Tout a commencé il y a de cela quelques mois. Mon père venait de trouver un nouveau travail, qui d'après lui, rapporterait beaucoup plus d'argent et contribuerait au bonheur de la famille. Cependant, de mes yeux d'enfant, je n'y voyais que des mots. Depuis ce jour, tous les soirs, il revenait de soirées "avec les copains", qu'il disait. Il n'avait "pas bu", qu'il disait, mais je pouvais sentir la gourde qu'il ramenait constamment avec lui déambuler comme le cadavre d'un nouveau-né à sa ceinture. Elle était beaucoup moins lourde à l'aller, il n'y avait pas de doute. Il buvait.

Mais moi, gamin de quinze ans, je ne savais pas ce qui était contenue dans la gourde. À vrai dire, même si beaucoup d'enfants de mon âge l'aurait su mieux que moi, je me contentais peut-être de l'ignorer volontairement, de me voiler la face, en estimant qu'il n'y avait que de l'eau, pure, de source. Je me mentais à moi-même, comme lui, qui arborait fièrement ce masque sur son visage. Ce dernier, fait majoritairement de plastique, était la tête d'un démon. Elle était le signe de ralliement des "Fêtards de Johto", un petit groupe qui avait pour seul mérite de finir les soirées plus lamentables qu'ils n'y entraient.

Difficile, pour un enfant, de n'avoir comme image paternelle qu'une loque à forme humaine, n'est-ce pas ? C'était là mon seul et unique combat. Plus mon corps changeait, ressemblant à ma mère, plus mon esprit se divisait, et se rapprochait de celui de l'homme de la famille.

C'est ainsi qu'au fil de jours, au fil des mensonges, au fil des retours de soirées, ma mère accepta ma demande de rejoindre la Pokémon Community. Un établissement scolaire qui proposait un divertissement et des connaissances sur ces créatures que je ne connaissais que de nom, mais surtout un moyen pour l'image maternelle de me faire quitter définitivement mon père, qui devenait un handicap trop grand pour elle, et une image trop horrible pour son fils. C'est sur les derniers adieux qu'elle me prit dans ses bras, alors que mon père se contentait de me juger de haut en bas, d'un air las. Sous la question de ma mère, je ne pus m'empêcher d'être franc, sincère, et direct.

"Il y a quelque chose que tu aimerais emporter avec toi ?
- Oui. Ça, s'il te plaît, papa."

Il n'était pas dans le pire état lorsque je m'adressai à lui. Disons qu'il était suffisamment bon pour accepter ma demande, et trop "ailleurs" pour en tenir rigueur, raison pour laquelle je fauchais sa gourde de ma main droite, tandis que ma main gauche saisit le masque qu'il avait l'habitude d'accrocher à l'arrière de son pantalon lorsqu'il ne le portait pas. C'était pour moi tout ce qui reflétait mon père, qui restait mon modèle.

"Et, maman, puis-je aussi prendre ton collier ?"

Elle ne dit pas un mot, mais je remarquais une larme couler le long de sa joue; larme causée par la tristesse de mon départ, et la joie de mon éloignement paternel. Elle se contenta d'accrocher son pendentif autour de mon cou, tandis que mon bras fut happé par une personne du corps enseignant de la communauté. Celle-ci, une jeune femme qui ne devait avoir que cinq ou six ans de plus que moi, était apparemment la responsable des Top-Dresseurs, qui m'expliqua en une longue tirade en quoi consistait son rôle dans l'établissement, et me fit tiquer lorsque le nom de "Champion d'Arène" apparut. Sans même avoir le temps de lui répondre que c'était là mon objectif, afin de m'affirmer davantage face aux autres et de laisser ma timidité de côté, une personne répondant au titre de collectionneur me bombarda de questions comme un volcan sur une fleur.

"QUESTION UN ! Qu'est-ce qui peut changer un homme ?
- L'eau."

À ces mots, il pencha la tête sur le côté, comme s'il n'avait pas tout à fait saisi la réponse. Ou que je n'avais pas vraiment compris la question. Il déposa sa main gauche sur son front, essuyant les quelques gouttes de sueur qui ornaient son crâne chauve.

"QUESTION DEUX ! Comment peut se cacher un homme ?
- Avec un masque."

J'étais sûr de moi cette fois-ci, mais le collectionneur semblait toujours aussi perdu dans mes réponses.

"Tu veux dire... se voiler la face ? Se protéger ?
- Non non, avec un masque, comme celui-ci !"

Je lui tendais le masque que mon père m'avait légué avec une certaine fierté. Après un léger soupir, il me tendit une balle ronde, rouge et blanche, qui ne laissait aucun doute quant à ce dont il s'agissait, mais plutôt sur ce qu'il renfermait.

"T'es le petit dont la mère nous a appelé ce matin. Je n'avais pas fait le rapprochement.
Ce Pokémon est le plus représentatif de l'image maternelle. De plus, à tes réponses, je remarque que tu as une affinité plus que certaine avec l'eau, et que tu as ce besoin de te sentir protégé, recouvert d'une carapace."

J'hochais frénétiquement la tête de haut en bas, affirmant chaque phrase du collectionneur, avec un certain intérêt. J'attendais ce moment décisif, cet instant au cours duquel il me dirait le nom de la créature avec laquelle je pourrais me lier d'amitié.

"Ton Pokémon sera fier de toi, je l'espère. Quant à toi, tu seras fier de ton nouvel allié. Lokhlass.."