Freyja demeura de marbre en voyant Selana filer rapidement. Après cet état passif, sa colère monta. Ses jambes tremblèrent pendant que ses muscles maxillaires se comprimaient encore et encore. Si elle avait pris du recul sur leur dernière confrontation, c'était pour le Wailord. Cette jeune fille agissait de manière cruellement égoïste en décidant de faire la course seule. La blonde avait terriblement honte de devoir collaborer avec une pareille personne, dont l'assurance dépassait l'humanité. Elle aurait pu demander à un dresseur d'emprunter son pokémon de type Vol, mais un brin de morale lui indiquait de lui faire confiance et de faire son devoir. Pourtant, toutes possibilités de réconciliation venaient d'éclater. Freyja trouvait Selana médiocre, d'une assurance ridicule, et inapte à faire le tri le temps d'une mission. Elles devaient s'aider, pour Wailord. Et ce coup là, jamais la futur coordinatrice ne pourrait lui pardonner. A son âge, même en tant que Pyroli, on apprenait à s'assurer, à faire équipe, le temps d'une situation aussi funèbre. Si elle se foulait la cheville, c'était une vie qui partait. Et puis, elle se prenait pour qui ? Officiellement, c'était Freyja qui se vantait , mais qui des deux proclamait que son pokémon maîtrisait le sable à la perfection, à un niveau aussi faible, en plus de se prendre pour une Pokéathlète confirmée ? Après ces événement, la blonde se promit de se venger. Cette idiote ne se rendait pas compte, qu'avec sa médiocrité et sa bassesse, elle avait réellement blessé, à deux reprises.
Freyja se rappelait de sa vie à Ilumnis, qui derrière ses airs de bourgeoise bohème, n'était en rien un conte de fée. Son statut social l'empêchait de s'intégrer parmi la jeunesse aisée de la ville, et il lui avait fallu beaucoup de temps pour apprendre les codes de cette société fermée, tandis que ses seuls repères étaient sa mère débordée par son travail, et un frère frustré, dans une situation précaire, mais visant dans l'ostentatoire. Elle avait au fond, malgré son amour pour sa famille, une honte presque amère. Jamais ils ne s’intéressaient à ses lectures, à ses goûts. Jamais elle n'avait pu faire de longs débats philosophiques à table. Elle considérait longuement sa mère qui achetait des habits de mauvais goûts, frôlant le ridicule. Les autres jeunes vivaient une vie dorée, possédaient un bel appartement ou une villa de luxe. Freyja avait honte de les inviter dans son HLM, de montrer le coté beauf de sa famille. Et pourtant, elle les aimait, sincèrement. Selana lui rappelait ce style de vie, ce naturel brut de décoffrage, guère spirituel. Elle aurait aimé être comme elle dans un sens. Ce sentiment d'exclusion n'aurait jamais existé. Freyja n'était pas une gonzesse aisée, mais elle ne correspondait pas non plus à sa famille. Trop mièvre, trop encline à la sophistication, tandis qu'eux misaient sur un caractère trempé mais naturel. Elle n'avait gardé que l'air farouche des Konrad, cette capacité à se dire, comme dans le monde de la rue où trônait son frère, tu vas payer le double de ce que tu m'as fait, bitch.
« - Freyja, ça ne va pas ? »
Otello passait devant elle. Malgré la sensation de longueur depuis le départ de Selana, il ne s'était écoulé qu'une minute. Elle était blême, toujours tremblante, mais face au regard inquiet du marin, la blonde se mit une claque pour se redonner des couleurs, sourit de manière absolument ridicule et inappropriée à la situation, et répondit du ton le plus niais possible :
« - Pardon, je dois faire une hypoglycémie, je suis partie sans manger ce matin suite à cette urgence. Elle... La conna... Selana, est partie en courant chercher des pokéballs. Je.. Je n'ai pas les capacités physiques pour... Pour la suivre. Et je doute que ce soit une bonne idée.
- Tu dois appendre à faire confiance à tes camarades, même si ce n'est pas réciproque. Donne autant de bienveillance que tu peux, même si ça peut paraître blessant au début. C'est un homme qui a sauté de port en port qui te dit ça, il faut être campé et altruiste pour s'en sortir quand on est loin des siens. »
Faire confiance à ses camarades, quand une vie est en jeu, ceci demeure une tâche difficile. Selana pensait que Freyja pouvait endormir le pokémon. Ce n'était pas le cas, bien qu'elle chantait juste, elle était incapable d'endormir un monstre en panique qui attendait son heure. Son Psystigri ne connaissait aucune capacité donnant des problèmes de statuts... Ah... Il était où celui là ? La blonde paniqua, avant de le voir aux pieds d'Otello, avalant depuis toute à l'heure ses émotions.
« - Je ne sais pas quoi faire, Otello.
- Dans toutes les situations d'urgence, il y a un moment où il faut attendre. Regarde, depuis tout à l'heure je gère tout, et maintenant que le personnel est mis en place, j'ai pris le temps d'aller te voir. Je suis désolé que tu ne te sentes pas à ton aise, va donc voir le Wailord, tout le monde essaye de le sauver, mais personne ne lui parle. »
Elle acquiesça et partit en courant, le remerciant d'un signe de la main. Elle fut rapidement à coté de l'immense baleine bleue, prenant de la distance sur les dires d'un médecin. On ne date pas une mort avant qu'elle ne se produise, ce n'était qu'une estimation. Malgré son air faible, le Wailord dégageait toujours une étrange noblesse. Bien qu'au début intimidée, Freyja put rapidement lui parler, elle lui raconta des histoires. Ils semblaient partir tous les deux loin de cette hystérie générale, comme deux bons amis autours d'une table. Elle inventait des contes au fur et à mesure, s'imaginait le fond des océans, et le monstre semblait oublier peu à peu sa souffrance. Elle entendait de faibles grognements d'approbation quand elle parlait de sublimes récifs, et parfois elle surprenait une étincelle d'amusement quand elle imaginait un complot de Magicarpes pour trôner sur les océans. Et pendant ce temps, Léon tissait les émotions intenses, digne éponge spirituelle, et traduisait par la pensée au Wailord les termes qu'il ne comprenait pas par lui-même.
Selana arriva, et Freyja se dressa rapidement. En voyant la blancheur de son ennemie, la blonde eut assez de compassion pour ne pas se jeter sur elle. Elle saisit une pokéball (ne voyant pas en quoi une vingtaine était nécessaire, mais bon, au moins la sportive était prévoyante). La blonde s'approcha du gros œil de son compagnon d'infortune, avant de constater qu'une énorme paupière sableuse le recouvrait. Prise de panique, elle lui mit quelques coups, tentant en vain de ranimer cette immense masse.
« - Tu ne connais pas grand chose en pokémon, il s'est juste endormi. Ce pokémon est bien plus robuste qu'on le pensait, signala une médecin. »
Peut-être qu'apaisé par les contes de la jeunette, il s'était laissé porté, simplement. Freyja fit un petit sourire vague. Les services télévisés s'étaient rapprochés pour filmer la scène, tandis que peu à peu, le reste des dresseurs évacuaient la plage, serrant la main à Otello, qui lui, regardait impassiblement les deux jeunettes. Il n'était pas encore capturé, que la tension chutait. La plupart des gens ne quittaient pas vraiment les lieux, allant sur la digue pour pouvoir assister à la libération de la baleine. D'un geste nerveux, la blonde jeta la pokéball, qui avala le pokémon, se laissant docilement capturer. C'était presque trop simple. Sa masse avait disparue, se retrouvant coincée dans une balle, comme par magie. Otello souriait, rejoignant la doctoresse qui avait lui avait parlé précédemment. Freyja tendit la pokéball à Selana, disant d'une voix à la fois douce et amère :
« - Je sais que tu es fatiguée, mais je ne veux pas le faire toute seule. Ces gens ont tout fait pour sauver Wailord, et nous aussi, on a tout donné. On doit le relâcher ensemble, maintenant. »
La future coordinatrice avait du mal à faire preuve de gentillesse, et elle redoutait le moment où elle allait voir partir la baleine, qu'elle considérait maintenant comme une amie. Elle n'eut pas le temps d'attendre une quelconque réponse qu'Otello avait préparé son bateau de pêche. La femme docteur, munie d'une hyper potion, était déjà confortablement installée. Ils n'attendaient qu'elles.
Et sur la digue, une petite foule de gens terriblement humains attendaient, heureux et épuisés, de voir les adieux. Face à cette idée, la blonde ne put contenir ses larmes. Elle attrapa Léon, le serra fort contre elle, et se dirigea vers le bateau en séchant ses yeux perlés, pour pas que Selana ne les voit.