GINJI LABELVI

« Terminus »

Je pose mes doigts sur la rambarde, et entrouvre la bouche. Mes yeux détaillent avec fascination les vives lumières qui scintillent par delà cette masse grouillante. Les feux de circulation, les lampadaires et éclairages des immeubles se joignent à ceux émis par cette gigantesque tour, pour répondre tous ensemble à l’éclat des étoiles dans le ciel.

« -Wow… C’est incroyable ! »

Ce n’est pas la première fois que je grimpe au sein de la Tour Prismatique d’Illumis, mais je n’étais pourtant jamais monté jusqu’à son sommet de nuit. Du haut de ce vertigineux piédestal, il est possible de contempler Kalos sous un voile nocturne à couper le souffle. La structure arquée de la cité contraste avec les paysages erratiques qui s’étendent par delà sa banlieue, et dont on discerne à peine les contours montagneux.


J’ai toujours eu une certaine préférence pour les panoramas ruraux, mais je suis bien contraint de m’incliner devant celui-ci. C’est ainsi, le regard empli d’une fascination certaine, que je me tourne vers ma bien aimée.

« -Tu as bien fait de m’amener ici. C’est merveilleux. »

Les lumières subliment son visage pâle et la dorure de ses cheveux. Même si la nuit assombrit ses iris bleutées, les astres célestes se reflètent en leur sein, et confèrent à cette femme une allure idyllique. Le frémissement qui remonte le long de mes bras se mue en une réconfortante chaleur lorsque mes mains viennent saisir les siennes.

« -Merci, Erika. »

Je dois me pencher en avant et me mettre légèrement sur la pointe des pieds pour pouvoir l’embrasser. Ma taille n’en est pas la seule cause : le ventre déjà bien arrondi de ma partenaire m’oblige à me courber plus qu’à l’accoutumée. Lorsque je recule, c’est pour constater son doux sourire souligner sa satisfaction à me voir réagir de la sorte.

« -J’étais certaine que cela te plairait. » elle rit « Bien que j’ai craint ne pas battre le restaurant de sushis à volonté. »

Je ris à mon tour. Il est vrai que mon enthousiasme face à de la nourriture peut être impressionnant, mais… Un bon plat ne saura au mieux que sublimer mes sens gustatifs et olfactifs. Ce décor là… Il éveille en moi quelque chose de plus grand, de plus impressionnant, de plus fort.

Et je pense que la Geisha n’y est pas étrangère.

L’une de mes mains la lâche, mais je maintiens le contact avec Erika de l’autre. Je baisse les yeux un instant, le temps de fouiller dans ma poche arrière. Mes doigts se glissent à l’intérieur, et viennent saisir une petite boite.

« -Puisque tu portes nos deux enfants… Je ne te ferai pas l’affront de m’agenouiller, mais… »

Je la place entre elle et moi, bien en évidence.

« -Sache que l’esprit y est. »

Clac. En parfaite douceur, la boîte s’ouvre, et révèle deux bagues. Mes yeux viennent lentement croiser les siens, et un tendre sourire se dessine aux coins de mes lèvres.

« -Erika Uchida… Est-ce que tu veux bien m’épouser ? »

Elle entrouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Elle fixe intensément les deux anneaux, accusant le coup de la demande, et de ce qu’elle implique. C’est à peine si elle parvient à balbutier mon prénom.

« -Gi… Ginji ! Je… »

Je vois bien qu’elle est troublée, alors cela m’arrache un rire nerveux.

« -Je suis désolé, je te prends un petit peu au dépourvu. Pour… Tout te dire, je me trimballe ces bagues depuis quelques semaines déjà. Je voulais essayer de planifier l’endroit, le moment, mais… Là, tout de suite, je ne veux plus qu’être avec toi. Alors… Voilà. Je viens de décider de me lancer, à l’instant »

Elle ferme les yeux, et souffle du nez en un sourire. Mon explication a, semble-t-il, suffi à la détendre. Je suis assez convaincu que mon tempérament spontané est l’une des choses qui lui plaît chez moi. Du reste, j’ose espérer que le cadre est suffisamment convaincant pour constituer une demande en mariage pertinente à ses yeux.

Quand elle les rouvre, d’ailleurs, elle vient rattraper ma main et enserrer le coffret, à son tour.

« -Moi aussi, je ne désire que rester à tes côtés. » son rictus se renforce « J’accepte ta demande, Ginji Labelvi. »

Mon cœur s’envole. Je me penche de nouveau en avant, et alors que nos doigts s’entremêlent pour resserrer leur prise sur l’autre, j’appose à nouveau mes lèvres contre les siennes.

Tendrement.

Au travers de mes paupières, je perçois les faisceaux de la Tour Primastique. Ceux-ci continuent de nous illuminer, et nous bénissent de leur lumière éclatante.

Nos mains ne font qu’un, nos lèvres ne font qu’un, et il en va de même pour nos corps. Mais, plus important que tout cela, ce sont nos âmes qui sont rentrées en parfaite cohésion.

Lors de ce bref instant, qui ne perdure que quelques secondes, nous ne nous définissons plus que par notre amour.

Erika fait intégralement partie de mon existence, et rien ne saura me la retirer.


Lorsque nous mettons fin à ce baiser, nos regards descendent naturellement vers les anneaux. J’en attrape une, et délicatement, vient la passer à son doigt. En toute logique, elle fait de même avec l’autre, puis lève nos deux mains, entremêlées, pour les observer.

« -Ce sont… Deux queues de Pikachu ? »

J’acquiesce. Les deux bagues sont en fait une queue de Pikachu mâle et une queue de Pikachu femelle, qui viennent se rejoindre au niveau d'une pierre précieuse. L'ensemble peut paraitre sobre, voire hors de propos, mais il y a une explication à ce choix.

« -Toi et moi avons tous deux eu un Pikachu comme premier Pokémon. Depuis… Maiko et Oz nous ont inlassablement suivis, et sont toujours restés à nos côtés. Alors… Ça m’a paru approprié. »

Je la toise.

« -Moi aussi, je resterai éternellement avec toi. »

Je sens dans son regard que mes propos résonnent en elle. Ses lèvres se plissent, elle s’apprête à me répondre…

Mais elle grimace.

Elle grimace, et vient porter une main à son ventre. Ma mine se fait instantanément plus inquiète, et je place la mienne dans son dos pour la soutenir.

« -C… Ça va ? »

Elle hoche la tête, quoique difficilement.

« -O-Oui. C’est juste… Ils ont dû me donner un coup, à deux. Je… » elle marque une courte pause, et se redresse « Je vais bien. »

Je reste néanmoins songeur. Ce genre de scène… Se produit de plus en plus fréquemment, depuis plusieurs jours. Même dans l’ascenseur qui nous a permis de venir jusqu’ici, Erika a eu un instant de malaise. La voir comme ça m'inquiète quelque peu, et je ne peux donc pas m’empêcher de lui faire part de mes doutes.

« -C’est de plus en plus dur pour toi de te déplacer, dernièrement… Pas vrai ? »

Elle nie aussitôt de la tête.

« -Non, tout va bien… Je peux encore tenir. Le docteur a dit que l’on pouvait encore voyager pendant plusieurs semaines, alors…
-C-certes, mais… Le docteur n’avait pas vraiment prévu qu’ils soient deux.
-... »

Ma remarque semble la contrarier. Il ne s’agit pas vraiment d’énervement, mais plus de déception. Envers elle-même.

« -Je... J’espérais au moins tenir bon jusqu’à notre visite du Palais Chaydeuvre…  »

Sa remarque me touche. J’ai la sensation qu’elle essaye de se ménager au mieux pour me permettre de profiter au maximum de ce voyage. Cependant…

Je lui saisis de nouveau les mains, et souris.

« -On pourra toujours reprendre notre périple plus tard, tu sais. On a toute la vie devant nous. »

Elle me sonde intensément. Je sens qu'elle a un instant de réflexion... Elle paraît peser le pour et le contre, désappointée à l'idée de donner une fin précipitée à notre voyage, mais… Finalement, elle se conforte dans cette dernière phrase.

« -Nous...  Rentrons ? »

J’opine du chef, tout doucement.

« -Nous rentrons. »





















Je me tiens le haut du crâne, à moitié penché sur la table.

« -Tout… Tout va bien, Ginji ? »

Erika me rejoint depuis le salon, et s’enquiert de mon état en me voyant ainsi avachi. Je lui désigne alors la pile de papiers à laquelle je fais face.

« -On a… Vraiment accumulé toutes ces factures pendant notre voyage ? »

Cela semble l’amuser.

« -Déjà… Ce sont mes factures, et ensuite… Ne t’en fais pas. Elles sont déjà toutes payées. »

Mais ça ne me rassure en rien.

« -Ju… Justement ! On… On a encore de l’argent ? Depuis quand est-ce que tu payes tout ça ? Est-ce que tu touches encore ton salaire en tant que Geisha ? Tu as pu poser tes congés maternités ? Maintenant on n’a pas une, mais deux chambres à prévoir… J’ignorais que tu avais perdu autant de pokédollars pendant notre escapade ! Sans parler des frais qu’on a engendré avec notre tour du monde ! Les transports, les hôtels, les restaurants…  »

Elle se frotte les yeux, visiblement peu en état d’endurer toutes mes questions.

« -Ne… T’en fais pas pour ça. Je n’aurai pas pris cette maison si je n’étais pas en mesure de l’entretenir. Ni ne t’aurais suivi dans ton voyage… »

L’emprise de mes doigts sur mon crâne se renforce.

« -Mais à ce moment là, tu vivais seule ! Et maintenant, il y a moi, et bientôt, les jumeaux… Sans parler de tous mes Pokémon ! Et puisque tu es arrêtée… »

Mes poings viennent d’un coup s’apposer sur la table.

« -Il faut que je trouve une source de revenus fiable ! Je… Je ne peux plus y réchapper ! »

Erika roule des yeux, visiblement peu convaincue par cette nécessité. Elle décide néanmoins d’aller dans mon sens, peu certaine de vouloir en débattre.

« -Et si tu rouvrais ton arène ?
-Non, ça ne marche pas… Les gens ne veulent pas d’un badge qui ne sert dans aucune ligue.
-Tu n’as qu’à faire comme Yuna, alors… Si je ne me trompe pas, elle a pris un poste au sein de la Tour de Combat de ton école.
-Mon école…. ? » je me redresse « Il y a une Tour de Combat à la Pokémon Community ?
-Tu devrais le savoir, non ? Tu es allé voir tes sœurs en Juin dernier. Ce n’est pas si loin. A dos de Sharon, tu devrais pouvoir faire l’aller-retour dans la journée.
-... 
-Tu pourrais facilement trouver un emploi là-bas. J'ai entendu dire qu'ils avaient plusieurs jobs à pourvoir. Avec tes relations sur place, tu n'auras aucun mal à te faire embaucher...  »

Mon regard se perd dans le vide.

Re... tourner à la Pokémon Community ?…