Une hantise. Voilà le mot.
Tous ces souvenirs étaient devenus une hantise qui refusait de le quitter. Même courir après Fyrn ne l'aidait pas ; le Caninos s'était bien calmé depuis le temps. Il était toujours aussi énergique, mais bien plus attentif et obéissant qu'avant. Le reste de l'équipe était bien calme d'ailleurs. Presque trop.
Soupirant, le jeune homme leva la tête en l'air, observant le ciel gris. Tiens donc, gris ? Il ne s'était pas rendu compte du temps en sortant, mais le ciel était bien gris et lourd de nuages. Le temps était assez pesant, comme ses souvenirs. Tout l'oppressait, même la météo. Et étrangement, le silence ne lui faisait pas autant de bien que d'habitude. Pourtant, alors qu'il marchait et s'éloignait du village avec son équipe, il remarquait que ces derniers étaient très silencieux, et lançaient tous quelques regards inquiets vers leur Dresseur. Skölir marchait près du Phyllali contrairement à son habitude, qui était de rester perché sur ses épaules. Esterni trottinait tranquillement aux côtés de Fyrn et Kveykva, tous les deux leur truffe plaquée au sol, mais drôlement calmes. Seul Deloi avait prit un peu de distance et fermait la marche, observant toute la troupe de derrière. L'Escroco lançait lui aussi quelques regards envers Raudhr, mais ce dernier était trop absorbé dans ses pensées pour y prêter attention.
Les mains dans les poches, le jeune homme aux cheveux rouges avançait calmement. Sa mine était glaciale, beaucoup plus froide et vide qu'à l'accoutumée. Ses muscles étaient tendus, et tout son être était oppressé par beaucoup de pensées noires. C'était une sorte de contrecoup depuis les événements de Lansat. Au début, la fusion entre les idées de la créature et les siennes s'était fait en douceur, contrairement à d'habitude où tout arrive avec violence. Cette fois, non, tout s'était déroulé en finesse, la créature avait doucement prit le contrôle.. mais l'enchaînement des différents événements ce jour là l'avait quasi complètement réveillée. Sa soif de violence, de contrôle, de puissance, tout avait débordé. Sa soif de sang en particulier.. ce désir de faire du mal. Pourquoi ? Qu'est-ce que la souffrance peut apporter, à soi même ou à autrui ? Comment peut-on y prendre un plaisir sadique aussi intense et.. satisfaisant ?
Le tonnerre gronda. Il était presque impossible pour Raudhr de distinguer s'il s'agissait du tonnerre et du chaos dans son esprit ou le ciel qui grondait. Peut-être les deux ?
Ses pas étaient mécaniques. Son corps fonctionnait par pur mécanisme et réflexe, sa tête était beaucoup trop occupée à tenter d'ordonner les nombreuses pensées qui se bousculaient dans son esprit. Alors, le Ranger prit une grande bouffée d'air frais à s'en brûler les poumons et expira doucement. Il ne se rendit compte qu'après qu'il avait serré les poings si fort dans ses poches qu'il en avait des crampes. Il semblerait qu'il lui était impossible de se détendre, malgré les beaux paysages, malgré le fait qu'il soit si loin de Lansat, de la Pokémon Community, de la nouvelle île.
Cela faisait quelques longues minutes qu'il marchait maintenant. Et son équipe était toujours aussi silencieuse. Le tonnerre s'était bel et bien mit à gronder, annonçant un orage assez imminent. Mais dans le fond, Raudhr n'en avait pas grand chose à faire. Tant qu'il ne se mettait pas à pleuvoir.
Plic.
.. Ah tiens. Le jeune homme émit un léger rire, rempli d'amertume. Son sourire et son expression étaient encore plus tordus que d'habitude et sa voix bien plus grave. De loin, des personnes auraient pu se poser quelques questions à son sujet, mais il s'était beaucoup trop éloigné du village pour être entendu.
Plic.
Son rire se fit légèrement plus dément, comme s'il avait perdu conscience du monde qui l'entoure. A côté de lui, Fyrn s'ébrouait. Il détestait presque autant la pluie que les bain.
Le tonnerre grondait encore, et quelques éclairs avaient fait leur violente apparition.
Un homme pendant ce temps riait avec amertume sous le tonnerre et la pluie qui devenait de plus en plus battante. Mais il n'en avait rien à faire, de cette pluie. Il voulait oublier. Que cette pluie, justement, lave tous ses souvenirs, et toute son amertume, son chagrin, sa confusion, son mépris, sa colère.. sa douleur. Qu'elle efface tout. Qu'il ne reste plus rien, plus qu'une coquille vide, un rien. Un être de chair et de sang, et c'est tout.
Son rire s'effaça peu à peu, alors qu'il s'était immobilisé. Ses cheveux, sa peau et ses vêtements étaient trempés, mais il ne ressentait rien.
Son œil rouge pâle s'ouvrit doucement, alors qu'il laissait ses sens le bercer sous le bruit battant de la pluie qui tombait autour de lui. Il resta là un instant, sous le regard confus de son équipe, avant de doucement tourner la tête sur le côté, déviant également son regard. Son iris fixait l'horizon et la multitudes de menhirs devant lui, eux aussi devenus complètement trempés. Le ciel était devenu noir de nuages, et les éclairs étaient désormais beaucoup plus fréquents. Cette cacophonie pour beaucoup de gens n'était qu'une berceuse, douce et délicieuse pour lui. Il se perdait peu à peu dans le temps, alors que son cœur continuait de se serrer et son esprit de s'entremêler dans ses pensées sombres. Son équipe était là, mais il se sentait seul. Seul dans sa bulle, emprisonné dans sa propre marée noire qui continuait doucement de monter.
Il finit par baisser la tête vers Fyrn, qui était venu se nicher à ses pieds pour s'abriter comme il pouvait de la pluie. Son Dresseur lui lança un regard vide, et le canin recula doucement avant de vite rompre le contact visuel. Il tourna les talons et s'éloigna légèrement du groupe, en chemin inverse, avant de s'arrêter et d'attendre le reste de l'équipe ; il était temps de rentrer.
Alors, encore une fois, Raudhr se remit en route machinalement, comme si ses engrenages étaient repartis d'un coup. Son corps se mit à bouger et il prit lui aussi sens inverse, toujours sous l'orage grondant. Kveykva semblait beaucoup s'amuser sous la pluie, tandis que Fyrn ne cessait de s'ébrouer. Deloi en revanche s'abritait comme il pouvait de cette trombe d'eau, sa peau supportant mal l'humidité.
Malgré le mal être l'envahissant, Raudhr comprit bien vite que Deloi était mal à l'aise, aussi il sortit sa Pokéball de son sac et le rappela dans sa sphère de capture. Alors qu'il allait faire de même avec Fyrn, un jappement le rappela au monde réel pendant un instant. Fyrn dressa aussi les oreilles avant de se mettre à courir derrière un buisson éloigné de la route et d'aboyer à son tour. Le reste de la troupe suivit ses pas, en poussant toute la végétation qui était d'un coup plus abondante. Derrière un menhir entouré de buissons se tenait le chromatique, à quelques mètres d'une créature noire et orange. En arrivant sur place, Raudhr leva un sourcil étonné.
Devant lui se trouvait un Malosse dans un sale état : le Pokémon était allongé sous la pluie, les yeux fermés et les dents serrées. Une de ses pattes arrières était pliée, et une vilaine plaie était visible sur sa cuisse. Il avait du ramper avec difficulté pour s'abriter contre ce menhir, mais le froid et la pluie avait sans doute eu raison de lui.
Le Ranger analysa rapidement ses options. Il avait de quoi le soigner lui même dans son sac, puisqu'il transportait toujours des potions sur lui, mais hors de question de le traiter ici sous cet orage menaçant. Il s'approcha du canidé alors que Fyrn se décalait sur le côté, sans doute pour éviter de s'ébouer sur le blessé. Alors que le Ranger approchait doucement sa main du Malosse, ce dernier ouvrit les yeux et grogna. Ignorant le grondement du chien, Raudhr le prit dans ses bras, faisant attention à sa plaie en soutenant sa patte avec sa main. Le Malosse grogna à nouveau et mordit soudainement la main du jeune homme, qui fit un léger rictus de douleur. La morsure n'était pas violente tant le Pokémon n'avait plus de force, mais tout de même désagréable. Serrant légèrement les dents et maintenant fermement le blessé contre son torse, il se mit à courir en direction de son chalet. Au fur et à mesure que le temps passait, il sentait le Pokémon lâcher prise sur sa main, n'ayant plus de force dans la mâchoire. Il ne se débattait même pas, tremblant de froid.
-Allez, accroche toi mon grand.
Fort heureusement, il ne fallut pas longtemps à Raudhr pour retrouver son chalet et sa chambre. Il y entra en rafale avant de prendre une grande inspiration, calmant doucement sa propre respiration et rythme cardiaque. Il était inutile de s'alarmer et de faire des gestes sous la panique, ça n'en réduirait que la précision.
Il réfléchit ensuite à un moyen de procéder, avant de se tourner vers Fyrn et Skölir.
-Fyrn, va me chercher des serviettes dans la salle de bain. Skölir, prends moi la petite boîte jaune à côté du lavabo.
Les deux Pokémon émirent un son et se hâtèrent dans la salle de bain afin de suivre les ordres de leur Dresseur.
« Malosse est un type Feu, il a déjà besoin de chaleur. »
Tournant son regard rouge pâle vers Esterni, il fit signe à la Pyroli de s'approcher.
-Augmente un peu la température de la pièce avec ta chaleur corporelle.
La Pyroli acquiesça et se roula en boule au sol, fermant les yeux pour se concentrer. Peu à peu, une vague de chaleur envahissait la pièce venant du corps de l'élvolition. Fyrn revint très peu après, tirant une serviette de bain noire qu'il avait trouvé dans sa gueule. Le Phyllali le remercia et posa doucement le Malosse sur la serviette tandis que Skölir arrivait en trottinant juste derrière, la boîte jaune demandée dans la gueule. Il eut à son tour droit à des remerciements alors que Raudhr étira ses muscles crispés.
Le jeune homme commença par enlever sa veste et son t-shirt trempés, il aurait de toute façon le temps de prendre une douche après. Il attrapa ensuite la boîte jaune que son starter lui avait apporté et l'ouvrit, en sortant des gants en plastique jetables, afin d'éviter de malencontreusement toucher la plaie du Pokémon. S'agenouillant près du type Ténèbres, il entreprit tout d'abord de sécher délicatement son corps trempé et tremblotant. Il appela Esterni et lui fit signe d'un regard de se rapprocher, afin que sa chaleur l'atteigne plus facilement. D'un mouvement, il attrapa son sac non loin de là et y sortit une Super Potion. Caressant doucement le Pokémon, son ton de voix se fit plus apaisant.
-Ça va un peu piquer, mais tout va bien.
Lorsqu'il sentit le spray sur sa cuisse, le Pokémon eut un sursaut nerveux, recroquevillant sa patte contre son corps. Sans cesser de le caresser, Raudhr continua de traiter sa plaie tout en l'observant avec attention. La blessure n'était pas du tout profonde ni dangereuse, mais couplé au froid et à la pluie, ça avait du grandement affaiblir le Malosse pour qu'il se retrouve dans cet état là. Malheureusement, il n'avait pas de Soin Ball, qui aurait d'ailleurs réglé le problème, aussi devait-il s'y prendre avec une méthode un peu moins conventionnelle et plus manuelle.
Après avoir utilisé la Super Potion, le Ranger termina le tout en enroulant doucement sa patte dans un bandage propre afin de laisser son organisme finir le reste. Il souffla doucement avant de tapoter la tête de sa Pyroli, la remerciant pour ses efforts. La chambre était à une température convenable maintenant, il fallait éviter un choc thermique trop important. Le reste devait surtout se faire avec du repos.
Il bougea délicatement le canidé sur le tapis chaud sur lequel était Esterni afin de récupérer la serviette humide et l'étendre pour la sécher, avec ses affaires d'ailleurs. Tournant la tête vers Fyrn, le jeune homme leva un sourcil envers le chromatique. Ce dernier était juste là, la langue pendante à observer son Dresseur de ses yeux couleur feu. Mais ce n'était pas ses yeux que le jeune homme regardait : c'était l'était de son pelage. Pour une quelconque raison, le Caninos était plein de boue, et il était d'ailleurs tout aussi trempé.
Il y eut un moment de silence entre les deux, avant que Raudhr ne tourne lentement la tête sur le côté, sans lâcher son Pokémon du regard.
-... Toi, tu vas avoir droit à un bain.
Inutile d'expliquer la réaction paniquée que le canin eut à cet instant. Il se figea alors que Raudhr venait de se lever pour s'emparer de sa Pokéball et rappeler le chien de feu dans sa sphère de capture avant qu'une catastrophe arrive.
-... Plus tard.
Il tourna son regard vers Esterni et Skölir en se dirigeant vers la salle de bain.
-Veillez sur lui, dit-il en désignant le Malosse d'un geste de la tête.
Fermant la porte derrière lui, le Dresseur souffla. Enfin un peu de calme et de silence. Lui aussi était trempé, il lui fallait absolument une douche et des habits secs.
Il ne fallut que quelques secondes avant que l'eau coule à nouveau sur sa peau, tandis qu'il se détendait peu à peu. Les pensées négatives qu'il avait eu il y a une trentaine de minute étaient toujours là, et demandaient à remonter, mais il refusait de les laisser à nouveau prendre le dessus. Il se concentra du mieux qu'il pouvait sur l'eau chaude qui enveloppait son corps, et tenta de vider son esprit du mieux qu'il pouvait. En quelque sorte, ce Malosse l'avait forcé à penser à autre chose pendant un temps, et ce n'était pas plus mal, au contraire. Il n'avait pas effacé sa mémoire, ses souvenirs, mais il lui avait permis un moment de paix éphémère. Et c'est quelque chose dont Raudhr avait besoin. Non pas de calme extérieur, mais de calme intérieur.
Sortant de la douche déjà un peu plus détendu, il s'habilla avec des vêtements secs et propres. Il fallait aussi qu'il se prépare mentalement à son prochain challenge, faire prendre un bain à Fyrn. Mais pour l'instant, il se contenta de sortir de la salle de bain afin d'aller inspecter l'état du Malosse. Et à sa grande surprise, ce dernier était complètement éveillé, assis devant Esterni et Skölir. Combien de temps est-ce qu'il avait passé sous la douche pour qu'il soit aussi vite rétabli ? Passant sa main dans ses cheveux puis sur sa nuque, le jeune homme s'avança dans la chambre et s'assit sur son lit, en face du type Ténèbres. Celui-ci ne bougea pas et se contenta de l'observer, déjà bien moins féroce que lorsqu'il était contre ce menhir.
Soupirant doucement, le Ranger inclina la tête.
-Tu as l'air d'aller mieux.
Il fronça ensuite les sourcils. Comment est-ce qu'il s'était retrouvé là ? Et qu'est-ce qui lui avait infligé cette plaie ? Une légère montée de colère envahit ses veines, mais il se calma instantanément. La question principale c'était surtout : est-ce qu'il appartenait à un Dresseur ? C'était surtout l'idée qu'il aie un Dresseur et qu'il se retrouve dans cet état là qui mettait le Phyllali en colère, mais il fit par secouer la tête.
Une Pokéball vide entre les mains, le Ranger observa longuement ce Malosse, qui lui n'avait pas bougé et soutenait son regard vide et froid de son interlocuteur. De toute façon, il n'y avait qu'une seule façon de le savoir.