Mouvement du poignet et, d'un geste habile, le caillou s'élança, vola, avant de plonger à travers les profondeurs de l'océan, dévoré par ce dernier sous le regard attristé d'Algernon.
Plop.
Les ricochets s'ensuivaient et se ressemblaient avec une Salomé ailleurs, laissant les pierres tracer leur bout de chemin.
Plop.
Pieds nus sur le sable, attendant que le Picassaut revienne enfin pour mieux le voir s'éloigner en quête du caillou-fusée.
Plop.
D'une simple rotation, l'eau se fait miroir pour mieux faire glisser le projectile.
Plouf.
Et le même schéma qui se répète, la paume de Salomé désespérément sèche tandis que le type Vol se fait rase-motte et voit son beau plumage d'encre et de neige se tremper au fil des gouttelettes égarées.
— Franchement, t'avais pas plus cliché que de venir faire des putains de ricochets ?
D'instinct, Salomé suspend son geste, se contentant de tourner la tête avant de soupirer face à la présence de Cobal toujours aussi habile pour débarquer au moment le moins approprié. Le starter de la rousse faisait du surplace à son tour, visiblement désireux de tenter d'attraper à nouveau un caillou en plein vol, ne quittant pas des yeux le minéral dans la main de sa dresseuse.
— T'as raison, je devrais plutôt diriger les caillasses contre toi. En plus, Algernon pourrait les attraper plus facilement sur ton cadavre que sous l'eau.
— Va savoir, ne put s'empêcher de rigoler Cobal, t'as peut-être hérité d'un oiseau amphibie ?
La rousse ne put s'empêcher de tressaillir au simple souvenir du Picassaut manquant de se noyer suite à l'assaut soudain d'un Flambusard quelques années plus tôt.
— Crois-moi, si c'était le cas, je m'en serais déjà rendue compte.
Plop.
Les voilà partis, caillou comme oiseau.
— Tu veux quoi, cette fois-ci ? Non parce que les mises en garde pour me rappeler de changer de voie, ça va bien deux minutes. Si t'as rien de plus intéressant à me raconter, autant repartir.
Soupir de la part de Cobal.
Nouvelle caillasse entre les doigts de Salomé.
— C'était un suicide, n'est-ce pas ? Enfin, une tentative. Pitoyable, d'ailleurs.
Les doigts qui se desserrent, délivrant le caillou pour mieux le voir s'écraser au sol.
— Quoi... ?
— Le soir de tes seize ans, la virée à dos de Lucifer ; c'était quoi hormis un moyen de partir définitivement ?
— Je voulais voir les étoiles, t'as déjà oublié ? T'étais là, pourtant. Comme toujours quand j'aimerais que tu me foutes la paix, comme maintenant d'ailleurs.
— Pitié... À d'autres mais pas à moi ! Toi tu étais déterminée mais pas Lucifer. Et tu sais quoi ? Sans lui, tu aurais réussi. Bravo Salomé ! T'as plus qu'à retenter pour tes dix-sept ans mais sans Dracaufeu !
Accroupie, la rousse récupéra la pierre pour mieux viser Cobal tandis que cette dernière attrapa le projectile d'un geste adroit, pour mieux lancer la pierre en l'air et la récupérer ensuite.
— Encore une fois, trop prévisible. Mais je te fais confiance pour faire preuve de créativité à nouveau en décembre prochain, s'amusa Cobal, et puis, qui sait... ? C'est peut-être toi qui devrais te faire oiseau amphibie, ça te réussirait sûrement davantage qu'oiseau tout court !
— Mais tais-toi ! Je sais mieux que toi ce que je voulais !
— Vraiment ? La vérité, c'est que tu ne supportais pas la perspective d'emprunter le même chemin que Mélie. Bien sûr que tu lui ressembles, bien sûr que tu es son reflet. Et c'est ça qui te tue. Et te voilà en vie, enceinte pour tes seize ans, tout comme elle. Dis-moi, ça fait quoi de n'être qu'une pâle copie de la personne que l'on hait le plus au monde ?
— Ce qui doit arriver, ce qui doit te péter à la gueule... ça trouvera un chemin jusqu'à toi malgré tout. Tu t'en souviens ? Bien sûr que tu t'en souviens... Quelle idiote, vraiment, ne put s'empêcher de ressasser Salomé tout en posant son regard de feu sur Cobal, tu t'es bien foutue de ma gueule, n'est-ce pas ?
— Où tu veux en venir... ?
— Où je veux en venir ? Sérieusement... ? Tu aurais pu me le dire que tu avais fini de faire tic-tac, depuis le temps, que tu avais déjà explosé, que tu étais déjà morte et enterrée ! C'est ta mort que tu es venue empêcher, et rien d'autre ! Et moi qui ai cru que tu t'inquiétais pour Algernon... Quelle idiote, putain.
— Quelle idiote, oui, trancha Cobal, que les deux soient liés, ça t'a jamais traversé l'esprit ? Réfléchir qu'à moitié, c'est ta spécialité, c'est ça ? Bordel, fais-moi un peu confiance au lieu de m'incriminer à tort et à travers !
— Tu avoueras que depuis ton silence sur Maya, te faire confiance, c'est pas simple !
— Tu devrais te retourner.
Alors Salomé s'exécuta.
Face à elle, Dimoret et Farfuret prenaient place.
L'un sombre comme la nuit et l'autre clair comme le jour.
Faulkner et Aoi.
Son cœur se serra, et avec lui tous les moments passés loin de celui qu'elle avait connu Farfuret, celui-là même qui avait évolué à l'ombre de son regard investigateur, celui-là encore qui s'épanouissait dans une vie de couple qu'elle ne voyait que trop d'un mauvais œil.
— Pourquoi t'es revenu, bordel ?
Elle aurait tout aussi bien pu adresser cette question à Cobal ; cette dernière avait disparu à peine les double-types présentés devant leur dresseuse légitime.
Instinctivement, elle porta la main à son collier dépourvu de la Griffe Rasoir, lui paraissant bien pauvre avec ce pendentif de flamme et cette plume de Miss Acacia.
— T'as encore tout raté... Mélie qui m'a humiliée... Non, pardon, Mélie et tout le reste du clan qui a eu pitié de moi à cause de Maya décédée. Mais tu sais pas ce que c'est, toi.
Et dans son regard chagrin, les souvenirs se multipliaient, les danses s'égrenaient sous des airs de Kalos et des accents chaleureux et chantants.
Sans aucune place pour Faulkner ou Aoi.
— J'ai chuté, Faulkner. Et je parle pas que de la nuit de mes seize ans, déclara finalement Salomé tout en serrant le poing droit, et ce n'est que le début, tu le sais, non ? Je vais chuter, encore, et ça sera long, et ça sera douloureux, et t'auras pas envie d'être là. Parce que toi, tu as Aoi mais moi j'ai quoi maintenant que Maya est partie, dis-moi ?
La comprenait-il seulement ? Elle en doutait parfois.
Fermant les yeux l'espace d'un instant, cherchant les mots pour les consoler tous les trois mais surtout elle, elle qui ne cessait de rêver des murmures de Cobal, ses mensonges, pour finalement se réconforter dans ce chant de l'aurore qui était le sien.
— Tu devrais partir. Comme toujours. C'est ce que tu sais faire de mieux, hein ? Fuir dès que ça pue trop la merde, fuir dès que tu ne sais plus où aller, fuir pour mieux t'échapper ? C'est comment, la fuite à deux, la fuite avec Aoi, la fuite sans votre dresseuse ?
Du regard, elle couvait la chromatique, celle-là même qu'elle n'avait jamais considéré comme son Pokémon, celle-là même qui resterait à jamais étrangère ; juste celle qui avait permis le retour du Farfuret autrefois avant son nouveau départ.
Et son retour aujourd'hui.
— Même évoluer, tu l'as fait loin de moi. J'espérais presque que tu l'offrirais à Aoi, cette Griffe, que tu te ferais un peu moins égoïste mais tu la souhaitais tellement... Ça fait quoi, d'être un Dimoret ? D'avoir une couronne sur la tête et se prétendre roi d'Adala ? Mais t'es pas plus roi que moi qui suis mère. T'as beau avoir évolué, tu restes le même Farfuret à fleur de peau et aussi irréfléchi qu'avant. La preuve, t'es là, devant moi, aujourd'hui. Si vraiment t'avais gagné en intelligence, tu te serais déjà barré loin d'ici pour ne plus jamais y revenir.
La demoiselle se détourna du duo, attendant presque que le jour se couche tandis qu'elle faisait rebondir contre sa paume un galet sous le vol d'Algernon.
— Tu crois que j'en verrai un jour la fin, de cette chute qui m'emporte et me consume ? Tu crois que je pourrais changer la pitié en peur ou, pire, en honte ?
Furtif mouvement du poignet contre un caillou élancé.
— Parce que moi, je crois bien que oui.
Plop.
— Oublié, Solen. Envolée, Mélie. C'est le clan entier qui recevra mes foudres désormais.
Plop.
— Alors va-t-en, Faulkner. Pour ne pas chuter avec moi.
Plop.
— C'est Cobal qui a raison ; je vais devoir me faire oiseau amphibie.
Plouf.
Alors il l'étreignit.
Corps froid contre celui bouillant de Salomé.
Depuis son débardeur cyan, la rousse pouvait sentir ses griffes l’enserraient et sa frimousse posée contre son ventre mort depuis trop longtemps déjà.
Depuis plus de six mois.
Il n'y avait plus que le chant d'Algernon pour couver ces retrouvailles et Aoi, en retrait, tandis que Salomé restait immobile, incapable seulement de rendre ce geste d'amour à Faulkner.
— C'est un fantôme que tu enlaces, Faulkner.