sur son sujet tout en procédant au nouage de ses cheveux.

— Quelqu’un de Genderfluid, c’est quelqu’un qui s’identifie parfois comme un homme, et parfois comme une femme. Sur le spectre du genre, tu as énormément de catégorie. Tu as des personnes nées dans un corps masculin mais qui s’identifient comme femme, l’inverse également, mais aussi des personnes qui ne s’identifient ni à un homme ni à une femme. On dit qu’ils sont non-binaires. Tu comprends ?

Itzan hoche la tête doucement, réfléchissant pour lui. C’est vrai que le clan a toujours fait preuve d’ouverture. Depuis très jeune, il sait qu’il est attiré aussi bien par les femmes que par les hommes. Mais pour ce qui est du genre, il est bien moins informé. Ce n’est pas une question qu’il s’était déjà posé et en y réfléchissant, cela ne l’étonne pas que Marc lui en parle. Se déguiser en fille avec autant de facilité et d’envie que lui, cela peut faire penser à ce qu’il a dit. Pour autant, cette liste n’a pas provoqué l’illumination chez lui.

— Je ne pense pas correspondre à ces définitions. J’aime changer d’identité pour être une femme pendant mes missions, mais ça s’arrête là. Je me sens toujours homme, et je ne crois pas me sentir autre chose. Même si j’aime mes cheveux longs et que j’aime bien regarder ce que porte les filles, comprendre comment leurs vêtements sont faits ou le maquillage qu’elle porte. Cela correspond à autre chose que vous avez dit sur le spectre du genre ?

— Non, tu as l’air plutôt au clair avec ton genre masculin. Mais sache que ça n’a rien d’anormal. Tu n’es pas le seul à aimer ça. Il y a par exemple les drag queens. Ce sont des hommes qui le temps d’un spectacle ou d’une soirée incarne un personnage, une femme. Tiens regarde.

Pendant que le champion termine la coiffure de son protégé temporaire, il tend son téléphone au bleu pour qu’il puisse regarder. Et il ne s’attendait pas du tout à ça. Ces hommes sont méconnaissables, complètement transformés grâce à leur personnage. Les coiffures sont improbables, le maquillage très prononcé et les tenues perfectionnés. Mais le garçon n’y trouve pas vraiment son compte.

— Je crois que je comprends ce que vous voulez dire, mais je ne ressens pas l’envie de me transformer autant.

— Je me doute, mais c’était surtout pour que tu comprennes qu’il n’y a rien de mal à aimer incarner une femme. Laisse-moi faire tu vas voir, je vais te donner pleins de conseils pour que Nausicaa soit plus vraie que nature.

Le gitan sourit un instant et rend le téléphone à Marc, observant le résultat de sa coiffure dans le miroir. Elle n’a pas l’air très compliqué, mais le résultat est super convainquant. Tout de suite, il voit la différence par rapport à sa queue de cheval habituelle. Il ne devrait pas avoir trop de mal à la reproduire toute la durée de sa mission, et même peut-être plus tard, de retour à l’académie.

— Maintenant on passe au maquillage. On va y aller léger aussi, pour que tu puisses le refaire de ton côté. Mais tu vas voir le résultat va être vraiment bon.

Itzan laisse le champion faire, commencent déjà à tester quelques produits pour comparer les carnations sur le dos de sa main. Pendant ce temps, le Voltali se permet de nouvelles questions. [/color]

— Je ne comprends pas trop pourquoi vous m’avez fait venir. Je ne suis pas expert, mais de ce que j’ai compris vous êtes un dresseur très fort. Vous n’auriez eu aucun mal à vous débarrasser vous-mêmes des infiltrés.

— Tu n’as pas tort, mes talents en combat et en concours ne sont plus à prouver. Mais tu sais je tiens beaucoup à cette coupe…

Comme souvent lorsqu’Itzan est envoyé en mission par son référent, il ne comprend pas bien l’intérêt de sa présence. Soit parce qu’il n’en voit pas le but concret, soit parce qu’il se juge inapte à le faire. Commençant à le connaitre, Leon a donc choisi de ne plus discuter avec lui en amont des missions diverses qui lui assignent, mais de l’envoyer directement au moment de l’annonce. Il le place devant le fait accompli, l’obligeant à s’adapter, ce pourquoi il se révèle être le meilleur finalement.

Mais cette fois-ci, Monsieur Nahr a frappé fort en choisissant l’alternance. C’est quelque chose auquel tous les élèves ne sont pas confrontés. Si le gitan a bien compris ce que lui a expliqué Magnolia avant son départ, il faut avoir atteint un certain grade pour se le voir proposé. Elle a insisté sur le fait que c’était une manière de lui montrer que ses capacités intéressent les professeurs, et qu’il a montré de bons résultats jusque-là. Le bleu n’est pas persuadé qu’il soit réellement aussi bon que ce que son référent pense de lui, mais a simplement hoché la tête pour éviter de se lancer dans un très long débat sur ses compétences avec son amie.

De ce qu’il a compris, il doit infiltrer les qualifications pour la Coupe Marc et débusquer parmi les challengers de potentiels infiltrés de la Team Aqua pour les écarter de la compétition sans faire de vague, sans mauvais jeu de mots. Leur infiltration aurait pour but final d’approcher Marc et de lui soutirer des informations sur le peuple Atlan. Peuple auquel il appartiendrait effectivement.

Rien que dans l’énoncé de son travail, il y avait pas mal d’inconnu pour le garçon. Profitant de son voyage en bateau, il a procédé à quelques recherches pour se mettre à jour et disposer d’un peu plus d’éléments à son arrivée. Et s’il est vrai que le paysage s’est éclairci, il ne comprend toujours pas le fond de sa présence dans ces murs.

— Si je m’en chargeais moi-même, cela ferait mauvais genre. Je ne pourrais pas faire ça en douceur, et l’organisation toute entière de ce concours serait remise en question. Et puis cela exposerait au grand public de potentiels adolescents manipulés par des adultes sur une cause qui les dépasse. Ce n’est pas ce que je souhaite pour eux.

— En résumé, vous voulez que je les identifie à l’issue de ce stage de formation à la qualification pour la Coupe Marc et que je vous donne leur nom pour que vous décidiez quoi faire de votre côté d’eux ? C’est ça ?

— Tu as saisi l’idée.

— D’accord mais si admettons ils décident de ne rien tenter du tout pendant les qualifications et qu’ils préfèrent attendre la véritable coupe ? Je n’aurais aucun indice pour les identifier, et on ne pourra pas savoir s’il n’y en a pas ou si c’est seulement moi qui les ais manqués.  

— Je sais bien qu’il y a des inconnus. Mais je compte sur le fait qu’ils sont des adolescents non entrainés pour commettre des erreurs. Erreurs que tu pourras alors remarquer. Ton professeur m’avait prévenu que tu avais tendance à te dévaloriser, mais je ne pensais pas à ce point-là. Tu ne manques pas d’assurance au premier abord, alors pourquoi ?

Le bleu devient subitement silencieux. Le champion n’est pas le premier à lui faire remarquer cette étrange incohérence. Dans ses interactions sociales lambdas, le gitan n’a aucun mal à s’affirmer, à montrer ses talents ou à tchatcher avec qui veut bien l’écouter. Il sait qu’il arrive à aider ses amis dans des situations difficiles. Il en a conscience. Mais pourtant…

— Vous savez Monsieur je suis originaire d’une communauté gitane. Nos rites et nos manières de vivre sont à l’opposé de ce que fais le reste du monde. J’essaie sincèrement de m’adapter et de faire des efforts pour mieux correspondre à ce qu’on attend de moi à l’académie. Mais je reste un gitan. Je ne peux pas complètement changer, et je n’en ai pas envie. Et j’ai l’impression qu’à cause de ça, je ne serais jamais le parfait petit élève qu’on veut que je sois.

Marc soupire un instant avant de reposer tout son matériel sur le pupitre juste devant l’élève. Puis, doucement, il soulève les cheveux d’Itzan avant de les replacer bien derrière ses épaules avant de s’approcher de lui, son visage juste à côté du sien. Il parle davantage au reflet de l’apprenti agent qu’à lui directement, mais cela n’a pas trop d’importance.

— Je ne suis pas ton professeur, et on se connait depuis peu toi et moi, mais je suis à peu près certain que même si ton référent n’a pas l’air d’être la personne la plus amusante du monde, il n’a pas l’intention de renier tes origines et ta culture. Il sait que ça fait partie de toi. Tu sais ce qu’il m’a dit quand il t’a proposé pour ce travail ?

— Non ?

— Il m’a dit je cite qu’il avait dans ses effectifs « un élève qui a tendance à sous-estimer ses capacités en se cachant derrière son incapacité à s’adapter à la société traditionnelle mais qui en réalité en plus d’être volontaire dispose de grandes capacités d’adaptation, de bonnes compétences techniques, d’un sens de l’observation redoutable et d’une profonde attention et bienveillance envers ses camarades ». Il m’a assuré que tu étais le meilleur choix pour cette mission, meilleur qu’une certaine jeune fille aux cheveux roses que tu ne pourrais t’empêcher de citer comme meilleur élément que toi chez les agents.

Immédiatement, le gitan pique un fard, incapable de masquer le rouge qui s’est emparé de tout son visage. Il est terriblement gêné que son professeur l’ait mis à nu de cette façon. Le faire devant sa mère à la réunion parents profs c’est une chose, à un champion très respecté et ancien maitre de ligue ça en est une autre. Marc laisse d’ailleurs un sourire amusé apparaitre sur ses lèvres avant de se redresser, reprenant son matériel.

— Je ne te l’ai pas dit pour te mettre mal à l’aise, mais pour te faire comprendre qu’on a confiance en tes capacités. Allez passons à autre chose. Il est temps que je te maquille ! Tu vas voir je suis sûr que tu vas apprécier !

Itzan se reprend et relâche ses bras, se laissant complètement faire. Les yeux fermés, il sent le coordinateur appliquer divers produits sur sa peau. A chaque étape, l’homme lui explique comment faire pour avoir le meilleur résultat possible. Les couches s’accumulent et petit à petit l’agent voit son visage prendre une autre forme.

Jusqu’à finalement ressembler trait pour trait à celui d’une adolescente.

— Et voilà, tu es sublime. Alors forcément ça serait mieux quand tu auras mis d’autres vêtements. Tu verras dans ta chambre on t’a mis une petite sélection à ta taille. Tu n’auras plus qu’à choisir ceux qui pour toi ressemblent le plus à Nausicaa.

— Merci beaucoup Marc, j’aime beaucoup ce que vous avez fait.

— Mais de rien, c’est moi qui te remercie par avance pour ton travail. Emporte cette petite trousse à maquillage. Les autres participants n’arrivent que demain. Tu as le temps de prendre tes marques ce soir. N’hésite pas à me contacter si jamais à un moment tu as une information à me transmettre ou quoi que ce soit. Privilégie les sms, c’est plus discret. 66cccc

— D’accord je ferais ça.

— Je dois te laisser, d’autres obligations m’appellent. On se revoit demain, ou plutôt je vois Nausicaa. A très vite Itzan !

— A très vite Monsieur.

Itzan va devoir s’éclipser pour quelque temps.

Il est temps pour Nausicaa Villi d’entrer en scène.