Au milieu de la morosité du désert d’Ylel, les toiles colorées des étals du marché de la tribu de Baal ressemblaient à des tâches de pétrole colorées sur la surface de l’océan. Se couvrant la tête dans son keffieh pour ne pas être gêné par les tempêtes de sable, Sven s’avança à travers les allées écrasées par la canicule. Cela ne faisait pas bien longtemps qu’il avait quitté Ylel. Ces étals, ces gens et ces décors, il les avait encore très bien en mémoire. Mais ce retour lui donnait une étrange impression nostalgique et mélancolique. Il était revenu sur ses terres, là où se trouvaient ses racines. Et cette sensation était bien plus intense que n’importe quoi d’autre. Il n’y avait aucun autre endroit sur cette Terre où il pouvait se sentir aussi bien. Respirant à fond pour que ses narines s’emplissent des fragrances caractéristiques des produits du marché, Sven salua les différentes personnes, prenant parfois des nouvelles, s’arrêtant d’autres fois pour discuter quelque peu. Dans la petite tribu de Baal, tout le monde se connaissait. Et Sven encore plus que les autres, puisqu’il était un « enfant » ; un être dont l’arrivée était bénie pour tous les autres membres du clan.

- Tu veux une baie Mepo, jeune Abigor ? Nous avons eu toute une cargaison de Mérouville. Elles sont très appétissantes, l’interpella une vieille dame avec un sourire bienveillant.
- Je vous remercie bien, dame Allysse. Mais je viens de manger, donc je n’ai plus très faim. Par contre j’achèterai bien quelques baies Pecha pour ma mère. Elle adore ça, vous savez…
- Pas de soucis mon garçon, choisis celles qui plairont à Seren.

Avec son habituel visage jovial malgré la froideur de son caractère, Sven attrapa quelques baies et les fourra dans un sac en toile. Puis, après avoir copieusement payé la marchande, il la salua poliment et repartit explorer le reste du marché. Dans la nuit qui commençait à tomber progressivement, le désert revêtait des couleurs qui le rendaient à l’interface du froid et du chaud. La lueur diaphane du sable était troublée par la lumière, plus froide, du ciel qui déclinait petit à petit. Observant un moment ce paysage qu’il aimait tant, Sven acheta encore quelques denrées dans un stand ou dans un autre, puis s’apprêta à rentrer lorsqu’un mouvement capta son attention.

Il dégaina automatiquement les poignards qu’il gardait constamment à sa ceinture, prêt à frapper s’il s’agissait d’un Pokémon sauvage agressif. Les Seviper, bien qu’inhabituels dans cette portion du désert, venaient parfois se camoufler entre les toiles tendues afin de rechercher des proies à croquer. Il n’était pas rare que, de surprise, ils se mettent également à attaquer les humains qui les découvriraient par hasard. Les sens à l’affût, Sven fit un léger signe en direction de Furfur afin que ce dernier se prépare à parer toute éventualité. Sur son épaule, Zépar se crispa un peu plus. Derrière lui, Agares se dressa de toute sa hauteur pour devenir plus imposant et impressionnant afin de faire fuir l’ennemi. Ce ne serait pas bien efficace contre un des Maskadra qui peuplaient les routes alentours puisque ces derniers usaient du même type de parades d’intimidation, mais n’importe quel autre Pokémon faible et passif aurait pris la fuite face à ce serpent des mers aux couleurs improbables.

Ce ne fut néanmoins ni un Seviper, ni un Maskadra qui sortit du sable en créant quelques remous tourbillonnants. Mais un petit Kraknoix à la coque étincelante et aux petits yeux brillants. Sven s’interrompit et baissa ses poignards. Ces Pokémon-là n’étaient pas vraiment dangereux pour les humains comme lui. Un brin agaçants lorsqu’on passait la main à côté par mégarde et que ses mâchoires se refermaient dessus, mais pas agressifs pour autant. Ce n’était donc que ça.

Dans sa tête, Furfur lui balança une petite remarque sarcastique quant à sa panique face à ce petit truc « tout rikiki ». Sven décida de le faire taire en lui balançant une baie Pecha à la figure ; projectile que le Nucleos évita sans trop de soucis. Les ricanements mentaux redoublèrent d’intensité.

- Oh allez, tais-toi un peu. A la place, rentrons plutôt à la tente. Mes parents doivent nous attendre et…

Son corps se nimba d’une aura violette et il fit un bond sur le côté grâce au contrôle mental de Furfur. Juste à temps pour voir que le Kraknoix venait de bondir sur lui, ses mâchoires claquant comme d’impitoyables pinces. Wow. Qu’est-ce qu’il voulait, celui-là ? Il fit une roulade sur le côté pour se réceptionner, une main sur Zépar pour que ce dernier ne décolle pas. Ok. Contrairement à d’ordinaire, le Kraknoix était visiblement du genre nerveux. Et il leur était hostile, en plus de tout ça. Il fallait qu’il prenne des mesures.

- Agares.

Son Milobellus chromatique s’avança et se dressa comme un cobra entre lui et leur agresseur. Sven n’avait jamais été vraiment friand de combats Pokémon, mais si ce Kraknoix voulait l’affrontement, il allait l’avoir. L’Archéologue n’était pas vraiment de ceux qui prônaient qu’un combat de Pokémon était un acte d’une barbarie sans nom. D’autant plus s’il se faisait attaquer de la sorte. Il avait son honneur, après tout. De son côté, le Kraknoix repéra son adversaire et gratta le sol de sa patte, prêt à en découdre. Le match allait commencer.

- Agares, Vibraqua.

Le Milobellus aux écailles vert feuillage cracha une gerbe d’eau trouble en forme d’anneaux. Le Kraknoix évita l’assaut en bondissant sur le côté, puis plongea dans le sable pour s’y dissimuler. Remontant d’un coup, le type Sol tenta de mordre une nouvelle fois Agares, qui esquiva en faisant ondoyer son corps sinueux. Les deux opposants se toisèrent, et le combat reprit de plus belle.

Observant avec attention les moindres mouvements des deux Pokémon, Sven essaya de trouver une parade. Agares avait beau être puissant et rapide, ce Kraknoix était plutôt doué pour esquiver. D’autant plus que même s’il n’avait pas l’avantage du type, il avait celui du terrain. Dans un désert, Agares était forcément plus lent et moins efficace.

- Attend qu’il te morde, Agares. On va le coincer.

Le Milobellus s’immobilisa tandis que le Kraknoix se cachait une nouvelle fois sous le sable. Puis, lorsque la Morsure survint une nouvelle fois, il laissa les mâchoires du Kraknoix se refermer sur son corps de reptile.

- Ligotage pour l’immobiliser. Suivi d’Ouragan.

Agares fit bouger ses anneaux pour enserrer le corps du Kraknoix. Tel était pris qui croyait prendre. Complètement à la mercie du Milobellus, le Pokémon sauvage se retrouva strangulé par la constriction. Puis, dans un dernier mouvement d’air, l’ouragan se déclencha et l’envoya rouler au loin. Le corps inerte du Kraknoix tomba comme une poupée de chiffon sur le sable, et Sven s’approcha du Pokémon. Puis, s’accroupissant à ses côtés, il essaya de voir comment il allait. Derrière-lui, Agares était en train d’utiliser Soin pour retrouver sa forme initiale. Sven ne l’aurait jamais laissé se blesser délibérément sans avoir cette possibilité sous la main, de toute façon… Laissant son Pokémon s’auto-gérer, il se laissa tomber près du Kraknoix.

- Bon. Tu vas nous expliquer pourquoi tu nous as attaqués, maintenant ?

Peut-être aurait-il dû commencer par là.