Hum… On ne m’a jamais demandé de me présenter de cette manière… Du tac-au-tac je répondrais que mon physique est déterminé par mes gènes, pour plus de précisions je vous demanderais donc de vous référer à mon code génétique. Mon caractère dépend lui du contexte social dans lequel j’ai grandi, tout comme mes goûts, mes préférences, ma manière de parler, de me tenir et de réfléchir…. Comment ça ce n’est pas suffisant ? Il faudrait que je rentre plus dans les détails, que je me dévoile totalement ? Soit…

D’un point de vue biologique je suis comme toutes les autres filles de mon âge, si ce n’est un peu plus petite que la moyenne. Mes cheveux sont assez longs, et sont d’un brin intense, parsemé de reflets qui peuvent parfois se révéler blonds, selon la lumière ambiante. Autant vous dire que je ne passe pas inaperçue aux yeux de tous, et que l’envie de m’enterrer sous terre chaque fois que quelqu’un me fixe trop longtemps me prend fréquemment. Ne trouvant jamais comment m’y prendre convenablement, je baisse mes petits yeux marrons et fixe le sol ardemment. Mon corps frêle se recroqueville petit à petit, comme pour dresser un mur entre moi et mon interlocuteur, et je ne fais plus qu’hocher la tête pour répondre aux questions que l’on m’adresse.

Maman dit que je suis timide, et que cette attitude pourra m’handicaper pour plus tard. Je ne suis pas d’accord… Etre timide c’est ne pas supporter la présence d’autrui, et ce n’est pas mon cas. J’aime trainer avec les autres lorsque je me rends à l’école des dresseurs de Féli-Cité, je ne partage juste pas leurs centres d’intérêts. Il faut avouer que c’est difficile de se faire des amis lorsque votre monde ne correspond pas au leur.

Moi j’aime me rouler dans l’herbe, explorer les champs de fleurs de Floraville pour découvrir des espèces que je ne connaissais pas auparavant, papillonner dans les musées pour me renseigner sur l’histoire de mon île, me promener dans les mines pour essayer d’apercevoir quelques fossiles,… Je trouve fascinant la manière dont les Pokémons peuplent Sinnoh en fonction du climat ou des paysages,… Tenez une question me taraude : les Blizzarois se sont-ils adaptés à la température extrêmement froide de Frimapic, ou l’ont-ils provoquée à force de peupler les lieux ? Si nous prenons en compte que la première hypothèse est juste, pouvions-nous nous attendre à voir des Blizzarois vêtus d’un pelage vert et non blanc au commencement du monde ? Autant d’interrogations me tracassent l’esprit nuits et jours et je ne demande qu’à obtenir une réponse claire. Pour cela je me réfugie souvent dans mes livres.

J’aime, ou plutôt j’adore lire. Les ouvrages du professeur Sorbier sont les plus passionnants sur l’univers qui m’entoure. Cet homme est vraiment un génie. J’ai demandé à papa de m’emmener le voir, mais il a répondu qu’il était trop occupé et qu’il devait s’occuper de la boutique de fleur. De son côté, maman m’a affirmé qu’il ne voudrait pas parler à une simple petite fille, et qu’il faudrait que je fasse quelque chose de spécial pour l’impressionner. J’ai longtemps réfléchi et je pense que devenir un professeur comme lui me permettrai de l’approcher. Je suis studieuse, et je travaille dur. Si je continue mes efforts, peut-être que j’aurais une chance de le rencontrer.

Les gens pensent que je suis ennuyeuse. C’est vrai, parfois. Disons que je porte un regard très critique sur le monde, ou bien que je me préoccupe de choses jugées comme n’étant « pas de mon âge » par ma mère. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir quelques pointes d’humour bien cachées avec les personnes que j’apprécie le plus. Celles-ci se révèlent être encore une fois mes parents… et Diego… autrefois…

Je suis née à Floraville, un trois septembre. Maman m’a raconté que ce jour-là, toutes les roses de la ville avaient éclos et avaient laissé de vives couleurs dans le paysage. Papa avait fermé la boutique pour l’évènement, et avait causé une vague de mécontentement. Lui était l’homme le plus heureux du monde, et m’a affirmé que, certes, ma naissance lui avait fait perdre beaucoup d’argent, mais que pour rien au monde il n’aurait troqué son arrosoir et son tablier contre le fait de voir ma « petite bouille » dans ses premiers instants. « Parfois, quand tu réfléchis, ton visage se fige automatiquement dans cette même position », me dit-il. Si c’est le cas, je devais être le bébé le plus hideux au monde.

Dès mon plus jeune âge, je m’étais retrouvée avec ma passion pour le monde qui m’entoure. Quand maman m’emmenait voir les concours de Pokémons à Unionpolis, je ne portais pas attention aux figures et aux actions qu’effectuaient ceux-ci, mais j’essayais de déterminer leur sexe. En effet, certains Pokémons sont différenciables entre leur propre espèce ! Fascinant ! Il faut avouer que voir des Pokémons transformés en bêtes de foires n’était pas non-plus très intéressant… Les observer dans leur état naturel, voilà qui pouvait se révéler très impressionnant et parfois très instructif.

C’est papi qui m’a appris tout ce que je sais. Lorsque je lui rendais visite à Celestia, il m’emmenait constamment voir les fresques qui renferment toute l’histoire de notre territoire. L’écouter psalmodier à propos des Pokémons originels, Dialga et Palkia,  occupait mes journées et animait mes rêves. D’ailleurs, contrairement à mes parents, grand-père avait tout compris à l’importance de la connaissance. Il me racontait qu’il était chercheur lors de sa jeunesse, et qu’il travaillait pour une firme étrangère, située à Hoenn il me semble, nommée Devon. Il inventait tout un tas de machines plus ou moins utiles, et passait parfois au chantier naval pour apporter ses connaissances aux membres de l’équipe de construction d’un sous-marin.

« Tout ce que j’ai fais, je l’ai fait pour améliorer le monde dans lequel nous vivons, et pour t’offrir un avenir formidable. Cependant, n’oublie pas que tout ce que j’ai réussi à accomplir, c’est grâce à l’aide des Pokémons. On s’inspire du monde autour de nous pour créer les meilleures innovations : les coques des bateaux sont inspirées des formes des Relicanthes et de leurs carapaces solides, l’homme a découvert l’électricité en étudiant les échanges d’électrons sur les Pharamps ou les Pikachus, les machines de chantiers sont aussi puissantes que des Machocs, et les avions ont des ailes aussi grandes que les membres d’un Etouraptor. Tu ce que tu es, tu le doit à la biodiversité autour de toi. » expliquait-il.


Malheureusement Papi a fini par quitter notre monde.

Je me souviens…
Je jouais avec le Rosélia du village devant la boutique, après l’avoir libéré de sa pokéball. J’étais allongée dans l’herbe, et je regardais les bourgeons du Pokémon s’ouvrir petit à petit devant moi, le printemps étant en train d’arriver. Lui restait de marbre, beau et gracieux, en nous regardant de haut. Rosélia savait que c’était sa journée, qu’il allait modifier son apparence pour une bonne partie de l’année, et offrait à nos yeux ce spectacle somptueux.
Grand-père était malade depuis déjà un bout de temps, et je m’attendais au pire. Lorsque j’ai vu maman me regarder au loin, l’œil vide, le corps presque sans vie, j’ai très vite compris… Du haut de mes dix ans, j’étais déjà une jeune fille raisonnable et avisée, mais cette nouvelle m’a bouleversée. Ma vision devenait floue au fur et à mesure que je me relevais et que je prenais la direction de la Forêt de Vestigion, sans me retourner pour offrir un câlin de réconfort à ma famille. Mes jambes se sont mises à accélérer seules, jusqu’à ce que je puisse sentir les brins d’herbe au sol me fouetter les chevilles.

Je me souviens…
La forêt était vivante ce jour-là. La faune du lieu était de sortie : des Chenipottes préparaient leurs cocons en fil de soie, quelques Rozboutons sortaient leurs visages des feuillages pour observer les voyageurs et les passants, un Etourmi s’était même posé sur une branche en face de moi. En temps normal, je me serais arrêtée immédiatement pour observer son comportement, mais plus rien n’avait d’importance.
A bout de souffle, je me rappelle la manière dont je suis me soudain écroulée sur le sol doux et humide d’une clairière pour pleurer toutes les larmes de mon corps. Entre quelques soubresauts et reniflements, le soleil avait réussi à traverser l’épais feuillage du lieu pour venir me frapper en plein dans la pupille.
« Le Soleil est la chose la plus importante pour tous les êtres vivants. Il est à l’origine de la vie, et y mettra fin également. Entre les deux, on a largement le temps de réaliser des choses extraordinaires… Hannah, un jour je viendrais à disparaitre, et ce jour-là ne soit pas triste. C’est dans l’ordre des choses. Toutes sortes de cellules finissent pas s’épuiser, et mourir. C’est le cycle de la vie. Mais pour que ce cycle soit complet, il faut que quelqu’un prenne la relève, et continue ce que l’on a pas terminé d’achever, découvrir ce que l’on a pas encore découvert, et accomplir ce que nous n’avons pas encore fait. Continue ce que j’ai commencé ma puce, pour rendre le monde meilleur. »


« Rendre le monde meilleur »
C’était devenu mon objectif. Tout ce qui pouvait me permettre de l’atteindre était une attention aigüe en classe. Je devins la première de la classe, creusant ainsi le faussé avec mes camarades. Hugo et Cyril ne pensaient qu’à optimiser leurs chances de gagner lors d’un combat, tandis que je me perdais dans des bouquins d’archéologie ou d’étude Pokémon. Lors des sorties organisées par l’école des dresseurs, j’utilisais mon déjeuner comme appât pour attirer quelques Apitrinis ou Papillusions tandis que les autres allaient se baigner dans l’étang le plus proche, ne pensant qu’à s’amuser. Lors de notre sortie à Vestigion, tous s’étaient dirigés vers la boutique de vélo, dans l’espoir de voir les nouveaux bolides mis sur le marché. Madame Bourge, la maîtresse, avait insisté pour que je me joigne à eux,  par soucis de sécurité dans une si grande ville. Je fus surprise de voir un attroupement près de la caisse. En m’approchant un peu, je réussi à voir… A LE voir…


Un jeune garçon se tenait devant le vendeur et lui tendait une pompe à vélo, dans le désir de l’acheter. Tout d’abord, je ne compris pas pourquoi il y avait tant d’agitation autour de lui… Puis j’aperçu un Luxio à ses côtés. Sa fourrure était magnifique, soyeuse et brillante, et l’animal levait fièrement la tête ce qui accentuait sa tenue royale.
« Regardez un Pokémon ! », « Ouah il super joli ! », « Mais où est sa pokéball ? »
Telle était la question. Ce garçon se baladait avec son Pokémon en liberté en se fichant du regard des autres. Il n’était en effet pas très commun de croiser des dresseurs aussi en confiance avec leur bête au point de la laisser partager le pavé avec eux. Je n’en avais en tout cas jamais rencontré. Le caissier le regardait d’un mauvais œil, et il lui demanda de rapidement quitter l’établissement après avoir empoché la monnaie. Celui-ci ne se fit pas prier et j’aperçu sa chevelure rouge traverser la foule et mettre le pied dehors.
Tout le monde oublia cet incident immédiatement, mais cet acte me troubla quelques secondes de plus… Pourquoi faisait-il cela ? Dans quel but ?

Prenant mon courage à deux mains, je sortis dehors en trombe et le chercha du regard. Rien à droite, si ce n’était quelques broussailles. Rien à gauche à part la route. Mais lorsque je baissai le regard, il était là, juste en face de moi, en train de gonfler les pneus d’un vélo neuf. J’oubliai totalement mes problèmes de socialisation et courus lui parler.

«  Eh ! Euh… Salut ! Pourquoi tu le laisses en liberté ? »

Mon entrée en matière plutôt brusque eut l’effet de le surprendre quelque peu, puis il s’approcha de moi et un magnifique sourire enfantin illumina son visage. En y regardant de plus près, ses yeux étaient d’un bleu profond.

« Un Pokémon n’est pas fait pour vivre en prison que je sache ! » me répondit-il presque du tac au tac.
« Mais… Tu… tu…  tu n’as pas de problèmes avec lui ? Et les autres gens ? »

Il se tourna vers son Luxio et éclata cette fois de rire… Mon courage était soudain retombé et je me mis à rougir rapidement avant de fixer mes pieds, qui se mirent à bouger frénétiquement sur place. Lui n’arrêtait pas de s’exclamer et réussi tant bien que mal à retenir son fou rire.

« On ne vit pas pour les autres ! Et lui se sent bien, je ne vais pas le priver de ça ! Si tout le monde faisait ça, je suis sûr que le monde serait bien meilleur ! Ecoute, viens demain à l’entrée de la Forêt, je te montrerai quelque chose ! Pour le moment je dois y aller, mon père m’attend ! »

Sans un mot de plus, il enfourcha son moyen de transport et pédala rapidement avant de se fondre dans la masse, son Pokémon le suivant de près.


Le lendemain, il m’attendait bien à l’endroit nommé, avec toujours son éternel sourire sur la face et son compagnon roulé en boule à ses pieds.

« Au fait moi c’est Diego ! » se présenta-t-il.

Je fis de même, en annonçant mon nom d’une petite voix. Puis, sans attendre, il me prit par la main et m’emmena derrière les arbres. Je le suivis, non sans broncher au départ, puis pleine de curiosité à l’arrivée. L’endroit où nous nous étions arrêtés me rappelait notre jardin, remplit de fleurs de toutes les espèces.
Soudain, Diego s’assit sur l’herbe grasse et m’invita à faire de même.

« Les Pokémons ne sont pas fait pour vivre en captivité, voilà pourquoi je laisse le mien en dehors de sa pokéball. »

Comme pour illustrer ses propos, son Luxio commença à faire le tour du champ de fleur, en reniflant les environs. Son dresseur gardait sur lui un œil bienveillant tout en continuant.

« Ce sont des êtres vivants… Personne ne sait ce qu’il se passe dans les objets dans lesquels nous les enfermons. Dans le doute, je laisse le mien dehors, pour qu’il profite du monde extérieur. »

Luxio semblait avoir trouvé quelque chose et se mit en position d’attaque devant un buisson d’herbes folles. Les corps bandé, les pupilles dilatées, la queue remuante, il attendait sa proie, telle qu’elle soit. Moi je regardais attentivement la scène, en me demandant ce qui pouvait bien se cacher tout près de nous.

« Les Pokémons qui ont été adoptés par les humains ont perdu certains de leurs instincts naturels, en commençant par la chasse… J’ai remarqué cela au cours de mes observations. En effet, chasser ne leur apporte plus grande chose, puisque les combats sont là pour les canaliser et vider leur énergie. C’est triste, puisque à l’origine, tous les êtres vivants sont sur Terre pour pouvoir interagir avec ceux d’autres espèces. »

Le Pokémon bondit de son emplacement et fonça droit dans les fourrés. Il en ressortit quelques instants plus tard avec un Blindalys entre les pattes, fruit de sa petite partie de chasse.

« Laisser un Pokémon faire ce qu’il veut pendant ses temps libres, ça n’a rien de mal, tu vois ! » finit-il par dire en me regardant dans les yeux.

Il pointa ensuite son doigt vers son compagnon. Celui-ci laissa s’échapper le pauvre Pokémon insecte indemne. Je pensais qu’il allait en faire son repas, mais il lui a laissé la vie sauve. Magnifique.


Avant ma rencontre avec Diego, l’étude des Pokémons ne se résumait qu’à regarder un individu se démener dans la nature. Grâce à lui, j’ai compris que les comportements des Pokémons étaient liés à leur manière de vivre ensemble, dans un équilibre parfait entre le prédateur et la proie. Tout était régit par des règles ancestrales dont je venais soudain de prendre conscience. Je me demandai un moment si le professeur Sorbier s’en était rendu compte… Sûrement, et depuis bien longtemps…
« Que je suis bête » pensais-je le soir dans mon lit.

Les vacances scolaires étaient petit à petit arrivées, et j’utilisais le temps supplémentaire devant moi pour trainer un peu plus avec Diego dans les bois. Chaque jour était nouveau, différent. Nous voyions le monde d’une nouvelle manière chaque soir.
Diego était devenu un partenaire d’étude particulièrement intéressant. Il pensait comme bon lui semblait, et son rêve était de devenir comportementaliste Pokémon. Une orientation admirable !
Parfois, nous nous offrions un peu de temps sur son vélo. Nous dévalions la piste cyclable ensemble sur la machine et sentions le vent dans nos cheveux libres. Les gens nous ciraient dessus car nous passions trop près d’eux à une vitesse folle, mais rien n’avait d’importance…

Maman était contente de me voir avec un ami et appréciait beaucoup Diego. Il était poli avec tout le monde, toujours souriant et rieur, et ne manquait pas d’amuser la galerie avec ses remarques pertinentes et intéressantes. Il pensait comme moi, et voyait le monde de la même façon que moi, ce qui en faisait un compagnon parfait. Il était un peu plus âgé mais ça ne l’empêchait pas d’être gentil et de ne pas me prendre de haut comme la plupart des adolescents le faisaient.

Il parlait très peu de sa famille, je n’ai jamais pu rencontrer ses parents. Nous passions nos journées à l’extérieur et parlions de tout, pas seulement de Pokémons. Début août, je lui avais annoncé que je comptais m’inscrire à la Pokémon Community de l’île de Lansat. Les brochures faisaient passer cet endroit comme une université où il faisait bon vivre, et où tous les dresseurs pouvaient trouver leur voie. Lorsque je lui parlai des cours de science en archéologie et en éthologie, ses yeux se mirent soudain à briller.
« C’est ce qu’il nous faut, Hannah ! », s’était-il exclamé.

Il y a encore de cela deux semaines, Diego aurait dû m’accompagner, et partager cette aventure à mes côtés, mais j’ai très vite déchanté.


Il y a quelques jours, Diego a frappé à ma fenêtre en pleine nuit, me tirant d’un sommeil très profond. Son sourire avait disparu et avait laissé place à une mine pleine d’anxiété. Je lui avais ouvert et l’avait invité à rentrer, mais il avait préféré rester dehors.

« Hannah, j’ai une mauvaise nouvelle. »

Luxio ne l’accompagnait pas. Que se passait-il donc ?

« Ecoute-moi, d’accord ? Je dois partir, mon père m’a tout juste laissé le temps de te prévenir. J’ai appris hier soir que nous quittions Sinnoh. »
« Comment ça ? » demandai-je, incrédule.
« Il faut que nous partions, c’est vraiment urgent, je ne peux pas t’en dire plus ! »
« Oui, pas de soucis, on se retrouvera à la Pokémon Community. »

Il secoua la tête, déçu.

« Tu ne comprends pas, Hannah ! Je ne pourrais pas te suivre ! Profite bien de la chance que tu as et accomplis ton rêve, sans moi. »

Mon univers s’écroula tout d’un coup. Pourquoi un changement brutal de décision comme celui-ci devait arriver maintenant ? Il avait l’air motivé pourtant, pourquoi me laissait-il seul ainsi ?
J’avais eu beau lui posé la question, il était resté très mystérieux dans un premier temps, ne voulant pas me donner les raisons d’un tel retournement de situation. Il paraissait pressé et stressé, au point même de percevoir une goutte de sueur sur son front. Je n’aimais pas le voir comme cela : ou était passée sa bonne humeur ? Et sa joie de vivre ?
Voyant que je n’allais pas être rassasiée de ses réponses à la va-vite, il se décida à m’exposer crument la vérité en face, sans autre forme de procès :

« Lâche-moi maintenant ! Mon père est un criminel d’accord ? Il contrôle un gang à Vestigion et est sur le point de se faire prendre ! Si on ne part pas immédiatement, ma famille va être détruite ! ».
« Mais, Diego, pourquoi tu ne me l’a pas dit plus tôt ? Est-ce que… »
« Oh, arrête avec tes questions débiles ! Je m’en vais un point c’est tout ! Laisse-moi tranquille à présent. »

Sans dire un mot de plus, il enfourcha son vélo qu’il avait déposé contre le mur de ma maison et pédala vers sa ville, sans regarder derrière lui.


Le trajet de Sinnoh à Lansat s’était passé sans encombre. Je n’avais prêté attention à personne, et on me rendait la pareille. Je n’avais envie de parler à qui que ce soit.
Le voyage était fade. Les couleurs du paysage et la nouvelle biodiversité des lieux ne me faisaient ni chaud ni froid, et je me contentais juste de regarder mes mains. La Pokémon Community était assez impressionnante néanmoins, et un petit pincement au cœur me prit lorsque je vis cette foule d’élèves étudier sur les parterres d’herbes. La différence avec l’école des dresseurs était flagrante. J’aurais tellement aimé que Diego soit là, avec moi, pour se rendre compte de tout ce qu’il avait raté.

Après son annonce, je m’étais enfermée dans une colère noire pendant près d’une semaine. Mes parents, qui s’étaient habitués à le voir trainer dans la maison, étaient étonnés de son absence. Mais que leur dire ? « Diego ? Ah, c’est un mafieux en fait ! ».
Impossible.
Puis, la colère et la haine ont laissées place à l’indifférence totale. Plus rien n’avait de goût, plus rien ne m’étonnait, plus rien de me surprenait ou me transcendait de joie. Le vide.
J’étais en train de me rouvrir au monde autour de moi à mon départ de la maison, pour mes parents, et pour leur montrer que j’allais mieux, avant de ne plus les voir pendant un an. Mais plus j’approchais du campus, plus une espèce d’excitation me prenait au ventre et me donnait de plus en plus envie de lever les yeux. Je fus bien obligée de le faire pour admirer les bâtiments des différents dortoirs.

A l’accueil, on me fit signe qu’il fallait que j’aille voir le Collectionneur pour recevoir mon premier Pokémon. Sans grande conviction, je me retrouvai rapidement dans une salle remplie de pokéballs de toutes sortes, et un homme se tenait devant moi. Il me posa soudain un tas de questions, plus farfelues les unes que les autres : quelle est ma couleur préférée ? Qu’est-ce que je préfère faire ? Est-ce que j’ai déjà fait du ski ?... Je ne comprenais pas en quoi ces questions pouvaient lui servir à déterminer quel Pokémon me correspondait le plus, et j’en oubliai presque la moitié tant on me noyait sous un flot d’interrogations.
Puis vint finalement le moment fatidique. L’homme me tendit une pokéball en souriant tendrement et s’exclama : « Je pense que celui-ci pourrait te plaire. ».

Une fois dehors, j’ouvris la pokéball non sans appréhension. Après qu’un flash lumineux m’ai brûlé les yeux pour quelques secondes, je perçus rapidement la silhouette d’un Pokémon se tenant à quatre pattes, assez petit, m’arrivant environs à la moitié de mes tibias. Plus mes pupilles se raccommodaient à la lumière, plus son pelage se teintait d’un couleur bleue ciel.
Je fus agréablement surprise lorsque je réalisai enfin ce qui se tenait devant moi : un magnifique Lixy.

Diego n’était peut-être pas si loin que ça finalement. Et Papi aussi.