« Dans mes écrits, j’ai parfois l’impression que le ciel touche la terre. J’aimerais que de ma plume ne découle qu’une vérité absolue et immuable comme l’encre glisse et s’écrase sur le papier blanc. Comme les grains du temps s’immiscent peu à peu au travers de mes veines.
Je voudrais briser le miroir, comme on brise des promesses. Je confonds la lumière au bout du tunnel avec celle du train qui arrive, ou encore éliminer cette conscience morte qui me détruit de l’intérieur. Dans cet amas d’engrenages infinis, chaque coup s’est soldé par un plongeon dans le néant que j’avais tant redouté.
Parfois, j’aimerais pouvoir percer cette dernière bulle d’air dans ce grand bain de sang et de noirceurs. Que l’herbe germe et grandisse, tandis que j’ai chuchoté son nom comme on chuchote le nom d’une catastrophe pour la dernière fois, et que le vent me porte dans ce ciel lointain, loin, si loin de cette cacophonie bourdonnante, incessante.
Que la pluie efface mes dernières pensées sous la tempête incontrôlée, dans l’océan et la mer qui ne cessent de s'étendrent, au dessous de la poudreuse céleste. Et cet oeil géant, dans ce globe noir, qui ne perd aucune plume blanche de sa douce fourrure noire.
Les chaînes s’emmêlent, et les maillons fondent sous l’attraction bleue de la terre. Le silence fait écho, et résonne dans ma tête comme un mécanisme parfait, trempé dans le regret et la douleur. Je cligne des yeux, et il disparaît.
Mes ailes s’étendent, et je ne me sens vivant que dans le passé, à la croisée de l'espace-temps. Malgré cette chaleur éphémère qui s’est installée, malgré les esprits pliés devant moi, malgré les reflets dansants devant ma conscience, je me suis perdu aux portes du Paradis.
J’ai oublié mes liens, ma douleur, mon incompréhension. Dans mes mots, les éclats de sang ne sont que le reflet de l’amertume qui a consumé ma toile ; j’ai cherché, en vain. Parfois, je repense aux nuages de métal et au vent d’acier, avant que ma mémoire ne s’estompe et qu’un nouveau grain du temps ne vienne briser le silence. J’ai avalé l’air et l’encre, plongé dans la nostalgie d’une aube nouvelle.
Je suis mon tout et mon opposé. J’arpente mon propre labyrinthe végétal, dont les reflets noirs ne font qu’absorber ma lumière. L’orage éclate, les éclairs déchirent le ciel, et fendent l’atmosphère de leur savoureuse breceuse.
Au sud, un corbeau noir de jais s’est envolé, né de cette encre noire sur le bout de ma plume. M’attendras-tu au sommet des montages enneigées, où ton noir tremblera sur leur couverture de nuages? Entendras-tu mon hurlement sous les coups de minuit et sous la dernière tentative de mon essence même?
Me suis-je décrit comme perdu ou bien incompris ? J’ai oublié mes repères.
Amenez-moi la chantante sérénité sous l’eau des torrents qui emportent mon esprit.
Ma lame s’efface et m’étouffe de son étreinte ponctuelle.
Alors j’ai attendu. Cette cité engloutie n’était que le fruit de sa poigne de fer et de sa colère fracassante, sous les flots de son amertume. Il ne m’a fallut qu’une éternité.
J’étais déjà réveillé ; j’ai compris l’incompréhensible et vu le fil blanc de l’horizon.
Mes mains ne sont que l’outil de ma terreur. »
— LOGS 0067.