Flocombe, Unys.- J'aurais préféré qu'il meure!Un bruit sec résonna dans toute la pièce, suivant de près la déclaration. Je posai ma main sur ma joue, maintenant douloureuse et enflammée, mon regard anthracite se levant lentement vers ma mère. Sur son visage épuisé je remarquai des yeux rougis, les cernes sous les yeux, ses joues qui se creusaient à force d'inquiétude. Je reculai d'un pas, comme intimidée par cette vision. Je côtoyais cette femme chaque jour, mais ce n'était que maintenant que je remarquais tous ces signes. Ce rappel à l'ordre avait été un rappel à la réalité, difficile, mais nécessaire. Je me tournai ensuite vers mon frère, plus âgé que moi et pourtant... Il avait l'air si petit dans ce lit, si maigre, si pâle. Malgré ça, il continuait de se forcer. Ses lèvres étaient étirées en un sourire faiblard, pour dissimuler ses réelles émotions, comme il le faisait toujours. Mais ses yeux ne mentaient pas, je lisais la douleur dans la profondeur de ses iris d'encre. Pourquoi était-il toujours comme ça? Pourquoi n'était-il pas capable de se mettre en colère lui aussi? Je reculai d'un pas, vers la porte, pour partir. J'étais incapable de le regarder plus longtemps comme ça. Il souffrait tellement, il n'était que l'ombre de mon grand-frère adoré. Je devais pourtant m'excuser, ce n'était pas une chose à dire et le regard furieux de ma mère ne m'aurait pas pardonné de partir sans l'avoir fait, mais les mots s'étranglaient dans ma gorge. Au lieu des excuses que je désirais lui offrir, seule une plainte écorchée m'échappa. Non, je n'y arriverais pas.
- Kalel, attends. C'est pas grave je comprends, reste avec moi. S'il-te-plait...Je serrai les dents. Non, c'était faux, il ne pouvait pas comprendre ou en tout cas il n'en avait pas du tout l'air pour me demander ça. Comment pouvait-il dire ça alors que je venais de souhaiter sa mort si ouvertement?! Ce n'était pas juste! Il n'avait pas le droit d'accepter ça. Il aurait du répondre n'importe quoi d'autre, mais pas juste accepter ça. Ce n'était pas vrai, ça ne pouvait pas juste se passer comme ça. Il devait y avoir quelque chose de plus, c'était obligé. Mais la peur était déjà insinuée en moi, parce que je savais déjà. Je tournai les talons pour de bon, ouvrant la porte sans ménagement pour la franchir sans regarder derrière et aller rejoindre ma chambre. Une fois sur place je refermai derrière moi et sautai dans mon lit pour m'y réfugier, ramenant mes jambes contre moi et enfouissant ma tête dans l'oreiller. Pourquoi n'arrivais-je pas à faire face à la situation comme une adulte? J'avais déjà douze ans, j'aurais largement du pouvoir réagir de façon plus mature. Quelle honte, et pourtant ce n'était même pas nouveau comme situation, j'avais eu amplement de temps pour m'y faire maintenant. Il y avait trois ans que mon frère était tombé malade et que ma mère devait régulièrement aller faire des séjours d'une semaine ou deux avec lui à Volucité pour ses traitements. On ne m'avait pas vraiment donné plus de détails, surement pour ne pas m'effrayer, mais je n'étais pas une idiote. Notre père, pour sa part, travaillait beaucoup pour compenser. Il devait nous permettre de bien vivre dans notre petite maison de Flocombe et payer les frais médicaux de Logan en plus de cela. Pour ma part, je faisais ce que je pouvais. Enfant sage, j'étudiais ou je faisais les tâches ménagères. Je n'avais pas vraiment d'autres amis que mon frère et j'étais donc plutôt renfermée, gardant mes pensées pour moi. Malgré tout mon amour pour mon aîné, il m'arrivait aussi d'être jalouse. Il avait toujours l'attention de tout le monde, on lui offrait les plus beaux cadeaux et il pouvait passer autant de temps qu'il le voulait avec notre mère. Dans les réunions de famille, on ne parlait toujours que de lui et jamais de la petite Kalel qui travaillait fort et qui n'avait que de très bonnes notes. Ça ne me dérangeait pas avant, ou en tout cas j'essayais de faire comme si, mais c'était de plus en plus difficile. Pourtant il ne méritait pas que je déverse ma frustration sur lui et je le savais. J'adorais passer du temps avec lui pour lire, regarder les étoiles et faire toutes sortes d'autres choses. Je ne voulais pas qu'il décède, mais il souffrait tellement. Peut-être était-ce toute cette accumulation qui avait fini par avoir raison de moi?
Je clignai des yeux une fois, puis une seconde. Je me sentais plus lourde. Lorsque je clignai la fois suivante, le décor avait changé. La lumière qui me parvenait plus tôt par la fenêtre semblait s'être tarie, l'heure avait avancé. Me serais-je donc endormie? C'était plus que possible. Je me levai et m'approchai doucement de la porte que j'entrouvris, marquant une pause avant de sortir. Demeurant attentive, j'entendis les bruits de ce qui devait être ma mère en train de faire la vaisselle, dans la cuisine. Elle m'avait laissé dormir malgré le repas du soir, repas que j'aurais du aider à préparer. Un peu timidement, je quittai la chambre pour aller la rejoindre, effrayée de sa réaction à ma vue. Pourtant, à peine eus-je entré dans la cuisine qu'elle s'adressa à moi, sans même se tourner vers ma personne. Dire que je pensais ne pas avoir fait de bruit, ses oreilles étaient toujours aussi aiguisées.
- Il t'attend encore tu sais. C'est une bonne soirée ce soir, si vous vous habillez chaudement et que ne vous y restez pas trop longtemps, vous pourrez surement aller regarder les étoiles dehors. Ça fait un moment que vous ne l'avez pas fait je pense, non?- Merci.Répondis-je simplement avant de me diriger à petits pas rapides vers la chambre de Logan. J'allais m'excuser et, ensuite, nous aurions tout le loisir d'aller admirer les étoiles ensemble, comme avant! Peut-être y avait-il toujours moyen de rattraper cette soirée finalement?
***
Nous étions assis sur un banc, dans un petit parc pas trop loin de la maison. L'automne pointait le bout de son nez et la soirée était fraîche, mais nous avions emporté le foulard avec nous. Une longue écharpe rouge que nous nous partagions, collés l'un contre l'autre et grelottant un peu bien que prétendant que nous étions bien. Nos deux paires d'yeux scrutaient le ciel et je lui demandai de me pointer laquelle était la constellation de Cassiopée. C'était notre petit jeu, nous nous pratiquions à apprendre le nom des constellations et à les trouver, assis dans le noir. Parfois, nous en inventions même juste pour nous. Ces petits moments privilégiés étaient un véritable soulagement et j'appuyai ma tête contre l'épaule de Logan qui se fit silencieux. Il savait que j'avais quelque chose à dire et il attendait patiemment que je le fasse, sans doute se doutant déjà de ce qui allait suivre.
- Je suis désolée, j'aurais pas du dire ça et je le pensais pas. Je ne veux pas te perdre...Il passa son bras autour de moi et me serra contre lui alors que je sentis sa joue se déposer sur ma chevelure d'ébène. Mon frère demeura silencieux un instant, comme s'il réfléchissait à quelque chose, comme s'il formulait sa réponse, ou peut-être simplement comme s'il prenait le temps d'assimiler mes mots. Au final, sa voix s'éleva dans l'obscurité de la nuit.
- Je suis pas fâché, mais il faut que tu fasses un truc pour moi, peux-tu me le promettre? Je levai les yeux vers lui et il se détacha de moi, nos regard se croisant et cette discussion prenant des airs solennels. Je déglutis, maintenant presque effrayée. Pas que sa demande m'inquiétait. Simplement, cette façon de me parler, c'était si définitif. Je du lui agripper la main, comme pour le retenir. Autrement j'avais l'impression qu'il allait partir pour ne plus jamais me revenir et ça avait quelque chose de plus effrayant que tout ce que j'avais connu jusque là. Néanmoins, j'acquiesçai gravement, l'invitant à poursuivre et à me partager sa demande.
- Tu sais tous les voyages dont on aime parler? Faire le tour du monde, voir des endroits que personne n'a jamais vu encore, trouver des Pokémon légendaire, tous ces trucs qu'on voulait faire ensemble... Tu vas les faire, pour moi. Non, pour nous deux. Tu peux le faire, tu porteras nos rêves à tous les deux. Promis? - Promis. Trois ans plus tard.J'étais assise dans mon lit, le dos appuyé contre le mur, les jambes ramenées contre moi. Ma joue était appuyée contre mes genoux et mon regard las fixait une petite photo à mes côtés, une photo de nous quatre, heureux et en santé. L'été était bien entamée, la rentrée pointant même le bout de son nez, mais ce n'était que largement secondaire dans mes préoccupations. Il y avait un mois maintenant qu'il nous avait quitté. La vie n'était plus la même dans cette petite maison de Flocombe et tous semblaient déprimés. La chambre de mon aîné était demeurée identique, à l'exception faite qu'il n'y avait maintenant plus personne dans ce lit abandonné. J'avais fait une promesse et je comptais bien la tenir, mais comment? Je n'avais même pas de Pokémon et encore moins d'argent pour financer tous ces voyages. Je me mordis la lèvre inférieure. Je me sentais si dépassée, tellement impuissante. J'enfouis mon visage dans mon écharpe bourgogne afin d'en humer l'odeur familière, de me rassurer un peu, mais en vain. Elle me rappelait tant de choses. Je fermai les yeux, tentant de lutter contre une nouvelle vague de larmes, mais c'était difficile. Je tentai de me ressaisir et c'est à ce moment que l'on cogna à la porte. Respirant profondément, j'essuyai mes joues et invitai ma mère à entrer d'une voix atone. Après tout, qui d'autre est-ce que cela aurait pu être? Presque timide, ma mère s'assis simplement sur le bout du lit, n'osant pas me regarder dans les yeux, comme si elle se sentait coupable.
- Nous allons déménager. - D'accord.Je ne demandai même pas où, je m'en fichais un peu. Ici ou ailleurs, quelle différence? Ça ne réglerait pas mes problèmes, ça ne me permettrais pas de réaliser nos rêves, ça ne ramènerait pas Logan.La seule chose que ça nous permettrait d'accomplir, c'était de passer à autre chose. C'était ce qu'il fallait faire, une décision logique, une façon de tourner la page. Mais une partie de moi ne voulait pas de cela, je voulais rester accrochée dans ces souvenirs que nous avions partagés, même si je savais que ça m'apporterais plus de mal que de bien. Ce que j'ignorais, c'est que mes parents avaient déjà beaucoup parlé de leur côté. Ils savaient que s'ils me laissaient dans le même état, ce deuil serait long et douloureux.
- Tu ne viens pas avec nous.Je relevai mon regard anthracite vers elle, ne comprenant pas immédiatement le sens de ses paroles. Ma mère me souris tendrement et jeta elle-même un regard à notre photo de famille avant de reporter son attention vers moi, la larme à l'oeil.
- Nous t'avons inscrite à la Pokémon Community, tu commences le premier septembre. Ils vont t'offrir un Pokémon et tu pourras étudier pour réaliser tes rêves. Tu mérites un avenir meilleur, c'est ce qu'il aurait voulu. Logan aurait voulu ça.Cette fois, c'était plus fort que moi. Je serrai ma mère dans mes bras, enfouissant mon visage dans son cou et je me mis à pleurer, comme si j'avais été une enfant. Pleurais-je de joie ou de tristesse? Je n'en avais aucune idée. Nous restâmes comme cela un bon moment, suite à quoi nous séchâmes nos larmes. Ce soir là, tout ce qui restait de notre petite famille est allée manger au restaurant. Pour la première fois en de nombreuses années, nous avions quelque chose à fêter.