Dans le ciel sans le moindre nuage, le soleil était désormais au plus haut et sa douce chaleur en ce mois d’hiver n’était clairement pas de refus. Même pour Obéline qui profitait de l’occasion pour se laisser chauffer au soleil pendant leur balade sur l’île mouvante, abandonnant traditionnels pull et écharpe. Cela faisait une vingtaine de minutes qu’elle avait quitté son professeur et elle et sa petite troupe n’avait pas encore croisé le moindre pokémon. Mais grâce aux douces températures et à la beauté du paysage qu’ils parcouraient, Obéline ne s’en inquiétait guère. Elle préférait profiter de ce moment presque magique entre elle et ses pokémons, plaçant son nouveau problème nommé Sonistrelle dans les oubliettes de son esprit.
Il faut également préciser qu’avec l’animation que ses compagnons provoquaient sur leur passage, n’importe quel créature douée d’un minimum d’intelligence préfèrerait rapidement les éviter. Entre la Goupix qui lançait une flammèche à quiconque osait s’approcher de trop près de sa dresseuse, l’Emolga qui coupait tous les feuillages sur son passage les laissant tomber sur le crâne du Scarabrute qui les tranchait en fins morceaux à l’aide de ses pinces pour éviter qu’ils encombrent le sol et le Psykokwak qui lançait hasardeusement des attaques choc mental… Aucun être n'allait s’approcher d’eux.
Aucun.
Sauf un.
Depuis un petit moment, un petit oiseau tout feu tout flamme les observait depuis la jungle. Discret, il les avait suivis, se cachant derrière les immenses palmes des arbres locaux. Il voudrait les rejoindre. Depuis longtemps, il rêve de s’envoler vers de nouveaux horizons, de faire partie d’une équipe, de rencontrer de nouvelles créatures et même de devenir amis avec elles ! Tel était le rêve de ce petit Plumeline. Seulement, les visiteurs étaient plus que rares sur cette île et jamais il n’avait eu le courage de s’élancer seul au dessus des océans pour quitter sa région natale. Mais aujourd’hui, les choses pouvaient changer ! Enfin il pouvait prendre son destin en aile !
Il ne savait pas trop comment les approcher. Il hésitait, se sentant soudainement bien impressionné par une si belle et grande (?) équipe. Pourrait-il en faire partie ? Pourrait-il rendre fière sa dresseuse ? Se ferait-il des amis ? C’était son rêve qui se jouait là ! Il devait faire le premier pas ! Le petit oiseau se calma donc, respirant de grandes bouffées d’air puis s’élança.
Devant Obéline et ses compagnons, un nouveau pokémon surgit des feuillages de la forêt et se posa devant eux. Il les observa, s’amusant un peu de leur surprise, puis les salua magistralement. Ce pokémon possédait un vrai sens de la mise en scène ! Un pokémon rêvé pour toute coordinatrice et Obéline s’en rendit compte immédiatement. Elle n’avait jamais vu une créature pareille et se douta qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce, ce que son ipok lui confirma rapidement.
▬ Un plumeline… Je vois… Elle leva ses yeux de son pokedex et sourit au bel oiseau. Et tu voudrais rejoindre mon équipe c’est bien ça ?
Ravi d’entendre ces mots qu’il n’osait espérer, le volatile secoua vivement sa tête, oubliant ses manières maniérése dans l’excitation du moment. La dresseuse lui sourit de plus belle.
▬ Et bien dans ce cas j’imagine que je n’ai plus qu’à te souhaiter la bienvenue parmi nous !
La gamine saisit donc entre ses doigts une des pokéballs que contenait son sac et l’envoya sur le Plumeline, absolument ravi de pouvoir rejoindre l’équipe. Il observa de ses grands yeux pleins d’étoiles la pokéball se rapprocher de lui, s’ouvrir et… laisser apparaître dans un rayon de lumière rouge un pokemon blanc et rose pâle qui sans prévenir fonça sur lui. Complètement désorienté, se sentant également trahi par la dresseuse qu'il voyait déjà à ses côtés au sommet, le Plumeline ne put rien faire contre l’attaque dévastatrice du Sonistrelle qui se rua sur lui pour le mordre et le griffer, tout en émettant un son strident qui rendit fou de tristesse comme de rage le pauvre Plumeline.
▬ NOOOON ! SONISTRELLE ARRÊTE !
Mais le pokémon n’écoutait pas. Sous les yeux ahuris de la plupart de ses pokémons qui ne l’avaient encore jamais vu, Obéline courut ramasser la pokéball qu’elle avait envoyé sur le Plumeline pour rappeler à l’ordre son nouveau désastre… Elle savait très bien ce qui s’était passé… Sur le Lokhlass, dans la précipitation, elle avait rangé la pokéball qui avait servi à emprisonner le Sonistrelle dans la poche de son sac contenant ses pokéballs vides… Et voilà où sa négligence les avait mené… Quelle idiote ! Obéline jura contre elle même lorsqu’elle rappela le nouveau venu dans sa pokéball. Seulement, ce dernier n’avait clairement pas l’intention de se laisser emprisonner à nouveau, lorsqu’il vit arriver sur lui le rayon lumineux, il l’esquiva et s’envola vers la forêt abandonnant sa victime comme sa dresseuse.
▬ Mais non, c’est pas vrai…
Son pokémon venait de s’enfuir mais elle ne pouvait pas le rattraper comme ça, elle voulait d’abord soigner le petit oiseau. Elle allait se précipiter vers le Plumeline gravement blessé lorsque venant de la jungle, une myriade d’oiseaux rouges, semblables à celui tristement étendu au sol, lui fit barrage dans un brouhaha de piaillements enragés. Il faut savoir que ce pauvre Plumeline n’était pas le seul à épier Obéline et son équipe. Derrière lui, comme depuis toujours sa famille, ses amis, toute sa colonie le soutenait, l'encourageait à avancer, à prendre son envol ! Ils étaient avec lui, dans l’ombre des coulisses lorsqu’il s’avança courageusement vers cette dresseuse. Ils étaient tous heureux, presque autant que le principal intéressé. Ils se souvenaient de lui, encore jeune oiseau, leur racontant ses rêves d’aventure avec toujours la même passion et enfin il allait pouvoir accomplir son destin. La larme à l’oeil, ils observèrent son échange avec la jeune humaine, émus de voir enfin leur poulain s’envoler de ses propres ailes. Alors lorsque le monstre rose et blanc sortit de la pokéball et se mit à attaquer leur protégeé le choc les empêcha dans un premier temps d’agir. Ils ne comprenaient pas la trahison, la disgrâce dont ils venaient d’être témoins et victimes.
Lorsque la traîtresse rappela sa… sa…. chose cruelle qui finalement partit ailleurs -bon débarres - et qu’elle osa s’avancer pour achever leur ami, tous s’envolèrent furieux, prêt à le défendre et surtout… le venger.
Obéline stoppa net sa course devant le mur de Plumelines qui lui faisait face. Le spectacle d’une cinquantaine d’oiseaux de feu battant des ailes devant elle était magnifique mais elle n’avait guère le temps de l'admirer. Il ne fallait pas être un génie de perspicacité pour se rendre compte que très clairement ces oiseaux n’étaient pas amicaux. Elle voulait pourtant faire un pas en avant. Elle voulait leur expliquer que tout ceci n’était qu’un malentendu, qu’elle était plus que désolée. Jamais elle n’avait voulu faire de mal à leur congénère. Bien au contraire elle se faisait une joie de l’accueillir dans son équipe, d’apprendre à le connaître, de s’en faire un ami.
Mais il était trop tard.
Trop tard pour le pardon.
Trop tard pour la rédemption.
Il ne lui restait plus qu’une chose à faire : fuir.
Elle savait que d’une seconde à l’autre les oiseaux allaient se jeter sur elle comme dans un film Hitchcockien et pourtant son corps ne bougeait pas. Elle ne pouvait se résoudre à abandonner le petit pokémon blessé sans rien y faire, sans s’excuser, sans essayer de l’aider. Mais la volée de plumes n’avait que faire de ses remords. Les premiers commençaient à s’élancer sur elle, toujours figée sur place. Alors que ses pokémons la tirait en arrière pour qu’elle évite l’attaque, le plus faible d’entre tous quitta les bras de sa dresseuse pour faire front. Pour la protéger, le petit et faible Doudouvet, le regard plein de détermination, était prêt à se sacrifier.
Il ne jouait pas les héros, il en était un.
Alors Obéline sortit de sa tétanie. Risquer sa vie oui, risquer celle de ses pokémons non. Elle se jeta sur son petit coton, le prit dans ses bras et courut à toute vitesse avec ses autres compagnons dans la direction opposée. Bien vite la distance entre eux et la volée de Plumeline se réduisit dangereusement. Obéline sentait dans son dos l’air brassé par les ailes des oiseaux. Dans peu de temps ce serait leur bec et leurs griffes.
▬ TOUT LE MONDE DANS LA JUNGLE !
Sur ces mots, Obéline se précipita sur sa gauche, s’engouffrant dans l’étouffante forêt tropicale. S’ils voulaient semer leurs assaillants volants, la densité de la jungle ne pouvait être que leur meilleur allié. Ils coururent pendant une dizaine de minutes, Bouddha récupérant le canard épuisé à mi-parcours sous un bras et lorsque le dernier cri de Plumeline disparut, ils s’arrêtèrent enfin, épuisés. La gamine fit rapidement le compte, un, deux, trois, quatre, cinq… Ils étaient tous là. Sauf un évidemment. Elle observa autour d’elle. Elle était en plein coeur d’une jungle sans aucun repère. Autrement dit…
Perdue.
Mais il n’était pas dans caractère d’Obéline de paniquer si facilement. Une fois le souffle retrouvé et une bonne gorgée d’eau avalée, elle en donna à ses pokémons et se releva.
▬ Bon j’imagine que je vous dois quelques explications… Le Pokémon que vous avez vu tout à l’heure, c’est celui de l’oeuf, c’est un Sonistrelle et on va dire… qu’on va avoir quelques soucis avec lui je pense…
Euphémisme quand tu nous tiens.
▬ Donc je vous propose qu’on aille à sa recherche.
Devant la mine déconfite de Pixi et d’Ekko, elle ajouta :
▬ Car oui que vous le vouliez ou non, pour l’instant il fait parti de l’équipe et il est hors de question que je le laisse causer plus de dégâts !
Elle avait encore en tête le corps gisant du Plumeline sur le sable. Lui qui avait l’air si ravi de la rejoindre… Elle s’en voulait terriblement, encore plus lorsqu’elle s’imaginait ce que ce pauvre pokémon pouvait penser d’elle… Elle se retourna et sécha les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle ne voulait pas se montrer faible devant ses pokémons, bien qu’ils ne soient pas dupes et qu’elle en avait parfaitement conscience. Elle respira un bon coup et entama la marche le coeur lourd. Elle ne voulait clairement plus revivre ni même revoir un tel cauchemar. Elle devait arrêter le monstre qu’elle avait libéré avant qu'il ne soit trop tard.