Céladopole, Février.La pluie battante s'écrasait contre le toit. Depuis combien de temps tombait-elle ? Plusieurs heures probablement. Et elle n'était pas prête à s'arrêter. Il faisait nuit. L'averse masquait tout signe de vie dans la ville. À l'intérieur d'une des nombreuses demeures, la plus visible de toute par sa taille imposante, dans une des chambres, si bien rangée qu'on aurait pu la croire inoccupée, une adolescente à la chevelure couleur blé trônait au centre, assise en tailleur. Enveloppée dans un kimono fleuri, le regard vide, elle combattait sa furieuse envie de fondre en larmes. Elle ne devait pas. Pas ici, du moins.
Elle détestait cet endroit. Pourtant, elle n'avait aucune envie de retourner de là où elle venait. Où était alors sa place ? Elle n'en savait rien. Depuis quelques mois, elle avait l'impression que sa vie ressemblait à un enchaînement de mauvaises blagues et d'événements chaotiques dont elle n'avait aucune maîtrise et était obligée de subir en continue. L'arracher d'un endroit où elle ne se sentait pas si mal l'avait certes, déplut, mais comparé à ces dernières semaines dans ce manoir aux règles de vie absurde, ce n'était que pacotille. Nichée dans sa chevelure, Miele, la petite arachnide électrique, s'était assoupie. Hope s'y était finalement fait à cette présence qui, au départ, lui déplaisait fortement. Mais la créature était désormais devenue un peu sa seule compagnie, comment pourrait-elle refuser ?
Un peu plus tôt dans la soirée, prétextant une migraine, la jeune fille avait échappé au dîner en « famille ». Malgré les mois passés, elle ne parvenait toujours pas à supporter le regard intransigeant de la vieille la scruter dès qu'elle en avait l'occasion, comme si elle était un spécimen étrange qu'elle cherchait en vain de comprendre. Les seules fois où Hope n'avait pas quitté la table l'estomac noué, en n'ayant presque pas touché à son assiette, avaient eu lieu durant les deux semaines où Yuki avait séjourné dans la demeure. Ça avait été deux semaines plus tranquilles, où son humeur morose s'était quelque peu égayée. Ils n'avaient pas passé énormément de temps ensemble bien qu'ils eussent logé sous le même toit, mais le croiser dans les couloirs et s'échanger brièvement quelques mots lui avait suffit pour retrouver un peu le sourire. Ce dernier possédait un emploi du temps compliqué.
Il y a toujours eu de personnes en activité durant les heures de repas. Seuls quelques domestiques passaient de temps à autre, quand ils se retrouvaient soudainement avec une corvée supplémentaire. L'adolescente profita naturellement de cette plage d'horaire pour essayer de maintenir quelques liens avec ce qu'elle pouvait appeler son équipe Pokémon. Les derniers mois l'avaient obligée à prendre de la distance avec la plupart d'entre eux, et inévitablement, des tensions importantes s'étaient créées. Quasiment seul Dakine avait le droit de circuler librement dans la demeure. Enfin, librement était un bien grand mot. En vérité, il était considéré comme un pokémon de la maison et était alors sous la garde de quelques domestiques. À l'heure qu'il était, il devait probablement prendre son repas en compagnie des autres pokémons de la maison dans la pièce prévue à cet effet. La mère de Hope lui avait bien fait comprendre que seul le gecko entrerait dans les exigences de Mamie Yutaka. Elle n'avait alors même pas cherché à lui dévoiler qu'elle possédait d'autre créature au risque de les voir se retrouver dans un refuge. Mais cela impliquait que la plupart restait alors en permanence dans leur pokéball, rangées dans les tiroirs. Le plus réticent à cela devait probablement être le starter de la jeune fille. Mais ce n'était pas la seule raison de la mésentente ici présente. Le statut de Dakine faisait des jaloux. Toute cette histoire dépassait la blonde. Elle savait qu'elle n'avait pas le choix, pas d'autre moyen. De temps à autre, profitant de l'absence des membres de la famille, elle libérait un ou deux pokémons pour essayer de passer un peu de temps avec eux, même si l'environnement la limitait considérablement. Elle comptait en faire de même ce soir-là. Mais cela ne se passa pas comme elle l'espérait.
Le Yanma avait pointé le bout de son nez. Il avait fixé sa dresseuse droit dans les yeux. Ce dernier ne lui avait jamais vraiment posé de soucis. Mais il n'avait pas supporté l'emprisonnement. Enfin, c'était ce qu'avait d'abord pensé la jeune fille. En vérité, il ne comprenait pas pourquoi elle n'agissait pas, pourquoi elle n'essayait pas de trouver une solution. Cependant, la communication entre une créature et un humain avait ses limites. Il eut quelques bribes de paroles lâchées de chaque côté. Des mouvements qui ne surent pas se synchroniser. Un reniement, peut-être, aussi. Ne trouvant aucune issu, une bataille de regard s'instaura. Hope n'avait aucune idée de quoi faire. Jamais elle n'aurait pu imaginer que Torë réagirait de la sorte. Et finalement, il s'était enfuit. Il était passé par la fenêtre, alors que le soleil, dehors, tintait le ciel de différents tons d'orange.
Elle ne l'avait pas retenu. Elle n'avait pas bougé. Au milieu de la pièce, elle était encore sous le choc. Que devait-elle faire ? Qu'aurait-elle dû faire ? Elle avait beau retourner le problème dans tous les sens, elle ne voyait pas et ne comprenait pas. Avait-elle toujours eu des désaccords avec le Yanma ? En y réfléchissant, elle se rappela que ça avait été quelques fois le cas. Mais cela concernait surtout des idées morales. Là, le cas n'était en rien identique. Mais avait-il compris cela ? Ou bien était-ce une accumulation de toute la frustration des deux années passées avec elle qui l'avait conduit à une telle réaction ?
Dehors, l'orage s'était déclaré. Hope ne le remarqua pas tout de suite. Puis quand ce fut le cas, elle paniqua. Où était passé Torë ? Elle espérait qu'il se trouvait en réalité à l'intérieur de la demeure même si cela pouvait lui causer d'énormes soucis à elle. Mais au moins, il serait sauf. Et si ce n'était pas le cas... Elle ne savait pas. Il pleuvait. Fort. Beaucoup trop. Avait-il pu se trouver un endroit où se réfugier ? Ou bien n'avait-il pas eu le temps ? Un sentiment de culpabilité naquit en elle.
Elle repensa à sa rencontre avec la libellule. À l'époque, celui-ci était gay, joyeux et fier. Elle le revoyait voler de manière assurée, alors qu'à côté, Djelly semblait dépitée. Puis il s'était finalement joint à la ranger. Avait-il gardé ce caractère ? Elle ne savait pas vraiment. S'occupait-elle vraiment assez de son équipe ? Aurait-il eu besoin de plus d'attention ? N'aurait-elle pas négligé quelques fois son avis ? Sur ce dernier points, Hope constata que si, probablement. Un malaise la saisit. Combien de fois ? Fut-ce beaucoup trop ? Avant qu'elle ne quitte Onde-Sur-Mer, il paraissait morose, non ? À quel moment Torë avait-il fini par devenir morose ? La jeune fille réalisa soudain que ce n'était pas le plus important pour le moment. Il fallait absolument qu'elle le retrouve d'abord. Mais si elle se balladait dans la demeure, cela allait rapidement devenir suspect. Mais de toute manière, s'il se trouvait vraiment à l'intérieur, on l'aurait découvert depuis longtemps, non ? La blonde se sentit mal. Elle n'avait pas envie d'être pessimiste dans ces conditions, pourtant, il s'était bel et bien enfuit par la fenêtre, alors pourquoi essayait-elle de se persuader qu'il pouvait peut-être toujours se trouver dans la demeure ?
Elle se décida finalement par passer par la fenêtre. Cela pourrait éventuellement lui offrir une première piste. Son accoutrement la gênait dans ses gestes, mais le temps lui manquait, elle n'avait aucune envie de se retarder en cherchant des vêtements plus appropriés pour l'excursion qu'elle allait faire. Dehors, les gouttes s'écrasaient toujours avec autant de violence. La jeune fille entrouvrit la fenêtre après avoir pris le soin d'emporter la Pokéball de l'insecte avec elle, se hissa sur le rebord de la fenêtre avant de sauter. Heureusement que sa chambre ne se trouvait qu'au premier étage. Elle eut une légère hésitation avant la chute, mais tout se déroula sans accroc. Pieds nus sur le gazon humide, elle observa autour d'elle, mais l'obscurité et la pluie limitaient grandement son champ de vision. Que devait-elle faire maintenant ? L'appeler ? Dans de telles conditions météorologiques, sa voie se ferait emporter par le vent. Elle s'était empressée de sortir à l'extérieur, mais finalement, elle ne savait absolument pas quoi faire. Hope se maudit pour s'être autant précipité bien qu'au fond d'elle, la panique la possédait toujours. Quel dresseur déciderait de laisser partir son Pokémon seul, comme ça ? Elle s'était désormais avancée de plusieurs mètres, mais ne voyait toujours rien. Ses vêtements s'étaient déjà gorgés d'eau, ses cheveux, trempes. L'eau dégoulinait de partout, et elle était plantée là, au milieu de nulle part, se sentant comme une idiote.
Il n'avait pas pu parcourir énormément de distance avec cette atmosphère. La blonde décida finalement de chercher au hasard, en espérant que le karma sera au rendez-vous. Elle longea les murs avant de sortir du terrain, escaladant le portail. Elle remonta la rue. Après un bon quart d'heure de recherche, elle tenait de retenir ses larmes. Elle couina le nom de son Pokémon. Mais la pluie écorchait le son de sa voix. Les larmes coulèrent. Après tout, qui verra la différence avec les gouttes de pluie ? L'adolescente s'abrita quelques minutes sous le pas d'une porte. Puis elle reprit les recherches. Elle chercha dans les ruelles. Et finalement, à la troisième, elle l'aperçut. Il était là, posé sur une benne, dissimulé sous un journal qui traînait probablement par terre. Quand il la vit, il se débarrassa de sa couverture. À coup d'elle maladroit, il plana jusqu'à sa dresseuse devant qui il s'écroula par terre. Ses ailes humides l'empêchaient de voler correctement. Il était à bout de forces.
Elle l'avait trouvé. Enfin. Sous le coup de l'émotion, Hope se laissa tomber à genoux. Mais la peur reprit le dessus quand elle réalisa qu'il ne bougeait plus.
« Torë ? »
Le Yanma ne répondit pas. L'adolescente répéta son nom. Toujours rien. Avait-il perdu conscience ? Elle espérait très sincèrement que non. Si c'était le cas, que devrait-elle faire ? Le centre Pokémon se trouvait à une bonne heure de marche du quartier où elle était. Elle ne pouvait pas le faire rentrer dans sa Pokéball dans cet état, et il n'y avait pas moyen qu'elle le ramène à la demeure non plus.
« Je-... Non... »
Elle se sentait impuissante, misérable et lamentable. Pourquoi était-elle dresseuse alors qu'elle ne pouvait même pas protéger son équipe ? Qu'elle idée avait-elle eu en tête ? Pourquoi avait-elle rejoint l'académie ? Si elle avait refusé l'offre, est-ce qu'à l'heure qu'il était, elle serait toujours avec la bande à Onder-Sur-Mer ? Aurait-elle eu tous ces soucis ? Et si tout simplement elle ne les aurait jamais rencontré, que serait-elle devenue ?
Une lueur attira cependant son attention. Le corps de Torë scintillait. À travers ses yeux embrumés, elle vit son corps s'allonger, ses ailes s'élargir, les yeux se tirer en arrière. Quelques secondes plus tard, la transformation s'était terminée. Déjà. Sous sa nouvelle forme, le Pokémon observait sa dresseuse. Cette dernière ne l'avait pas quitté des yeux. Elle aurait voulu lui dire à quel point elle était soulagée, lui expliquer pourquoi elle et lui, et le reste de l'équipe, s'étaient retrouvés dans cette maison de malheur, pourquoi à l'heure actuelle, elle ne pouvait agir autrement et s'excuser et le remercier pour les deux années qu'il avait passé auprès d'elle. Mais les mots lui restèrent dans la gorge, entre deux sanglots. La comprendrait-il ? Elle ne savait pas. Se mordant les lèvres, elle se contenta de le caresser sous sa nouvelle forme avant de le rentrer dans sa Pokéball. Dégoulinante et grelottante, elle prit le chemin du retour, escalada la façade et retourna dans sa chambre.
Quelqu'un avait dû passer entre-temps. Une lettre se trouvait sur sa table de nuit. Elle la lira plus tard. Elle prit d'abord le temps de sécher les ailes de son Pokémon. Une fois celui-ci à nouveau dans sa Pokéball, elle tint la sphère dans sa paume un moment.
« Pardon. »
Finit-elle par chuchoter. Elle savait qu'il voulait qu'elle agisse, qu'elle fasse quelque chose pour arranger la situation actuelle, mais elle ne pouvait rien y faire. Elle ne pouvait qu'attendre que le temps passe.
[Évolution de Yanma en Yanmega]