jusqu'à ce que la mort nous sépare
soloLe champ est immense. A perte de vue, les plants poussent doucement dans la chaleur de Paldea. Il est facile de repérer les quelques pokémons eaux qui utilisent leurs capacités pour arroser consciencieusement les plantations. Sur la droite, un peu plus loin, c’est un enclos qui prend place, un étrange mélange de Moumoutons, Wattouats et Cabriolaines s’y prélassent sous le regard vif d’un immense Arcanin shiny, allongé un peu plus haut. Si la majorité des pokémons ici n’ont pas vraiment de surnoms, vivant dans un état semi-sauvage, l’Arcanin, elle, se prénomme Alicante.
De par sa carrure et ses couleurs, Alicante est une sorte de célébrité dans ce petit village perdu dans les montagnes de Paldea. Remarquablement plus foncée que ses congénères, elle se fond d’autant plus facilement dans les montagnes qui entourent le pré des pokémons qu’elle surveille. Il y a beaucoup de rumeurs par rapport à Alicante. On raconte qu’elle a déjà mis KO d’un seul coup l’Ursaring qui règne en maître dans la forêt. On se dit que la meute de Lougaroc qui vit dans les hauteurs qui surplombe le village n’osent pas l’approcher. Certains diront que c’est exagéré, que ça n’est qu’une Arcanin plus grosse que la moyenne.
Mais il faut la voir. Plus imposante que la moyenne avec ses deux mètres cinquante au garrot, sa musculature roule sans difficulté sous sa fourrure. Et puis il faut voir son regard. Ses yeux démontrent son intelligence, sa capacité à absorber toutes les informations et son temps de réaction est toujours parfaitement court. Quasiment tout le monde vous le dira au village, Alicante les a tous sorti d’une mauvaise passe. Que ce soit les sortir du chemin face à un objet qui chute ou les aider à se redresser après un faux pas, Alicante est toujours là au bon moment.
Souvent, dans ce petit village perdu dans les montagnes, les gens oublient qu’elle est chromatique. Que ses couleurs si foncées ne sont pas les couleurs qu’on attend sur un Arcanin et que les quelques gens de passage dans le village ont raison d’être surpris face à son pelage. Pour eux, Alicante est tellement plus que son chromatisme que souvent, il est oublié.
Puis, il y a Alec. Face au mastodonte qu’est Alicante, on pourrait penser que n’importe quel humain parait petit à ses côtés. D’une certaine manière, c’est vrai. Il n’y a personne qui lui arrive au garrot et c’est sans parler de carrure. Pourtant, Alec ne semble jamais étranger à ses côtés. Ils sont accordés d’une manière qui est rare à observer. Le brun n’arrive peut-être qu’au haut des pattes de l’Arcanin, mais il a une aura qui le place sur le même niveau. On croirait pas pourtant. Avec ses chemises lâches à carreaux et ses chapeaux de paille, Alec est l’image même de la décontraction, du petit fermier dans les hauteurs montagneuses. Mais ses chemises, aussi lâches soient-elles, ne parviennent pas à camoufler la largeur de ses épaules et la puissance de ses mains. Son sourire, aussi lumineux soit-il, ne parvient pas à dissimuler la dureté de ses yeux. Il y a simplement quelque chose chez Alec qui hurle qu’il a vécu mille et une choses. Qu’il a souffert pour en arriver là. Il y a quelque chose dans la cicatrice qui se termine sur sa mâchoire qui indique qu’il s’est battu pour sa sérénité. Pour le calme qu’il a enfin à s’occuper de ses moutons.
Alors, le village, bien qu’il soit curieux, bien qu’il veuille des réponses, des histoires, des légendes, il respecte. Il respecte son silence et son repos et il le laisse vivre. Madame la boulangère lui donne toujours un petit pain supplémentaire et le boucher a toujours une tranche en plus pour Alicante. Les petits adorent monter sur ses épaules et voir le monde depuis si haut et il y a toujours du monde pour lui dire de venir boire un verre au bar du village. Il est arrivé, il y a des années, son Arcanin a ses côtés et deux Wattouats à leur suite. Il était fatigué et blessé et tous ont cru qu’il ne se relèverait pas. Mais le temps à fait son office et la simple générosité du village l’ont remis sur pieds.
Petit à petit, faveur par faveur, moment par moment, Alec et Alicante sont devenus des membres du village.
Aussi, c’est les yeux plissés que les villageois observent la gamine qui avance dans le village. Quand elle dit rechercher Alejandro Garcia, tout le monde se tend. Le gosse de l’épicier a couru jusqu’à la ferme pour prévenir Alec et tout le reste du village s’est chargé de retenir la jeune fille aussi longtemps que possible. Avec sa peau pâle et ses cheveux roses, elle ressemble pas pour un sous à Alec. Pourtant, il y a quelque chose dans la manière qu’elle a de se tenir, dans la manière dont les émotions de son visage ne semblent jamais atteindre ses yeux qui est affreusement similaire.
Elle les laisse faire. Et c’est le terme. Parce que tout le monde a vu comme elle a remarqué le gosse qui est parti à la ferme et pour être honnête, Alec n’est pas dur à trouver. C’est presque comme si elle cherchait à être polie, à laisser le temps à Alec de venir la rencontrer selon ses termes. Elle est un peu surprenante cette gosse. Elle est pas très grande, pas très épaisse, mais tout le monde au village est d’accord pour dire qu’elle aussi, elle aurait pas l’air bizarre à côté d’Alicante. Elle doit pouvoir passer sous son ventre sans difficulté mais pourtant … pourtant elle émet le même genre d’aura qu’Alec et ils ne savent pas vraiment quoi en penser.
Le truc c’est qu’Alec fait partie du village. Ça fait dix ans qu’il fait partie du village. Pourtant, personne ne sait d’où il vient, ce qu’il a fait avant et ce qui a mis ce manteau de tristesse sur ses épaules. Personne ne sait pourquoi il s’entraîne toujours rigoureusement. Pourquoi il ne faiblit pas. Personne ne sait pourquoi il n’a jamais répondu aux avances des jeunes gens intéressés du village. Personne n’a jamais vu la personne qui a l’anneau assorti à celui sur son annuaire gauche. Ils ne savent rien et l’arrivée de cette jeune fille ne fait que poser plus de questions.
Quand Alec arrive enfin, Alicante à sa suite, il soupire. Il observe la gamine pendant de longues minutes et elle ne bouge pas un sourcil face à son inspection. Elle soutient son regard sans problème. Elle n’est pas bien grande cette gamine, mais il y a une force en elle qui impose le respect. Alec semble hésiter mais Alicante, elle, a toujours été plus rapide à réagir. Elle ignore son dresseur et s’avance vers la gosse. Elle baisse son énorme tête jusqu’à toucher le haut du crâne de la rose. A nouveau, tout le monde est impressionné de sa résilience. Elle ne tremble pas et accepte l’inspection du monstre de feu. Ils ont beau la connaître et savoir qu’elle ne le fera jamais du mal, mais nombreux sont les villageois à encore avoir un mouvement de recul quand Alicante s’approche. C’est une réaction normale face à un tel prédateur.
Finalement, Alec soupire à nouveau, se retourne et fait signe à la jeune fille de le suivre. C’est en réponse qu’ils peuvent observer la première véritable émotion sur son visage. Elle s’illumine, un grand sourire sur les lèvres et place une main dans la fourrure d’Alicante, emboitant le pas à Alec.
Elle devient, peu à peu un visage familier. Sa première visite était en juin. Mais elle revient régulièrement. Elle ne se préoccupe plus de demander où est Alec dans le village, elle leur fait simplement signe de la main et fonce en direction des champs. Parfois, elle est seule. Parfois, elle est accompagnée d’un large Moumouflon. Parfois elle est sur son dos. Souvent, il y a un petit Lixy qui tourne entre ses jambes, ses yeux plissés et le pelage hérissé jusqu’à ce qu’elle glisse une main sur sa tête, pour le calmer.
Les villageois qui s’approchent des champs quand elle est là peuvent voir un étrange ballet. Sous les regards amusés du Moumouflon et Alicante, la gamine affronte inlassablement Alec et ça confirme toutes les théories à son sujet. C’est sans effort apparent qu’il repousse tous ses assauts. C’est presque un aboiement qu’il lui renvoie pour la corriger. Plus fort, plus précis, plus rapide, plus endurant. Il y a toujours quelque chose à améliorer et Alec voit tout. Quand ils ne sont pas dans les champs, ils sont à la ferme et Alec sort les mystérieuses caisses de son grenier et ils passent des heures à décortiquer les dossiers à l’intérieur.
La gamine absorbe tout ce qu’il lui donne. C’est facile, pour eux qui voient tout de l’extérieur, de voir sa progression. De voir comme sa peau bronze avec les heures passées au soleil, de voir comment sa bras se durcissent et comment elle n’a plus de soucis à faire traverser les bottes pailles de la grange aux champs. C’est moins facile, de voir comment elle s’adapte peu à peu, sous les instructions d’Alec aux différentes personnes du village. Elle tisse son personnage différemment auprès de tous. Pour le boucher, elle joue sur sa jeunesse alors qu’elle insiste sur sa résilience avec la chef du village. Elle apprend à présenter aux autres ce qu’ils veulent voir.
Ils étaient hésitants au début, quand ce bout de fille est venue avec ses petits airs citadins mais petit à petit, elle s’est faufilée dans leurs cœurs. Alec la regarde toujours un peu tristement et c’est dur de savoir pourquoi. Au final, peut-être qu’il sait qu’il peut pas l’empêcher de marcher un chemin similaire au sien et que tout ce qu’il peut lui offrir c’est de l’entraînement et des conseils. C’est lui apprendre comment éviter ses erreurs et en sortir plus fort. Peut-être qu’avec son appui, elle ne s’envolera pas en flamme, laissée pour compte sur le bord d’une montagne.
Il lui faudra du temps, à la gosse, pour réussir à rassembler le courage de demander pour Alicante. Et la réalité c’est que la gamine devient quelqu’un à partir du moment où elle le remarque. Le moment où elle remarque qu’Alicante n’a pas de pokéball. Que le rapport entre l’Arcanin et Alec n’est pas celui d’un dresseur et son pokémon. Ce sont des équipiers mais il n’y a pas le lien tout particulier qui définit si étrangement les partenaires d’une équipe pokémon.
Quand elle pose la question, il fait déjà sombre et Alec a sorti un matelas gonflable. Il est impensable de la laisser repartir à Mesalado de nuit alors elle dormira ici. Il soupire et souffle et enfin, va attraper une bouteille d’alcool. Elle est presque pleine et Alec ne cherche même pas à attraper un verre. Il boit simplement une gorgée directement au goulot sous l’œil mécontent d’Alicante. Elle reste silencieuse. Elle lui laisse le temps de mettre tout en place, de savoir ce qu’il veut dire, comment il veut le dire. Mais elle ne rétracte pas sa question. Elle veut savoir.
Et quelque part, elle pense qu’il veut en parler. Il aurait pu, sans aucun problème complètement ignorer sa question. Il l’a déjà fait. Mais cette fois, il … il a les mots sur le bout de la langue. Elle a l’impression qu’il a les mots sur le bout de la langue depuis des années. Qu’il attendait juste cette question et une oreille pour l’écouter.
Il narre une tragédie.
Alec était Firewatch. Il a été recruté très jeune par le prédécesseur de Midnight. Il ne mâche pas ses mots sur l’organisation. Il parle de son adolescence, passée dans une sorte de brume sans fin où tout est un test et une compétition. Il raconte la perte de ses camarades, un à un jusqu’à ce qu’il ne reste que lui. Jusqu’à ce qu’il soit un agent à temps complet. Il parle de la difficulté de se trouver une identité, de savoir qui on est quand on t’apprend juste à être ce que l’autre veut voir.
Il parle de sa rencontre avec Cervantes. Malosse puis Démolosse, il était son starter, son partenaire, l’autre partie de son corps. Entraîné aussi durement que lui, ils ont enchaînés des années de missions sans faillir, sans hésiter. La réalité c’est que cette initiale version de Midnight n’était pas vraiment … surveillée. Les grands chefs de l’organisation s’en servaient plus ou moins pour régler leurs petites affaires personnelles sans trop se soucier de la légalité des choses.
Ils en avaient pas besoin en même temps. Leurs agents étaient bien trop compétents pour laisser penser à quoique ce soit d’autre que des accidents. Des accidents bien arrangeants.
Puis les protocoles ont changés. Quelqu’un, quelque part, a décidé que c’était pas comme ça que ça devait marcher et peu à peu, ce brouillon s’est transformé et métamorphosé pour devenir le Midnight d’aujourd’hui. Le problème, c’est que ça a été long. Très long. Trop long probablement. Et un agent comme Alec, alors complètement déconnecté de ses actions et du monde, ne pouvait que subir les luttes internes entre les différents chefs et partis.
Le truc, quand on essaie de réformer une cellule indépendante et secrète des forces de l’ordre suite à un abus de pouvoir des personnes les plus puissantes du monde, c’est que pour les faire tomber, c’est … presque mission impossible. Il faut reconnaître qu’il y a certaines personnes qui sont presque intouchables.
C’est dans ce climat qu’il l’a rencontré. Il n’arrive pas à prononcer son nom. Alicante était sa partenaire comme Cervantes est celui d’Alec. Ils sont devenu une équipe tous les quatre. Les plus efficaces de la division et par conséquent les plus contestés par les différents fronts. Tout le monde voulait mettre leur main sur eux. Ils ont été envoyés sur les pires missions. Les plus difficiles, les plus sanglantes, les plus tendues. Celles qu’il fallait absolument réussir parfaitement.
Le truc, avec la perfection, c’est que ça n’existe pas.
Il y a forcément un jour, un moment, un instant, où il y a une erreur.
A ce niveau-là, avec des enjeux pareils, une erreur est fatale.
Cervantes est tombé le premier. Il la protégeait. Alec n’est pas vraiment sûr si il savait qu’il s’effondrait si elle partait. Si il pensait qu’il ne s’effondrerait pas tout autant pour lui. Elle n’a pas tardé à suivre. Alec ne s’éternise pas en détail. C’est presque comme un rapport. Les mots sont froids, durs et secs. Il se détache de tout alors que son regard glisse dans le vide d’une autre époque.
Les perdre a presque été fatal pour Alicante et Alec. L’Arcanin a eu un épisode sauvage. L’Agent n’était pas loin derrière. Le bâtiment qu’ils devaient infiltrer était plus rouge qu’autre chose quand l’équipe de renfort est arrivé. Mais, au milieu du carnage, il restait Alicante et Alec et aucun des deux n’avaient envie d’être là.
C’est à double tranchant. Le lien que poussait l’Agence entre les dresseurs et leurs pokémons. Les duos étaient parfaitement coordonnés certes, mais ça veut aussi dire que perdre cette moitié, c’est perdre une partie de soi.
Ils se sont écroulés. Une fois physiquement sur pied, ils ont tentés de se perdre dans le flot des missions. Quelque part, peut-être qu’ils cherchaient à les rejoindre. Puis un jour, Alicante a sorti la tête du brouillard et a décidé que c’était assez. Elle a ce charisme, cette manière de communiquer qui est juste pas possible à ignorer. Alors Alec s’est rangé. Il a démissionné.
Enfin. Il a dit qu’il arrêtait. Le problème avec ce genre de boulot, c’est qu’en sortir est ... difficile.
Sa chance, dans son malheur, c’est que le déclic est arrivé avec la réforme. Quelque part dans la transformation, les anciens agents, létaux et insensibles sont devenus obsolètes. Alors il a pu partir. Il a pu partir, retrouver son pokémon d’enfance, un petit Wattouat et partir loin de tout.
Ils en rigolaient, entre deux missions, qu’un jour, ils lâcheraient tout pour aller élever des moutons dans les montagnes. Quelque part, c’est un moyen de se raccrocher à elle. A ce rêve qu’ils avaient ensemble. Il manque deux pièces dans le puzzle de sa vie mais au moins, il en a le cadre. Parfois, il faut savoir se raccrocher à ce qu’on a. Peu importe si c’est peu. Peu importe si ça suffit pas. Parce qu’on porte en soit le souvenir des gens qu’on a perdu et c’est important. Ça peut être douloureux mais il faut s’en rappeler.
Les oublier, c’est les laisser mourir une deuxième fois.
Et Alec avait promis.
Jusqu’à ce que la mort les sépare.