Embarquée dans la silhouette élancée du navire l’île, Adèle allait droit sur son avenir est plus encore. Avachie dans un transat, le corps ronronnant de Friponne comme une bouillotte supplémentaire sur la panse et des lunettes hors-de-prix « empruntée » à une camarade toute en strass et en moqueries, Adèle se prélassait. Elle savourait avec délice le moment de grâce que lui accordait la chatonne. Les dernières semaines de pleurs, de cris, passées à rabâcher les mêmes ordres à recoudre les mêmes coussins inlassablement éventrés avaient contribués à atténuer l’aigrissement de cette infatigable peste. Voir, le corps plein de petites cicatrices guerrière s’autorisait le repos ainsi tout près d’elle s’était une victoire qui faisait battre le cœur de sa dresseuse d’une fierté si forte que le sens du mot loyauté prenait un contour dans son esprit.

Ce n’était pas par hasard si la jeune brune était allée pieds nus sur le pont plein d’échardes du bateau de la Community. Les vacances se profilaient et avec elle un adieu précoce à cette vie d’étudiante dont les avantages commençaient péniblement à lui rentrer dans la tête. Ce n’était pas anodin pour la Faust de s’attacher, surtout à un endroit. Un endroit c’est mort, comme les objets et les gâteaux, s’était l’intensité placé en eux qui les rendait familiers. L’émotion donnait à leurs souvenirs des formes angéliques, à leur simple existence en tant que parcelle de sa mémoire une véritable fonction. Le mal s’était envolé un peu chaque jour passé dans son atelier dont elle ne désespérait de la vue d’un client. Et puis au fond elle se moquait qu’on voulut la complimenter sur ce qui fleurissait entre ses doigts devenus dix aiguilles qui allaient et revenait entre les tissus de toutes épaisseurs, la petite prenait son pied à faire ça pour elle seule.

L’embarcation barrit, un cri tonitruant qui dictait à chacun le dispersement prochain. Avec cette décontraction mêlée de joie qui la caractérisait Adèle renversa la Friponne qui en feula de contrariété, se prit les pieds dans le corps du bon Oliver et continua à courir à petites foulées vers la rambarde. Elle inspira dans de vivifiantes goulées l’air salé de la mer, nourrissant son regard de la vision d’une île dont la côté était bourgeonné d’œillets et de fleurs qui s’ouvraient toutes sur le monde avec beaucoup de noblesse et de délicatesse. Elle n’était pas seule sur la rambarde, d’autres étaient venus admirés leur futur lieu d’exploration bien que la plupart se soit lassé de ce mouvement de foule excitée propre aux premières sorties. La cadette au contraire s’y adonnait pour la première fois. Elle était trop occupée à trouver le moyen de s’enfuir ou de trafiquer le bord pour ce genre de trucs et faire comme tout le monde était quelque chose qu’elle avait en horreur.

Le petit ponton de bois s’ouvrit et la fillette glissa si furtivement entre les corps qu’elle fut l’une des premières en bas – elle renversa d’ailleurs un pauvre garçon à lunette qui la regarda si méchamment qu’elle en put qu’en pouffer. Par cette chaleur, on aurait dû la remercier pour ce genre de choses ! Ces Pokémons qui étaient loin d’être aussi agiles qu’elles se firent attente et la petite brune dut regarder avec dépit ses multiples confrères s’aventurer les premiers sur l’île. Elle eut beau tapé du pied, ronchonner et même tirer la langue au mec humide de la tête aux pieds qui la toisait avec haine, Friponne arriva juchée sur la bosse d’Oliver. Le fauve avec ce regard d’impératrice triomphante qui tira un ricanement amusé à sa maîtresse. En effet, si tôt le duo l’eut rejoint qu’Adèle bouscula la Lixy d’un coup de main violent et grimpa à son tour sur le dromadaire.

« En avant Twist ! Je ne peux ni plainte, ni encouragement, le silence et peut-être, si vous êtes sages, vous chanterais-je Le Linéon du bois joli. »

Il s’enfoncèrent dans le champ de fleurs au rythme du pas lent et pensif du Chamallot qui n’émettait effectivement ni plainte, ni désappointement sous la bonne trentaine de kilo de la demoiselle qui lui servait de mère adoptive.

Des dizaines, que dis-je, des centaines de corolles rose et bleu, de pétales jaunes et rouges, qui s’étendaient sur des hectares à la ronde. Leurs couleurs chatoyantes piquaient les yeux d’Adèle à moins qu’il ne s’agisse de leur écœurant effluve de soleil et de sucre. Les premières minutes cela avait été fort agréable de sentir tous ses coquettes demoiselles parfumées se presser autour de sa monture. Simplement plus ils marchaient, plus le côté joyeux du champ de fleur devenait « entêtant » pour finalement être insoutenable. La brune avait mal à la tête. Une migraine qui lui rongeait le crâne sans qu’elle ne trouva moyen d’y remédier. L’étudiante avait bien cherché à encourager son canasson à renfort de coups de talons mais le passif Oliver avait une couche de graisse protectrice qui le protéger de ce genre de barbaries. La dresseuse était donc étalée sur le dos du Chamallot, attendant la fin avec une mortelle impuissance. Si elle s’était résolue ce n’était pas le cas de Friponne qui n’avait de cesse de tracer des chemins où se répandait une étrange odeur de « caramel floral » à grand coup d’Etincelle enragée. Yamyam aurait peut-être aimé, il était cuisinier, nan ? Au moins pendant ce temps, la canaille ne lui mordillait pas les oreilles.

La petite troupe atteignit l’orée du bois. La vision de ces arbres d’un vert unis et dépourvus de fleurs mais surtout l’odeur d’humus frais qui s’en dégageait fit naître un grand sourire béat sur les lèvres de la jeune Faust. Un faux mouvement pour se remettre à Califourchon sur le dos du Chamallot la fit tomber par terre. De la terre ! De la bonne et fraîche terre ! Trop heureuse, la gamine s’y roula espérant se dégager de l’horrible nausée du champ. La furtive lionne bleue à qui cette position de faiblesse n’avait pas échappé, accabla sa petite maîtresse de coups de patte vengeurs. On ne l’y reprendrait plus à suivre aveuglément un bipède aussi chétif ! Le bipède en question cherchait à retrouver un stationnement debout moins dangereux que le sol où l’attendait la Lixy de patte ferme.

La bourgeoise y parvint en titubant. Son esprit était encore ankylosé par la traversée et elle dut s’appuyer contre un tronc pour que l’horizon cesse de tanguer dangereusement. Chose faite, la petite sembla retrouver ses esprits. Elle était là pour une raison bien précise : se balader en chantant des comptines. Hum. Ou peut-être – éventuellement – trouver un nouveau compagnon. Elle commençait à apprécier se grande famille de créatures laides et bizarres. Il y avait même des jours où elle se surprenait à trouver le petit rictus de Zola ou le couinement plaintif de Gollum proche du concept de mignon. Bref, elle se guimauvifiait. Oliver lâcha un meuglement qui la fit sortir de ses pensées contrariées. Elle se retourna le visage contracté d’indignation.

« Quoi !? T’es pas content parce que je ne vais passer assez vite peut-être ?! Mais rappelle moi, jeune Twist,  qui a passé DEUX PLOMBS dans le champs-des-fleurs-qui-tuent ? Hein ? Bah c’est pas moi ! »

La Coordinatrice avait grossièrement tiré la langue puis elle était partie en courant dans le bois. Le sentiment de jouer un bon tour à sa propre équipe était jouissif, tellement qu’un rire bruyant éclata sous les arbres. Elle accélérait, déterminé à mettre le plus de distance entre les deux ronchons et elle-même. La fillette n’imaginait même qu’ils se perdent, ou – encore plus probable – qu’elle se perde. Non, rien n’importait d’autre que ses jambes qui se dégourdissaient en esquivant le plus souplement possible les grosses racines terreuses et les excréments de Cerfrousses. Ces cervidés puants étaient des gros moisis, Adèle en avait vu un, un jour. En plus d’avoir un regard abruti et un pompon à la place de la queue, les bêtes étaient mauvaises. Elles tapaient par terres avec leurs gros sabots fendus et polis et mugissaient comme des vaux. Bouah ! Tout à son souvenir, la fuyarde avait omis de regarder là ou se posaient ses arpions. Une racine à l’esprit corrompue par la malveillance venait de lui faire un magistral croche-pied. Elle chuta net, son nez plongeant pour la deuxième fois de la journée dans l’humus humide de la forêt.

La Faust sentit de grosses larmes se frayer un passage mais elle les ravala. Il n’y avait pas un chat pour s’apitoyer sur son sort ou subir son courroux, pleurnicher ne la soulagerait même pas. En se relevant la confectionneuse eut le « plaisir » de constater que l’endroit où elle était tombée se trouvait être la frontière avec un paysage de marais. Autant dire que ses petits habits fraîchement découpés pour la saison estivale étaient bruns de boue. Cette fois la barricade qu’elle avait imposée à son dépit sauta et un flot de larmes amères dévala ses joues. Cela s’accompagnait de cris bruyants de nourrisson, un son que la demoiselle avait la particularité d’avoir conservé même le cap de la petite enfance passé. Cela aurait pu durer longtemps. Seulement la seule solution à ce type drame apparut : une diversion.

C’était des claquements de doigts sonores qui se répercutaient entre les corps végétaux. La curiosité envahit la brune, elle cessa aussi de sangloter pour fouiller avec avidité les alentours du regard. Le bruit rythmique et mélodique l’intriguait. Elle avait un peu peur qu’il s’agisse d’un autochtone étrange mais son instinct lui dictait que non. De quoi cela pouvait bien être fait alors ? Peut-être que c’était un bruit dans sa tête ? Non, c’était une idée bête, il n’y avait jamais que les réprimandes acides de son frère qui pouvaient résonner aussi fort sous son crâne. Mais… Un bruissement dans les feuillus qui côtoyaient le marais et la petite brune se retourna précipitamment, le cœur battant.

Il était d’or. C’était un corps sur deux pattes comme elle avec une grosse tête ronde où le Créateur avait balancé œil, bouche et nez à la va-vite. Il était « habillé » d’une grosse culotte de pyjama qui devait le gêner dans son quotidien. Un Pokémon handicapé ? Si le concept n’était pas déjà créer, l’existence du nouveau venu pouvait en justifier la création. Le Pokémon était zébré de rouge vermillon sur son torse, il avait l’air badin, comme s’il se moquait effrontément d’être ici. Il continuait à faire claquer ses six énormes doigts cubiques, indifférent au visage rougeau et barbouillait de liquide lacrymal de la petite humaine.