Il existe bon nombre de métiers ingrats, mais celui de la famille Obake dépasse sûrement tout autre : ils gèrent les pompes funèbres de la Tour Pokémon de Lavandia. S’occuper de la mort est un métier fastidieux, où l’on passe la journée à voir des familles endeuillées défiler, le visage pâle, des sillons de larmes sur les joues et des cernes plus que visibles. Cela l’est d’autant plus quand il s’agit de compagnons fidèles qui accompagnent la vie de chacun : les Pokémon. Alors gérer la propreté et l’enterrement de ceux-ci est un travail à plein temps.

C’est pourtant dans cette ambiance morbide que madame Obake mit au monde un petit garçon qu’elle nomma Rinku. Ce fut d’autant plus dur pour monsieur, qui assuma seul le travail de son couple pendant plusieurs mois. Mais il eut l’espoir, quelque part, que ce petit bambin devienne un jour l’héritier de cette affaire qui, il fallait l’avouer, rapportait beaucoup d’argent. Et contre quoi ! Le bébé grandit dans les pleurs, et, malgré le sourire de ses parents, il ne riait jamais. Comme si tout le bonheur qu’anime habituellement un bambin l’avait quitté. Il regardait avec une intelligence inhabituelle les scènes de deuil, d’enterrement et de chagrin qui défilaient devant ses yeux d’un gris violacé. Grandissant, il s’avéra chétif et maladif, pourtant si jeune et déjà meurtri par la vie.

Il avançait d’un pas las, et rien ne lui apportait un sourire, ou même une petite plissure au coin de ses lèvres. Il ne s’amusait pas avec les autres enfants de son âge, préférant la compagnie des Pokémon qui erraient comme des fantômes autour de la tour. Très vite, il se prit d’affection pour ces créatures ténébreuses, et ses parents ne le voyaient que peu. Que ne fut pas le drame lorsqu’il apprit qu’il devait quitter ses amis pour aller à l’école : un vrai chagrin, il ne mangea pas pendant deux jours, préférant la solitude de la pénombre de sa chambre. Dès le premier jour de présence en classe, ses professeurs furent alarmés par son regard absent, son attitude nonchalante et son désintérêt pour les exercices, le jeu, ses semblables. Il semblait guetter l’horloge en espérant que cela fasse avancer le temps plus rapidement.

Chaque soir, à la sortie, il courrait jusqu’à la Tour Pokémon retrouver ses amis, ces créatures en marge des autres Pokémon par leur apparence lugubre et leurs réputations. C’était un endroit mal famé, et plus d’une fois, Rinku s’est fait poursuivre par la Team Rocket dans les dédales de tombes et de caveaux. Malgré tout cela, le garçon grandit, passa de classes en classes au fur et à mesure des années, sans grande difficulté : bien qu’il ne montre aucun intérêt aux cours, il était très assidu et intelligent. Son attitude déplaisait, et il subissait parfois les railleries et la violence de ses camarades, sans trop répliquer. Plus les années passaient et plus il se refermait tel un Coquiperl.

Bientôt, plus personne ne pourrait l’atteindre : il était un spectre parmi les spectres. Discret, silencieux, on ne se retournait que peu sur son chemin. Pourtant, son affinité avec les Pokémon avait fait de lui un potentiel dresseur de qualité : mais les Pokéballs et autres objets de torture ne lui plaisaient guère. Ses amis, ses coéquipiers, ses camarades de jeu, il les aimait et les  voulait libres. C’est sur ce thème qu’il se démarqua de tous, eux qui voulaient les faire combattre et les enfermer dans ces Pokéballs étriquées. Ce qui lui valut, bien évidemment, nombre de méchancetés et de moqueries, non seulement de la part des jeunes de son âge, mais aussi de la part des habitants de la ville.

C’est au décès d’un de ses compagnons de jeu, un Ectoplasma qui fut enlevé par la Team Rocket pour sa rareté et ses facultés hors pair que Rinku tomba dans une dépression profonde, si bien qu’il manqua de mettre fin à ses jours, dans les plus hauts étages de la Tour Pokémon. C’est une habituée du cimetière qui le retrouva inerte, les poignets ensanglantés. Après un long séjour à l’hôpital de presque un mois, ses parents tentèrent de lui redonner goût à la vie, et l’emmenèrent voir un psychologue : celui-ci décréta qu’il fallait qu’il se tienne éloigné de cette ambiance morbide de Lavandia et, plus largement, du magasin de Pompes Funèbres de ses parents.

Ces derniers eurent ouïe de l’Île Lansat, cet archipel loufoque où se tenait l’une des plus récentes écoles pour les apprentis dresseurs Pokémon. Ils décidèrent, non sans regret, d’emmener leur fils là-bas, afin qu’il rencontre de jeunes gens qui, comme lui, appréciaient les Pokémon, en espérant que cela le fasse changer d’avis sur le monde qui l’entoure. Il rencontra donc le directeur, ainsi que ses professeurs, et reçut son premier Pokémon, le vrai, le sien. C’est après un rapide test que l’on lui attribua un Solochi, créature bleuâtre aveugle et hargneuse, qui ne cessait de mordre et détruire tout sur son passage. Il lui attribua le nom de Kaiju, en hommage aux célèbres monstres qui donnaient vie aux dessins animés de son enfance. Cette bestiole mettait tout le temps sa chambre à sac, si bien que la pièce n’avait ni queue ni tête. Elle marqua les mains de Rinku de traces de morsures.

Malgré tout, le garçon semblait l’apprécier, et elle lui redonnait du baume au cœur. Un baume qui, à terme, ferait de lui un homme fort et plein d’espoir pour l’avenir.