Nerveusement, Eryn jeta un nouveau coup d’œil à son iPok violet Mentali, se mordant à nouveau les lèvres en voyant qu’elle n’avait pas de réponses. C’était d’un rageant ! Heureusement, elle avait obtenu l’autorisation exceptionnelle de la directrice pour quitter l’établissement, cette dernière ayant bizarrement moins eu de mal à accepter quand sa grand-mère avait appelé pour préciser qu’elle prenait les trajets à sa charge. Eryn bénissait sa grand-mère, parfois. Elle était froide et sèche, revêche et peu sympathique, mais elle avait un sens très fort de la famille quand la situation l’imposait. Et là, avec sa fille à l’hôpital, il était catégoriquement hors de question que sa petite-fille reste à plusieurs milliers de kilomètres de sa famille alors que son devoir était d’être auprès de sa mère. La jeune Mentali n’avait pas trop compris ce qu’il lui était arrivé. Apparemment en voyages d’affaires à Kalos, elle avait entendu dire qu’il existait des champs de Gracidée dans les bois de la Route 20, juste à côté d’Auffrac-les-Congères. Elle avait donc voulu s’en rendre compte par elle-même, s’y était aventurée, avant de se perdre, de glisser dans la neige et de chuter lourdement, se cassant l’épaule dans la foulée. Au bout de plusieurs heures, ne la voyant pas revenir, son mari avait prévenu les secours, et c’était Urup, le champion d’arène de la ville, qui l’avait retrouvée dans la neige un peu avant que la nuit ne tombe, en hypothermie et dans les pommes. Depuis, sa mère était à l’hôpital d’Illumis… Et la Mentali ne savait pas si elle s’était réveillée ou pas. Et avec sa maman chérie dans le coma, hors de question qu’elle reste à l’école comme une gentille fifille ! Elle n’avait eu qu’à appeler sa grand-mère, et le problème des frais du transport avaient été réglés. Maintenant qu’elle se rapprochait doucement de Port-Tempères, Eryn angoissait un peu. Comment allait sa mère ? Allait-elle s’en sortir ? Sensible à ses émotions, la petite Evoli, seul Pokémon hors de sa Poké Ball, frotta sa tête contre son bras, lui arrachant un sourire.
« Merci Hime, tu es gentille… Regarde, en face, là-bas, c’est Port-Tempères qui approche. Pour aller à Illumis, là où est ma maman, il va falloir qu’on traverse un désert. Tu n’auras pas peur, hein ? »L’Evoli remua négativement la tête, ne sachant pas, de toute manière, ce qu’était un désert. Tout était nouveau pour elle. Alors une étendue de sable ? Elle avait un peu de mal à se la représenter, honnêtement. Doucement, Eryn serra sa petite chromatique dans ses bras, se préparant pour le débarquement. Elle descendrait parmi les derniers, pour éviter la cohue des enfants ou les pickpockets de la foule. Elle tenait à sa tranquillité, et aux quelques affaires que contenait son sac à bandoulière. Perdre ses précieux Pokémon lui déchirerait le cœur, alors mieux valait rester prudent. Elle laisserait sa valise au Chapignon pour la traversée du désert, histoire d’avoir les mains libres pour appeler ses camarades. Elle aurait bien volé sur le dos de son Tropius, mais avait trop peur de se poser au mauvais endroit d’Illumis et de se perdre dans la foule. Cependant, en voyant les personnes massées sur le quai, la scientifique ne put s’empêcher d’esquisser un sourire rayonnant. Un énorme Arcanin se tenait assis non loin du pont de débarquement, et un grand blond à l’air rêveur était debout à côté, scrutant le bateau pour y trouver quelqu’un. Brusquement heureuse, Eryn leva la main pour l’agiter avec excitation, attirant l’attention de l’énorme molosse, puis de son dresseur, lui agita lui aussi la main pour lui signaler qu’il l’avait vue. Oubliant ses bonnes dispositions précédentes, la Mentali se précipita pour passer dans les premiers, descendre quatre à quatre du bateau, et se jeta au cou de son père, qui la souleva comme si elle ne pesait rien, avant de la reposer au sol pour soulager ses bras.
« Bonjouuuur petite fleur de mon cœur ! Tu as fait bon voyage ? »« Ouiiiii ! Je suis tellement contente de te voir ! Mais je pensais que tu étais avec maman ! Comment elle va ?! »« Comme d’habitude… Elle s’est réveillée, elle a râlé, elle a mangé comme quatre, avant de se plaindre de la nourriture de l’hôpital, puis elle a signé une décharge sous les cris affolés des infirmières pour aller s’installer chez la Sorcière. Bref, ta mère quoi ! »Le cœur beaucoup plus léger, la Mentali éclata de rire, reconnaissant bien sa mère dans la description que lui faisait son père. Mais sa maman allait bien, c’était le plus important. Et Evene McNellis, sa grand-mère, la fameuse Sorcière, avait dû être plus qu’enchantée de recevoir sa fille à la maison. Bon, elle devait supporter son bon à rien de gendre, qui n’avait eu qu’une seule bonne idée de sa vie, celle d’abandonner son patronyme Ludmore pour celui des McNellis, mais si elle pouvait avoir un peu sa fille pour elle, elle le supporterait bravement, comme il seyait à une femme de son rang. Du coup… Ca voulait dire qu’Eryn allait passer un moment chez sa mamie. Quelle galère. Seule, c’était moins amusant, au moins pendant les vacances elle avait Loan avec qui passer le temps. Certes, même avec sa mère à l’hôpital, elle aurait dormi au manoir, mais aurait passé l’essentiel de son temps au chevet de sa mère. Maintenant que cette dernière était au manoir, impossible d’y couper ! Il n’y avait plus qu’à espérer que sa grand-mère n’aurait pas la brillante idée de lui parler mariages. Déjà qu’elle avait vraisemblablement trouvé une charmante petite femme pour Loan ! Ce dernier allait en faire de la charpie dans un accès de colère, à tous les coups. Lui ébouriffant les cheveux, son père la tira de ses rêveries, et elle lui sourit. Elle devrait loger au manoir, certes. Mais au moins, elle avait ses parents pour alliés. Avant de lui trouver un mari, Evene McNellis devrait affronter Angeline et Jacob McNellis. Et il y aurait des hurlements…
« On y va, princesse ? Le manoir est un peu loin et on a de la marche à faire. »Eryn hocha la tête, avant d’attraper la manche de son père avec un sourire. Son autre main vola jusqu’à son sac bandoulière, duquel elle sortit la Poké Ball d’Aladar, le Tropius, qui s’éleva dans les cieux, cachant le soleil l’espace de quelques secondes, avant de se poser au sol avec douceur, malgré son gabarit impressionnant.
« La flemme. Et puis, pourquoi marcher quand on peut voler ? »_____________________L’écho des pas de course de la Mentali résonnaient dans les couloirs. Les quelques domestiques qu’elle croisait se poussaient souplement, sachant très bien pourquoi la petite héritière de la famille courait ainsi. Elle venait tout juste d’arriver au manoir, son père la suivait plus calmement, peu désireux de se retrouver une nouvelle fois en tête à tête avec sa trop irascible belle-mère, mais elle, elle cavalait, impatiente de revoir sa maman, et de juger de ses propres yeux que cette dernière allait bien. Elle s’était fait un sang d’encre pendant toute la traversée, avait bombardé son père de questions sur le dos d’Aladar, maintenant il était temps qu’elle constate ça de ses yeux. Elle entra comme une torpille dans la chambre de ses parents, manquant de claquer violemment la porte contre le mur plusieurs fois centenaire, le souffle courts et les cheveux roses en bataille tellement elle avait couru vite. Au temps pour son asthme ! Couchée dans l’imposant lit deux places, une magnifique femme rousse leva les yeux, à peine surprise de cette apparition aussi douce que l’arrivée d’un éléphant, et un sourire ravi éclaira son visage un peu trop pâle, reliefs de son hospitalisation forcée. En deux bonds, la Mentali fut près du lit, et elle se jeta dessus pour s’engouffrer dans les bras tendus de la rousse, qui la serra avec force contre elle.
« Mamaaaan ! »« Déjà là, petite fleur ? Tu te faisais du souci pour ta vieille mère ou quoi ? Tu devrais pourtant savoir qu’il faut plus qu’une petite chute pour nous achever, nous, les femmes McNellis ! »Eryn éclata de rire, essuyant les petites larmes qui perlaient à ses yeux. Sa maman allait bien. C’était le principal. Et maintenant qu’elle était là, elle ne comptait pas partir avant d’avoir bien profité de ses parents ! Justement, son père rentrait à son tour dans la pièce, s’asseyant sur le bord du lit pour poser avec douceur sa main sur celle de sa femme, négligemment avancée vers lui. Attendrie, la Mentali sourit. Le couple formé par ses parents était à la fois harmonieux et résistant aux tempêtes les plus tenaces. Malgré leurs disputes, ils étaient encore unis, et même Evene n’avait pas pu les séparer, devant même se résigner à les marier quand sa fille, disparue au beau milieu de la nuit, était revenue quelques mois plus tard lui annoncer dans le blanc des yeux qu’elle était enceinte. De leur union précipitée était née Eryn, trop proche du mariage pour qu’on murmure à la bâtardise évitée de peu, mais assez éloignée pour qu’on ose le lui dire en face. Evene l’avait détestée, au début, avant de finalement l’accepter comme un membre à part entière de la famille.
« Alors pupuce, comment va Cael ? »Prise au dépourvu, la Mentali rougit, faisant sourire ses parents. Question piège, mais elle devait bien s’y attendre. Après tout, sa mère restait sa mère ! Telle l’ancienne espionne qu’elle était, elle restait une véritable fouine, et aimait veiller sur sa fille pour s’assurer que personne ne lui fasse du mal. Et puis elle aimait bien Cael aussi, suffisamment pour l’avoir attrapé, pendant les vacances d’été, et lui avoir fait un câlin maternel, avant de le laisser partir en lui ébouriffant les cheveux, s’amusant de son air à la fois gêné et ému.
« Oh, il va bien. Il aurait bien aimé venir, mais son départ de l’académie n’était pas justifié, alors il m’a fait promettre de lui envoyer plein de textos pour le tenir au courant. »« Brave petit. Il est toujours Ranger ou il a changé ? »« Non, toujours Ranger, pourquoi tu voudrais qu’il change ? »« Je ne sais pas, parce que ma fille a changé de parcours par exemple ? En parlant de ça, ça se passe bien en sciences ? Tu as choisi quel parcours ? »« Chercheur Pokémon, et oui ça va, ça se passe bien. »« Mais encore ? »Mais encore… La Mentali se tut. Finalement, la science, ce n’était pas si passionnant que ça, quand elle y réfléchissait bien. Certes, elle apprenait plein de choses, et ça lui permettait d’accéder à des conférences très intéressantes, mais elle n’avait pas vraiment le lien qu’elle recherchait avec les Pokémon. C’était très froid, très distant, incroyablement rationnel, et le Pokémon y était vu comme un sujet d’études dépourvu d’âme, pas comme un compagnon prêt à passer sa vie aux côtés du dresseur qu’il aura choisi de suivre. Même entourée de toute son équipe, il lui arrivait de se sentir seule, avec ces bouquins, ces croquis, ces choses à apprendre au sujet de Pokémon qu’elle n’aurait sans doute jamais pouvoir approcher. Le silence commençant à peser un peu, elle reprit la parole avec un temps de retard.
« C’est… Différent de ce que je pensais. »Elle ne put pas en dire plus. Dans un froissement d’étoffes, Evene McNellis fit son apparition, et son père ne put s’empêcher de grimacer en tournant la tête. Apparemment, il avait dû la supporter durant le semi-coma de sa femme. Pauvre de son papa. Eryn se leva pour s’incliner poliment devant sa grand-mère, qui accepta cette marque de respect avec toute sa prestance habituelle. Étrangement, Eryn savait se montrer beaucoup plus polie que son cousin, Loan, qui jetait parfois le respect aux cochons pour s’adresser à elle comme à une égale. Au moins sa jeune héritière savait où était sa place… Enfin, selon Evene McNellis, bien entendu. Eryn ne faisait ça que pour avoir la paix, pas pour s’attirer les bonnes grâces de sa puissante aïeule. Comme dit, sans Loan avec elle, cette maison lui paraissait bien austère, et, plus jeune, la petite rose avait une peur panique d’y vagabonder seule, persuadée qu’il lui arriverait des malheurs si elle s’éloignait de plus d’un mètre de ses parents.
« Bonjour, grand-mère. C’est un plaisir de vous voir. »« Bonjour, Eryn. Je ne te savais pas déjà arrivée. »« Veuillez m’excuser, grand-mère. Je sais que vous êtes la première que j’aurais dû aller voir, mais je me faisais tellement de soucis pour ma mère que j’en ai oublié les bonnes manières. »Dans son dos, sa mère étouffa un fou rire, amusée de voir que sa fille maîtrisait l’art de la flagornerie comme une vraie petite McNellis essayant d’échapper aux reproches. De toute manière, ce n’était pas comme si Evene allait lui en tenir rigueur… Non, la voilà qui agitait la main pour signaler que le problème était résolu. Evene n’était pas bien rancunière, du moment qu’on y mettait les formes. Cependant, il était évident qu’elle n’était pas passée juste pour le plaisir de saluer son héritière. Son regard filait discrètement vers sa fille, s’assurant qu’elle aille bien, qu’elle ne manque de rien, qu’elle soit bien installée. En apprenant qu’Angeline s’était réveillée, à l’hôpital d’Illumis, elle s’était déplacée en personne pour aller la chercher et la ramener au manoir, ne faisant aucunement confiance en ces institutions alors qu’elle avait son propre mini-hôpital au manoir. Angeline aurait préféré retourner à Floraville, mais elle avait dû se résoudre au fait que dans son état, tout long voyage était impossible. Et Evene ne l’avouerait jamais, mais elle était heureuse et soulagée de savoir sa fille en sécurité sous son toit bardé de tout un système de surveillance tellement inviolable que même une poussière ne pourrait s’y glisser sans faire donner les mille et une alarmes du manoir.
« Le repas de midi sera bientôt prêt. Te joindras-tu à nous, Angeline ? »« Bien entendu, mère. »Evene hocha la tête, satisfaite. Mais ne sachant plus quoi dire, elle n’eut d’autre choix que de tourner les talons, laissant père, mère et fille ensemble. L’ambiance se détendit d’un coup, et Eryn se rassit sur le lit, entre ses deux parents, profitant d’un câlin bien mérité. Avec son papa et sa maman avec elle, il ne pourrait rien lui arriver de bien grave, et elle passerait un bon moment avec eux, jusqu’à ce que sa mère aille mieux et qu’elle puisse retourner à l’école.
_____________________Un silence mortuaire régnait à table, et tous les regards étaient focalisés sur Evene McNellis qui, le plus calmement du monde, venait de lâcher une bombe atomique en plein milieu du repas. La conversation polie s’était brusquement tue, et la colère montait, lentement mais sûrement. Jacob regardait tour à tour sa fille et sa femme, se demandant laquelle des deux exploserait la première. Sa femme, sûrement. Elle avait un tempérament explosif et n’aimait pas trop qu’on marche sur ses plates-bandes. Or, là, sa mère venait de le faire sans le moindre respect. Même Eryn commençait à changer de couleur sous l’effet de la colère maîtrisée, ne sachant pas trop si elle avait le droit de hurler ou pas. Elle tenait fermement son pouvoir psychique en laisse pour ne pas exploser malencontreusement quelque chose, sachant que sa grand-mère lui en voudrait de briser des verres plus vieux qu’eux tous réunis. Mais d’un côté, c’était de sa faute. Et puis, sa liberté de choisir valait bien un vulgaire verre, de toute manière. Un coup d’œil vers sa mère lui suffit pour comprendre que cette dernière allait éclater avant elle. Genre… Maintenant.
« C’est une blague, j’imagine. »Evene McNellis saisit son verre de vin, comme inconsciente de la tempête qu’elle venait de provoquer, et qui s’amorçait doucement sous ses yeux. Peut-être pensait-elle être en mesure de la stopper. Mais elle se leurrait. Elle n’avait jamais pu en stopper une seule, et au final, tous ses enfants avaient fait comme ils le souhaitaient en se passant de son avis.
« Nullement. Le duc Alphard est le meilleur parti qu’il soit. Sa famille est noble depuis des générations, il est immensément riche, mécène des arts, et - »« Et ce n’est toujours pas à toi de décider de la vie d’Eryn, mère. »« Surtout qu’elle va faire comme tous les autres membres de cette famille et choisir par elle-même sans que vous ne puissiez rien y faire. »Evene reposa son verre de vin avec un peu trop de brutalité, et Eryn l’imita, reposant sa fourchette avec un peu plus de douceur que son aïeule. Ses parents avaient la situation bien en main. S’énerver ne servirait à rien, sinon à passer pour une sale gosse. Au bout d’une petite semaine de séjour, sa grand-mère avait trouvé le moyen de tout gâcher en lui trouvant un mari aussi riche que noble, aussi formidable qu’influent, aussi avancé en âge qu’elle était jeune et mineure. Elle en avait sorti des tas à Loan, qui devait batailler tout seul pour s’en dépêtrer sans perdre la face, tapant parfois des scandales monstrueux à sa grand-mère pour avoir la paix l’espace de quelques mois. Naïvement, Evene s’était dit qu’Eryn, plus douce, serait plus facile à contrôler. C’était sans compter Angeline et Jacob, qui ne comptaient pas voir leur fille leur échapper pour un barbon de cinq fois son âge, aussi richissime puisse-t-il être. Angeline elle-même avait bataillé pour pouvoir épouser l’homme qu’elle aimait, elle était maintenant prête à défendre bec et ongle sa progéniture pour lui épargner la vie qu’elle-même avait failli avoir.
« Sérieusement, ça ne t’a pas servi de leçon, ces histoires de mariages arrangés ? Je me suis enfuie de la maison pour pouvoir vivre ma vie avec Jacob. William t’a imposé Fauve et celle-ci s’est imposée par la force pour que tu lui fiches la paix. Joshua… »« Ne parle pas de Joshua ! »« Je parlerai de mon frère si j’en ai envie ! »Evene frappa du poing sur la table, et Angeline l’imita, avec plus de force que sa mère, faisant trembler les verres sur la table. Essayant de dissimuler son sourire, Jacob s’installa sur son siège, prêt à suivre la joute entre mère et fille. A chaque fois qu’ils se rendaient au manoir, elles trouvaient un moyen de se sauter à la gorge, même s’il fallait avouer que là, Evene l’avait bien cherché.
« Même Loan, bon sang ! Essayer de le caser avec une greluche dégotée d’on ne sait où ! »« Cette greluche était l’héritière de - »« Mais on s’en fout ! Tu veux vraiment perdre tout contact avec ta famille ? Déjà que tu ne vois plus du tout Joshua à cause de ta fierté mal placée, tu veux qu’on s’en aille aussi ? Je te préviens, si un jour Loan décide qu’il en a assez, et qu’il toque à la porte de chez moi, je l’accueillerai comme j’aurai dû le faire il y a des années, au lieu de laisser son éducation à la charge d’une harpie dans ton genre ! »« Angeline ! »« Quoi ?! Tu veux marier ma fille et tu voudrais que je te respecte ?! Mais merde, à chaque fois que tu as essayé d’influer sur nos vies, tu as perdu ! Arrête les frais, ou tu vas perdre plus qu’un peu de fierté, un de ces quatre ! »« Alors quoi, tu préfères laisser ta fille sortir avec ce bât - »Le verre de vin qu’Evene tenait toujours en main explosa d’un coup, répandant son contenu sur ses doigts fripés. La vieille femme avait sursauté, et son regard s’était levé vers Eryn, prêt à la fusiller du regard avec les mots durs qui vont avec. Mais elle n’en eut pas le temps. Jacob, qui suivait la scène, s’était reculé, prudent, et Angeline avait levé les mains, paumes vers eux, pour montrer qu’elle ne participait plus au débat. Maintenant, c’était du grand-mère petite-fille… Et comme Eryn avait la même pugnacité que sa mère, quand il s’agissait de gérer sa propre vie, Evene McNellis risquait de ne pas apprécier le voyage. Eryn s’était levée, vibrante de colère, et son propre regard carmin était planté dans celui de son aïeule. Au diable le respect. Si Evene ne comprenait que les coups, alors le bâton allait tomber sur sa vieille carcasse.
« Je sors avec qui je veux, et je n’ai aucune leçon à recevoir de qui que ce soit. »« Eryn très chère, si tu veux mon av - »« Non, merci. Je ne veux pas de votre avis. Ni de votre approbation. En fait, je ne veux rien du tout de vous. Juste que vous me laissiez tranquille et que vous arrêtiez de vouloir me marier à des vieillards prétendument pour mon bien. »« Profite de ta vie tant que tu le peux encore, ma chère. A ton âge, on a bien droit à quelques amourettes, même avec des gens du peuple. »C’en était trop pour Eryn. La carafe de vin finement ouvragée posée devant elle explosa d’un coup, rapidement suivie par les deux autres carafes posées sur la table. Et mis à part Evene, personne ne marqua le moindre mouvement.
« Eryn ! »« Je l’aime, que cela te plaise ou non ! Je me fiche de savoir s’il a été adopté, s’il connaît ou non l’identité de son père, si ses parents sont ses vrais parents et si son frère l’est par le sang ! Qu’il soit riche ou pauvre, bâtard ou pas, je l’aime parce qu’il veille sur moi, parce qu’il prend soin de moi, parce qu’il pense à moi, et surtout, je l’aime parce que je l’ai choisi, et que lui aussi m’a choisie ! Et si cela t’empêche de dormir, attends-toi à faire des nuits blanches, parce que je ne compte pas le quitter pour toi ! »« Eryn, retire ça immédiatement ! »« Non ! C’est toi qui va retirer ça ! Je refuse que tu dises du mal de mon petit ami ! Tu n’es pas au-dessus des lois, et ce n’est pas toi qui décide pour nous ! A vouloir décider de la vie des autres, tu as perdu face à tes trois enfants, face à Loan, et face à moi ! J’en ai assez d’être mariée à chaque fois que je viens ici ! Ce ne sont plus des vacances, c’est un calvaire ! Tu fais de ma vie un enfer ! »Le silence retomba sur la tablée, juste troublé par le plic-plic-plic du vin coulant de la nappe pour s’écraser au sol. Evene, pâle de colère, allait reprendre la parole, mais Angeline la lui coupa sans la moindre politesse, se levant en faisant racler sa chaise sur le sol, vite imitée par son mari, qui avait très bien compris la finalité de la dispute.
« Mère, merci de nous avoir accueilli, ce fut un réel plaisir de vous revoir. Mais nous avons conscience que nous dérangeons, aussi allons-nous prendre congé pour rentrer chez nous, à Floraville. »Angeline s’inclina raidement, et son mari l’imita en essayant de cacher son fou rire. Eryn, elle, n’eut pas le cœur de faire semblant, et elle quitta la table avec violence, renversant sa chaise au sol, l’écho de ses pas se répercutant derrière elle bien après qu’elle soit partie.