Sigh est grande-gueule. Tellement plus qu’un Wailord. Sigh est une boule de nerfs. Un Voltorbe sur pattes qui menace d’enflammer sa chevelure de feu pour exploser aux quatre coins du pays. Sigh, il est plein d’énergie et d’enthousiasme. Vraiment. Il a de grandes ambitions et son optimisme n’a aucun égal ; sauf quand il concerne autrui. T’façon ce sera lui, le meilleur, pas toi, ou toi, et encore moins toi. C’est beau la jeunesse.

À la base, Sigh est juste « l’enfant du milieu » qui cherche à se démarquer. À la base. On se demande si son père n’est pas un pokémon feu caché. Alors avec sa chevelure de flammes qui n’a jamais connu un peigne, ses petites piques narquoises et ses crises de colère légendaire – rassurez-vous, il aboie plus qu’il ne mord réellement, cette petite femmelette – Sigh passe facilement pour un gosse à problèmes, trop énergique et sans cervelle. Ce qui n’est qu’à moitié vrai. Entrons dans les détails, voulez-vous ?

Sigh est le deuxième fils et l'avant dernier enfant de la famille. On dit souvent que ce sont les enfants uniques qui sont caractériels, car habitués à être au centre de l'attention. Et on aurait pu penser qu'être entouré d'un grand frère et de deux sœurs apprendrait à Sigh l’humilité. La preuve que non.
Son frère aîné étant le plus responsable du lot, Sigh a toujours eu l'impression de devoir suivre son modèle, à croire qu'il n'y a jamais rien à lui reprocher, alors que lui passe pour l'insupportable du groupe. Ce qui n'est pas faux. Il cherche toujours des noises aux autres, et souvent même sans le faire exprès. C'est dans son caractère ; il ne peut pas s'empêcher de critiquer et de la ramener. Pas sa faute si le mot "honnêteté" a un sens pour lui ! Franc, il l'est trop. Mais il est encore plus arrogant. Vous l’avez compris, Sigh n'est pas persuadé qu'il peut être le meilleur, il le sait. Non qu'il passe son temps à la ramener, du genre « oh, comme je suis beau ce matin ! » , « t’as vu j’ai eu une meilleure note que toi héhé » ou « demain je t’éclate la face sur le terrain de foot » deux fois par jour. Déjà parce qu’il n’a pas de bonnes notes, ensuite parce qu’il ne se trouve pas particulièrement beau, avec ses cheveux éclatés, son éternel expression de chien de garde (il fait pas exprès), son mètre soixante et sa carrure de crevette. En revanche, quand on lui donne l'occasion de ramener sa fraise, il ne se gêne pas. Il trouve des défauts à tout le monde, d'ailleurs si certaines personnes s'intéressent en premier à l'apparence des autres, chez Sigh ce sont les défauts qui lui sautent toujours aux yeux. Ensuite seulement, il les traite de Tadmorv. Voilà.

D’ailleurs, Sigh est si doué pour exprimer ses sentiments, et si délicat dans sa façon de penser, qu’il insulte toutes les filles qu’il trouve jolies. Sales moches pas belles. Evidemment, ça arrive souvent, sinon ce ne serait pas drôle. C’est qu’il commence à être sensibles des hormones, le petiot.

Avec le temps bien sûr, notre petite boule de nerfs se rend compte des qualités de chacun, mais comme elle est également très fière, il est dur pour elle de voir la réalité en face – à savoir qu'elle a tort. Le rouquin est donc également un mauvais perdant. Un très mauvais perdant, même, et ses réactions sont souvent diverses et variées dans ce genre de cas. Dans le meilleur, il ne fera que bouder. Si, je vous jure. Une réaction calme et reposante pour nos tympans. Dans le pire, eh bien... euh. Vous savez courir ? Il n’est pas violent, en vrai – comment ça vous ne me croyez pas ? – mais il devient vite fatiguant de l’écouter brailler qu’il aura sa revanche quand il sera un grand dresseur et d’abord toi le moche ta gueule tu pues t’as triché j’en suis sûr. Voilà voilà.

Mais que fait-il, à part râler et crier, me demanderez-vous ? Intéressante question, Fred. Il faut dire qu'en-dehors de cela, le Sigh n'est pas très démonstratif. Vraiment. Il exprime sa colère mais tout le reste demeure coincé dans sa gorge comme un poffin pas assez cuit. D’ailleurs il déteste les poffins. C’est pour les filles. Emotionnellement constipé et maladroit en société,  Sigh n'aime pas parler de ses sentiments, les vrais, il a l'impression de se ridiculiser ou de passer pour un gamin – voire les deux. Ainsi, il n'avouera jamais qu'il aime énormément son frère aîné, pour qui il éprouve du respect et de l'admiration. Quand il veut bien se l'avouer. De même, tout en étant toujours casse-pieds avec eux, il sait qu'il ne peut se passer de son frère et ses sœurs. Il tient d'ailleurs énormément à la cadette, alors qu'elle est celle avec qui il se dispute le plus souvent, de part leurs caractères radicalement opposés. Quant à l'aînée des filles, elle est la seule à s’interposer entre les disputes des deux frangins, autant dire que Sigh lui doit une fière chandelle. Bref, Sigh est très attaché à sa famille, même à sa maman, oui, cette espèce de princesse rose bonbon écoeurante de sucrerie. Pas étonnant qu’il soit allergique à tout ce qui est un peu féminin. Sans parler de ses exécrables pokémons mignons. Qu’il trouve très chou en réalité. Saletés de bébés Skittys !

Son but dans la vie ? Devenir le meilleur, ouais. Mais surtout surpasser son paternel, père absent et dresseur raté de profession. Ça ne sera pas difficile. Alors pour faire les choses bien, Sigh a décidé qu’il l’écraserait en bonne et due forme, en devenant vraiment, vraiment le plus fort, histoire que ça soit bien humiliant, quoi. Normal. (On reparlera de son papa plus tard.)
Il a de l'ambition, c'est certain, et contrairement à ce que son caractère emporté et irréfléchi laisse penser, il sait s’en donner les moyens. Il a appris le Manuel Pokémon de la Ligue Indigo par cœur – tu sais, le truc destiné aux débutants, avec les noms des champions d’arène et le guide touristique de la région ? Curieux comme pas deux, Sigh s'intéresse à tout ce qui l'entoure. Et même s'il est parfois trop arrogant pour reconnaître une défaite, il sait se servir de sa tête pour retenir la leçon. Il se plante une fois ? Ok, mais ce sera la dernière. Ou alors il se plantera différemment. Mieux, tu vois. En beauté. C’est qu’il aime faire les choses en grand, avec panache. Quelle classe.

Le rêve de beaucoup de jeunes dresseurs. Pour Sigh Delgado, ce n'était pas un rêve, c'était une réalité. Enfin, une future réalité. Un jour, il sera un grand maître pokémon, reconnu par tous. Un jour... En attendant, c'était son frère aîné, Sven, qui s'apprêtait à partir pour devenir dresseur, et c'était lui, Sigh le débile, qui se trouvait sur le pas de la porte à lui faire de grands signes de la main. La silhouette de Sven disparue au détour d'un chemin, Sigh rentra à l'intérieur en se sentant très, très stupide. Et pas uniquement parce qu’il venait de s’essuyer machinalement les pieds sur un paillasson Delcatty fushia. Il s’assit dans la cuisine au papier peint kitsh et aux meubles en bois roses et regarda par la fenêtre, à travers les volets roses et la dentelle (blanche, celle-là) qui faisaient office de rideaux. Ah, si seulement il avait pu partir à l’aventure, lui aussi ! Mais Peggy Delgado, ancienne coordinatrice reconvertie en éleveuse de Skittys, était très inquiète de nature, et elle refusait que ses enfants partent à seulement dix ans capturer des pokémons. Donc, Sven était parti. À seize ans. Sigh se frappa le front contre la table, ou plutôt le napperon en crochet aux motifs Skitty que sa maman avait fait, pour être en accord avec les autres. Il n’y avait plus que quatre napperons Skitty autour de la table à manger, maintenant. Son frère aîné parti, ne restaient que ses deux sœurs, sa mère et lui. Leur père ? Ils avaient arrêtés de croire qu’il rentrerait pour le dîner.

Vingt-sept ans de carrière, quatre pokémons capturés, et toujours l’espoir de devenir quelqu’un. Comme quoi, la débilité détermination est de famille.

… il avait vraiment envie de le ridiculiser. Il ne doutait pas que Sven y arrive, brillant fils qu’il était, mais il voulait lui aussi se lancer dans l’aventure. Il pourrait donner une bonne leçon à ce père qui n’avait jamais été présent pour eux, afin de lui prouver qu'ils pouvaient tous être meilleurs que lui, et sans son aide.

Ding-dong !

« Sigh-chou, tu veux bien aller ouvrir ?
– ARRÊTE DE M’APPELER COMME ÇA.
– Oui, mais tu veux bien aller ouvrir ?
– OUI, MAMAN. »

Sigh n’était pas particulièrement en colère contre sa mère, c’était juste sa façon naturel de s’exprimer. Il ouvrit la porte pour découvrir un facteur un peu secoué par l’accueil particulièrement bruyant. Mais c’était toujours comme ça, chez les Delgado.

« OUAIS ?
– Euh, bonjour je… je vous apporte le courrier de la semaine.
– Parle plus fort, j’entends rien.
– Le… le courrier.
– M’MAN C’EST LE FACTEUR !
– Eh bien prends le courrier mon poussin !
– D’ACCORD. TOI ! … toi, le courrier, et plus vite que ça », se corrigea-t-il en voyant que le pauvre type sursautait à chaque escalade de décibels.
« SOIS POLI SIGH-CHOU.
– RAAAAH ! Le courrier S’IL VOUS PLAÎT merde à la fin. »

Sigh claqua la porte (rose) (avec un petit son de clochette) et retourna dans la cuisine en feuilletant les papiers. Des factures, une carte postale de ses grands-parents qui faisaient une croisière sur l’Azuria, des lettres de fans pour sa mère et… un dépliant.

« M’MAAAAAN ILS NOUS REFILENT ENCORE DE LA PUUUUB ! »

Sigh ne savait pas, en disant cela, qu’il venait de recevoir la clef de sa liberté.

Car le dépliant venait de Pokémon Community et vantait les mérites de la belle école. Environnement paradisiaque (mouais, il connaissait), personnel dévoué et compétent (à voir), bâtiments fraîchement construits (on s’en fout), mais surtout « formation complète et sécurisée SÉCURISÉE SÉCURISÉE SÉCURISÉE… Cha-chiing !

« MAMAN C’EST POUR TOIIIIIII ! »

Sigh aurait préféré partir son baluchon sur le dos, comme un homme, un vrai, mais l’école offrait une opportunité salvatrice. Il n’attendrait pas quatre ans pour avoir l’âge de partir. L’autre solution aurait été de trouver un dresseur plus compétent que lui pour l’entraîner. Sa sœur aînée, Val, avait trouvé une place de stage dans le Centre Pokémon de leur île. Mais comme ils ne connaissaient aucun dresseur susceptible d’aider Sigh… Enfin, il y avait bien son père… oui, voilà. Non. Comme ils ne connaissaient personne, donc, il s’était préparé à attendre.
Sauf que là.
Là.
LÀ.
Miracle. Il était sauvé ! Il lut le dépliant avec sa mère, qui était évidemment enchantée de l’idée (« tu te feras pleins d’amis, hihi ! – dis pas d’conneries »), et ils cherchèrent ensemble un numéro de téléphone ou quelque chose pour demander de plus amples informations. C’est là qu’ils apprirent que la rentrée était déjà passée. De deux mois. C’est ça, le problème avec la communication entre deux îles. Ça prend des plombes.

« NOOOOOOOOOOOOON !
– Calme-toi mon poussin, ce n’est pas dramatique.
– MAIS ILS DISENT QU’ILS ACCEPTENT PAS D’ÉLÈVES EN COURS DE ROUTE.
– Eh bien tu iras l’année prochaine.
– BORDEL DE MERDE JE VAIS PAS ATTENDRE ENCORE UN AN GNHNHNHN.
– Sigh, la ferme. »

Val passa la tête par l’entrebâillement de la porte de sa chambre pour lui jeter un regard noir, un bébé Skitty dans les bras et leur petite sœur Frigg sur les talons.

« Sigh a dit un gros mot.
– MAIS VOS GUEULES MON AVENIR EST FOUTU. »

Heureusement, le Delcatty de sa maman – seule réelle autorité dans cette famille – eut le bon sens de lui griffer la tronche pour le faire taire. Merci Delcatty. Tu nous manqueras à Pokémon Community.

C’est donc l’année suivante que Sigh, plus enthousiaste et bruyant que jamais, monta dans le petit bateau de pêche de son voisin pour se rendre sur l’île principale pour prendre le ferry pour aller à Azuria pour prendre le bateau pour Lansat. Ouf. Ça vous donne une bonne idée de son degré de motivation. Évidemment quand vint le moment du discours de rentrée, Sigh ne pensait qu’à une chose : son premier pokémon. SON POKEMON RIEN QU’À LUI. SON BÉBÉ. (Oui, bon chut. Une mère coordinatrice, ça laisse des séquelles.) Il tint très difficilement jusqu’au moment fatidique, sautillant dans tous les sens. On l’avait rarement vu aussi joyeux – et on le verrait rarement aussi joyeux. Aaaah, le plus beau jour de sa v-

« C’est quoi ce truc.
– C’est un Limagma.
– Lima-quoi ? »

Malgré ses connaissances du Manuel du Dresseur de la Ligue Indigo, Sigh ne connaissait pas tous les pokémons, encore moins ceux qui ne vivaient pas sur son île – les pokédex ? pour les faibles – alors il n’était pas rare de le voir s’interroger ou s’ébahir sur une créature ou une technique inconnue. « Wah mais c’est quoi ce truc trop stylé ? » « OMG (Oh Mon Groudon) IL CRACHE DES FLAAAAAMMES ! » « C’est quoi cette technique craignos je suis sûr que c’est pas dans le règlement ! »

« Lima ! » répondit joyeusement son premier pokémon.

Qui était une femelle. Et une putain de limace baveuse en flammes. (Je cite.) (Moi j’adore les Limagma, ils sont si chou blblbl) Sigh se pinça l’arête du nez, comme on le fait toujours quand on veut se donner l’air de réfléchir alors qu’on pète un câble intérieurement, et poussa un long, très long soupir.

L’année allait être longue.