LISSA LABELVI
rp solo« Allez, là »
Tu as la boule au ventre. Pourtant, tu n’as rien mangé qui puisse te rendre malade.
Tu n’as rien mangé tout court.
Tu es cloîtrée dans ton lit. Tu es fatiguée, et tu aimerais pouvoir dormir.
Sauf que tu n’as pas sommeil.
Tes yeux sont gonflés. Tes larmes les irritent et te brûlent.
Alors que tu n’as plus rien à voir.
Ton souffle est court. Un poids te presse la poitrine, et pèse sur tes poumons.
Le poids de la culpabilité.
Même pas besoin de courir pour être essoufflée. Le simple fait de respirer est devenu exhaustif.
Tu t’épuises toi-même.
Tout comme tu as épuisé tes rêves. Tes espoirs. Ton envie de te lever pour… Faire ce que les gens font.
Vivre.
C’est plus simple de s’enfermer dans le noir. Si tu clos tes paupières, que tu t’enroules dans un coin de la pièce, tu finiras probablement par t’effacer. Te fondre dans ta couette, te fondre dans ton mur, te fondre dans les ténèbres.
Ne restera alors plus que le néant.
Où on ne ressent rien.
C’est ça que tu veux.
Ne plus rien ressentir.
Ne plus rien ressentir de ta peine, de ta tristesse, de tes remords et de tes regrets. Car tu es bien incapable d’assumer les conséquences de tes propres actes.
Dès que tu te rappelles posséder des émotions, tu as mal. Tu as mal aux tripes, tu as mal à l’estomac, tu as mal au cœur, tu as mal à la gorge. Le reflux de tes sentiments remonte le long de ton corps, et cancérise chacun de tes organes.
Cette douleur n’est pas que psychologique.
Il y a quelque chose de tangible qui te dévore de l’intérieur. Toutes tes pensées sont concentrées dans ton crâne, mais c’est ton être en entier qui souffre.
Ton mental est suffisamment brisé pour endommager ton corps.
Est-ce que tu refuses de te lever parce que tu n’en as plus la force ?
Ou est-ce que tu n’en as plus la force car tu refuses de te lever ?
Ton esprit et ton enveloppe charnelle sont des vases communicants. Le mal qui a empoisonné l’un a contaminé l’autre.
Tout ça à cause de tes fichues émotions.
Tout ça à cause de tes fichues décisions.
Tu en es à la fois la victime et la coupable.
Tu es la meurtrie et la meurtrière.
Tu es à l’origine de ce mal être, et maintenant, tu ne te définis plus que comme sa seule conséquence.
Expectative d’une attente que tu as tuée.
Végétative. Fleur fanée que tu es.
Cette plante. Tu en as pris tant soin. Tu l’as attentivement arrosée. Tu l’as gorgée de soleil. Tu l’as observée grandir avec patience. Assiduité. Et tu l’as couvée d’amour.
Aussi, tu as détourné le regard lorsque ses racines se sont enroulées autour de tes jambes. Tu as ignoré la douleur lorsque ses ronces se sont plantées dans tes bras. Et tu as feint l’indifférence quand son poison s’est progressivement déversé dans tes veines.
Cette plante t’a parasitée. Elle s’est ancrée en toi, et t’a phagocytée.
Mais en est-elle la seule responsable ?
C’est toi qui l’as arrosée en premier lieu, non ? C’est toi qui lui as permis de pousser. Et c’est toi qui as ignoré ses penchants carnassiers.
Alors, elle a fait ce qu’elle avait à faire. Elle a commencé à prendre place en toi, à te dévorer. Ses racines ont puisé directement leur énergie dans la tienne. Elles ont pompé ta force, assimilé ta motivation, aspiré ta joie de vivre. Elles s’en sont gorgées. Et toute cette mélasse, la plante en a fait ses nutriments.
Cette belle plante et ton corps mutilé, à eux deux, ont formé une bien jolie symbiose.
Quelque part, c’est ce que tu voulais.
Vivre en harmonie avec elle.
Sinon, pourquoi l’avoir entretenue de prime abord ?
Tu aurais pu prendre des précautions. Te renseigner sur sa toxicité. Lui mettre un carcan.
Mais tu n’as rien fait de tout ça.
Tu l’as laissée s’enraciner en toi, et prendre tout ce qu’elle pouvait.
Et au bout du compte ?
Tu te l’es arrachée.
Avec violence et colère.
Tu as réalisé qu’elle te faisait mal, alors, tu as mis fin à tout cela.
Tu l’as saisi par la tige, et tu as tiré de toutes tes forces. Tu as arraché ses racines de tes jambes. Ses épines de tes bras. Et ton sang s’est mis à couler. Le poison qu’il contenait s’est déversé sur le sol, et a formé, sous tes pieds, une marre rougeoyante que tes membres mutilés continuent d’alimenter.
Donc voilà. Conséquence de cela, tu te retrouves à moitié défigurée. Les membres charcutés. Le corps couvert de plaie béante.
Et maintenant, une moitié de toi te manque.
Certes, plus rien n’aspire ton énergie à tes dépends, désormais.
Mais à quoi bon, si tu continues à te vider de ton sang ?
Que tu ignores comment renfermer ces plaies ?
Que tu ne sais pas guérir de cette amputation ?
Non seulement tu ne vas pas mieux.
Mais en plus.
Tout ce qu’il s’est produit.
Tout ce qu’il s’est passé.
Du début.
A la fin.
Est de ta faute.
Rappelle-toi, c’est ce que tu as voulu.
Incapable.
Ce n’est pas juste que tu es bonne à rien.
C’est que tu es mauvaise à tout.
Tu ne sais pas t’occuper des autres et tu ne sais pas t’occuper de toi-même.
Tu aimerais que les gens aient confiance, qu’ils puissent se reposer sur ta personne.
Mais tu es la première à ne pas croire en toi.
Tu leur demandes quelque chose que toi-même, tu es incapable de faire.
C’est très égoïste de ta part.
Ou très stupide.
Probablement un peu des deux.
Tu te souviens ?
C’est ce qu’il t’a dit, un jour.
L’as-tu écouté ?
As-tu changé ?
As-tu évolué ?
Non.
Il y avait quelque chose de positif à tirer de cette relation, pourtant.
Mais non.
Rien ne s’est produit.
Et maintenant…
Plus rien ne se produira.
C’est fini.
Et du coup ?
C’est quoi la suite ?
Il était une partie de toi, certes.
Mais les autres ?
Que vas-tu en faire ?
On les oublie ?
Tu le sais, que tu n’es pas seule ?
Alors certes. Tu te sens lamentable, pitoyable, et tu penses peut-être ne pas mériter la moindre forme d’affection.
Pour autant…
Est-ce que tu te sens de les repousser ?
Te penses-tu capable de refuser leur soutien ?
Crois-tu seulement que cela soit une bonne chose ?
Puis bon.
Certes…
Il y avait des signes annonciateurs.
Oui, tu t’es voilé la face.
Et tu aurais peut-être pu éviter ça.
Mais…
Tu ne trouves pas que tu t’en reproches un peu trop ?
Es-tu réellement la seule coupable dans cette histoire ?
Et surtout…
N’en es-tu pas la victime ?
Tu en as conscience, au fond de toi.
Tu sais que tu ne pouvais rien y faire.
Ton seul crime…
Ça a été d’être naïve.
Est-ce… Vraiment quelque chose que tu peux te reprocher ?
Qu’un autre ait profité de toi ?
Oui. Cela fait terriblement mal.
C’est horrible.
Et tu te dis que…
Rester enfermée…
Ne plus ressentir…
Ne plus vivre…
C’est bien plus simple.
Que cela t’évitera de souffrir à nouveau.
Mais tu sais aussi que tu ne peux pas rester éternellement comme ça…
Pas vrai ?
Allez, Lissa.
D’autres t’attendent.
Et ceux-là valent la peine d’être aimés.
C’est sûr.
Et puis… Tu sais que l’été n’est pas encore fini ?
Tu sais quoi ?
Prends ton temps.
Tu n'est pas obligée de faire ça vite, non plus.
Vas-y…
Petit à petit.
Déjà, commence par te lever.
Et ouvre ta fenêtre.
Le reste suivra.
C'est promis.