Eve était si gentille... Elle avait des problèmes de santé elle aussi. Le masque sur son visage, et sa suffocation lorsqu'il s'était décroché avait instauré un doute dans l'esprit de la brune, mais elle s'était retenue de l'interroger à ce sujet. Ça... Ça ne la dérangeait pas tant que ça? Lyra en était un peu impressionnée, il fallait le dire. Elle, elle avait toujours été dérangée par sa maladie, car le moindre faux pas pouvait être regretté. La Givrali n'avait jamais aimé sa maladie car on lui répétait toujours ce qui pouvait lui arrivait, et on avait toujours dit que le moindre de ses mouvements pouvait lui être fatal. Interdiction de regarder trop longtemps la télévision, elle n'avait jamais eu le droit à plus d'une heure. Sa mère et May avaient toujours eu peur qu'elle tombe accidentellement sur des films d'horreur effrayants ou bien que la télévision finisse tout simplement par la faire s'effondrer, avoir une crise. Interdiction de sortir s'amuser avec les autres, on lui déconseillait la course et le sport, enfin, on ne le lui déconseillait pas, on l'en privait. Interdiction de jouer aux jeux vidéos, ce n'était apparemment pas pour les filles et beaucoup n'étaient pas bien car trop violents. Les interdictions, Lyra les respectait à moitié. Si sa mère, elle aussi malade, fermait à clé la maison quand elle se reposait, Lyra avait toujours réussi à trouver l'endroit où sa mère cachait le petit objet en métal. Vêtue d'un lourd manteau en fourrure, la brune sortait un petit temps explorer la ville. Seulement, une fois, elle était revenue avec une vilaine cicatrice sur la tempe, alors que sa mère était encore ensommeillée. Elle avait dû trouver un mensonge des plus convaincants pour que sa mère ne devine pas qu'elle s'était sauvée à l'extérieur.
Et même May avait maintenu ces interdictions.
Même si elle avait été moins exigeante. Cela n'avait jamais changé grand chose pour Lyra, après tout.
La brune posa ses yeux sur le petit appareil que lui avait mis la jeune fille aux cheveux blancs entre les mains. Lyra passa un long moment à l'observer, les yeux rivés dessus. Elle lui prêtait quelque chose pour jouer aux jeux vidéos? C'était vraiment... Adorable de sa part. La brune n'osa rien dire sur le coup, se sentant beaucoup trop gênée. Elle la remercia d'un simple mouvement de tête et d'un sourire. Comment on appelait ça déjà? Une console, si elle ne se trompait pas. Ca pouvait être drôle à entendre, mais Lyra n'avait absolument aucune idée de comment on appelait tout ce qui tournait autour de la technologie, de l'informatique et des jeux comme ce que lui tendait Eve à présent. Normal, puisqu'on le lui avait formellement interdit quand elle était encore à Auffrac-Les-Congères. Elle avait même du mal à utiliser son Ipok correctement! Il fallait dire que sa maison, quand elle y était encore, n'avait jamais été remplie d'appareils très récents. Plutôt des objets venants presque d'anciennes époques, tant ils paraissaient vieux. Lyra n'avait jamais apprécié les goûts de sa mère, ancienne coordinatrice, et celle-ci n'avait justement jamais compris pourquoi sa fille n'avait en rien les même goûts qu'elle. La brune soupira.
En fait, elle se souvenait de sa maison vide.
Presque vide, si on comptait les très nombreuses bibliothèques et les meubles comme des tables, canapés, tabourets ou chaises.
La brune tâta le sol, cherchant quelque chose, un petit objet qu'elle pourrait balancer à la surface de l'eau. Qu'elle pourrait simplement jeter en tentant de chasser quelques souvenirs furtifs. Ses doigts se heurtèrent contre un petit cailloux, et elle eut tôt fait de les refermer dessus. Elle releva le bras, et le dirigea doucement vers l'eau, ouvrant au passage sa main qui avait enveloppé le petit cailloux rond. Il se mit à rebondir par trois fois sur la surface de l'eau, avant que celle-ci ne l'engloutisse. La brune passa furtivement une main dans ses cheveux, avant de relever les yeux vers le ciel. Les nuages l'avaient fui. Le ciel était d'un doux bleu, agréable à regarder. La Givrali cherchait à ignorer la chaleur, tandis que les cris d'amusement qu'elle avait entendu jusque là se faisaient plus distants. Un long silence s'installa à la suite des paroles d'Eve. La brune ne savait pas vraiment quoi lui répondre. En réalité, elle réfléchissait à ses paroles.
L'autre Givrali était tellement gentille.
Lyra aurait voulu l'être autant.
Qu'est-ce qu'elle devait faire? Lyra n'avait pas l'habitude de sourire. Quand elle souriait, ce n'était jamais vraiment sincèrement. Elle forçait toujours un peu ses sourires. Mais là, elle ne voulait vraiment pas offrir à cette jeune fille un sourire qui n'était au fond pas réel. La dernière fois qu'elle avait vraiment sourit, la dernière et même seule personne à qui elle avait offert un sourire vraiment sincère... C'était Max, une autre Givrali. Lyra était tellement perturbée par sa propre condition, par cette personnalité qu'elle s'était forgée pour faire face aux autres qui l'effrayaient tellement qu'elle n'arrivait même plus à sourire sincèrement. Elle avait peur de sourire. Et même lorsqu'elle était enfant, elle ne se souvenait pas avoir vraiment sourit. May en tout cas, ne l'avait jamais vue sourire. Sa mère non plus. Le plus souvent, Lyra lui avait simplement affiché une mine triste, et parfois même haineuse. Lyra adorait sa mère, mais celle-ci n'avait jamais fais ce qu'il fallait pour la rendre heureuse. La brune passa une main dans ses cheveux. Hormis Max, qui l'avait déjà vue sourire pour de vrai? Qui avait réussi à lui faire avoir sur le visage un sincère sourire? Personne.
Elle était trop perturbée pour sourire.
Trop attristée intérieurement.
Lyra n'osa pas regarder Eve, sur l'instant. Elle devait lui dire quelque chose, mais... Elle avait peur de parler. Peur de sortir n'importe quoi, peur de lui dire quelque chose de blessant. La brune se mettait souvent à réfléchir. En réalité, elle était souvent trop triste. C'était cette tristesse qui déclenchait un énervement chez elle, et un renfermement dont elle n'arrivait pas à se défaire. Elle voulait s'ouvrir aux autres, mais elle en avait peur. Elle n'avait pas peur de quoi, au final? Est-ce qu'elle avait peur de tout? Peut-être bien. Lyra n'avait pas assez confiance en elle pour se permettre de dire tout et n'importe quoi. En général, elle préférait se taire et ne parlait que lorsqu'elle jugeait que c'était nécessaire. Mais elle ne devait pas rester muette face à l'autre Givrali. Non, il fallait qu'elle lui réponde. Il fallait qu'elle prenne confiance.
Et même, cela ne servait à rien d'avoir peur. Même si elle n'arrivait pas à sourire parce qu'elle ne le pouvait pas, elle devait au moins parler. On ne l'avait pas privée de paroles, donc à partir de ce moment, elle pouvait ouvrir les lèvres.
-Merci beaucoup pour... Pour la... Console, c'est ça?
Elle tourna aussitôt la tête, cachant le rouge qui lui montait aux joues. Bon sang, il n'y avait pas de quoi se sentir honteuse! Mais Lyra était habituée à ce qu'on se fiche d'elle lorsqu'elle disait qu'elle ne savait pas ce qu'était une console que ça devenait un réflexe. Les rares fois où elle avait pu sortir en étant enfant, dès qu'elle avait dit qu'elle n'avait jamais touché à un jeu vidéo ou qu'elle ignorait ce qu'étaient les consoles, elle l'avait regretté. Les autres avaient toujours eu une emprise sur elle, et l'avaient terrorisée. Au final elle ne savait même plus pourquoi elle était sortie contre les interdictions de sa mère si c'était pour subir ça.
Peut-être parce qu'elle ne supportait plus son enfermement.
C'était même sûr, en réalité.
-Je suis désolée... je sais que je suis pas toute seule à avoir une maladie. En fait j'en parle rarement, voire même jamais. Je suis touchée d'insuffisance cardiaque, ce qui fait que je n'ai pas le droit de courir, de faire du sport ou autre. Le moindre minuscule effort pourrait me coûter très cher. Ça arrive que je ressente des pressions sur la poitrine, que mon souffle devienne anormalement court sans parfois que je ne fasse rien. Ça fait partie de la maladie, c'est ce que les médecins m'ont dit. Et comme ma mère était quelqu'un de très paranoïaque elle m'interdisait tout. J'avais jamais plus d'une heure pour regarder la télévision, les jeux vidéos je pouvais même pas en rêver... En fait, on avait tellement presque aucune technologie dans la maison que je sais même pas à quoi ressemble une console, un ordinateur ou autre... J'ai du mal à me servir de mon Ipok, c'est la première fois que j'ai un objet de ce genre en ma possession.
Elle souffla. Elle n'avait jamais parlé de ça à personne.
-J'étais enfermée chez moi, je n'avais pas le droit de sortir. Ma mère disait que le climat froid de dehors risquait d'impacter sur ma maladie. Elle cachait les clés, qu'elle soit éveillée ou endormie. Ma mère aussi était malade, et elle avait besoin de souvent se reposer. Alors quand elle dormait, je cherchais l'endroit où elle cachait les clés et j'allais dehors. Mais au final je ne savais même pas pourquoi je sortais, puisque quoi que je fasse les autres trouvaient toujours le moyen de me harceler.
La jeune fille se massa les tempes, rouge de gêne. Elle n'avait jamais, jamais parlé autant à quelqu'un. Elle soupira, et chercha à nouveau un petit cailloux à lancer sur l'eau. Peut-être rêvait-elle mais, il lui semblait que... la chaleur s'était adoucie.
-Je parle trop, je suis désolée. En fait j'ai jamais parlé de ça à personne. Ca fait bizarre d'en parler mais... je me sens un peu soulagée.
Elle passa une main dans ses cheveux. Elle se sentait énormément soulagée, oui. Elle prit sa tête dans ses mains, attendant que le rouge finisse par disparaître.
-En fait, t'es même la première personne à qui je parle réellement. Je me sens bien à tes cotés. Parce que... Tu es vraiment gentille et, en fait tu es bien plus adorable que je le pensais. En fait, je voudrais arriver à sourire comme toi. J'ai toujours des pensées tristes, je sais pas pourquoi. J'arrive jamais à sourire. Parfois j'ai envie de pleurer, sans aucunes raisons. Y'a un moment de mon enfance dont je ne me rappelle pas, mais je crois que c'est ça qui me fait pleurer, même si je ne m'en rappelle pas. Les autres m'ont toujours reprochée d'être ce que j'étais, sois disant parce que j'étais trop faible. Mais c'est différent avec toi. Parce que tu es différente des autres, dans le sens où tu ne me juges pas. Merci de m'écouter, Eve. T'es une fille vraiment gentille, en fait tu es même la plus gentille que je connaisse. Je suis heureuse de t'avoir rencontrée. Et même si on viens de se rencontrer, et bien...
La brune était toute rouge. Déjà, elle était entrain de se demander si parmi ses paroles ne s'était pas glissée une bêtise. Mais au moins elle avait réussi à se confier.
Les sourires viennent parfois sans qu'on les attende.
-J'ai trouvé en toi une amie.
Le regard de Lyra, jusque là perdu dans l'horizon, s'était tourné vers Eve. Ses yeux plantés dans les siens, avec une sincérité insoupçonnée, elle avait sourit.