Ce matin-là, la rose se réveilla en fanfare. Littéralement. C'était la veille au soir, toute excitée à l'idée de la sortie capture du lendemain, qu'elle avait décidé de changer sa sonnerie de réveil en conséquence, réveillant la pauvre Obéline par la même occasion. La troisième résidente régulière, Etna, avait quant à elle échappé au tintamarre, s'étant comme à son habitude levée aux aurores. Cadence ne s'en plaignait pas : moins de batailles à livrer pour protéger son espace personnel, et personne pour la déconcentrer de ses très importantes et prioritaires préoccupations, songeait-elle. Même si, en cette matinée, elle n'avait d'autres préoccupations que de se préparer à sa première sortie capture !

Mais elle avait beau dire, Cadence était finalement assez contente de la cohabitation avec les filles. Et de son dortoir, d'une façon générale. Le capharnaüm qui régnait dans les locaux des Mentali était épuisant, et parfois même irritant, mais elle devait avouer que toute cette agitation avait néanmoins quelque chose de sympathique, que les filles finissaient toujours par s'arranger, et qu'après trois mois passés parmi elles, Cadence avait véritablement le sentiment de faire partie d'un tout. Un tout dans lequel elle avait sa place. Et elle devait avouer que c'était une sensation assez agréable. Ça lui rappelait la chorale. Et, par extension, Mike.

Un sourire nostalgique, tendre mais un peu triste, étira le coin des lèvres de la jeune dresseuse tandis qu'elle attachait sa chevelure pastel en une queue de cheval. Elle boucla son sac et se dirigea vers le petit coin qu'elle avait aménagé à sa Pijako.

« Bonjour ma toute belle. Prête pour l'aventure de l'année ? »

L'adolescente se retint de rigoler à sa propre blague, et lança même un regard en coin pour s'assurer qu'Obéline n'était pas en train de la juger d'un regard consterné. Après tout, l'année — civile — était quasiment terminée. Et mis à part sa venue à la Pokémon Community en septembre, l'année n'avait pas été bien folichonne. Mais Cadence comptait bien la terminer en beauté, notamment grâce à cette sortie !

Capella répondit à la voix de sa dresseuse par une arpège de gazouillis et s'envola pour virevolter autour de la musicienne. Cette dernière attrapa sa pokéball et se dirigea vers la porte. Elle salua Obéline avec un « à plus tard » et se hâta en direction du port. Cadence ne prenait pas de petit-déjeûner. Mais elle avait pris garde d'emporter, en plus de son sandwich, une barre de céréales à manger en cas de petit creux. Elle s'attendait à ce que la journée soit un peu plus sportive que ce dont elle avait l'habitude, et n'avait rien laissé au hasard. Elle était par ailleurs beaucoup trop impatiente pour traîner plus longtemps à l'académie, et fut parmi les premiers arrivés sur le quai, à attendre le départ.

Finalement, impatiente s'avéra être un pléonasme ; elle était tout bonnement intenable, trop excitée pour s'intéresser à qui que ce soit, au point de finir par communiquer un peu de son énergie à sa Pijako, qui passa la plupart du voyage en bateau à voleter en frétillant à gauche et à droite de sa dresseuse. Une telle agitation était plus que rare pour la volatile, qui préférait habituellement faire preuve d'une élégante nonchalance, à la limite du dédain, et — à ses yeux — digne de la castafiore qu'elle pensait être. Vers la fin du trajet en bateau, n'y tenant plus, Cadence rappela son pokéball et sortit prendre l'air sur le pont avant. Elle dû contenir sa frustration en constatant qu'il restait encore une étape au voyage, mais trouva le trajet à dos de Lokhlass très sympathique. Elle le passage à écouter l'océan, et ce fut une véritable symphonie de vagues et de bruissements, une aquarelle aux couleurs marines, qui s'offrit à elle.

Et enfin, ils arrivèrent. À partir du moment où l'île mobile fut en vue, Cadence n'en détacha plus son regard. Et lorsqu'elle finit par y poser le pied, elle prit une grande inspiration. Elle était excitée à l'idée de sa première sortie capture. Mais ce qui l'excitait le plus, c'était de plonger dans l'inconnu. C'était une curiosité insatiable qui venait de s'emparer d'elle. Et, déjà, son oreille se tendait à tous les nouveaux bruits qu'elle allait pouvoir entendre. Les bruits d'un monde sauvage, loin des sonorités qu'elle avait côtoyées depuis son enfance à Méanville, loins des bruits de Lansat qui étaient devenus son nouveau quotidien, et auxquels elle commençait à s'habituer. Chaque nouveau lieu avait son atmosphère, et pour Cadence, rien ne rendait mieux compte de cette ambiance que les sons.

Et elle mourait d'impatience de partir à la découverte du coeur de l'île, et d'apprendre le rythme de ses pulsations.

Les étudiants commencèrent par former des groupes autour des professeurs accompagnateurs. Ce qui paraissait tout à fait naturel à Cadence étant donné qu'il s'agissait de sa première sortie capture à l'académie ; elle entendit néanmoins des murmures surpris et sarcastiques, comme quoi d'ordinaire on laissait les étudiants se débrouiller seuls. La Mentali se trouvait dans le groupe de Janice Jauplain, son professeur de biologie et d'éthologie, que Cadence respectait beaucoup. Elle se réjouissait d'accompagner la professeur dans ses nouvelles découvertes, et imaginait déjà sa douce voix agrémenter leur petite expédition de tout un tas de commentaires pertinents.

Mais la jeune dresseuse déchanta rapidement, en constatant qu'une expédition de groupe était finalement très contraignante, surtout quand Jauplain décidait de s'arrêter deux minutes devant chaque nouvelle plante. Si la musicienne avait tout d'abord apprécié l'entrain de leur accompagnatrice, elle finit par s'en lasser, impatiente de pouvoir s'enfoncer davantage dans la forêt de l'île et de se perdre dans son ambiance sonore. D'ailleurs, les excalamtions incessantes de Jauplain ainsi que les discussions des élèves finissaient par créer une pollution sonore qui rendait difficile de tendre l'oreille aux bruits sauvages de cette étrange île mobile. Ils marchèrent un petit moment en traînant le pas pour ne pas perdre leur professeur, sans rencontrer le moindre pokémon — et Cadence supposait que tout ce boucan devait les faire fuir. Finalement, elle entendit quelques étudiants se plaindre qu'ils avaient faim, et sauta l'occasion pour réclamer une pause repas, proposition chaleureusement accueillie par ses camarades. Et tandis que tout le monde s'installait pour déballer ses sandwiches, Cadence en profita pour filer discrètement, tout en gobant son morceau de fromage.

Elle s'éloigna rapidement du petit groupe, et ralentit une fois qu'elle se sut véritablement isolée, prenant une profonde inspiration pour profiter de sa bienvenue solitude tout en faisant sortir Capella de sa pokéball. La rosée regarda l'oiseau voleter autour d'elle pour se dégourdir les ailes, avant de venir se poser sur la tête de sa dresseuse. Cadence sourit. Elle pouvait enfin se fondre à loisir dans ce lieux nouveau. Une petite part d'elle hésitait quant à sa fugue improvisé : était-ce bien raisonnable, ne risquait-elle pas d'avoir des problèmes ? Peut-être même que c'était dangereux, de se promener seule. Mais il semblait que les élèves faisaient généralement leurs sorties captures seuls, et elle avait entendu dire que si les professeurs avaient décidé de les accompagner cette fois-ci, c'était principalement pour profiter eux aussi du voyage et de ses promesses de découverte. La rose finit par hausser les épaules avec un sourire, se rassurant en pensant qu'il n'y avait pas de mal à se montrer un peu indépendante, et qu'elle prenait cette sortie scolaire très au sérieux en essayant de profiter au mieux de l'expérience. Elle n'avait pas de temps à gaspiller, après tout. Elle avait déjà laissé filer un semestre entier, rien qu'à apprendre les bases, et sans progresser dans ses nombreux projets. Et elle n'avait que trois ans devant elle. Si peu de temps, et tant de choses à accomplir.

Tant à prouver.

Elle suivit le chant d'un oiseau à-travers la forêt, sur le flanc d'une petite crête rocheuse. Sa pijako volait de-ci de-là autour d'elle, d'un rocher à un autre, de branche en branche, tout en essayant de reproduire certaines des sonorités. C'était étrange, les sons qu'elle entendait étaient tous si différents, et pourtant, Cadence était persuadée qu'ils étaient tous le fait de la même créature — bruyants, tantôt clairs et triomphants comme un clairon, tantôt fracassant comme des symbales, tantôt rauque et nasillard comme un trombonne. Elle en suivait la source, rongée par la curiosité. Les sons s'imposaient de plus en plus au fur et à mesure qu'elle se rapprochait, le nez en l'air et le regard braqué sur les branches des arbres à la recherche de ce petit orchestre à plumes — mais elle se prit les pieds dans une racine et tomba sur le sol pierreux dans un fracas de chocs durs et de bruissement de feuilles. Elle releva les yeux juste à temps pour voir s'envoler la silhouette noire et blanche au bec orangé.

« Flûte ! » pesta-t-elle en se relevant et en époussettant son jean.

Mais le volatile n'était pas le seul à avoir assisté à la chute de la demoiselle, et un nouveau son tinta à ses oreilles, tout proche. Cadence se figea, interrompant tout mouvement, de peur de voir s'enfuir une deuxième découverte. Elle attendit quelques instants, et le tintement métallique reprit, l'espace de quelques secondes. Tentant d'en identifier la source, l'aolescente entreprit de se déplacer lentement, et contourna un gros rocher — pour tomber nez à museau avec une sorte de petit reptile quadrupède. Surpris, ce dernier recula précipitemment de quelques pas sans la quitter des yeux — ses écailles tintèrent de plus belle en s'entrechoquant — et s'immobilisa de nouveau, tout en fixant la jeux fille d'un regard farouche. Cadence avait comme des étoiles dans les yeux, captivée par le cliquetis métallique que le pokémon provoquait au moindre mouvement.

Capella revint alors se poser sur l'épaule de sa dresseuse et braqua elle aussi son regard sur la créature, qui se mit à surveiller la volatile et sa dresseuse, tour à tour, en grognant. Le grognement se voulait probablement menaçant, mais Cadence le trouva tout bonnement adorable.

« Aaaaw. »

Le pokémon agita nerveusement la tête en guise de réponse, et ses écailles tintèrent de plus belle. Cadence était sous le charme de ses percussions claires, et avait d'ores et déjà jeté son dévolu sur lui : elle reviendrait de sa première sortie capture avec un petit reptile tambourin.

Probablement mal à l'aise à force de se faire dévisager par deux créatures inconnues — ou s'étant senti défié — le petit dragon grogna de plus belle et se fit plus menaçant, agitant sa queue furieusement. Il allait attaquer.

Cadence réagit vivement. Elle n'avait jamais véritablement combattu avant, ne s'y intéressant pas vraiment, mais elle avait eu presque un semestre pour apprendre à connaître sa partenaire, et elle avait déjà une petite idée de stratégie.

« Capella, attire son attention. »
« Oooo-ké, ooo-ké » répondit la volatile en imitant sa dresseuse.

Puis elle s'envola et alla virevolter autour du dragon pour le forcer à se concentrer sur elle plutôt que sur sa dresseuse. Elle était petite, rapide et agile, et volait assez près pour attirer son attention, mais suffisamment haut pour ne pas craindre grand chose. Le pokémon sauvage tenta de la chasser à coups de queue, mais elle les évitait sans grand mal, et commençait à faire tourner en bourrique le pauvre reptile qui, agacé, commençait à s'emmêler les pattes. Elle le fatiguait sans effort et aurait probablement fini par lui flanquer un sacré mal de crâne, mais Cadence avait une meilleure idée et préférait ne pas laisser le combat s'éterniser — elle savait bien que sa pijako avait tendance à sous-estimer les autres, et le petit dragon risquait de finir par s'habituer à son rythme de vol.

« Capella, berceuse ! »

La pijako hésita un petit instant, trouvant probablement la situation actuelle bien plus amusante, mais finit par obéir à sa dresseuse, et siffla une adorable mélodie tout en continuant de tourner autour du reptile. Les mouvements de ce dernier ralentirent, tandis qu'il suivait l'oiseau du regard en écoutant la berceuse, et finit par s'allonger, étourdi et somnolent.

« Et voilà, touuut en douceur. » déclara la jeune fille avec un sourire satisfait. Elle fouilla rapidement dans son sac à la recherche d'une pokéball, qu'elle lança maladroitement sur la créature. Elle n'avait encore jamais eu l'occasion de pratiquer le lancer de pokéball, et n'était pas très sûre de si elle devait directement viser le pokémon — l'objet ne risquait-il pas de le heurter ?

La petite sphère de capture traça une courbe nette jusqu'au pokémon sauvage et rebondit mollement sur lui — Cadence espérait qu'elle n'avait pas lancé trop fort — avant de s'ouvrir dans un flash de lumière rouge et de happer la silhouette du reptile, qui disparut à l'intérieur. L'objet tomba à terre avec un bruit métallique, oscilla un peu tandis que son voyant clignotait... puis s'éteignit. Cadence, qui n'avait jamais capturé de pokémon avant, choist d'attendre encore un peu, juste au cas où. Puis, quand elle considéra qu'il s'était écoulé suffisamment de temps depuis l'immobilisation de la pokéball, elle poussa un cri victorieux en sautillant sur place.

« Yeaaaah, Capella ! On l'a eu ! »

L'oiseau piailla et se posa tranquillement sur la pokéball, pour s'y nettoyer nonchalamment les plumes. Elle fêtait également sa victoire, avec condescendance. Avant de faire rouler la pokéball par inadvertance et de manquer de se retrouver par terre. Sa dresseuse rigola et s'approcha pour s'emparer de la pokéball. Elle la fixa un moment, les yeux brillants, en imaginant la petite merveille cliquetante qui se trouvait à l'intérieur. Oh comme elle avait hâte d'apprendre à le connaître ! Elle l'imaginait déjà accompagner les mélodies de Capella, comme un petit tambourin... Mais elle devrait patienter un peu. Le petit dragon devait être profondément endormi dans sa pokéball.

Puis une pensée lui traversa l'esprit.

Endormi ou pas, ça ne devait pas empêcher ses écailles de tinter...




Quelques minutes plus tard, un cliquetis régulier se laissait entendre dans la forêt. Les curieux, en s'approchant, auraient pu tomber nez à nez avec une Cadence toute guillerette qui descendait de la montagne en tenant dans ses bras un bébécaille endormi, dont les écailles s'entrechoquaient à chacun des pas bondissants de la jeune fille.

Quand le petit pokémon se réveilla finalement, il fut pris de cours par sa situation, et tenta de se débattre pour échapper à cette étreinte surprise, dans un véritable fracas métallique — pour le plus grand plaisir de l’adolescente, qui ne fit que raffermir sa prise sur la petite bête. Le bébécaille finit par lui pincer le doigt, dans l’espoir qu’elle le relâche par réflexe, mais Cadence n’était pas du genre à se laisser faire, et elle passa un véritable savon à la bestiole, qui se recroquevilla dans ses bras avec de grands yeux ronds, prise de court par la répartie de la dresseuse. Il se tint immobile pendant la fin du trajet, figé, sans oser ne serait-ce que bouger la tête, ses grands yeux seuls se posant sur les étudiants qui, les uns après les autres, venaient l’observer.

C’était à se demander s’il osait encore respirer.