- Doublevé… Uuurgh… Doublevéééééé…
-Zig ?

Max était étalée de tout son long sur le pont du navire et poussait des gémissements digne d’un mort presque vivant. Ou le contraire. Peu importe ! D’habitude si joyeuse et pleine d’entrain, la voilà terrassée par les roulements des vagues. Le visage pâle comme un linge et les traits déformés par une grimace de dégoût, typique d’un mal de mer plus terrible que la peste.

La jeune fille se l’était promis pourtant : plus jamais elle ne remettrait un seul pied sur un bateau après le trajet infernal de Rivamar jusqu’à l’île de Lansat où se trouve la Pokémon Community.

Cette promesse, pourtant, avait fondu comme neige au soleil lorsqu’après trois mois  son arrivée à l’académie, une sortie capture était organisée. La dernière avant celle-là datait de début février alors qu’elle venait tout juste de débarquer de Sinnoh et qu’elle commençait à peine à nouer un lien timide avec le sacré numéro qu’est Doublevé.

Alors, que croyez-vous que Max Sorcion, écervelée et casse-cou de première ait fait dans un état d’impatience qui décornerait un Haydaim plus rapidement qu’une attaque Ouragan ?

Elle y était allée.

Oui, alors que le cadre de la sortie capture était une île à laquelle on n’accède que par bateau.

Oui, alors que le trajet durait trois heures.

Soit cent-quatre vingt minutes.

Ou encore dix mille huit cent secondes.

Un calvaire en bonne et due forme au premier œil pour quelqu’un qui n’a absolument pas le pied marin et qui n’irait jamais s’infliger pareil épreuve.

- Bweeuuuuuggh

Sauf Max, évidemment.

-Zig ! Zigza !

La Pyroli lança un regard plein de désespoir à Doublevé, qu’elle avait décidé de laisser sortir durant le voyage et qui la regardait en poussant des couinements inquiets, alors que le petit chenapan avait profité de l’état pitoyable de sa dresseuse pour s’installer sur son dos.

-Yuuurgh. Ça va, tu ne te gênes pas trop, mon gros ? grogna-t-elle en soupirant bruyamment.

Le petit raton crème et brun, lové sur son dos, la fixa avec des yeux brillants et releva un instant sa tête poilue pour la regarder de ses grands yeux bruns et brillants, avant de bailler en ouvrant grand sa mâchoire pour retourner à une petite sieste mérité. Malgré son corps tremblant sous la nausée et les roulements de la mer qui frappaient régulièrement la coque du bateau, Max ne put s’empêcher de sourire.  Même si le début avait été difficile et empli de sacrées galères, elle avait fini par s’attacher à la boule de poil et d’énergie que le Collectionneur lui avait confiée à son arrivée à la Pokémon Community. Les premiers jours en compagnie avec cette tête de mule de Doublevé lui avaient semblé si horribles qu’elle avait commencé à désespérer de sa capacité à être capable d’être dresseuse. Aujourd’hui, même si elle souffrait de son habituel mal de mer renversant, cet instant sur le pont était certainement l’un des plus agréables qui lui étaient arrivés en compagnie du Zigzaton. Le soleil était haut, le temps frais et la sensation de chaleur du corps du Pokémon sur son dos était la plus apaisante possible.

Au loin, alors que l’adolescente tombait doucement dans une lourde somnolence, elle crut entendre un éclat de voix qui devait certainement appartenir aux professeurs Ace S. Creed et Andreas Hearnett. Quelle idée d’envoyer ces deux-là accompagner la sortie capture, aussi… Heureusement que le Général Jackie venait aussi pour surveiller ces deux phénomènes.

Les roulis des vagues qui s’étaient légèrement calmés reprirent de plus belle et Max se tordit de douleur, le visage déformé par les caprices de son corps et de ses pieds, qui n’auraient certainement jamais un air de marin.

Une nouvelle plainte jaillit faiblement des cordes vocales de la Pyroli :

-Pitiiéééé, faîtes que l’on arriiiiive bientôôôôt… !


Si Max gémissait avec peine sur le pont du navire, reposer un pied sur la terre ferme avait un effet détonnant et totalement à l’opposé des roulis des vagues. Le teint désormais plus rose, debout sur ses deux jambes, son sac en bandoulière accrochée à son épaule droite, elle laissa aller complètement son excitation :

-WOUHOU ! Eh bah, c’était pas si terrible que ça finalement, ces petites vaguelettes ! On va enfin pouvoir se frotter à quelque chose qui a un goût d’aventure sur cette île-gruyère même si c’est pas si mauvais que ça le fromage, pas vrai Doublevé ?... Doublevé… ?

A peine avait-elle le temps de débarquer, de récupérer de la traversée et de détourner les yeux un instant de son compagnon poilu et griffu de quarante centimètres, que ce dernier avait déjà disparu. Ou presque, puisqu’elle eut le temps de voir le bout de la queue du raton disparaître derrière un rocher, prenant  une bifurcation vers la gauche dans les galeries où les professeurs les avaient guidés avant que tous ne s’éparpillent pour leur chasse à la capture.

-EH. PAS PAR LA ! A DROITE, DOUBLEVE ! A DROITE cria-t-elle en s’élançant à sa poursuite avec maladresse.

La pénombre quasi omniprésente de la grotte rendait Max nerveuse à un point qu’elle semblait tendue comme un ressort près à sauter. A vrai dire, la jeune fille n’aimait pas le noir. Ou plutôt, c’était bien l’une des seules choses qui lui faisaient réellement peur, en plus du surplus de rose chez certaines personnes.

La brise fraîche qui parcourait les galeries était un peu trop froide à son goût et elle jetait des regards de tous côtés. Ses yeux noirs brillaient d’inquiétude alors qu’elle suivait en trottinant Doublevé qui… Euhm… Qui ne savait pas vraiment où il allait.

-Zig !

Toutes sortes d’odeurs arrivaient à sa truffe : l’humidité, le vent marin qui s’engouffrait et parcourait en un claquement de doigts le labyrinthe de galeries. L’odeur d’un Pokémon lui passait sur le nez de temps en temps, mais trop inexpérimenté qu’il était, les odeurs sauvages d’un endroit nouveau surpassaient le reste.

Et ses griffes continuaient de cliqueter sur le sol tandis que Max le suivait en frissonnant un peu, mais en gardant sa bonne humeur et en admirant les gouttes d’eau qui tombaient du plafond de temps à autre. L’aventure et l’inconnu l’appelaient. Le mélange d’excitation et d’inquiétude se confondait en elle.

Doublevé bifurqua une nouvelle fois à droite, la truffe en l’air. Le chemin était long et la jeune dresseuse n’avait vu qu’un Machoc passer au loin rapidement. Elle espérait au fond d’elle-même rencontrer enfin un Pokémon avant que la journée ne se finisse ou qu’elle ne soit définitivement trop fatiguée pour continuer à parcourir ce gruyère de galeries. Toute son âme bouillonnait d’impatience à l’idée de tester le lien encore récent qu’elle avait tissé avec le petit raton brun et crème, mais aussi de rajouter un nouveau compagnon à son équipe.

-Ah ben… Ah ben on est à l’extérieur, tiens ?
-Zig !

Après avoir tourné en rond pendant des heures, Max avait cru ne jamais plus revoir la lumière du jour avant la fin de la journée. Ou plutôt avant que le Général Jackie ne vienne à sa recherche et lui colle un savon monumental. Bien malgré elle, l’adolescente avait suivi son Pokémon au caractère capricieux et impétueux, presque trop curieux. Si son assurance et son entrain étaient une qualité d’envergure, le sens de l’orientation du Zigzaton n’était pas à louer, bien qu’il reste cependant bien meilleur que celui de la jeune fille.

L’air plus sec, bien que frisquet, de l’extérieur, raviva les poumons de la Pyroli qui s’étira en baillant. Sur cette île-labyrinthe, cela semblait être un des rares endroits à l’extérieur, bien que minuscule et plutôt boisé. Elle espérait au fond d’elle-même que celui-ci ne soit pas désert et qu’elle n’ait pas à retourner se perdre dans les galeries comme un Thésée qui ne suivrait pas le fil d’Ariane.

Doublevé reniflait une fleur mauve avec curiosité. L’endroit était vraiment tranquille, presque trop au goût de la jeune fille. Elle s’assit avec un grand soupir. Décidément, tout cela manquait beaucoup trop d’action à son goût. De l’herbe, quelques cailloux, un petit tronc d’arbre sur le côté et pas mal de buissons, mais rien de bien folichon ou de palpitant.

-On dirait que j’ai vraiment pas de bol décidément…

SBREUM

Un bruit sourd la fit sauter et elle se retourna à toute vitesse pour voir d’où venait ce vacarme assourdissant. Un Pokémon sauvage qui apparaissait ?

Non, simplement un Doublevé encore trop fouineur qui venait de se coincer dans le tronc d’arbre et qui tentait désespérément d’en sortir de toutes ses forces en grattant furieusement le sol et en poussant des couinements effrayés.

Max haussa les sourcils avant de soupirer. Elle laissa son sac à l’endroit où elle s’était assise, se leva et contempla le nouvel exploit du petit raton avec une mine dépitée. Autant tenter d’apprendre à un enfant de six ans à monter à bicyclette, plutôt que d’apprendre la prudence à cette boule de poil et d’énergie.

La jeune fille se pencha et attrapa l’arrière-train de son compagnon qui continuait de se débattre furieusement dans le vain espoir de se dégager de sa prison de bois. Elle tira de toutes ses forces, une fois, deux fois et… Réussit à dégager un Zigzaton déboussolé qui lui jeta un regard penaud.
Quelques minutes plus tard, son compagnon recommençait à gambader avec insouciance dans l’herbe, comme si l’accident du tronc d’arbre n’était qu’un vague souvenir. La Pyroli eut un léger sourire sur les lèvres en voyant Doublevé aussi guilleret et joyeux, bien que leur chasse du moment puisse se résumer plus à une balade ou à un échec cuisant. Elle reconsidérait les arbres un à un, au cas où un Pokémon insecte ou volant ne s’en échapperait pas par miracle (sait-on jamais !), refaisant plusieurs fois le tour sur elle-même, observant méticuleusement un buisson avant de passer à un autre. Malheureusement, soit ils étaient trop verts et feuillus, soit la seule chose intéressante qui dépassait de l’un d’entre eux constituait à deux petites boules brunes claires sur une bosse de la même couleur…

Max se figea un instant avant de rejeter un coup d’œil au buisson.

Deux petites boules brunes sur une bosse de la même couleur.

SFRUSH SFRUSH

Les feuilles frémirent bruyamment. La bosse bougea elle aussi. Aucun doute n’était plus possible à présent. La jeune fille sentit son cœur commencer à battre à tout rompre, l’excitation et l’impatience la submergeant toute entière d’un coup.

ENFIN.

Les galeries toutes humides et noires comme des cachots avec des monstres méritaient bien une telle récompense que la rencontre de ce Pokémon. Max se tourna avec un grand sourire vers son compagnon d’aventure qui devait être encore en train de gambader ou de courir après un papillon :

-DOUBLEVE ! Mon gros, c’est à toi de jouer ! Fais sortir ce timide inconnu des buiss-

Pour une raison inconnue, la jeune fille sentit un de ses pieds partir en avant, comme entrainé ou trahi par une peau de banane qui traînait malencontreusement par là. Son buste et sa tête partaient à l’opposé du pied, bien qu’ils auraient préféré partir en avant afin d’éviter cette pierre qui fit un bleu énorme à l’épaule gauche. Malheureusement, on ne demande pas plus l’avis aux parties d’un corps qu’à un babouin réclamant la liberté dans un zoo.

Max s’étala donc de tout son long sur le sol avec la grâce d’un éléphant fuyant l’arrivée d’une souris trop petite et menaçante pour lui.

Au loin des couinements aigus et des grognements contrariés, en plus d’un vacarme à faire peur un ours, lui confirma que le Zigzaton ne s’en était pas retourné vers la grotte, mais l’avait bel et bien devancée. Le raton brun et crème courrait derrière un Teddiursa à l’air totalement surpris et effrayé.

Son épaule endommagée arrachait une grimace de douleur à l’adolescente, mais l’excitation brillait dans ses yeux : après trois mois de galère où elle avait peiné à se faire obéir du petit raton récalcitrant et plutôt indépendant, Doublevé avait enfin daigné obéir à un de ses ordres. Cela s’annonçait définitivement très bien cette sortie capture.

-Génial Doublevé ! Charge-le pour l’affaiblir !... Ou alors fais ta boule de poil toute mignonne avec ta queue pour l’affaiblir !... Doublevé ?... Mets-lui un coup d’boule sinon ?... Doublevé, tu m’écoutes au moins ?

… Ou peut-être que non finalement. Le compagnon de la jeune Pyroli n’en faisait qu’à sa tête et ne faisait même pas attention à elle. Il se contentait de courir après le Teddiursa, l’air de s’amuser beaucoup, visiblement.

L’ourson brun et crème, manifestement épuisé et apeuré par l’agression soudaine que lui avait fait subir le raton, finit par sauter dans un autre buisson, dans lequel Doublevé ne le suivit pas. Le petit Pokémon revint vers elle en couinant et en sautillant l’air guilleret.

-Zig ! Zigza ! Ziiiiig !

Max le fixait en silence avec un air absent, presque digne d’un bœuf en train de regarder un train passer. De longues minutes s’écoulèrent avant qu’elle ne prenne la parole avec une voix douce et posée :

-Dis-moi, Doublevé…
-Tooooon ?
-Est-ce que tu as au moins compris ce qu’on est venus faire ici ?
-Ziiig…

Visiblement, non.

-Bon, on récapitule.
-Zig !
-On est en sortie capture, Doublevé !
- Zigza !
-J’ai jamais attrapé de Pokémon, et j’ai pas trop écouté en théorie parce que je pensais que ce serait simple, mais au final non, alors bon… donc, c’est une occasion pour moi d’en faire l’expérience et de m’entraîner. Tu comprends ça, hein, Doublevé ?
-Zig ?

Le petit raton ne semblait pas vraiment comprendre. Peut-être que tout cela ressemblait pour lui à une balade comme une autre, mais à un lieu différent de l’île de Lansat. Max se pinça l’arête du nez en poussant un soupir à moitié agacé. Elle essaya de froncer les sourcils  avec peut-être un peu trop d’exagération et tenta de prendre un air sérieux et sévère, comme sa maman lorsque leur Chacripan faisait des bêtises et qu’il fallait lui expliquer de ne plus en refaire :

-Ce n’est pas un jeu, Doublevé. On se baladera quand on sera rentrés, mais là, c’est très important et il faut qu’on reste concentrés et soudés pour y arriver !
-Zig !

Max soupira de soulagement. Vu son énergie et son entrain nouveaux, il semblait enfin avoir compris. En ébouriffant ses fins cheveux bruns, la jeune fille observa les lieux, encore plus déserts et calmes qu’avant. Le boucan et l’agitation provoqués par Doublevé n’avait pas arrangé la chose. Il valait mieux s’enfoncer un peu plus loin dans les buissons pour être sûr de croiser à nouveau un Pokémon. Et si elle n’en croisait plus de la journée, cela allait vraiment être problématique. Comment se dire capable de surpasser son frère Jeremy si elle n’est même pas capable de capturer un nouveau compagnon alors que cela faisait près de trois mois que son Zigzaton la suivait partout ? Une pointe d’inquiétude persistait malgré tout dans les pensées de l’adolescente.

La Pyroli finit par secouer la tête avec un soupir ronchon et essaya de se remotiver un peu. La journée n’était pas finie, après tout. Elle jeta un coup d’œil à Doublevé qui essayait actuellement de réduire en miettes un caillou entre ses dents. Elle sourit avant de lui lancer d’un ton ferme :

-Allez ! On bouge, Doublevé ! Hors de question de rester assis par terre à attendre !
-Zigza !


Tout en marchant, Max observait le paysage qui l’entourait. L’île Durin était décidément pleine de surprises. La jeune fille était arrivée à un extérieur plutôt boisé complètement par hasard, alors que l’atoll était en majorité un gruyère de galeries que l’on parcourait en long et en large.

L’air frais caressait le visage de la Pyroli et l’odeur de la terre et des plantes lui parvenaient en senteurs agréables. Doublevé était quant à lui juché sur ses épaules  et observait avec attention le monde depuis un point de vue tout à fait nouveau pour le raton normalement haut de quarante centimètres.

Les arbres et les buissons se succédaient sous ses yeux. L’herbe lui léchait allégrement les pieds. Les pensées de la jeune dresseuse ne pouvaient s’empêcher de tourner autour de l’insouciance de Doublevé. Ou plutôt de sa désobéissance ? Si l’on pouvait appeler ça de la désobéissance, surtout… Il n’avait pas l’air de comprendre tout simplement ce qu’elle attendait de lui. Et ça, c’était certainement le plus inquiétant. Elle avait passé les derniers mois à multiplier les recherches pour retrouver cette boule de poil incontrôlable qui partait n’importe où à n’importe quelle heure, mais aussi les balades pour essayer de se rapprocher de lui. Si elle avait réussi à se lier affectivement avec le raton, il restait cependant aussi insaisissable que l’air. Ni dieu, ni maître, comme on dit. Max sentait au fond d’elle-même qu’il manquait quelque chose pour qu’ils soient réellement une équipe. Ce qui l’angoissait encore plus, c’est qu’elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

-Hm… ?
-Zig… ?

La Pyroli s’arrêta soudainement et pencha la tête sur le côté en fronçant un sourcil. Devant elle, entre deux buissons, se tenait… un ballon ? Du moins, cela en avait l’air. Violet et tout bombé, avec une sorte de touffe cotonneuse blanche sur le haut. Max était clairement sceptique et lança un regard à son Zigzaton installé sur ses épaules :

-Hmmm. Etrange, ça. Qu’est-ce que tu en penses Doubl-Doublevé ?!

Le raton avait encore une fois disparu. La jeune fille se retourna vers le drôle de ballon violet avec un mauvais pressentiment.

SBLOUM

Et en soi, elle n’avait pas tout à fait tort puisque son compagnon à fourrure venait de le charger de toutes ses forces en poussant un cri de joie. Max sentit son cœur décrocher  et ses sourcils tressauter de désespoir.

-Ziiiiig !
-Ah…
-Zigzaaaaa !
-NON, MAIS NON !
-Toooooon !
-Baaaauuuu…
-DOUBLEVE, QU’EST QU’ON AV- Baaauuuu ? Depuis quand tu fais Bau ?

Le ballon violet avait bougé. Ou plutôt le Baudrive, que Max reconnaissait à présent beaucoup mieux, puisqu’il était maintenant de face. Et il n’avait pas l’air content. Oh que non. Sa peau lisse d’un violet profond était bombée, comme s’il était prêt à exploser. Ses petits yeux plissés laissaient plutôt penser que son humeur énervée serait peu propice à la négociation.

-Eheh… Haha… Désolée, hein, Doublevé est pas très adroit, haha[size=6]haaaaa, mais pourquoi t’as fait çaaaaa…

Le Baudrive s’illumina  d’une énergie violette inquiétante et de minuscules boules d’énergie se matérialisèrent avant de partir à toute vitesse sur un raton crème et brun guilleret qui courait après sa queue en rond.

Max sentit son sang se glacer en reconnaissant l’attaque Représailles.

-Doublev-

L’explosion qui s’ensuivit désarçonna la jeune fille qui s’écroula sur ses fesses. Elle se couvrit le nez et la bouche et tenta d’apercevoir les Pokémon à travers toute la poussière qui  retombait peu à peu sur le sol.

-Reurgh… Doublevé ? Eh, mon gros, sors de là ! Et écoute un peu ce que je te dis enf-

La Pyroli s’immobilisa soudainement. Le Zigzaton était couché sur le flanc. Il ne bougeait pas d’un poil. La jeune fille sentit un frisson nerveux la parcourir.

-Doublevé ? Eh, Doublevé, arrête de faire l’imbécile, c’est pas drôle !

Ça ne pouvait être qu’une blague. Ça ressemblait bien au raton ce genre de farces. Max tentait de s’en persuader. Vainement. Son compagnon n’avait toujours pas bougé d’un iota.

-Driiiive… !

Le Pokémon baudruche se tenait devant Max et commençait à battre ses minuscules ailes qui tenaient plus lieu à des ficelles qu’à de véritables élytres.  Ce qui ne changeait absolument rien au fait que la prochaine attaque lui était destinée. Un vent violent commençait à se lever et l’adolescente était paralysée par la peur et l’hébétude.  Sous ses yeux, la Tornade prenait forme. Son cœur qui battait à tout rompre jusque-là, sembla manquer un battement et elle ferma les yeux.

Tout se passa alors avec une lenteur détestable.

Elle entendait les bourrasques qui se faisaient de plus en plus violentes. Et elle entendait aussi autre chose. Comme  une sorte de grognement à mi-chemin entre le pépiement d’oiseau et un sifflement rageur.

-Ziiiiiiiig !

SBLAM

Doublevé venait de charger sur le Baudrive en grognant et en hérissant son poil comme un chat apeuré défendrait ses chatons. Max le fixa un instant sans vouloir y croire. Le Pokémon baudruche étant de type Spectre, son attaque n’aurait normalement pas dû lui faire de dommages, comme sa première Charge qui n’avait été qu’une simple pichenette agaçante aux yeux du ballon violet, et encore.

Pourtant, le Pokémon bouboule semblait avoir subi quelques dégâts. Dans ce cas, cela ne pouvait que dire…

-… Que tu as utilisé ton Flair avant de l’attaquer !
-Zigzaaaa !

Le raton la fixait de ses yeux noirs où brillait une détermination féroce, qui n’avait rien à voir avec l’habituelle flemme transperçant normalement ses pupilles. A cet instant, Max comprit ce qu’il avait manqué dans son lien avec Doublevé et que le Pokémon lui montrait à présent dans toute sa splendeur. Toute obnubilée qu’elle était par son désir de surpasser son frère aîné, elle avait fini par en oublier l’attention qu’elle devait porter à son compagnon. Pour former réellement une équipe.

Le Zigzaton l’avait protégée parce que lui, l’avait compris depuis longtemps et qu’il ne pouvait pas faire des efforts que seule la jeune fille se devait de faire.
Un énorme sourire illumina le visage de la jeune dresseuse. Une de ces mines réjouies qui vous rend la journée plus belle encore. Tout en se relevant, elle continuait de fixer Doublevé qui semblait attendre patiemment quelque chose :

-…Okay, j’avais tort… Mais bon, au final, j’ai compris la leçon, non ?...
-Zig.
-… Baaauuuuuu…
-Eh ! Boude pas comme ça, mon gros ! En attendant, est-ce que tu pourrais me faire le plaisir de continuer à retenir ce cher ballon violet en lui assénant un violent Coup d’boule ?
-…Driiiiiiiiveeee !
-FAIS VITE, PARCE QU’IL REVIENT LA !

La baudruche venait de reprendre du poil de la bête et préparait une nouvelle attaque Représailles : une aura violette l’entourait à nouveau et s’amplifiait peu à peu. Malheureusement pour lui, le raton avait été un peu plus rapide et fonçait sur lui, tête baissée, prêt à lui infliger une attaque qui leur infligerait des dommages à eux deux. En quelques bonds, il serait bientôt sur lui.

L’attaque du Baudrive partit cependant quelques secondes avant que Doublevé ne l’atteigne, mais il était assez proche pour se prendre  le choc de l’explosion des boules d’énergie violettes. Doublevé s’écroula par terre, l’air épuisé par les attaques consécutives qu’il venait d’encaisser. Le Pokémon ballon tergiversa quelques secondes en l’air avant de se poser au sol, tout aussi déboussolé par la déflagration proche que son attaque avait causé.

Max attrapa une des Pokéballs qu’elle avait accrochée à sa ceinture. Dans la précipitation, celle-ci lui glissa des mains et elle dut jongler pendant quelques secondes pour rattraper la petite balle rouge et blanche qui lui échappait. En tremblant quelque peu, elle appuya sur le bouton au milieu qui fit grossir la Ball. La Pyroli la lança avec maladresse en direction du Baudrive qui gisait assommé aux côtés du Zigzaton.

Si aujourd’hui, elle n’avait toujours pas réussi à surmonter le mal de mer, ni à se découvrir soudainement un sens de l’orientation extraordinairement développé, elle avait au moins découvert qu’oublier son équipe pour ses rêves n’était certainement pas une bonne chose à faire. En apprenant de ses erreurs, on parcoure bien plus de chemin qu’en réussissant tout le temps, parait-il. Seul le temps pourra en témoigner !

Cling

Max se découvrit les yeux de ses mains et fit un pas prudent vers la Pokéball qui venait de retomber sur le sol et bougeait quelque peu. Elle jeta un coup d’œil à droite. Puis, à gauche. Elle refit un pas pour enfin se pencher et attraper la ball qui avait arrêté ses mouvements.

La sensation du métal sous ses doigts et la courbe de la ball de capture lui donnèrent des frissons. Frissons qui se transformèrent en une joie débordante alors qu’un sourire éclatant étirait ses joues. Elle se laissa tomber sur le dos avec un rire euphorique et la tête pleine d’une fête lancinante et aussi pleine de vie qu’une danse latine.

-Doublevé ! Réussi ! On a réussi ! Hahaha, c’est génial, Doublevé !

La Pyroli se releva soudainement, sa joie laissant place à de l’inquiétude et regarda directement dans la direction où Doublevé devait se trouver, étendu de tout son long. La jeune fille se sentit sotte de ne pas s’être inquiétée plus tôt pour son compagnon d’aventure. Au lieu de cela, elle trouva un raton toujours couché sur le ventre, en bien mauvais état, mais toujours conscient, bien qu’il soit incapable de se lever et profite de l’herbe fraîche qui caresse son museau noir. Il poussa un gémissement qui se voulait rassurant :

-Zig…

L’adolescente sentit un sourire légèrement triste étirer ses lèvres et ses yeux se teintèrent d’un regret sombre. Elle se releva en époussetant ses vêtements et s’approcha un peu plus du pauvre Doublevé qui semblait dans l’incapacité de se déplacer.

La sensation de la fourrure douce, mais arrachée de quelques touffes à certains endroits lui donna les larmes aux yeux. Max serra avec force le raton brun et crème contre elle en sanglotant doucement, tandis que ce dernier s’occupait à lui lécher doucement la joue avec affection :

-Uuuuh, désoléééééeee, Doublevééééé !...
-Tooooon !
-J’suis désolée mon gros… Tu m’en veux beaucoup pour c’que j’ai fait ?
-Zigzaaa !

Le Zigzaton fixait la Pyroli avec des yeux doux, tandis qu’il mordillait doucement quelques mèches de ses cheveux. La jeune fille sourit légèrement, donna une dernière étreinte à son compagnon poilu avant de le déposer délicatement dans sa sacoche. Le vent soufflait doucement et l’endroit était redevenu aussi calme qu’avant la tempête que le combat entre les deux Pokémon avaient déclenchée. L’adolescente s’étira tout en baillant. Finalement, faire une pause, ce n’était pas si mal. Mine de rien, tout cela l’avait bien épuisée, bien que cela ne soit pas comparable à l’état de Doublevé. Ce dernier s’était assoupi en boule dans la sacoche de la jeune élève. La tête brûlée eut une grimace en pensant à quel point son sac allait être lourd sur le retour.

La Pokéball avec laquelle elle avait attrapé le Baudrive était toujours dans sa poche. Max la sortit pour la recontempler avec un brin d’inquiétude, mais aussi d’appréhension. Doublevé lui avait été donné lors de son arrivée à la Pokémon Community et ils avaient réussi tous deux à se lier très rapidement, malgré toutes les difficultés qu’ils avaient pu rencontrer. Là, c’était largement différent puisque Max avait capturé la baudruche plus ou moins contre sa volonté. Le fait que le Pokémon ballon lui obéisse en était plus qu’incertain. La jeune fille s’ébouriffa les cheveux d’une main en soupirant :

-Bon… Comme on dit, qui ne tente rien, n’a rien !

Elle appuya sur le bouton du milieu pour laisser le Baudrive sortir de la Ball dans un rayon rouge lumineux. Et la tête qu’il faisait ne lui paraissait pas de bon augure, bien que le Pokémon avait l’air beaucoup plus pacifique à présent. Il semblait tout simplement vexé, si ce n’est pas dédaigneux.

-Haha… Hahaha. Reeeebonjour du coup ! Moi c’est Max ! J’suis heureuse que t’ais intégré l’équipe, mon gars !

Aucune réponse. Malaise pesant.

-Hahaaaa. Hahaha… Ou alors t’es une fille ?...Non… ?

Le ballon violet fronça ses petits yeux noirs avant de les refermer avec un air de mépris pour
répliquer avec un grognement fluet :
-Bau.
-HAHA. JE LE SAVAIS QUE T’ETAIS UNE FILLE, C’ETAIT OBLIGE – hum, pardon – ça fait longtemps que euh.. Tu vis dans cette forêt ?
-Baaauu.
-Oh.

La baudruche ne semblait pas démordre d’un seul point et Max se sentait totalement dépitée, voir même désarçonnée. Elle savait que la capture n’avait pas été de euh… Toute douceur, mais bon, que sa nouvelle partenaire soit aussi froide la laissait quelque peu déconfite.

-Hmmm… Comment je vais bien pouvoir t’appeler ?
-…Baaauuu ?
-Boulby ? Bomby ?... Baddy ?
-…
-OH, AH, EUH, JE SAIS ! BOO ! J’vais t’appeler Boo ! Qu’est-ce que t’en dis, hein ?
-Baaauu ?

La Baudrive flotta pendant quelques secondes avec un air hésitant, puis elle reprit son semblant de dédain naturel. Max esquissa un grand sourire avant de reprendre avec joie :

-Bon, c’est décidé alors ! A partir de maintenant, tu seras Boo ! Et même si t’as pas l’air de beaucoup m’aimer pour le moment, j’suis sûre qu’on pourra devenir supers potes !
-Baauuu.

La Pyroli se releva avec la joie au cœur et un voile de légèreté sur les épaules. Le reste n’allait pas être une partie de plaisir, mais la difficulté fait toujours partie de la vie que l’on soit dresseur ou non. Pour le moment, la jeune fille avait surtout hâte de rentrer à l’école pour se reposer tranquillement et s’occuper de son pauvre Doublevé qui continuait de pioncer comme un loir dans son sac. Même si le voyage n’allait certainement pas être de tout repos !