« Faste journée. »
Les dernières paroles de son frère. Victor, traître à leur sang, en ce « faste jour ». Il s’en moquait l’adolescent filiforme à la crinière platine, ce n’était dans son regard acajou que la brève intensité des sentiments variables d’une gamine sur laquelle il avait tourné la page depuis longtemps. Les sillons humides sur les joues minces de la fille ne l’avaient pas atteint. En fait, la réaction de sa cadette le laissait perplexe. Les pas de cette dernière prenaient le chemin d’un avenir brillant, celui d’une académie de renoms avec plusieurs grands noms dans le corps professoral. A l’évidence ces années d’études la promettaient à la gloire, la richesse, le savoir, même le pouvoir devenait accessible avec un pareil bagage. Que voulait-elle de plus ? Il avait soupiré, las de cette énigme grotesque que représentait sa sœur. Rejetant sans vergogne son manque d’humanité sur le caprice dans lequel vivait Adèle. Puérile jusqu’à la fin, on dut la confier aux autorités du ferry pour éviter qu’elle ne prenne la fuite. Misérable, l’adolescente avait crié son nom, accrochée à la rambarde alors que le navire l’emmenait loin de tout ce qu’elle connaissait jusqu’alors. Et puis, Victor s’était retourné, en pleine réflexion sur l’impact du dernier essai d’un auteur qu’il suivait depuis quelques années dans les médias. Dos à la mer, il avait oublié. Il avait oublié sa sœur.
La petite fille avait braillé au tout début. D’une voix distordue par des sons disgracieux et pitoyables qui jaillissaient de ses codes vocaux usés par tant d’effort. Ses lamentations prirent brutalement fin quand un vif intérêt pour le moyen de transport qu’elle empruntait la tira de sa morosité. Il avait fallu explorer les combles et les conduits d’aération, se retrouvait face au piano d’ébène du paquebot et en défoncer quelques blanches pour que la sécurité se décide à intervenir. On l’avait enfermé dans une salle ridicule et blafarde, où un misérable hublot donnait sur la surface irrégulière des flots, l’incitant à rendre son déjeuner. L’adolescente s’était accrochée au paysage comme à une bouée de secours. C’était la première fois qu’elle voyait la mer. L’odeur saline et le sentiment d’être perdue à jamais dans une grosse bassine aux proportions inconnues étaient les seules choses qu’elle en retirait. Le temps avait passé lentement et la plupart des bibelots suspendus au mur s’était retrouvés dans ses poches. Ah ! Qu’elle regrettait maintenant de ne pas avoir tenté l’escalade mât. Mais y avait-il un mât sur cette créature de fer qu’un miracle faisait dériver sur les vagues ? Y avait-il une voile gonflée par le souffle d’Eole ? La maquette du voilier lui était revenue à l’esprit. La forme souple de la coque vermeille taillée pour mieux fendre l’onde, la délicate écriture blanche sur son flanc gauche, l’élégance des détails sur le mécanisme de la tige de bois qui devait retenir la voile. La voile. Ce fin tissu fait d’une matière exquise qu’Adèle avait habilement éventré sous les yeux horrifiés de sa domestique. Ce fut le triste assassinat de la pièce de collection que Lucile croyait en sécurité entreposée dans une pièce cadenassé donc les clés avait malheureusement échappé à sa surveillance.
Sourire. On avait touché la terre ferme, la voix robotique beuglait ses politesses dans toutes sortes d’accents et de mots empruntés à d’autres contrées. Encadrée par deux gorilles Adèle fut conduite à l’extérieur. Elle traînait les pieds et babillait des insanités tout en menaçant de mordre ses bourreaux. Rien n’y fit, les officiers restèrent de marbre. On la relâcha dans une multitude de grains clairs et minuscules aux reflets ocrés qui devait être ce que la l’on nommait couramment : « sable ». Cette découverte fut suivie de cris apeurés et la Faust tenta en vain de regagner le ferry. L’inconnu et ses mystères ne l’attirait plus du tout, elle voulait le désordre de sa chambre et ses ciseaux d’artiste. Mais une fois encore le navire s’éloigna sans qu’elle ait son mot à dire. Une assemblée de gens de son âge grouillait tout autour, leur faciès mal disposé ou au contraire trop avenant indisposait les nerfs mis à mal de l’enfant. La brune avait l’impression d’être un Ecremheu qu’on menait à l’abattoir et qui n’avait pas son mot à dire dans l’affaire. La suite fut gesticulations et protestations. Alors qu’on tentait en vain de savoir si oui ou non elle avait reçu son Pokémon, elle s’escrimait à faire exactement l’inverse de ce qu’on attendait d’elle. Un Pokémon ? Et puis quoi mieux ? Son frère se plaisait à penser que ces créatures étaient pensantes mais la jeune Faust n’y croyait pas. Elle n’avait jamais entendu les domestiques en parler autrement que sous le nom d’odieux volatile et de rongeurs délinquants. D’habitude peu encline à se fier à leurs avis ou à gober les préjugés bidon de ces femmes que le temps avait rendues imbuvables, Adèle faisait exception pour la contradiction. Si cela pouvait lui évitait de s’encombrer de responsabilités et autres sottises que les stéréotypes voulaient nous faire croire indispensables, c’était tant mieux.
Sa réaction agressive et ses tentatives de fuite face aux trois membres du personnel qui traînaient son corps insoumis dans la boue vaseuse et collante, étaient donc parfaitement justifiées. Ils grommelaient eux aussi, un peu comme les gorilles du bateau d’ailleurs. L’arrivante s’en contrefichait, tous ses efforts étaient concentrés sur l’espoir de déserter au plus vite. La lutte dura une poignée de minutes, les plus longues de la vie des pauvres subalternes de l’académie et les plus salvatrices de celle de la brune qui cessa soudain de manifester son désaccord. Son sac ! Elle avait oublié son sac de toile quelque part sur le ferry ! Il lui fallait immédiatement !
« Lâchez-moi ! J’ai oublié ma valise sur le bateau ! Lâchez-moi ou je mords la maigre avec des lunettes ! »
Ils lui jetèrent des regards ébahis. Dans leurs yeux, une incompréhension si profonde et viscérale se mêlait à un désarroi dont on ne pouvait les blâmait. Depuis quand l’académie acceptait qu’on lui envoie des…. Des créatures ?! Cette fille n’était pas humaine, impossible autrement ! Elle était plus glissante qu’un Serpang et encore plus effrayante que le Général Jackie ! Bon Arceus, mais qu’avaient-ils fait ?! La tentation de s’exécuter était forte d’autant plus que la jeune fille faisait claquer ses mâchoires de plus en plus près de paume du pauvre Alfred. L’infortuné binoclard claquait des dents d’humiliation et de terreur, incapable de desserrer sa prise de peur qu’une une fois libre, le fauve ne se retourne contre eux. La porte des souterrains n’était plus qu’à deux mètres, la distance la plus insurmontable de toute leur vie pour les trois gardiens. Une fois enfermée dans le couloir sombre la gamine serait bien contrainte de rejoindre le collectionneur et ils pourraient enfin regagner la cafète et tenter d’oublier l’incident.
« Diantre ! Mais que ce passe-t-il ici ?! Que faites-vous à cette gamine ? Mais lâchez-la bande d’imbéciles ! »
A cette voix, apparemment familière aux trois lourdauds, ils abandonnèrent le corps de la demoiselle qui s’effondra avec fracas dans l’humus. La déchaînée ne perdit pas une minute et se jeta dans les bras de celui qui venait de mettre fin à son calvaire. Ce dernier était un homme au visage sillonné de rides et de tâches brunâtres. Il rappelait à la jeune Faust les amis de sa grand-mère, enfin un repère dans le joyeux bordel de son arrivée. La réaction brutale et physique de ce petit corps fragile percutant le sien avant de l’enserrer prit le senior totalement à revers. Il essaya en vain de se dégager de cette emprise gênante en marmonnant des paroles supposées éloigner la rescapée. Ses essais se soldant un à un par des échecs, il prit le parti de réprimander un peu plus fort les agents de services.
« J’espère que vous êtes fiers de vous bande d’incapables ! Faire pleurer une gamine, mais quelle honte ! Vous aviez des raisons recevables au moins ? _ Hum… Bah en fait, M’sieur c’était les ordres et…. _ Ferme la Gus ! Laisse parler Fred, il est plus diplomate que toi ! »
Mais « Fred » qui n’était ni plus ni moins que le diminutif d’Alfred, était encore sous le choc de ce à quoi il venait d’échapper. Pâle comme la mort, il tremblait comme une feuille. Le maigrichon regardait sa dextre intacte sur laquelle la marque des crocs de l’adolescente avait bien faillit venir s’imprimer. Le sauveur d’Adèle leur ordonna de déguerpir ce qu’ils firent sans demander leur reste. Débarrasser de leur encombrante présence, le supérieur tourna son regard vers la petite « victime ». Il était troublé par ce minois trempé de liquide lacrymogène qui était en train de former une grosse tâche salée sur sa chemise. Curieux de comprendre comment la fillette s’était retrouvée en si mauvaise posture et surtout pourquoi, le vieux se hâta de mettre fin aux pleurs de la brune.
« Bon petite, ces vauriens sont très loin maintenant. Tu m’expliques ce qu’ils se passent ? »
Reniflement, la nouvelle élève se décolla enfin du responsable et planta son regard électrique dans les yeux vert d’eau de ce dernier. Sa moue égarée et les traces de bave à la commissure de ses lèvres en disaient long sur l’état de panique dans lequel sa crise l’avait plongée.
« Je sais pluuuus. Mon sac il est resté sur le bateau, ils veulent me donner un pokémon en échange. J’ai pas enviiiie._ Humph. Ecoute petite, je m’occupe de ton sac et toi, tu vas voir le collectionneur. C’est un monsieur très gentil._ Vous venez avec moi ?_ Non, moi je vais chercher ton sac. C’est d’accord ?_ Hum….Moui… _ Parfait, j’espère que ton partenaire sera à ta convenance._ Au revoir monsieur, c’est la porte là-bas ?_ Oui c’est celle-là, au revoir gamine. »
Oublié le cauchemar des minutes précédentes, enjouée et ravie, la brunette prit le pas de la porte en acier massif qui devait la conduire à son Pokemon. C’était le « Permier », comme si l’idée d’en avoir un deuxième pouvait lui venir. Avoir un monstre de poche sonnait encore étrangement à ses oreilles, un peu comme imaginer sa grand-mère faire du jogging avec elle ou son frère concocter son gâteau d’anniversaire. Dans le souterrain, les couloirs étaient poussiéreux et mal éclairés, plein d’alcôves et d’irrégularités sur leurs parois. Heureusement la route ne fut pas longue et Adèle fit bientôt face à une porte blindée. Incroyable ce que les barrières pouvaient abonder par ici, ça en devenait ridicule. Appliquant sa paume contre le métal froid, l’adolescente repoussa avec force le dernier barrage. Derrière la porte, une lumière vive éblouissante après le parcours tâtonnant. Une fois sa vue habituée, Adèle put contempler les lieux. Un désordre rassurant régnait en maître. La présence de toutes ses pokéballs sur les étagères rassura la Faust, si le détenteur était aussi désordonné qu’elle, il ne devait pas être bien méchant. Tant mieux, elle avait encore une furieuse envie d’enfoncer ses dents dans la chair d’un malotru.
Dernière édition par Adèle Faust le Sam 18 Jan - 18:54, édité 1 fois