Son reflet en face d'elle, Salomé arrangeait ses cheveux tant bien que mal. Tantôt attachés en une haute queue de cheval, tantôt relâchés le long de sa nuque, sans savoir quoi décider.
Ce n'était qu'une coupe pourtant. Pour un soir, pas pour la vie.
L'élastique le long de son poignet, la demoiselle observait sa tenue, bien trop banale pour un jour comme celui-ci. Un simple pantalon et un chemisier bleu marine mettant tout juste en valeur son teint pâle. Non vraiment, elle ne faisait aucun effort. Saint-Valentin ou non.
Pourtant, elle aurait pu.
Tout comme elle aurait pu envoyer cette maudite lettre à Ranya il y a quelques jours. Le brouillon se perdait encore dans son ordinateur, destinataire et expéditeur remplacés avec les noms de scène que les demoiselles s'étaient choisies lors d'une mission commune.
Mu et Nu.
Mais elle n'avait pas su aller jusqu'au bout.
Comme toujours.
Elle se détourna du miroir, lui préférant une chaise qui croulait sous les vêtements. Les siens, bien sûr, ceux d'Erika étaient parfaitement alignés dans son armoire, cintrés ou pliés, n''attendant plus que la diva pour la faire briller. Diva absente, encore, ce qui fit naître un sourire à Salomé tandis qu'elle se rappelait le mot envoyé à sa colocataire pour cette St Valentin. Rien d'exceptionnel, juste quelques phrases bien choisies pour lui rappeler à quel point ses absences étaient précieuses pour Salomé.
Et un peu pour Ana, il fallait bien l'admettre.
Elle attrapa son iPok, hésitant à naviguer sur le site de l'association des Love Boats histoire de voir ce que cette avalanche d'amour pouvait bien donner.
Ou de haine, elle n'en savait rien.
Mais elle se souvenait de ce qu'elle avait écrit, se rappelant qu'Erika avait été la seule à profiter d'un mot doux et affectueux de sa part. Puis elle eut un haussement d'épaules, observant Django endormi sous la chaise, se demandant un bref instant pourquoi son Pokemon n'était pas en compagnie de Phoën puis balaya cette question d'un revers de main. Cela ne la regardait pas.
Il n'y avait plus que le souffle régulier du Feurisson et le bec acharné du Picassaut pour éveiller le silence de la pièce. Et Salomé qui martelait le bois de sa table à l'aide de ses ongles trop longs, bondissant presque alors que trois coups brefs retentirent à la porte. Elle tourna la tête, patientant avant de se lever, espérant secrètement que le visage de Ranya se découvrirait de l'autre côté.
Mais elle ne lui avait pas envoyé de lettre.
Et elle imaginait mal la blonde avoir pris une quelconque initiative.
Salomé se leva malgré tout, les jambes lourdes et le cœur quelque peu brûlé par cet espoir qui lui empoisonnait les veines. La main sur la poignée, la faisant tourner doucement, comme pour savourer un peu plus l'attente.
Et les cheveux verts d'Ana face à elle.
Elle aurait dû s'en douter.
C'était plus que prévisible.
C'était stupide de sa part d'avoir cru le contraire. Plus stupide encore de se retrouver face à Ana sans avoir encore rien dit, sans avoir rien préparé pour la Saint-Valentin, sans lui avoir rien écrit.
Du rien à portée de main, elle en avait plein à revendre.
— Ana ?
C'était stupide et d'une banalité. Bien sûr que c'était Ana, elle le voyait bien. Ana et sa peau chocolatée, Ana et sa chevelure atypique, Ana et ses Pokemon Vol partout où elle passait. Juste Ana.
Mais à quelques lettres près, cela aurait pu être Ranya.
Il avait fallu qu'elle soit en couple avec Ana et la voilà sur le pas de sa porte maintenant.
Depuis combien de temps la rousse continuait-elle d'entretenir l'illusion ? Six mois ? Plus, peut-être ? Et presque autant de temps qu'elle avait promis à Ranya de faire le nécessaire, pourtant, il n'y avait toujours rien, pas la plus petite amorce, aucune étincelle, rien menaçant de s'embraser.
Juste une vie de couple des plus banales pour une adolescente mais dépourvue d'amour pour Salomé.
Elle savait la verte plus romantique qu'elle ne le serait jamais et ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur ses motivations exactes, et surtout si elle avait ou non préparé quelque chose pour ce jour dédié aux amoureux.
Salomé, elle, n'était pas même fichue d'écrire une lettre, alors plus, c'était bien trop lui demander.
Elle ouvrit plus en grand la porte, lui faisant signe d'entrer pendant que le type Feu s'étirait et ouvrait un œil puis un second dans un coin de la chambre.
— C'est à cause de la St Valentin, c'est ça... ?
C'était ça.
Elle n'avait même pas besoin de poser la question.
La rousse se contenta d'avancer pour s'asseoir sur la chaise qu'elle avait quittée quelques minutes plus tôt.
Elle ignorait ce que la Mentali avait en tête pour ce jour particulier.
Mais Salomé, elle, c'était Ranya qu'elle avait en tête.
Salomé n'avait rien prévu, elle.
Elle observa la fleur aux pétales trop rouges et aux feuilles trop vertes, le tout glissé dans un film plastique pour éviter de se piquer à la première épine venue. Mais la rousse ne craignait pas les épines, loin de là. Elle garda quelques instants cette fleur qui suintait l'artificiel avant de la déposer dans un coin, nonchalamment, écoutant Ana d'une oreille distraite.
Ana et ses histoires de lettre d'amour, lettre que la rousse n'avait pas vue et qu'elle n'avait pas même envie de voir. À n'en pas douter que de son côté, la verte espérait une lettre similaire et sans doute avait-elle jeté un coup d’œil au site ou au tableau pour voir si sa belle lui avait écrit un mot ou deux.
— Toi par contre, t'as dû voir que j'avais rien écrit... Et j'ai rien à t'offrir aussi.
Pas même l'un des mensonges dont elle avait le secret. Il n'y avait plus rien en jeu maintenant, la rousse avait le sentiment d'avoir obtenu tout ce qu'elle désirait de la part de la verte, et plus encore. Elle avait profité de son corps et su blesser Logan à travers elle. À aucun moment, elle ne songeait gagner autant le jour où cette idée saugrenue était venue frapper son esprit ; se mettre en couple avec Ana.
Finalement, la rousse abandonna la chaise, se hissant sur le bureau pour s'y asseoir et gagner un peu plus de hauteur pour être en face des yeux de l'Alolienne. La demoiselle lui désignait la chaise si elle la voulait tandis que les mots de la Coordinatrice ne parvenaient pas à s'imprimer en Salomé. Mais la St Valentin revenait, encore et toujours, fête qui n'inspirait rien à la rousse, elle incapable de supporter un jetaimesalomé sans défaillir.
— Y aura pas de film, Ana.
Il n'y en aurait plus.
Pas comme ça.
La rousse s'était toujours imaginée ce moment, l'inventant de toutes pièces, inversant les rôles parfois en espérant que la verte prenne les devants. Mais rien, comme toujours, et le conte de fées, simple illusion, avait suivi son cours, et ce jusqu'à ce que Salomé ouvre la bouche ce soir.
Pour la Saint-Valentin.
Y avait-il pire moment que celui-ci ? Etait-ce volontaire de la part de la rousse ? Le visage de Ranya continuait de remplacer celui d'Ana, le vert laissait sa place au blond et la peau métisse devenait pâle.
Mais c'était toujours Ana qu'elle avait sous les yeux.
C'était cela qui lui faisait le plus mal.
— On s'arrête là.
C'était un nouveau coup qu'elle portait à Ana à chaque nouvelle phrase. Mais ce n'était plus son problème, elle ne faisait que réaliser le service qu'elle devait à Ranya et rien d'autre. Si Salomé ne pouvait en avoir qu'une, c'était Ranya qu'elle choisissait, et ce malgré tout ce qu'elle avait pu vivre et partager en compagnie d'Ana.
Elle n'avait été qu'un nouveau jouet pour Salomé, et plutôt que le temps s'occupe de l'abîmer, elle le jetait, s'en détournant pour s'en trouver un nouveau. Toute cette romance ne l'amusait plus.
— Y en a qui t'ont avertie, pourtant, qui t'ont dit que c'était une mauvaise idée de finir dans mes bras... Mais t'as rien écouté... Tant mieux pour moi, hein ?
Nouveau point commun entre Yuna et Ana ; les deux filles étaient incapables de suivre les conseils qu'on leur prodiguait. Elle ignorait encore ce qu'elle dirait ou non à Ana mais cela semblait bien parti pour être plus qu'une simple rupture. Parce que la rousse voyait toujours les choses en grand et qu'il lui fallait toujours plus de théâtralité, difficile d'imaginer cet acte final concernant Ana avec de simples banalités comme elle aurait pu en dire à la pelle.
— Tu t'en souviens du « Je t'aime, Ana » ? Ça aussi, c'était facile. Trop peut-être. Tu crois le moindre mot, Ana, la moindre petite étincelle qui pourrait illuminer un peu plus ton cœur, lui assénait la rousse sans quitter son regard, je pourrais recommencer, là, tout de suite. Et il n'aurait pas plus de valeur que le précédent, lui non plus n'existerait pas car au fond, il n'y a pas de « Je t'aime, Ana ».
Est-ce qu'elle comprenait que tout n'avait été que mensonge depuis le début ? Est-ce qu'elle s'attendait à un retournement de situation pour lui expliquer que tout ceci n'était qu'une vaste blague, qu'il ne viendrait jamais à Salomé l'horrible idée de rompre le jour de la Saint-Valentin ? Mais pour qu'il y ait véritable rupture, il aurait déjà fallu que Salomé se considère véritablement en couple avec Ana, ce qui n'avait jamais été le cas.
Un jouet de plus à qui elle tordait le cou.
— Merci quand même, Ana.
Merci de lui avoir permis d'atteindre Logan.
Merci de l'avoir laissée expérimenter les plaisirs charnels.
Merci de lui avoir donné un semblant de chaleur.
Dommage que cela n'ait marché que dans un sens, c'était là toute la tragédie de ce couple qui n'en avait jamais été un.
— Tu peux partir, maintenant.
Ou rester pour hurler ou s'énerver, tout cela était égal à Salomé qui venait de détourner son regard et de bondir loin du bureau pour ranger quelques vêtements qui traînaient ici et là.
Ana n'était pas même encore partie que Salomé l'ignorait déjà.
C'était à se demander ce qu'Ana faisait encore là. La porte, c'était plus loin, juste derrière elle, il lui suffisait de se lever de la chaise et de marcher quelques mètres pour faire demi-tour et ne plus revenir dans cette chambre.
Mais elle ne bougeait pas, se contentant de balbutier question sur question, sa voix tressautait parfois, elle semblait au bord des larmes mais la rousse ne lui jetait plus un regard, même son rangement avait plus d'importance dans l'immédiat.
Pauvre Ana.
Vraiment, elle ne méritait pas cela. Quelle idée de s'enticher de Salomé, oui. Quelle idée de la croire mais comment l'en blâmer ? La rousse avait ce côté hypnotique et manipulateur dont elle ne savait pas se départir, l'usant dès que possible, comme pour atteindre des limites qu'elle n'avait toujours pas trouvées.
— Tu comprends toujours pas ? Faut vraiment que t'enlèves tes œillères histoire de pouvoir enfin y voir clair, Ana.
Salomé se retourna, posant son regard de braise sur une Ana toujours aussi immobile, visiblement en pleine lutte intérieure pour ne pas exposer sa peine aux yeux de son bourreau. Qu'elle pleure ou non, c'était égal à Salomé. Ça l'était un peu moins à Algernon qui avait fini par se rapprocher de la désormais ex de sa dresseuse, frottant sa tête miniature et ses plumes douces à souhait contre la joue d'Ana. La gitane observa la scène sans rien dire, posant les vêtements pliés sur le lit avant de reprendre :
— J'avais juste envie de faire mal à Logan. Rien d'autre. Sauf que je me suis prise au jeu, à cette vie de couple, c'était nouveau pour moi et pas désagréable, faut bien l'avouer... fit-elle avec un léger sourire en se rappelant sa découverte du corps d'Ana pour son quinzième anniversaire, mais même moi, ça a fini par me lasser, de faire semblant. Alors on arrête là, ça vaut mieux pour nous deux.
Bien sûr que c'était tout sauf désagréable, ça l'aurait été encore plus si Ana n'avait pas servi de chair à canon, un dommage collatéral de plus dans la croisade anti-Logan de Salomé. Croisade qu'elle avait atténuée, même si elle n'avait pas pu s'empêcher de cracher son venin de manière anonyme lors de l'activité organisée par les Love Boats.
Il y avait Ana et son amour contre Salomé et sa haine.
C'était à se demander comment l'Alolienne avait pu tomber amoureuse de la rousse tant elles étaient si différentes. Encore une fois, Salomé avait fait du bon travail, manipulant autrui de son mieux sans se soucier des dégâts qu'elle pouvait faire ensuite.
Dégâts bien présents dans les prunelles d'Ana.
— Tu croyais quoi ? Que toi et moi, ce serait pour la vie ? T'as cru ça aussi quand tu étais avec Logan ? Grandis un peu, Ana. Les contes de fée, ça n'existe pas.
Tout comme l'amour que portait Salomé à Ana.
Il n'y avait plus que du vide entre elles. Et une immense déchirure dans le cœur de l'Alolienne, un gouffre sans fond, si seulement Salomé était capable de le voir, tout aurait pu être différent. Mais c'était elle qui avait des œillères, elle incapable de faire attention aux autres, elle toujours qui suivait ses propres règles et se guidait selon son propre plaisir.
Désolée, Ana.
Vraiment, elle ne méritait pas ça.
Et Ana ne lâchait rien, souhaitait entendre de la bouche de la rousse que tout n'avait été que mensonges. Comme si ce n'était pas assez clair avec tout ce que la demoiselle venait de proférer, instillant un peu plus son venin en Ana déjà blessée, presque à terre.
— On s'appréciait pas plus que ça et du jour au lendemain, je me suis rapprochée de toi et t'as pas trouvé ça louche... ? T'étais en manque d'amour et paumée, alors oui, je t'ai servi des mensonges pour que tu me croies et fasses un bout de chemin avec moi.
Le bout de chemin était devenue un sentier. Lisse et loin des falaises mais le voici escarpé et au bord de la ruine désormais. Salomé s'en était éloignée, ne craignait plus rien, mais voici Ana seule dans sa traversée maintenant.
— Aujourd'hui, on est à la croisée de notre chemin. Moi je pars à gauche, et toi, va où tu veux. Mais pas avec moi.
Elle lui rendait sa liberté.
Peu importait la nouvelle direction d'Ana, tant qu'elle ne la suivait pas. La rousse, elle, souhaitait juste se diriger vers Ranya et rien d'autre.
Pourtant, Ana comme Salomé devrait le savoir ; il n'y a pas d'amour heureux.
Les mots glissaient contre Salomé ; insultes à peine dissimulées, piques lancées pour être blessantes et au milieu de tout cela, les yeux humides d'Ana qui n'avaient pas échappé à Algernon. La sincérité, Salomé ne connaissait pas. Elle se contenta de hausser les épaules face à cette nouvelle phrase, observant les quelques pas d'Ana en direction de la porte, la couvant une dernière fois de son regard de braise tandis qu'autour de son cou pendait toujours le pendentif en forme de flamme qu'elle possédait depuis son anniversaire.
Elle se préparait à voir Ana disparaître mais la verte choisit de s'arrêter un instant, un nouveau moment, pour lui lancer une nouvelle pique qu'elle espérait violente et blessante. Pique qui fit diriger le regard de la gitane vers le concerné, Algernon.
Elle le savait déjà, tout cela.
Elle n'avait pas eu besoin de la Coordinatrice pour s'en rendre compte.
Et elle laissa Ana s'en aller comme elle était venue, les larmes et le cœur brisé en plus. La rose reposait toujours dans un coin de la pièce, rien ne semblait avoir changé hormis le désordre qui s'était défait et la fleur que la demoiselle attrapa entre ses mains, s'avançant vers la poubelle avant d'être interrompue par Django :
— Quoi ? Si tu la veux pour Phoën, vas-y, prends-la.
Elle, elle n'en avait pas l'utilité.
Pas même pour Ranya qu'elle s'apprêtait à aller voir maintenant qu'elle avait tenu sa promesse, ou plutôt son service, avec six mois de retard.
Mais il pouvait s'en passer des choses, en un semestre.
Peut-être était-ce déjà trop tard pour être avec Ranya.
La rousse se regarda une nouvelle fois dans le miroir, ne se préoccupant pas de son Feurisson qui s'en était allé avec la rose entre ses crocs, sûrement pour fêter sa Saint-Valentin à lui, en espérant qu'elle ne se finisse pas comme celle de sa dresseuse.
Il y avait toujours la question du pendentif, aussi.
La rousse le détacha de la chaîne, ne gardant que la flamme pour l'ajouter aux autres trésors qu'elle avait accumulés depuis sa scolarité à la Pokemon Community. Le voici perdu entre la plume rouge de la Flamenco et la Griffe Rasoir qu'elle conservait pour Faulkner. Toutes ces babioles sans aucun lien entre elles autour du cou, cela faisait bizarre mais c'était Salomé.
Là, elle sortit, inconsciente de la tempête qui avait soulevé le cœur d'Ana quelques instants plus tôt, cette même tempête qui l'avait poussée à traverser le dortoir telle une furie et qui paraissait encore faire résonner les murs de sa chambre suite à la porte claquée.
Elle se contentait d'avancer jusqu'à la chambre de Ranya. Au fond, elle aurait peut-être dû prendre cette rose avec elle, cela aurait au moins fait rire la blonde à défaut de lui faire plaisir. Mais là encore, elle venait sans rien, car c'était ce qu'elle savait le mieux offrir, et c'était ce qu'il y avait de plus facile à prendre.
La voilà dans le rôle d'Ana quelques minutes plus tôt.
Face à la porte, elle toque doucement, ne savait même pas si Ranya se trouvait bel et bien à l'intérieur, pas même si elle s'était trouvée quelqu'un depuis cet été.
Mais elle s'en serait rendue compte, non ?
Ce bleu sur le blanc du haut de Ranya lui allait à ravir.
Il y aurait eu mille choses à penser en cet instant ; la Saint-Valentin ou Ana, sa rupture ou les mots de l'Alolienne. Mais il n'y avait plus que Ranya face à elle, cette blonde qu'elle s'était contentée de croiser au fil des couloirs, main dans la main avec celle d'Ana, lui jetant des coups d’œil à la dérobée, y songeant souvent.
Mais toujours entravée par son mensonge de couple, mensonge qui venait d'éclater aujourd’hui, brisé en morceaux sur lesquels la rousse avait toutes les peines du monde pour ne pas se blesser au moindre faux pas.
Et avec cette Ranya qui savait déjà, paraissait savoir, la danse s'annonçait difficile et délicate. Mais voilà une Salomé à peine hésitante qui entrait enfin dans la chambre de la blonde, elle en avait tant rêvé, enfin l'occasion se présentait à elle.
La gitane avait espéré des retrouvailles plus chaleureuses mais moins formelles.
C'était sans compter sur l'ouragan Ana qui bousculait toutes ses pensées.
– J'étais censée t'apprendre quelque chose que tu ne savais pas, commença Salomé en prenant place sur le lit, jambes croisées, mais il faut croire que mes mots ont fait plus de bruit que prévu...
Et surtout plus de dégâts.
Comme si elle ne s'y attendait pas.
Un fin sourire se dévoilait le long des lèvres de la rousse. Oubliée Ana, évaporée l'Alolienne, ne restait plus que le souvenir de son passage et de ses yeux irrigués auprès de Salomé.
La rousse ne pouvait se résoudre à imaginer cette rupture vaine. Et pourtant, c'était un cas de figure comme un autre, un de ceux auxquels elle se préparait depuis ce service exigé par la danseuse. Service exécuté avec six mois de retard.
– Je t'avais bien dit que rompre par texto, ce n'était pas moi... Quoique ça aurait p'têt été préférable pour éviter cette discussion.
Pour le moment, la Médecin était seule à parler et elle n'attendait qu'une chose ; que la Scientifique prenne à son tour la parole. Elle ignorait tout de ce que Ranya avait pu faire pendant ces six derniers mois, et même si Salomé avait vécu un amour faux avec Ana, Ranya, elle, s'était peut-être lassée d'attendre, préférant se fier à quelqu'un d'autre.
Si seulement il y avait au moins un soupçon d'amour entre ces deux-là.
– Satisfaite ? Joyeuse Saint-Valentin.
Mais Salomé n'avait plus personne avec qui célébrer cette maudite fête. Elle avait tant songé à laisser un mot doux à Ranya grâce à l'intervention des Love Boat mais s'était ravisée, au dernier moment, délaissant leurs pseudonymes de scène pour les troquer contre des mots de haine à l'intention de Logan. Furtifs mais tout aussi vifs qu'elle l'était elle-même, se contentant du minimum pour viser juste et blesser au mieux.
Elle regretterait presque ce choix impulsif qui ne lui avait rien apporté.
Même elle pouvait faire des erreurs dans ses calculs.
Ces yeux qui fuient et préfèrent contempler le sol plutôt que le doux visage de Salomé.
Et ces mots qui s'échappent, loin de ce qu'imaginait la gitane aujourd'hui. C'est un premier coup qui la frappe, puis un second, et toujours le regard voilé de Ranya face à elle.
Elle ne l'imaginait pas crier son amour mais au moins un peu de tendresse à son égard. Mais il n'y avait plus rien pour elle.
Juste six mois balayés suite à sa liaison factice avec Ana.
Envolé, le baiser lors de la fouille. Oubliée, cette envie d'être auprès de Salomé, de prendre la place d'Ana. Pour de vrai cette fois-ci.
Elle ignorait si la danseuse avait raison.
La rousse était aveugle à ces choses-là ; elle, un ouragan ? Non, non, non. Impossible. Ana s'en remettrait, n'est-ce pas ? Les sanglots qui avaient agité ses prunelles allaient se se calmer pour s'éteindre et ce ne serait plus qu'un mauvais souvenir, elle en rirait presque, peut-être, dans quelques semaines, quelques mois quelques années...
Jamais.
– Ranya...
Mais les mots lui manquaient. Elle si douée pour improviser, elle si douée pour tout organiser, la voilà avec la gorge sèche face à celle qu'elle désire à son tour. Mais pour combien de temps ? Elle était incapable de blesser la blonde, elle le savait, se connaissait mieux que ce que la Scientifique prétendait.
Mais c'était un mur infranchissable qui s'érigeait entre elles deux au fil du discours de la demoiselle et la Médecin se retrouvait là, impuissante, face à ces briques qui s'empilaient l'une après l'autre, entendant juste cette liaison lui dire adieu.
– Laisse-moi te prouver que tu as tort... que jamais je pourrai te blesser. Parce que Ranya, toi, tu n'es pas Ana et tu le sais.
Elle ne la comprend pas.
Ne la comprend plus.
La rousse souhaiterait juste retrouver la Ranya qu'elle avait connue, cette même Ranya qui s'était abandonnée sous ses baisers.
Et puis, il y avait eu ce premier échange verbal, celui-là même où la blonde demandait à la rousse de s'éloigner car rien de bon ne pourrait arriver pour elles après cette nuit d'horreur passée sous le signe de Logan.
Alors elle continuait d'être fidèle à cette routine, portant comme un leitmotiv son envie de s'isoler loin de la rousse.
Cette dernière inspire, sachant que la bataille est perdue d'avance.
Alors elle ne peut que s'incliner face à la fougue de Ranya, colère à demi mesurée, face à la tristesse d'Ana, rupture tardive mais précipitée, reconnaissant sa défaite dans ce jeu qui l'a dépassée. Qui a dit que la gitane s'y connaissait en sentiments ? Elle se noyait là-dedans, étouffait presque, incapable de se comprendre véritablement, jouant en permanence, mentant, pour se retrouver face à Ranya aujourd'hui.
Et le mur complet, terminé, ne laissant plus que transparaître la silhouette fine de Ranya.
– Cet été, tu ne m'as jamais répondu quand je t'ai demandé si oui ou non tu avais peur de moi. Tu aurais pu dire oui, ça aurait évité que je sois là, aujourd'hui, devant toi.
Bonne Saint-Valentin.
Il n'y a plus qu'à s'en aller, désormais et voir Ranya lui indiquer la sortie serait presque drôle si la rousse avait le cœur à rire.
Mais elle n'avait le cœur à rien.
Elle s'éloigne, se faufilant sur le seuil pour entendre la porte claquer juste derrière elle, refermant son avenir possible avec Ranya.
Et, à jamais, des portes qui claquent pour la faire sursauter et lui rappeler cette obscurité.
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