MARIE R. UANA
« ‘Faudrait trouver
une autre vigie »Marie était perplexe.
Qu’est-ce que cette femme pouvait bien faire à l’extérieur, pendant une telle tempête ? Certes, elle aussi se gelait les miches dehors, mais elle, il en allait de son devoir saint. Oui, car être Ranger était un devoir saint désormais, NE M’INTERROMPEZ PAS.
D’un même accord (comment ça Nolan ne l’était pas vraiment ?), notre Libragang s’avança jusqu’à la demoiselle. Afin d’éviter tout effet de surprise malvenu, Marie prit toutefois le soin de s’annoncer préalablement.
« -Madame, je vous prie de m’excuser… Mon camarade et moi étions de passage lorsque nous avons notifié votr- »PAS LE TEMPS POUR TES PHRASES A RALLONGE, MARIE ! Tu étaleras ton châtié langage plus tard ; dans l’immédiat, ton prétendu devoir saint t’appelle !
Et ce fut ainsi que, dans un réflexe inouï, ils se jetèrent en avant pour rattraper d’une part la jeune femme, de l’autre l’adorable et sans doute très smug Pikachu qui l’accompagnait. Bras tendus, et muscles pleinement réquisitionnés, Marie respira doucement pour ne pas laisser le danger immédiat l’affoler. Ils devaient juste prendre le temps de se redresser, et… Voilà.
Pfiouh. Elle s’en serait voulue de mourir pour si peu.
« -Allons nous mettre à l’abri. Immédiatement. »Une soudaine clarté d’esprit ou le ton impératif de la blanche ? Difficile de déterminer ce qui convainquit l’inconnue de les suivre. Dans tous les cas, les trois humains et le Pokémon accompagnateur purent prendre quelques secondes pour souffler, une fois abrités… Enfin, souffler, c’était vite dit. Voilà que l’autre rousse commençait déjà un baratin dont l’hystérie gonfla rapidement Marie, qui devait en plus de ça servir d’intermédiaire pour un Nolan inapte à l’écriture.
Mouais. T’as bien de la chance d’être muet, mon bonhomme.
« -De… De quoi parlez-vous ? Et surtout, que faire sur un pont, de nuit, durant une pleine tempête ? »A part tenter de se faire foudroyer… Marie séchait, pour le coup. Ce qui l’aurait fortement arrangée s’il n’était pas là question d’une tournure métaphorique à propos de sa réflexologie : elle était trempée à cause de la pluie battante, et la froideur de l’eau commençait doucement à se faire ressentir.
Lorsque vinrent les explications, la Ranger ne fut plus tout à fait certaine de vouloir les connaître. Cette jeune femme chassait… Electhor ? Le dénommé Crypto paraissait tout aussi désemparé que les deux étudiants, à la différence que lui, n’allait avoir d’autres choix que de supporter cette lubie plus longtemps encore. Après les avoir remerciés, Daniella embarqua le Pikachu avec elle et s’en alla scruter à nouveau les nuages, sans même leur laisser le temps d’en placer une…
« -.... »Ouais, c’était bien dit ça ! Il n’y avait certainement aucune autre manière de décrire ce qu’il venait de se passer. Marie et Nolan s’échangèrent un court regard circonspect, et sans un mot, reprirent la direction de la vigie.
Pendant l’ascension, la Mentali ne put néanmoins réprimer son besoin de spéculer : une présence aussi invraisemblable que celle d’Electhor dans les tempêtes pourrait-elle justifier un traumatisme ? Qu’est-ce qui pourrait autant convaincre cette femme d’être sur la bonne voie ? Et surtout… Laisser ce pauvre Pikachu entre ses mains, était-ce une forme de non-assistance à personne en danger ?
Toutes ces questions furent, comme souvent, rapidement balayées. Alors que les zigotos s’avançaient sur l’esplanade, dernière étape avant le béni abri, un hurlement strident vint percer leurs tympans. Plus intuitivement qu’autre chose, Marie s’immobilisa et plaqua ses mains sur ses oreilles, avant de poser un genou au sol et de baisser la tête. Tout en serrant les dents, elle encaissait tant bien que mal la douleur provoquée par ce son…
Et c’est en voulant s’assurer de la présence de Nolan à ses côtés qu’elle le vit.
Une créature gigantesque, imposante, qui les surplombait depuis le ciel orageux. La nuit noire et la tempête l’empêchaient de discerner guère plus que cette silhouette faussement humanoïde, aux deux yeux oranges vifs et aux serres aiguisés. Le cœur de Marie manqua un battement quand elle prit conscience que le déploiement de deux membranes semblables à des ailes n’avait que pour seul but de fondre vers elle à vive allure ; la pluie battante, le sol glissant, l’absence de barrière et l’acouphène laissé par le cri ne constituaient pas des conditions d’esquive optimales. Pour autant, la blanche prit appui sur son genou et se redressa d’un bond, prête à-
Elle sentit deux mains s’appuyer sur sa côte. Propulsée à une vitesse bien supérieure qu’escomptée, elle ne put que supposer le geste du Voltali, sans pour autant l’apercevoir. Ses yeux s’écarquillèrent et ses mains se tendirent au moment où, inéluctablement, elle fut éjectée en direction de l’échelle, et qu’elle chercha dans un désespéré réflexe à s’y agripper. A peine ses doigts s’étaient-t-ils emparés de la barre trempée qu’elle tira sur ses bras pour s’en rapprocher, et surtout, se retourner.
Elle put ainsi parfaitement voir Nolan gésir au sol après s’être fait renverser par la créature. Un poids se forma dans l’estomac de la blanche, et tandis qu’au dessus d’elle, surgissaient leurs acolytes, elle se précipita vers le garçon.
« -DÈANNAG ! »***
Un calme étrange régnait dans la pièce.
Marie le trouvait à la fois réparateur et dérangeant.
La vive lumière du soleil filtrait au travers des rideaux blancs, et effaçait toute trace de la tempête qui avait obscurci le ciel cette nuit. Pourtant, dans sa mémoire, celle-ci était encore bien présente.
Elle dirigea son regard vers les corps endormis à ses côtés. Couché, Nolan gardait les yeux hermétiquement clos depuis que Wolfgang l’avait transporté jusqu’à l’infirmerie du navire. Libra, elle, était assise de l’autre côté, mais avait fini par s’assoupir en apposant ses bras, puis sa tête, à proximité de son dresseur.
Quant à Marie, elle était parfaitement droite sur sa propre chaise. Son regard s’arrêta un instant sur le rideau se trouvant juste derrière, et dissimulant de sa vue le marin traumatisé par la nuit d’avant encore. L’espace d’un instant, elle avait craint que le même sort s’abatte sur l’adolescent, mais fort heureusement, Libra lui avait assuré (un peu en panique) que la connexion avec son dresseur était toujours présente. Il avait certes subi un violent coup, mais pour autant, il n’en était à priori pas tétanisé.
Elle tourna rapidement la tête lorsqu’elle capta un mouvement. Avec un certain espoir, puis soulagement, elle constata que Nolan revenait à lui. Il émit un obscur grognement puis mouvement d’épaule, pour ensuite lentement ouvrir les yeux… Avant de les écarquiller à la brusque réminiscence des événements. Avenante, Marie lui attrapa immédiatement la main pour signifier sa présence.
« -N’ayez crainte, Dèannag. Tout le monde est en sécurité. »Alors que sa respiration s’était légèrement emballée, il recouvra son calme à la vue de Libra endormie à ses côtés. L’adolescent voulut ensuite mouvoir ses bras, mais une vive douleur l’en empêcha. D’autant qu’avec une main tenue par Marie, et l’autre bras écrasé par la tête de sa Gardevoir, Nolan allait avoir quelques difficultés à signer… Voire à communiquer tout court. Heureusement, la blanche s’y était préparée.
« -Prenez d’abord le temps d’émerger. Cela me permettra de vous résumer la situation, vous aurez tout le loisir de parler ensuite. »Maladresse de langage qui n’en était pas une. Que cela soit par télépathie, textes ou signes, Marie n’avait pas de réelles difficultés à dialoguer avec Nolan en dépit de son mutisme. Aussi mettait-elle aisément de côté le fait qu’il ne puisse par « parler » réellement.
Ainsi, et après s’être assurée de la collaboration du garçon, elle reprit tranquillement.
« -J’ignore jusqu’où remontent vos souvenirs, mais je présume que vous avez en tête la vision de cette créature… Après qu’elle m’ait prise pour cible, vous m’avez écarté et vous êtes interposé sur sa trajectoire. Messire Sentry affirme qu’elle vous a ensuite percuté de plein fouet, puis s’est purement et promptement envolée… Immédiatement, nous avons été conduits jusqu’à l’infirmerie, mais seul vous avez eu besoin de rester en observation. »La demoiselle réprima un bâillement au moment de conclure. Des cernes étaient visibles sous ses yeux, qui contrastaient avec l’expression apaisée de son visage. Elle émit un fin sourire en croisant le regard de son camarade réduit au silence, et après quelques secondes à se contempler mutuellement, sa position d’unique oratrice l’incita à continuer.
« -Pendant la nuit, je me suis faite une étrange réflexion. Aussi il y a-t-il une interrogation que je me dois de vous poser… Une simple confirmation ou négation de la tête me conviendra. » elle marqua une courte pause pour être certaine d’avoir son attention, et enchaîna
« Les déplacements maritimes sont-ils les seuls à vous opposer résistance ? »La question sous-jacente serait de savoir si le malaise qu’éprouvait Nolan à bord était lié à un global mal des transports ou à une simple révulsion de la mer. Marie se doutait qu’une telle interrogation pouvait laisser perplexe, aussi précisa-t-elle son propos.
« -Depuis ma plus lointaine jeunesse, j’ai maintes fois eu l’occasion de voyager, sans jamais prendre pleinement conscience de la chance qui y équivalait. Je trouve l’opportunité offerte par ce paquebot de plaisance vraiment remarquable, mais… Le délai octroyé à chaque escale me paraît ridiculement court… Une telle odyssée ne mériterait-elle pas plus amples contemplations ? D’autant que… En finalité, nous passons la majorité de notre temps à bord de ce même bateau, sur lequel vous peinez à vous épanouir. Cela m’attriste. Vous pouvez profiter du voyage, vous aussi. » un peu gênée, elle détourna le regard
« Pédestre, ferroviaire, aérien… Il existe nombre de moyens pour circuler d’une région à une autre, et qui, j’en suis certaine, permettrait une pleine jouissance des paysages. » elle osa ensuite planter son regard dans celui de Nolan
« Seriez-vous intéressé par une telle expédition ? » à cause de la honte, elle baissa légèrement la tête
« J’entends… A mes côtés. »La jeune fille, elle, n’y verrait aucun inconvénient. Au contraire, même… Cette simple perspective l’enchantait étrangement. Quand elle était enfant, ses nombreux voyages n’étaient que synonyme d’un changement de domicile, tout à fait temporaire, et jamais elle n’avait pris la peine d’en profiter. Et si elle était tout à fait capable de s’occuper seule… Elle ne pouvait qu’apprécier la présence de Nolan dans une pareille épopée. C’était en tout cas ce à quoi sa réflexion avait abouti.
Aboutissement qui sembla lui remémorer quelque chose. Comme si Marie redevenait brusquement une machine de pragmatisme, elle se redressa et toisa Nolan avec plus de sévérité.
« -Votre action était véritablement inconsidérée. Je ne nie pas qu’elle m’ait été utile, mais… Peut-être n’était-elle pas nécessaire. J’aurai possiblement eu le temps de m’en tirer seule. Probablement. A dire vrai, nous ne le saurons jamais. »Mais en même temps qu’elle déclama le fond de sa pensée, elle avait conscience de la dureté de ses propos. Elle jugea donc de bon ton d’y apporter quelques précisions.
« -Oh, mais ne vous méprenez pas. Je vous suis reconnaissante. Seulement... » elle plissa les yeux
« J’éprouve une certaine culpabilité. Je suis Ranger, je me dois d’aider les autres, et votre vie m’est précieuse… Pourtant, c’est vous qui vous êtes interposé pour me sauver. Jamais au cours de ma vie, je n’ai effectué pareille chose, et… Si la situation avait été inversée, et que vous étiez la cible… J’ignore si, réellement.. J’aurai eu l’audace d’essayer. » ses épaules s’affaissèrent, et son ton s’obscurcit
« J’en suis terriblement désolée, Dèannag. Aussi… J’aimerai que vous me fassiez une promesse. »Elle inspira un court instant, et se ragaillardit.
« -Ne vous avisez plus de risquer votre vie pour la mienne. Du moins… Tant que je n’aurai pas fait de même à votre égard. Ainsi… J’aurai l’assurance de votre pérennité, et l’occasion de vous rendre la pareille. Le voulez-vous bien ? »S’il n’était pas rare pour Marie de se perdre en long discours, il l’était plus d’en dévoiler autant sur ses émotions. Mais elle lui devait bien ça. Déjà parce qu’elle était la seule à-même de combler le silence immédiat, et ensuite et surtout parce que, bah, s’il avait fini dans ce lit, c’était un peu pour elle. Donc bon, à un moment, ‘fallait savoir ne pas se montrer ingrate.
Ou peut-être se confiait-elle car elle en avait juste l’envie.
Hmm.
Les portes de l’infirmerie s’ouvrirent en grand.
« -Mademoiselle Uana, au rapport ! » Wolfgang venait d’effectuer une grandiloquente entrée. Son regard s’arrêta sur celui bien éveillé du Voltali, duquel il s’approcha, un air ravi sur le visage.
« -Oh ! C’est que vous êtes éveillé ! Parfait, nous allons pouvoir reprendre notre quête. »Marie fronça les sourcils.
« -Vous réquisitionnez toujours notre aide malgré que nous ayons été mis en danger ? Vous faîtes un bien piètre gardien. » Une lance qui le transperça en plein cœur. Tels étaient ces propos aux oreilles de Sentry, qui tomba à genoux en une posture mélodramatique.
« -Oh, douce Marie, vous me châtiez par votre froideur ! Quelles cruelles représailles ! » il se releva étrangement vite, et se racla la gorge, habité d’un soudain sérieux
« Mais je comprends tout à fait votre ressenti. Néanmoins, comprenez que je n’ai guère le choix… Vous êtes, à ce jour, nos seuls témoins en état de communiquer. » il coula une courte œillade à Nolan
« Du moins, presque. Le fait étant qu’un individu prétend transmettre des informations cruciales, et je nécessite votre présence afin de les corroborer. Bien évidemment, cela peut attendre la remise sur pieds de notre très cher camarade. » Marie soupira, et se tourna vers le garçon. Libra, réveillée par la voix portante de Wolfgang, émergeait lentement…