Un ciel pur et très pâle éclairait ma silhouette tassée dans l’alcôve du dortoir. Quelque sombre songe m’avait sortie du sommeil. L’histoire d’un ferry qui partait pour une île de découverte incroyable où les fleurs aux pétales argentées et à la tige turquoise s’élevaient plus hauts que les arbres et où les Pokémons avait développé un dialecte unique. Un paradis qu’on aurait comparer au monde fantaisiste de Roy Lewis et dont l’unique moyen d’accès, un paquebot immaculé, était parti sans moi. Je repensais à ma silhouette qui courrait sur les berges, mes éclats de voix à l’adresse du capitaine de je ne voyais que le dos. Mais le navire qui menait sur l’idylle allait sans moi et j'allongeais mes foulées en vain le visage ahuri de désespoir à mesure que le navire s’éloignait. Je m’étais réveillée le pouls rapide persuadée que l’embarcation pouvait encore faire demi-tour. Mes compagnons dormaient encore, plongés dans des brumes de sommeil plus sereines que les miennes. Je leur envier leur rêvasserie bienheureuse. Leur respiration discrète ou grondante remplissait ma chambre.
Je m’étais extirpée des couvertures incapable de rester dans les draps qui portaient l'odeur de ma peur. L'aube était si matinale... A croire que le soleil s’alignait enfin avec le dortoir des Pyroli. Une nuée d’adolescentes passaient régulièrement sous ma fenêtre. Elles étaient toutes rompues à l’exercice matinal et il n’y en avait plus une pour broncher sous la voix martiale de la Générale Jackie. Je trouvais cela à la fois ridicule et intéressant, si une femme pouvait discipliner tout un peloton de gamines pubères qui sait le nombre de miracles qu’on pouvait faire opérer à ce troupeau. Une étude comparative avec les Wattouats et les filles germaient dans mon esprit. J’aurais choisie la problématique suivante « Quels sont les facteurs qui différencie le bataillon du Général du troupeau de l’éleveur ? ». La publication d’un tel sujet – pour peu que Jackie sache lire – m’aurait valut des graves ennuis, il fallait donc considérée l’idée comme morte dans l’œuf.
Mon regard glissa par automatisme sur les deux œufs. Les couleurs originales de l’un me rappelèrent ma visite chez le collectionneur, ce vieux radin qui avait détruit les fonds que je destinais à mes recherches. Si ma soif avide de savoir ne m'avait pas rendue si manipulable, les choses auraient étaient différentes. Mon autre spécimen datait de Pâques, il se balançait de gauche à droite depuis trois jours. J'étais restée coite et immobile près de la coquille les cinq premières heures qui avaient suivi le phénomène, puis j’avais dû me rendre à l’évidence, il - ou elle - prenait son temps. Mon nez se fronça de contrariété, attendre, toujours attendre. Edouard m’avait beaucoup parlé de l'oeuf. Il ne cessait de répéter des choses comme « Mais qui vient en premier l’œuf où la poule ? » et j’en étais venu à croire que mon appareil était détraqué et qu’il traduisait mal les propos du Tutafeh.
Un rayon de soleil découpa un carré d’or sur ma joue. Je stoppais mon cheminement de pensées et profiter de la brève allégresse des premiers rayons du jour sur mon épiderme. Un plaisir rare que la douce chaleur de l'aube. Le plus délicatement possible j’entrouvrais ma fenêtre laissant le vent soulever ma chevelure lourde. Je sentais l’odeur savoureuse de la rosée dans mes narines et fermais les yeux avec délice. Vivre. Vivre et rien d’autre. Parfois je me sentais privée de toutes ces sensations intenses, assise à mon bureau à éplucher la science ou dans une caverne, accroupie pour mieux ausculter les parois. Je me destinais à une vie de reine recluse sur un lopin de terre perché dans les monts. Un lieu où les cascades et les roucoulements d’oiseaux combleraient tous les silences et où je pourrais me consacrer tout entière à l'étude. Je sortais du petit renfoncement mural et allais m’emparer de l’œuf agité. Il était tiède de vie lui aussi et Son cœur battait déjà.
Je m’accoudais au rebord de la fenêtre et me laissais bercer par le rythme cardiaque de l'oeuf de Pâques. Mes paupières s'alourdissaient inexorablement, ma respiration ralentissait et je sombrais dans une torpeur sans rêve. Ma peau était à peine hérissée par la brise fraîche de l’aurore. Un pépiement à mon oreille me fit sursauter. Mon corps perdit son équilibre et bascula dans le vide. Un sot réflexe et mes mains s’agrippaient au mur. Le mal était fait. Je voyais l’œuf qui m’avait échappée tomber. Nous étions à plusieurs mètres du sol, l'omelette dont parlait Melty prenait cyniquement forme dans mon esprit. Le temps devint plus lent, chaque seconde passée rapprocher l’œuf de l'inévitable. Je sentais avec acuité la sueur sur mes tempes, les détails de la coquilles dans mes pupilles étrécis. Le corps rougeoyant d’un oiseau se précipita. Qui était ce volatile qui mettait en péril toute ma précieuse attente ? Qui tuait cet enfant ? Un nuage de plumes remplaça le sol. Morte de trouille je sortais de ma chambre en courant. Je faisais voler les portes sans me soucier des dégâts et déclenchais des effusions de voix ensommeillées et offusquées. Mais je m’en moquais, j’avais trop peur. Un effroi qui bloquait ma gorge, nouait mes entrailles. J’avais peut-être assassiné un petit. Cela faisait écho au souvenir de l’œuf d’Allen que j’avais involontairement envoyé dans le lac. Étais-je prédestinée à éliminer une âme innocente ? Mon sens de la justice pâtissait de cette sinistre idée. Je ne me pardonnerais pas cela, pas de morts sous ma garde. J’avalais l’escalier en deux enjambées, blessée mes chevilles dans mon désir de gagner quelques précieuses secondes.
Le battant final fut ouvert à la volée et je bondissais sur le tas de plumes. C’était le fruit d'une attaque Atterrissage. Mais tout était allé si vite. L’amas de plumes m’empêchait de voir si le presque-né était vivant, ou non. J’enrageais et plongeais mes deux mains pour découvrir la vérité. Je redoutais de connaître cette vérité. Un casque m’apparut, je l’attrapais entre mes des dextres, prenais appui sur mes pieds nus écorchés par la cavalcade et le soulevais. Le corps d’acier massif d’un jeune soldat suivit. Il était inerte et son amure glaciale m'inquiétaient m'empêcher de réfléchir avec raison comme j'en avais l'habitude. Mon œil cendré détaillait la créature. Sclapion. Il était écarlate et des griffes tranchantes jaillissaient de sa poitrine à la façon d'une cage thoracique dépourvue de ses précieux organes. Ses iris s’ouvrirent : or. Je respirais une grande goulée d'air. J'enserrais avec une affectivité qui ne m’était pas familière le corps du nouveau-né dans mes bras.
Je me sentais incroyablement fragile. Le vent aurait pu me renverser à tout instant. La tête calée dans la nuque du jeune corps, je vis une tête vermeil et jais à l’angle d'un mur. Cela ressemblait à Callie mais ce n’était pas Callie. Les traits étaient ceux d’un rapace et il était bien plus gros que mon oisillon. La lueur coupable qui brillait dans ses yeux semblait prétendre le contraire pourtant. J’écarquillais mes prunelles. Je venais de comprendre ce qui sautait aux yeux. Callie venait d’évoluer et j’avais manqué cet événement. J’hésitais entre une haine franche après ce qui venait de se passer et la déception ne n’avoir assisté à la maturation du rouge-gorge. Le soulagement que le Scalpion ne soit pas défunt finit par avoir raison de ma colère. J’installais le nouveau-né dans mes bras et invitais le volatile flamboyant à venir près de nous. D’une voix qui se voulait apaisante je murmurais :
« Nous pourrions l’appeler Icare après un tel échec de vol je suppose. Qu’en dis-tu ? »
Icare était tremblant dans mes bras. Je le sentais affecté par cette arrivée dans le monde. Il lui avait manqué la précieuse chaleur d’un nid et je distinguais une fêlure sur son heaume. J'inspirais pour refréné la rancœur que faisait naître les plaies de la progéniture. La Braisillon s’approcha, ses yeux jais rivés sur celui qui avait failli payer pour son inconscience. Telle serait sa punition, cette culpabilité serait son fardeau. Mes yeux brillèrent, mauvais.
Eclosion -
Icare, Scalpion ♀
Evolution -
Callie, Passerouge → Braisillon