Ruth
« Oh purée, mate c’que j’ai retrouvé, Jolly. »
Dans le fond de son placard, Ruth vient de mettre la main sur sa planche de skateboard. Qui semble avoir pris un peu la poussière. Il faut dire que depuis son arrivée ici, elle n’a pas encore eu le temps d’en faire. Elle se souvient pourtant avoir repéré un skatepark dans les environs, en arrivant. En espérant qu’il n’y ait pas de sales mioches qui y traînent. Ce sont de véritables parasites, eux. Notamment parce qu’ils ne savent pas y faire avec les skates, ils ne font que tomber et polluent ainsi les pistes, mais aussi parce qu’ils ne font que brailler, histoire d’avoir l’attention de tout le monde, et d’espérer se faire entendre. Et ça, ça l’insupporte plus qu’autre chose. Sans compter les quelques kékés des environs qui tiennent à montrer mille figures, dans l’espoir de séduire une adolescente boutonneuse.
« Je savais bien que je l’avais emmené. Lui et moi, on est inséparables. Un peu comme toi et moi, sauf que lui, au moins, il fait ce que je veux. »
S’il voit ce qu’elle veut dire. Ruth plisse les yeux quelques instants, l’air de dire à son shetland qu’il ferait mieux de prendre exemple sur cette pauvre planche à roulettes. Le Ponyta s’en approche et la renifle, humant cette odeur du bois. Il s’en recule rapidement, tirant la langue. Elle sent mauvais, elle sent le refermé et la rue. Peut-être que Ruth a roulé dans des endroits pas très recommandables. Ou bien elle aurait dû le laver. Elle secoue la tête, soupirant. Décidément, ils n’ont rien en commun, avec ce Pokémon. Comment ce Collectionneur a pu croire qu’ils s’entendraient bien ?
« C’est rien, c’est la rue, Jolly. Mais si tu veux rester à mes côtés, il te faut savoir en faire. DOOOOONC. Aujourd’hui, ce sera leçon de skate pour tout le monde. »
Elle vient lui ébouriffer le haut de la crinière, malgré l’air renfrogné de Jolly. Qu’est-ce qu’il peut être mauvais, quand il y met cette fausse bonne volonté. Elle enfile de simples Converse, ainsi qu’un jean déjà déchiré. Comme ça, si elle aussi elle se ramasse, on ne verra pas les dégâts. Planche sous le bras, Ruth est prête pour partir à l’aventure, le Ponyta sur les talons. Un petit vent frais, mais agréable et doux, vient caresser leurs cheveux, alors qu’ils arrivent au-dehors. Le temps idéal pour skater, selon les dires de Ruth.
* * *
Visiblement, le vent n’a pas chassé les jeunes. Ruth affiche une mine dépitée face à la foule à ce skatepark. Comment peut-il y avoir autant de monde, dans un espace qui lui semble aussi restreint ? C’est à n’y rien comprendre. Mais Ruth ne compte pas se laisser désarmer. Elle n’est pas sortie pour rien et puis, elle a envie de s’amuser. De profiter, elle aussi. Et puis, elle veut apprendre à Ponyta, malgré ses quatre pattes, le plaisir que c’est, que de rouler sur le bitume et sentir le vent dans ses cheveux, surtout à vive allure. Même si, malheureusement pour lui, il n’aura pas la possibilité de faire des figures. Elle trouve alors un coin un peu plus calme, un peu isolé du reste du skatepark.
« Bon, regarde un peu la pro. »
Elle lui fait alors un signe du style « N’en rate pas une miette ». Elle dépose alors son sac sur le banc à côté et monte pour de bon sur la planche. Elle tangue les premières secondes, avant de reprendre la main. Elle reste devant la piste, faisant quelques allers et retours. Elle effectue également quelques sauts, faisant tourner la planche sur elle-même, avant de retomber dessus, sans même tomber ou perdre son équilibre. Au fond, le skateboard, c’est comme le vélo : ça ne s’oublie pas. Elle s’arrête finalement et lance, du bout du pied, sa planche vers Ponyta.
« YOUR TURN ! Bon, allez, Ponyta, tu vas essayer. Monte dessus, on va voir ce que ça donne. »
Heureusement, la planche est relativement grande. Il semble hésitant, lançant quelques regards à Ruth, incertain de son idée. Elle lui fait alors signe qu’il peut y aller. Qu’il ne pèse pas plus lourd qu’elle et donc qu’il ne craint rien. Que cela ne risque pas de se briser. Ponyta se penche alors, prenant le temps de le renifler le skate. Non, elle a pas changé depuis tout à l’heure. C’est la même. Il pose ensuite un sabot dessus, la planche partant brutalement en avant. Ruth soupire et part la récupérer, avant de la remettre devant Ponyta, qui secoue vivement la tête.
« Y a pas de discussion, Ponyta. On peut pas être potes si tu connais pas le skateboard. Tu sais… Tu pourrais remonter dans mon estime, ainsi… »
Elle tente de l’appâter comme elle peut. Et l’offre semble suffisamment alléchante pour le Ponyta, puisqu’il se décide enfin à monter de ses quatre pattes sur la planche, peinant à garder un équilibre stable.
« Non, attends. Mets-en seulement deux. », le conseille Ruth.
Elle s’approche alors de lui et dépose les pattes de droite sur le sol, laissant celles de gauche dessus. Elle est sûre qu’ainsi, il aurait plus de chances de réussir à tenir debout. Elle lui tapote ensuite la croupe, et il se tourne brutalement vers elle, menaçant de la mordre. Pour qui elle se prend, à lui taper le derrière ainsi ?
« Allez, élance-toi, Jolly. Tu patines avec tes deux pattes et tu les lèves quand tu sens que tu roules. »
Une douce séance entre un dresseur et son Pokémon. Une séance qui aurait dû se passer tranquillement, pour une fois. C’est un moyen pour eux de créer un début d’amitié, une première relation. Les premiers mètres se passent bien, Ponyta y prend même plaisir, et Ruth l’applaudit derrière. C’en est presque trop beau. Mais quelques mètres plus loin, au bout de quelques poussées, Ponyta tombe à la ramasse, devant un groupe de trois morveux, qui commencent alors à se moquer du Pokémon.
« Bah alors, le petit poney s’est blessé ? Où est ta maman ? »
Ruth arrive, telle une furie. Elle aide son Ponyta à se relever, qui claudique désormais, de la patte gauche avant. Il a dû faire une mauvaise chute. Et les trois gosses continuent de ricaner entre eux. Ce qui commence à fortement déplaire à Ruth. Ici, une seule personne a le droit de se moquer de son Jolly, et ce ne sont sûrement pas ces trois affreux qui l’ont ; c’est elle. Elle caresse la crinière du Ponyta, lui demandant de l’attendre, lui signalant qu’elle n’en aura pas pour longtemps. Qu’elle compte bien s’occuper de leur cas et les renvoyer dans les jupons de leur mère – là où ils devraient être, à son sens.
« J’peux savoir c’qui t’fait marrer, Billy ? »
Billy The Kid. Ruth s’approche d’eux, menaçante. Ils ont tout au plus douze ans. Peut-être même treize. Elle s’en moque. Là n’est pas la question : ils s’en sont pris à un membre de sa famille, c’est ce qu’elle ne leur pardonne pas. Et elle va leur apprendre à ne plus recommencer. Les gamins, peu apeurés pour un sou, continuent dans leur bêtise, la narguant. Ils n’ont sûrement pas idée d’à qui ils viennent de se frotter. Ruth n’est pas simplement une fille qui se dit toute fragile. S’il faut y mettre les poings, alors elle le fera.
« Oh, la maman à son poney, elle veut nous gronder… ! »
L’un d’eux fait visiblement plus le malin que les autres. Ruth remonte ses manches, prête à offrir des coups. Parce qu’elle n’aime pas les injustices, qu’elle n’aime pas que l’on s’en prenne à ses proches et surtout, parce qu’ils l’ont mérité. Les deux autres, à côté, se marrent, à gorge déployée. Et le premier coup part. Crochet du droit dans la mâchoire du plus grand. Sa mèche à la Justin Bieber vole dans tous les sens, et il finit à même le sol.
« C’était qu’un échantillon ? T’en veux un autre extrait ?
- LES GARS, DONNEZ-LUI LA LEÇON DE SA VIE !
- Trois contre une, c’est pas très galant, ça, les gars. Mais venez, vous irez pleurer chez vos mères. »
Et la bataille s’en suit. Des coups de pieds fusent, notamment dans le ventre. Ce n’est pourtant que le début de cette querelle. Fourbe comme toujours, Ruth se permet même de leur tirer les cheveux. Cliché féminin, mais ils ont tous une part de vérité. Quelques mères, effarées d’un tel spectacle, s’éloignent de la scène, couvrant les yeux de leurs enfants. Quelle honte, franchement. Se battre encore comme des hommes de la préhistoire, à leur âge pourtant en pleine maturation. Les trois sont au sol, Ruth a quelques griffures sur les bras, sur le visage désormais rougi et le nez en sang. Elle reprend sa respiration, complètement décoiffée, les prenant de haut, crachant un petit filet de sang au passage.
« Vous voulez le dessert, les gars ? »
L’un d’eux, appelons-le Nabil, se rapproche d’elle, et lui fait un croche-pattes ; la faisant alors tomber à terre, son dos claquant contre le sol. Elle se rue à quatre pattes vers lui, et lui assène un coup dans le ventre, le faisant ainsi se plier. Il allait falloir séparer tout ce beau monde, avant que ça ne se termine aux urgences.