"Craignez nous d'autant plus que nous ne possédons pas de corps..."
Nous sommes des êtres à part, qui ne sont pas véritablement humains. Des gens dont l'existence est niée, des gens qui sont invisibles au reste du monde, évoluant dans l'ombre, se déplaçant avec la brise. Mystérieux, solitaires, mais pourtant porteurs d'un lourd fardeaux. Celui d'un équilibre bien trop précaire, mais sacré. L'équilibre entre le sommeil, le temps libre et les études. Nous sommes : les insomniaques qui font le mur en pleine nuit.
La pleine lune en arrière plan, j'étais postée sur la branche d'un arbre, concentrée, silencieuse, le regard aiguisé. Une main appuyée contre l'écorce, l'autre tenait un sabre de bois de toute ses forces, mon arme sacrée, fragment de mon âme. De qui je me moque, je ne savais pas du tout m'en servir et je tremblais de peur, là haut sur mon perchoir. Pourtant, je n'avais pas le choix. En contre bas, Gaston Fooly me cherchait. Si je tombais maintenant, c'était la retenue assurée pour moi, dès le début de ma première session à la Pokémon Community. Je vous explique. Je n'arrivais pas à dormir et j'en avais marre de tourner en rond alors, qu'avais-je fait? J'étais sortie pour me promener dans la nuit, mes pokéball à ma ceinture, prête à vagabonder à la recherche du sommeil. Voyez, je n'avais pas l'habitude, moi, de la vie de dortoir. J'aimais bien me promener à Phénacit une fois la nuit tombée, observer les reflets de la lune laiteuse dans l'eau cristalline des fontaines. C'était une vieille habitude que je n'avais jamais su laisser tomber et, maintenant, ça me mettait dans de beaux draps. Heureusement que le concierge fut aussi étourdit que moi et qu'il poursuivit son chemin dans une direction totalement autre, sans quoi j'aurais pu avoir des problèmes. Je n'aurais pas été capable de rester perchée là ad vitam aeternam, d'autant plus que la lune m'illuminait, dessinant clairement ma silhouette au sol et ce type avait quand même réussi à la manquer. Par contre, j'avais encore deux problèmes. Le premier, je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais par rapport au dortoir Mentali. Le second, comment allais-je descendre d'ici?
Il y avait, par chance, un toit juste à côté. Il me suffisait de faire quelques pas sur la branche en espérant qu'elle ne craque pas sous mon poids, là dessus il y avait de l'espoir, vu mon gabarit. Ensuite je n'aurais plus qu'à m'y laisser tomber et à me réceptionner, rien de plus facile, en théorie. Dans les faits, on se demande comment une fille aussi maladroite que moi a seulement pu croire que c'était un plan qui se tenait. En fait, peut-être que je ne suis pas si maladroite que ça, juste incapable de prendre des décisions logiques et à ma portée, c'est possible ça aussi. Mais bon, quand on veut on peut et là, en l'occurrence, je voulais vraiment, mais vraiment descendre. C'est donc avec mille précautions et les jambes un peu molles que je m'avançai sur la branche, retenant mon souffle, les dents plantées dans ma lèvre inférieure, pour la concentration. Ne cède pas, ne cède pas. Voilà, j'étais au dessus du toit en pente. Encore un pas ou deux, pour avoir le moins d'écart possible entre la branche et mon salut. Je m'accroupis lentement, venant déposer ma main libre contre mon perchoir, pour me retenir. Maintenant, m'asseoir dessus et laisser pendre mes jambes dans le vide. Tout va bien, j'y arrive. Ce n'est plus si haut que ça, quand on s'imagine que le toit, c'est le sol. Rassurée à cette pensée, je fis le grand saut, atterrissant sur le dortoir Voltali, à mon insu. Et voilà venir la roulade et la chute dans un buisson, les juges accordent une note de dix sur dix!
Un peu secouée, soyons honnêtes, je tentai de me redresser tant bien que mal, hallucinant jusqu'à un papillon totalement noir qui me passa au dessus de la tête. Au moins c'est plus original que des étoiles. Petit problème, toutefois, tout ce bruit avait attiré l'attention de mon bourreau. L'éclat de la lampe torche de Gaston revenait vers moi! Ni une ni deux, je fis donc la seule chose censée, j'entrai par ce qui me semblait être une fenêtre ouverte, empruntant le même chemin que le papillon avant moi. J'atterrit sur ce qui me semblait être un bureau, vu la hauteur et le petit craquement qu'il produisit, lorsque mon poids s'y appuya. Agilement, je sautai donc au sol, enfin en terrain stable et sécuritaire, m'immobilisant et attendant. Il faisait noir ici, complètement. Après m'être habituée au doux éclat de la lune, ici je ne voyais strictement rien, me demandant s'il s'agissait d'un genre de petit débarras ou même d'un bureau. J'aurais vraiment gagné à--- AAAHHH! Une main, sur ma tête?! Il y avait quelqu'un? Et ce quelqu'un pouvait me voir?! Vite, je devais me défendre!
- Ne me touche pas, sale Pandarbare! Et comment tu arrives à me voir déjà?! C'est de la triche! Eh merde! Lyuu, Ligotage!
J'ouvris la Pokéball du serpent dragon qui, sans plus attendre, s'exécuta, se jetant sur l'inconnu pour le ligoter au niveau des bras en le serrant. Me voilà hors de ce danger là, mais dehors Gaston approchait toujours et, bientôt, le faisceau de sa lampe vint frôler les murs. Vite! Agrippant mon sabre de bois, je tapai l'inconnu sur le côté de la jambe, probablement près du genou, qu'importe, mais qu'il se baisse bon sang! L'agrippant par le col de son chandail, je le tirai vers moi, pour le forcer à continuer le mouvement déjà imposé par le coup, pour le forcer à se baisser. Je lui avais ensuite plaqué ma main sur la bouche, ma petite voix habituellement flûtée maintenant rapide, basse et nerveuse.
- Reste silencieux, on ne doit pas être repérés, sinon on aura tous les deux des problèmes. Je m'en voudrais de causer du tort à quelqu'un sans raison. La lumière continua de se rapprocher, mais fut suivie par un bruit de branchages, accompagné de quelques jurons et du bruit sourd d'un homme qui trébuche. Sauvée, le concierge poursuivait sa route dans une autre direction. Je laissai m'échapper un soupir de soulagement, me relevant sans plus porter attention au jeune homme que j'avais laissé ligoté, aux bons soins de mon starter. Portant ma main à ma nuque, je la frottai quelque peu, encore toute tendue suite à un tel enchaînement d'événements. Ah, si je m'étais attendu à ça en sortant ce soir. Il faut dire que mes sorties nocturnes étaient beaucoup plus calmes à Phénacit qu'ici, d'autant plus qu'il y avait de l'éclairage là-bas dans les rues, même au plus profond de la nuit. Encore un peu distraire, je parlai pour moi-même.
- On dirait que la nuit ici est comme un voile sombre qui vient troubler ma perception et me rend maladroite....