Ruth
Ruth serre les dents. Cette petite blondasse, ce bulldog enragé ne l’a pas ratée. Elle sait bien se battre, c’est indéniable. Mais Ruth ne compte pas le lui dire. Ce serait admettre sa défaite. Pire encore ; ce serait admettre sa faiblesse. Et l’ego de Ruth ne pourrait supporter une blessure pareille. Elle a un honneur qui est encore sauf – ou tout du moins, à son goût. Elle n’admettra sûrement jamais qu’il est actuellement au sol, piétiné par des pieds nus et remplis de sueur. Ruth finit par retrouver sa respiration, profitant de ce nouvel air frais qui pénètre dans ses poumons. Quoique… Vu l’odeur de transpiration qui commence à planer, Ruth se dit que, finalement, ne pas pouvoir respirer, ce n’était pas si mal.
« Eh, je t’entends toujours, Pamela ! Gngngn, elle n’a que ce qu’elle mérite, gngngn. », qu’elle l’imite alors, forçant le trait. « Toi, je pense pas que tu mérites mes coups, mdr. »
Visiblement, c’est qu’elle reprend plutôt vite du poil de la bête, la teigneuse. Elle lance alors un petit regard vers leur foule. Certains sont sur leur téléphone… Est-ce qu’ils auraient filmé la scène ? Et hop, c’est dans la boîte ! Souriez, vous êtes filmés. Ruth commence alors à jouer avec son piercing aux lèvres, réfléchissant. Non, non, non. Elle ne comptait pas en rester là. Elle compte bien montrer à l’autre de quel bois elle se chauffe. Et une idée germe dans son esprit étriqué. Elle tire sa dernière carte de son chapeau. Quand la barque coule, il faut écoper ; sauver les meubles et, éventuellement, les passagers.
« Les meufs comme toi n’en ont pas non plus besoin, elles se sifflent. »
Entre les larmes, quelques piques fusent. Ruth passe alors une main sur ses yeux, comme pour essuyer les gouttes qui s’en échappent, reniflant avec panache – peut-être même trop – et profitant de sa main sur son visage, pour sourire, avec mesquinerie. Le tout, c’est qu’elle ne soit pas repérée par ses petits camarades. Son stratagème porte ses fruits, pour le moment. C’est en voyant le crachat s’envoler dans les airs, bisous, que Ruth ouvre grand les yeux. Pareille effronterie, on ne le lui avait jamais fait. Elle en avait reçu, des coups, et des crachats sur les chaussures mais jamais au visage – la pire humiliation qui puisse être, après un combat pareil. Ruth se tient de nouveau le ventre, grimaçant, feignant de geindre. Elle a mal, si mal…
« Rien que penser à ta tête me fiche la nausée. », qu’elle lance, faussement essoufflée.
Ruth est terrible, quand elle s’y met. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est une très bonne comédienne, doublée d’une fieffée menteuse. Tout pour la rendre détestable, en somme. C’est la victoire alors que Blondie prend la fuite. Bien, elle a compris à qui elle avait affaire. Elle se relève difficilement, restant pourtant le cul à terre, massant désormais sa joue. Encore des blessures qu’il faudrait soigner… Elle attrape l’eau qu’on lui tend, se gargarise et recrache le tout dans un gobelet. Un vieux mélange d’eau, de salive et de sang y stagne. Ruth lâche une petite moue, faussement désolée, avant de boire réellement, soupirant. Après une bataille comme celle-ci, qu’est-ce que ça fait du bien. Mais toutes les bonnes choses ont une faim et chaque école n’échappe pas à son fayot. Qui visiblement, a couru pleurer dans les jupons de la surveillante, à défaut de pouvoir se cacher dans ceux de sa mère. Ruth se retourne et fixe un instant Théa, appréhendant sa réponse. Elle pourrait bien la balancer. Après tout, elle est dans son droit ; c’est Ruth qui a initié le combat. A l’entente de sa réponse, Ruth entend quelques murmures, autour d’elle. Tous ont assisté à la scène, que Ruth a su tourner à son avantage mais… Certains ont filmé dès le début. Qui sait qui pourrait être les bons témoins dans l’histoire ? Il y avait forcément des imposteurs, parmi ces crewmates. Et ils étaient ceux à abattre. Ruth secoue alors doucement la tête, pour leurs petits camarades, leur indiquant ainsi qu’il ne sert à rien d’attirer des ennuis, qu’elle dormirait déjà mal ce soir. Arborant dès lors son plus joli sourire, Ruth passe une mèche de cheveux derrière son oreille. Hors de question de finir dans le bureau du proviseur.
« On vous a mal informée, Madame. Elle me montrait juste quelques mouvements de boxe, et ça a mal tourné, parce que je suis plus que débutante. »
Incroyable, mais vrai. Ruth qui semble gentille avec une responsable de dortoir. Il faut dire, elle a fait suffisamment de vagues, pour ce mois-ci. Et sa mère a sûrement menacé de lui couper les vivres si elle chopait de nouveau des heures de colle. Alors, malgré tout le mal que ça peut lui faire, Ruth va se tenir à carreaux… Scolairement parlant – socialement, on peut oublier. La surveillante conseille alors à Ruth de se rendre à l’infirmerie, pour au moins vérifier qu’elle n’avait rien de plus grave que quelques hématomes, et repart, visiblement lassée. Ruth se relève pour de bon alors, terminant sur ses pieds et perd instantanément son sourire, balançant ses cheveux en arrière, yeux dans les yeux avec Théa. Le public, comprenant qu’il ne servait plus à rien de rester, et que Ruth était désormais debout, retourne vaquer à ses occupations. Il ne reste plus qu’elles deux, se regardant en chiens de faïence.
« Si tu n’avais pas été susceptible, on n’en serait pas arrivées là. Mais tu remarqueras que je n’ai rien dit. Disons que je te fais une fleur, malgré ce qui vient de se passer. Sans rancune, hein. », qu’elle lance un clin d’œil, avant de se diriger vers la porte.
De toute manière, elle n’a plus grand-chose à faire, ici. Et puis, l’air devient irrespirable. Ça sent les pieds.