Un mystérieux cirque venait de s’installer sur un coin reculé de l’île Lansat. Si les habitants du Village Portuaire étaient partagés entre la curiosité et l’appréhension concernant ce nouveau voisin, les élèves de l’académie étaient quant à eux enchantés. Une nouvelle animation pour égayer leurs journées monotones ! Ils ne pouvaient demander mieux, et certains s’étaient déjà aventurés jusqu’au lieu en question pour tourner autour du chapiteau coloré, encore à l’état fœtal. L’instauration du couvre-feu, les agressions, et l’ambiance pes ante qui régnait ces derniers jours s’étaient momentanément éclipsés dès lors que les affiches annonçant une grande représentation pour la fin de la semaine avaient commencées à s’étaler sur les murs pavés des rues de la ville. Cleve ne faisait pas exception à la masse d’étudiants gagnés par l’euphorie. La jeune rouquine connaissait le cirque pour en avoir déjà vu un à Ecorcia, et si les numéros avec des Pokémon ne l’intéressaient pas du tout, elle avait toujours été fascinée par l’aspect mécanique qui se cachait derrière les tours de magie. Aussi avait-elle décidé ce jour-là de venir faire une petite balade autour du chapiteau, « l’air de rien ».*****
Les grosses fesses de Peppéroni trainaient contre le sol poussiéreux, et son énorme tête bleue et stupide dépassait de derrière une poubelle. Ses yeux bleutés parcourent l’assemblée, et il émit un couinement intéressé lorsque des effluves sucrés de churros s’élevèrent d’une roulote installée un peu plus loin. Cleve appuya sur son énorme tête pour le forcer à se baisser, et elle regarda d’un air inquiet les quelques jours autour d’elle. Personne. Soupir.
Mettant son index devant ses lèvres pour dire à Pep’ dese la boucler un peufaire un peu moins de bruit, Cleve rabaissa son chapeau sur sa tête et rajusta ses lunettes de soleil noires. Elle voulait absolument passer inaperçue pour l’opération commando qu’elle était en train de mener. Cependant, elle paraissait encore plus louche maintenant que d’ordinaire. Mais bon, c’était Cleve ; pas forcément toujours éveillée. Caisse à outils de mécano dans une main, miroir de poche dans l’autre, la rouquine évoluait à tatillons, en regardant quelques fois dans la glace pour vérifier qu’il n’y avait personne dans un de ses angles morts. Ne sachant cependant pas vraiment comment se servir de son miroir pour mener pareil exploit, elle râla et l’abandonna dans un coin par dépit.
Elle se coula cependant avec la discrétion d’un Chacripan jusqu’au petit chapiteau secondaire où étaient d’ordinaire stockés tous les accessoires pour la représentation. Son infiltration était cependant rendue malaisée par le pataud Peppéroni, qui trahissait probablement leur présence à dix kilomètres à la ronde, tant son pas était maladroit et bruyant. A quelques mètres à peine de son objectif –à comprendre : l’intérieur du petit chapiteau-, la rousse rampa à quatre pattes autour de l’endroit pour essayer de trouver l’entrée lorsqu’elle entendit une grosse voix d’homme relativement proche. Gagnée par la panique, ses yeux mordorés balayèrent la place jusqu’à se poser sur un énorme bloc de pierre derrière lequel elle pourrait se cacher. Ni une ni deux, elle rappela Pep’ dans sa Pokéball et couru jusqu’à sa cachette. Presque arrivée à destination, elle renversa une jeune fille à lunettes et l’emporta avec elle dans sa lancée. Les deux demoiselles roulèrent un petit moment, et Cleve, reprenant ses esprits, tira la brune par les épaules pour la camoufler derrière le rocher, tandis que l’employé du cirque déboulait tout juste à l’endroit où la Givrali s’était trouvée deux secondes plus tôt. Plaquant sa main contre la bouche de la binoclarde, Cleve murmura :
« Chhuuuut… Pas-un-bruit. »
Comme première approche louche, on ne pouvait pas vraiment faire mieux. Sacrée Cleve…
La mission était un écheeeec ! Non, clairement. Entre Peppéroni qui était un véritable poids mort, et cette retraite in extremis qui avait failli tous les faire remarquer, on n’était pas sorti de l’auberge ! Par chance, la pauvre « victime » de Cleve ne lui avait pas encore collé un pain en s’indignant pour ce genre d’approches dirions-nous… peu orthodoxes, et restait sage et silencieuse, guettant la scène de ses grands yeux rubis logés derrière de grosses lunettes rondes. Le Pokémon qui accompagnait la brune n’avait d’ailleurs pas l’air de trouver la situation vraiment catastrophique pour sa dresseuse, puisqu’il se pavanait un brin curieux dans les allées, sans pour autant se jeter sur Cleve en lui refaisant allègrement le portrait. La Givrali se demanda un instant si Pep’ resterait aussi impassible si elle se faisait capturer par des malfrats malveillants (« Oh tiens, un baba au rhum ! Désolé petite humaine, mais mon estomac passe avant toi. »), mais se fit la réflexion qu’avec son caractère, il aurait sans doute déjà réduit l’ennemi en charpie (« C’est-mon-petit-bout-d’humaine-pas-la-tienne-grrrrrr »). Quoi qu’il en soit, les bruits de pas de l’homme commencèrent à s’éloigner du chapiteau, et Cleve coula un œil inquisiteur pour voir si la voie était libre. Estimant que tout danger était écarté, elle défit donc son emprise sur la pauvre Djelly, et la laissa enfin respirer. Pep’ regarda d’un air intrigué la nouvelle venue, puis avança sa gueule pour aller mâchonner le bout du crâne de cette humaine qui avait l’air aussi gauche de Cleve avant de se faire reprendre par sa dresseuse d’une pichenette sur la truffe.
« Non Pep’, ce n’est pas poli d’essayer de mâchonner la tête des gens ! » gronda-t-elle à voix basse, continuant de vouloir rester discrète malgré tout.
Puis, se tournant vers Djelly, elle constata qu’il s’agissait d’une fille d’à peu près son âge, qui avait l’air aussi déboussolée qu’elle. Brune, avec un air intimidé sur le visage et une aura de timidité qui l’enveloppait et rayonnait sur des kilomètres à la ronde, elle lui inspirait totalement confiance. En plus, sa trombine lui disait vaguement quelque chose, même si elle n’aurait su en être sûre. Lui adressant un sourire d’excuse, la Pokémécanicienne courba légèrement la tête pour se présenter.
« Et ce n’était pas non plus poli de t’agresser de la sorte, je suis désolée. Je suis Cleve, et toi ? »
Elle attendait la réponse de son interlocutrice, sagement assise en tailleur, avant de remarquer les churros sur le sol. Pep’ avait suivi son regard, et, brusquement intéressé par cette source de nourriture inopinée (« Il pousse des churros du sol ! IL POUSSE DES CHURROS DU SOL ! »), il goba le tout d’un grand coup de langue. Devant les couinements de souris de Djelly, Cleve devina rapidement qu’il s’agissait de churros qui lui appartenaient –terrible, en plus d’être une bonne espionne, c’était un inspecteur de renom !-, et elle pris aussitôt des dispositions. Toujours en se déplaçant discrètement, elle alla racheter des churros à la brune –et en profita pour s’en prendre aussinon, je vous jure que ce n’était pas seulement motivé par le fait qu’elle en voulait- et les lui mis dans la main.
« Tiens, désolée pour ça aussi. » ajouta-t-elle en se faisant la réflexion qu’elle s’était beaucoup excusée aujourd’hui. « Cependant, j’avais une mission à effectuer, et il fallait à tout prix que je ne me fasse pas pincer, alors j’ai agis sans réfléchir… »
Elle avait pris le ton de la confidence, baissant volontairement la voix pour se donner un air plus mystérieux. Cette attitude-là ne lui ressemblait pas vraiment. D’ordinaire, Cleve était du genre timide. Là pourtant, elle se sentait un peu plus importante, comme si on lui avait assigné une grande tâche et qu’elle devait s’en acquitter avec brioun grand pouvoir implique de… non non, mauvais script. Soudainement, une idée brillante lui traversa l’esprit, et elle pris son ton le plus énigmatique possible.
« Veux tu m’accompagner ? » demanda-t-elle à Djelly, en essayant de lui envoyer des signaux *PITIEEE VIENS AVEC MOI* grâce à ses grands yeux ambrés.
Cleve avait attendu pleine d’espoir que sa nouvelle acolyte du jour veuille bien se présenter à elle. Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’on pouvait se faire une camarade de 400 coups ! Tout sourire, Cleve attrapa les mains de la Pyroli et les secoua vigoureusement pour bien montrer que leur rencontre la gonflait d’entrain. « Djécédjelly ? C’est mignon ! » commenta la rouquine, sans se rendre compte que la brune avait juste bégayé lorsqu’elle avait voulu lui dire comment elle s’appelait. « Je peux t’appeler juste Djé ? Ce sera plus simple, ton nom est fichtrement long ! »
Elle lui adressa un sourire candide, et fut encore plus ravie lorsque sa camarade la rassura sur le fait que son approche n’était pas si catastrophique que ça. « Oh, tu es maladroite ? Moi aussi. » ajouta la Pokémécanicienne en haussant les épaules. « Le pire c’est quand j’ai un fer à souder ou une clé dans la main… vaut mieux pas être dans les parages… Enfin ! Je ne suis quand même pas au niveau de cette pauvre Melty. Je me demande des fois comment elle fait pour ne pas être sans cesse à l’Infirmerie. »
La pensée de la référente des Mentali la fit sourire, mais elle se recentra rapidement sur ses objectifs. Ses méfaits rachetés par un cornet de churros à la sauce baie Chocco, Cleve pouvait enfin demander ses services à sa nouvelle copine. Celle-ci semblait d’ailleurs hésiter, mais son Dimoret était du côté de Cleve. Avec un regard insistant, il parvint à convaincre sa dresseuse de collaborer. La rousse lâcha une petite exclamation ravie, puis plaqua ses mains sur sa bouche. Après tout, il ne fallait pas qu’ils fassent trop de bruit, sinon… adieu leur couverture ! Reprenant ses airs mystérieux, Cleve écouta à peine Djelly parler de sa maladresse. Peu importe, à deux, elles seraient invincibles ! L’archère en était persuadée…
Elle reporta néanmoins son attention sur la Pyroli lorsque celle-ci présenta ses Pokémon, et leur adressa un sourire chaleureux. « Ça c’est Pep’, mon Lokhlass. En vrai il s’appelle Peppéroni, mais c’est un peu long des fois. » commenta Cleve en flattant l’encolure du Pokémon transport. Avec un air fier, le géant de glace toisa Djelly de ses grands yeux bleutés, avant de souffler des narines, signe qu’il semblait l’accepter comme « humaine ». Enfin… Le moment n’était pas au moment meetic, et la rouquine expliqua rapidement ce qu’elle comptait faire avant qu’elles ne se rentrent dedans.
« Hm et bien… Tu ne trouves pas ce cirque louche ? » murmura Cleve en prenant un air encore plus énigmatique. « Venu de nulle part, juste comme ça ! Je suis sûre qu’il y a anguille sous roche. Ou Ohmassacre sous Racaillou, si tu préfères. Enfin bref, quoi qu’il en soit, je compte bien faire un tour là-dedans pour essayer de dénicher quelque chose. » Car oui, il y aurait forcément des mystères à élucider ! « Et voir s’il y a quelques boulons qui trainent que je pourrai récupérer », ajouta-t-elle à mi-voix, plus pour elle-même que pour Djelly.
« Enfin ! Allons y sans trainer tant qu’il n’y a personne dans les parages, on verra bien si ma super intuition a eu raison cette fois-ci ! »
Sans attendre, Cleve se faufila derrière les différents bancs. Un coup d’œil à droite, puis à gauche. Personne dans les parages ! La petite rousse, que sa crinière flamboyante rendait repérable à des kilomètres à la ronde, se fraya un passage jusqu’au petit chapiteau. Puis, après s’être assurée que personne ne les regardaient, elle entra, Djelly sous les talons.
L’intérieur du chapiteau était tout comme l’extérieur ; coloré, et avec une forte odeur de Pokémon pas forcément très propres. Cleve fronça le nez, mais elle trouva rapidement de quoi occuper assez ses pensées pour ne plus penser à ses narines malmenées.
« Ah ! Ah-ha ! » s’exclama-t-elle en pointant un doigt vers une sorte de cabine qui pouvait facilement accueillir un homme. Elle s’approcha pour l’ouvrir, et trouva une sorte de canal qui était creusé. « Hm… C’est comme ça qu’ils font leur tour de magie où ils disparaissent et réapparaissent après ? Moi qui croyais que c’était un Kadabra qui utilisait Teleport, ou je ne sais quoi… Et ben ça alors ! »
Elle adressa un regard étonné à Djelly. Qu’allaient-elles trouver d’autre, dans les sombres recoin du Cirque des Boulons ?
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