GINJI LABELVI
feat Erika Uchida« Choses que tu aimes »
Ma joue mollement posée contre la paume de ma main gauche, j’écoute en un fin sourire la réponse de mon interlocutrice.
Que Erika soit une passionnée de spectacles ne m’étonne en rien. N’est-ce pas au cours de l’un d’entre eux que nous nous sommes rencontrés ? Même la fois suivante, elle requérait mon aide pour les besoins de la scène.
Je regrette parfois de ne pas avoir plus que cela l’âme d’un artiste. Alors que Arceus sait que j’ai une imagination débordante ! Si je m’y penchais vraiment, je pourrai sûrement faire quelques trucs sympatoches… Mais c’est comme ça, l’attrait du spectacle n’est pas une évidence pour moi. Et je le regrette, parfois : j’aimerai apprécier à sa juste valeur les performances de Caroline, par exemple. Mais je ne sais pas, passé la surprise d’observer ma grande sœur s’illuminer sur la piste, je ne vois plus que des explosions de lumières et de paillettes grandiloquents, sans fondement ni intérêt autre que « tiens, ça brille ».
Les paroles d’Erika font en tout cas écho avec ce que j’ai pressenti d’elle un peu plus tôt. Son truc, c’est de valoriser. Réussir à exploiter ce qu’il y a de meilleur et à pallier au contraire pour exposer le tout au reste du monde. C’est une bien belle capacité qu’elle a là. Et c’est chouette, qu’elle parvienne à s’en épanouir.
Néanmoins, cette bien belle mécanique paraît avoir un léger coup de mou. Tout ceci, Erika l’a « trop vécu ». Et, alors que mon front se plie en un haussement de sourcil étonné, elle entreprend de me détailler pourquoi.
« -… Reine de Kalos ? »
Je me redresse lentement, et, tout en m’appuyant contre mon dossier de chaise, croise les bras d’un air pensif. Ce terme me dit quelque chose, mais je n’arrive pas à situer quoi exactement… Ce n’est pas, genre, une Reine au sens littéral du terme, on est d’accord ? Non, ça ne doit pas être ça, je suis sûr de l’avoir déjà entendu dans un contexte autre que celui d’une royauté… C’est plus un titre, à l’image des….
Une illumination traverse mon esprit, et mes mains viennent subitement se plaquer contre la table.
« -Anh ! C’est le truc pour les Coordinateurs de Kalos ?… ‘Fin, pas Coordinateurs, du coup, mais les Artistes Pokémon, ceux qui font les salons… » bouche bée, je reprends petit à petit une posture plus correcte « C’est sacrément balèze, ça… » une autre pensée me parvient, mais cette fois-ci, plus posément « Oh ! La photo, dans ta chambre, est-ce que c’est…. ? »
Erika me le confirme d’un hochement de tête. Un cliché d’elle à l’époque où elle était encore Reine de Kalos… Wow, c’est incroyable ! C’est, c’est…
Je passe une main derrière mon cou, et me le gratte nerveusement.
C’est une nouvelle preuve du fossé qui nous sépare, voila ce que c’est.
Reine, c’est aux Artistes Pokémon ce que Maître est aux Dresseurs. Ce… Ce n’est clairement pas à la portée de tous. Et Erika… A été Reine avant notre rencontre. Plus que l’âge… Notre expérience de vie n’a rien à voir. Pendant un temps, on peut même dire que… Elle a vécu dans un monde différent du mien.
… Non, mais qu’est-ce que je raconte ? Ce qu’a été Erika ne change en rien ce qu’elle est actuellement... Peut-être a-t-elle été Reine… Mais cela n’influe en rien ce qui a constitué notre relation jusqu’à aujourd’hui… Non ? En quoi ça devrait ? Parce qu’elle a été le temps d’une époque le symbole de l’excellence dans son domaine, et que moi, je ne suis qu’un campagnard sorti de nul part ?
Est-il si ambitieux pour moi de prétendre à ce que… ?
Son rire nerveux me tire de ma réflexion. Au lieu de s’attarder là-dessus, elle préfère résumer ses passions par son amour pour les spectacles, et la couture. Encore un peu perturbé par le fil de mes pensées, je la fixe quelques instants dans un silence parfait, tandis que son attention est attirée par le serveur venu apporter sa commande.
Sa dernière remarque m’arrache alors un sourire.
« -Aussi surprenant que cela puisse paraître… Tu sais que je sais coudre, môa aussi ? »
Je me penche vers l’avant, un peu plus détendu. Ce n’est pas parce que Erika a été Reine qu’elle est inatteignable. C’est une personne comme une autre. ‘Fin… A sa manière, je la trouve extraordinaire, mais comme tout le monde, elle a ses passions, ses désirs, sa volonté. Et, quand on y réfléchit… Ce n’est pas parce que je ne les partage pas que je ne peux pas les éprouver. Certes, je ne pourrai sans doute jamais prétendre à la gloire et la reconnaissance à laquelle elle a eu le droit, mais… Qui ça intéresse réellement ? Tant que je peux partager avec elle les choses qu’elle apprécie, qu’elles constituent en une discussion autour d’un café ou un spectacle de Geisha, alors nous resterons proches.
Oui... Et c'est ce qu'il y a de plus importants.
« -A une époque, il y avait un parcours Cuisinier, dans l’académie, et... » je me mords la langue, coupable « J’ai voulu le rejoindre. Du coup, j’ai dû passer par la filière des Coordinateurs. A cause du peu d’effectif, le parcours a été remanié et j’ai finalement été muté dans le Pokéathlètisme, mais… Je n’ai pas échappé à quelques cours de coutures. » je hausse ensuite les épaules « Cela aurait pu s’arrêter là, mais j’ai par la suite fait l’acquisition d’une Mimiqui, dont la tenue avait souvent besoin de rafistolage. Donc j’ai eu le temps de prolonger l’expérience auprès de Powall, le gars qui m’a aussi fait les accessoires d’Euphie et White Lady... »
La fin de mon explication me ramène brusquement au sujet initial de la conversation.
« -Ah. Je me suis égaré. J’ai beau savoir en faire, la couture ne figure hélas pas dans le top des choses que je préfère… » je lève les yeux en direction du plafond « Je pourrai difficilement me cantonner à un seul truc que j’adore, je pense. Je veux dire… Sans ma passion pour les combats Pokémon, je ne serai certainement pas là aujourd’hui. Et c’est mon amour pour le type Electrik qui m’a permis de m’entourer de tous mes alliés... »
J’ai un instant de silence au moment d’évoquer ces derniers. Mon regard se détache, et vient plutôt se plonger dans celui d’Erika, tandis que mon ton se fait plus… Confident.
« -Mes Pokémon représentent beaucoup pour moi. Comme la plupart des dresseurs, tu me diras, mais… J’en ai déjà vu bon nombre se séparer des leurs, et reprendre par la suite une vie normale. Ce… N’est pas vraiment le genre de choses dont je suis capable. Tu vois, la Mimiqui dont je t’ai parlée ?... » je marque une courte pause « Elle a finalement trouvé sa place ailleurs, et je l’ai relâchée quelques mois avant notre propre rencontre. J’ai… Mis beaucoup de temps à m’en remettre. Et même encore aujourd’hui… » je ris nerveusement « Non seulement j’ai conservé tout ce qui lui a appartenu, mais en plus, je continue d’acquérir des trucs pour elle. J’ai eu il y a pas long’ une Mimiquizélite qui ne me servira sans doute jamais, ahaha… Je dois encore être un peu dans le déni. »
Je ferme les yeux, pour faire un peu le point sur mes propos. Lorsque je les rouvre, mon attitude se fait plus réservée, et mon regard fuyant.
« -Je n’ai… Pas eu la chance d’avoir des amis très fiables, au cours de mon enfance. Mes Pokémon sont les premiers à m’avoir démontré un soutien indéfectible. Je pense que c’est pour ça que m’en séparer me fait particulièrement mal. »
Je viens à nouveau fixer les prunelles d’Erika.
« -Mais il y a encore une chose à laquelle je tiens particulièrement. »
Je sens les battements de mon cœur brusquement s’accélérer. En dépit de la tournure triste de la conversation, une certaine chaleur emplit mon buste, et se retranscrit petit à petit dans mes membres.
« -L’année écoulée a été particulièrement… Éprouvante. Plus qu’aucune autre, je crois. La Chute de Lansat n’avait même pas commencé que j’étais en proie à de profonds doutes internes. J’étais tiraillé entre mes idéologies et la pression grandissante qui s’étendait sur l’île… Celle-ci a fini par exploser, et plongé dedans, j’étais tout simplement… En train de sombrer. »
J’ai l’impression que ce que je dis a de moins en moins de sens. Je ne sais même pas si je souhaitais en arriver là, ou l’aborder en présence d’Erika. Mais le flot de parole s’écoule tout seul. Les mots sortent un à un de ma bouche, sans que je ne cherche à les retenir, à comprendre leur origine ou même leur finalité. Ils sortent, et passent devant mes yeux les transparents d’images que j’aurai peut-être préféré taire.
« -Mais dans tout ce chaos… J’ai trouvé une lueur. Quelque chose… De brillant, d’étincelants, à laquelle j’ai pu me raccrocher. C’est en marchant vers sa lumière que j’ai pu me tirer de ce mauvais pas. C’est… C’est elle qui m’a guidé, et m’a sorti de la torpeur horrifique dans laquelle je m’étais enfermé… Et même après mon coma, elle n’a cessé de briller. Elle m’a aidé à reprendre confiance en moi, à renouer avec les plaisirs simples de la vie, et... »
Je secoue la tête de droite à gauche, embrouillé par mes mots.
« -Ce que je veux dire, c’est que… ! S’il y a une chose que tous ces événements m’ont appris, c’est que tout ne tient qu’à un fil, et peut facilement disparaître, du jour au lendemain, et… Je m’en voudrai de ne pas pleinement profiter de cette lumière. Je… Je veux percevoir sa brillance, ressentir sa chaleur, savourer l’écho de sa voix et… Continuer de progresser avec ! »
J’ai la sensation d’imploser. Il faut que j’évacue au plus vite ces mots qui étouffent ma gorge. Ils doivent sortir, et… C’est presque sur un ton suppliant qu’ils y arrivent
« -Erika... Là où je veux en venir, c'est... C'est q-que... J-je v-veux j-juste te d-dire que que…. ! »
La difficulté que j'ai à prononcer ma phrase m'interrompt dans ma tirade. Un peu hébété, j'apporte mes doigts à mon cou sans trop comprendre.
« -Q-que que…. ! »
P… Pourquoi je bégaie autant ?! Pourquoi maintenant ?! Je n’ai jamais eu de soucis d’articulations de ma vie, donc… Pourquoi faut-il que MAINTENANT, je ne parvienne pas à dire ces simples petits mots ?!… A cause de ça, une grande panique commence à m'envahir, et mon petit cœur semble battre à tout rompre. Vraiment ?! C’est comme ça que ça va se passer ?! Je finis inévitablement par me tourner en ridicule... C'est ça ?
Mes épaules s’affaissent soudainement, et mon excitation, ma gêne, mon débit de parole, tout s’effondre dans un même mouvement. Je baisse les yeux vers mes mains agrippées fermement à mon pantalon, et certainement un peu moites, ne réalisant que maintenant leur état de crispation. A la place de la chaleur qui a envahi mon corps, je ne ressens plus qu’un grand vide, qui a au moins le mérite de faire redescendre doucement ma tension.
Un silence s'installe à notre table, tandis que je n'ose même plus la regarder.
J’étais… Si proche de le dire.
Ah...
Il faut vraiment que je fasse tout foirer, hein ?…
Bah…
En même temps, le foirage, c'est un peu mon quotidien...
J'ai toujours été du genre...
Gaffeur.
Maladroit.
Quelle plaie...
C'est dommage.
... Mais bon.
On ne change pas ce qu'on est, hein ?
De toute façon...
Je devrai avoir l'habitude, pas vrai ?
... Ouais.
Voila.
J'ai l'habitude.
Et comme d'habitude, bah...
… Si j'improvisais ?
Je peux faire ça, non ?
C'est ce que je fais...
Quand la situation m'échappe.
... Ouais.
Vala.
J'ai qu'à faire ça.
« -Dis moi… »
Timidement, ma tête se redresse.
« -... Puisque ça va être ton tour… »
La panique est partie. La tristesse est partie. L'angoisse est partie.
« -... Est-ce que je peux... Espérer... »
Tout est parti. Il ne reste plus que... Moi et...
« -... Avoir une place dans ta liste ? »
Erika.