-Hmm..

Assis à son bureau, Raudhr était concentré sur sa lecture. Comme à son habitude, il se posait pendant un certain laps de temps, pouvant aller de minutes à heures. Cela faisait ainsi plus ou moins quarante minutes qu'il était assis à lire, dans une de ses transes de réflexions, coupé du monde extérieur. Cependant, cela faisait également quarante minute qu'il avait un sentiment étrange qui parcourait tout son corps. Depuis quarante minutes, une sensation de mal-être l'envahissait, engouffrant entièrement son esprit, rendant sa concentration instable. Il avait d'abord, dans les premières minutes, pensé à une bactérie qui le rendait malade, mais il s'était rendu compte au fil du temps qu'il ne s'agissait en rien d'une maladie, du moins physique. Non, après que le mal-être se soit installé, pour une raison étrange, son pouls s'était accéléré, et son cœur s'était mit à jouer des percussions, s'amusant au passage à rater quelques beats.


Poussant un soupir légèrement exaspéré, il ferma son livre, agrippant son front et soutenant sa tête, son œil unique fermé.

« Génial, un mal de tête maintenant ».

Son crâne le lançait légèrement, plus dans le domaine du dérangement que de la douleur. Impossible de se concentrer dans un état pareil.
Ouvrant à nouveau l’œil, il jeta un regard à Fyrn, qui pour une fois, était endormi et non agité auprès de sa Pyroli. Son regard dériva sur le reste de la pièce à la recherche de Skölir, qu'il pensait trouver enroulé sur les couvertures. Aussi fut-il surpris de ne pas le trouver à l'endroit présumé, mais plutôt à ses pieds. Le Lixy était calmement assis devant son Dresseur, le fixant de ses grand yeux jaunes d'un regard intrigué. L'Elektrik semblait avoir senti le mal-être du Ranger, aussi s'était-il approché furtivement, sans doute dans l'idée de lui donner un peu de réconfort par sa présence.
Tendant la main vers son Starter, Raudhr ébouriffa sa fourrure bleue, appréciant l'attention. Cependant, une nouvelle vague de malaise se répandit dans tout son corps, forçant le jeune homme à soupirer et fermer l’œil, attendant calmement que ça passe.

Malheureusement pour lui, ce sentiment ne cessait de grandir, développant chez lui une certaine inquiétude. Son ventre était noué, et sa tête lui faisait désormais mal, lançant au rythme des battements accélérés de son cœur. Depuis quelques minutes, il s'était demandé d'où pouvait provenir ce mal-être incessant, ce sentiment de nausée constante qui envahissait son corps et son esprit. Aucune réponse ne lui vint pour le moment, mais un douleur vive, déchirante, éclata, lui faisait ouvrir l’œil soudainement.

Il a bougé.

Prit d'un début de panique, le Dresseur s'était immobilisé, ses muscles complètement incapables de bouger.
Il avait peur.
Il reconnaissait cette sensation, sensation qu'il voulait oublier et ne jamais revivre. Alors que son malaise grandissait, il sentit une brûlure dans son dos, et la reconnut. Il ne s'agissait pas d'une douleur musculaire, non, ou même d'une douleur physique. Son tatouage, dans son dos, brûlait, comme il y a six ans.

Relevant la tête, Raudhr observa attentivement son entourage. Fyrn était toujours endormi avec sa Pyroli, et Skölir s'était approché, lâchant un « ..'xyy.. ? » hésitant vers son Dresseur. Secouant la tête, le Ranger mit sa main sur son front, et constata qu'il avait les mains moites.
Un nouvel éclair de douleur parut dans son dos, sensation qu'il ne connaissait que trop bien. Il se souvenait l'avoir ressentit lors de sa rencontre avec Aaron, son colocataire sur les îles d'Alola. Cependant, il n'avait toujours pas compris pourquoi, mais la brûlure s'était réveillée là bas. Heureusement pour lui, la douleur s'était limitée à la la brûlure pendant de longues minutes en présence d'Aaron, avant de disparaître pour le reste des vacances.

A nouveau, sa tête lança fort, le forçant à attraper son crâne sous la douleur. Il serra les dents, ouvrant à nouveau son œil qu'il venait inconsciemment de fermer.

Il le sentait.

Il le sentait, bouger en lui.
Cette chose, ce monstre, qu'il avait tenté de sceller pendant plus de six ans. Cette atrocité qui dormait, paisiblement en lui, depuis ces six dernières années, depuis son dernier réveil.

Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
Quelque chose venait de s'ouvrir, comme une fleur rouge dans une neige blanche venant de naître.

La douleur dans son dos devenait de plus en plus forte, son tatouage brûlant tel les flammes de l'enfer lui-même. Il bougeait toujours, Raudhr le sentait. Ses muscles était presque tétanisés, et son cœur manquait des battements par moments, trop souvent au goût du jeune homme. Avec un rictus de douleur, il lança un dernier regard à ses Pokémon et usa du dernier instant de contrôle qu'il avait pour se lever de sa chaise. Il se dirigea tant bien que mal vers son sac et en sortit les pokéballs de ses trois Pokémon, les rappelant individuellement dans leur sphères de capture sous la confusion évidente dans leur regard. Leur Dresseur ne les rappelait presque jamais dans leur sphère, pourquoi maintenant ?

Raudhr croisa le regard de Skölir. Le starter était inquiet, confus, et son regard en disait long. L’œil unique de son Dresseur se ferma en silence, et d'un geste presque désolé, il appuya sur le bouton central de la Pokéball, aspirant le Lixy dans un halo rouge avant de disparaître.

[ I'm bigger than my body..
I'm colder than this home
I'm meaner than my demons
I'm bigger than these bones..]

Poussant un très long souffle, le TopDresseur se rassit, la tête enfouie dans ses bras, le visage crispé. La douleur se faisait de plus en plus grande, nourrissant une certaine peur dans son esprit. Par sécurité, il avait également fermé sa chambre à clé et fermé la fenêtre, tirant le rideau.
Pourquoi maintenant ? Raudhr était dans une grande incompréhension, alors que son corps devenait de plus en plus lourd, il lui était presque impossible de faire le moindre geste. Il perdait comme peu à peu conscience, sans sombrer dans l'oubli et le néan.

Il perdait le contrôle.

[And all the kids cried out « please stop, you're scaring me »
I can't help this aweful energy.. !]

Doucement, la chose bougea, un sentiment de violence envahissant tout le corps de son hôte. La créature semblait à demi consciente maintenant, comme décidée à prendre le relais.
Il n'y avait plus de toutes maintenant pour Raudhr, qui avait parfaitement compris la situation.

Elle s'était réveillée.

Cette présence, tapie au fond de lui. Cette chose horrible. Cet amas de sentiments négatifs et de plaisirs sadiques, cette créature se délectant de la douleur, peu importe son origine.
Serrant le poing, le jeune homme forçait ses barrières mentales, combattant de toutes ses forces. Il se devait de rester conscient. Mais alors qu'il sentait sa détermination le lâcher dans les abysses, un rugissement retentit.
Non.
Un rire.

Oui, un rire, dément, résonnant dans tout son être. Venait-il de l'imaginer ? Ce n'était qu'un murmure, voire même un simple écho, peut-être le fruit de son imagination sous la douleur et l'influence de cette autre chose.
Un nouveau rire, plus fort cette fois. Démoniaque ? Non, plaisant. Sarcastique. Malicieux.

Avant que Raudhr ne pu s'en rendre compte, il s'agissait de son rire. Son propre rire, qui venait de résonner dans la pièce. Un rire involontaire, incontrôlé. Doucement, ses muscles de défirent, un à un, et son corps de mit à bouger. Embarqué dans une danse d'émotions, la conscience de Raudhr se laissait emporter, délicatement enveloppée dans un cocon noir, hors du monde, isolé.
Il ne pouvait pas lutter contre cette énergie noire, sadique.
Il avait peur de lui.

[God damn right, you should be scared of me!]

Lentement, un sourire se dessina sur son visage. La douleur ne s'était pas arrêtée, au contraire, elle grandissait encore plus, pour sa plus grande satisfaction. Elle aimait ça, et s'en délectait. La chose bougea à nouveau, appréciant ce sentiment de peur, dont elle se nourrissait, encore et toujours.
S'il y avait eu un témoin, il aurait pu jurer voir le seul œil visible de Raudhr presque changer de teinte, sublimé par un éclair de folie et sadisme se reflétant dans sa pupille. Comme si des reflets rouges, rouge rubis étaient apparus.
Comme une fleur rouge dans une neige blanche.

« It has awakened. »

Mais elle en voulait plus, elle criait famine. Malgré la douleur incomparable du tatouage dans son dos, la créature en voulait plus. Alors, les mains de Raudhr bougèrent, comme poussées par un désir violent, incontrôlable.
Mais, en cet instant, qui pouvait parler de contrôle ? Il n'y en avait plus

[Who is in control?]

Ses doigts entourèrent un objet en plastique, dont une fine lame sortait du bout. Le métal reflétait le sourire d'intense satisfaction que le jeune homme avait sur son visage, son expression encore plus sombre qu'à l’accoutumée. Il ne s'était pas rendu compte qu'il s'était levé, et alors que le métal de la lame froide entra en contact avec sa peau chaude, un frisson le parcourut. Un frisson de malaise mais plaisir parcourut son corps par anticipation, alors qu'il émettait un nouveau rire semblable à un chuchotement, sa voix virant encore un peu plus dans les tons graves résonnant dans tout son être.

Et alors, dans un mouvement sec, après tant d'attente, la lame trancha, et le corps de Raudhr frissonna à nouveau de plaisir pur. La douleur dans son dos était déchirante, mais il n'en avait que faire, presque habitué. Il dansait avec le douleur et les abysses, comme de bons partenaires qu'il avait toujours connus.
Son œil rubis reflétait la cascade rouge déferlant sur sa main, tout doucement dans une valse hypnotique. Le flux zigzaguait, à la recherche d'un point où se poser, laissant une longue trace rouge le long de la peau blanche du Ranger.
Ce dernier inclina la tête, son sourire grandissant, observant le liquide rouge et chaud couler lentement sur sa paume de la main. Il émit un nouveau rire, collant ses lèvres contre la cascade de sang, perturbant son flot. Bientôt, un goût exquis envahit son palais, exploitant tous ses sens en éveil.
La douleur dansait toujours avec l'esprit de Raudhr, emporté dans un tempo plus rapide. Il lui était un peu plus difficile de suivre la cadence, mais son être fut apaisé par le goût de fer sur sa langue, comme une délivrance après un désir de grande soif. Soif qu'il n'arrivait pas à satisfaire, aussi cligna-t-il de l’œil, se séparant légèrement de sa paume de main et observant le sang reprendre son chemin vers le bas. Se léchant lentement les lèvres, un nouveau frisson, plus intense cette fois, l'envahit. Il était coupé du monde ; juste lui, la douleur et la créature.

Ainsi, le cycle se répéta. Et lorsqu'il n'y avait plus assez à boire, il créait une nouvelle marque délicieuse, peu profonde mais suffisante.
Elle savait que ces marques allaient rester. Elles savait qu'elles allaient sceller la terreur en lui, qu'elles allaient devenir des marques de peur, tout comme le tatouage dans son dos. Et elle s'en amusait.
Son désir de violence était si fort, elle voulait assurer son contrôle sur lui, son mental, marquer son esprit à jamais de sa présence. Elle voulait l'effrayer, le noyer dans les ténèbres de la peur, quand ses muscles se gèlent et que son pouls s'accélère.

Le sang coulait toujours, comme un flot inarrêtable. Alors que la chose se délectait encore et toujours, le liquide rouge passant encore et encore sur sa langue, quelque chose l'arrêta. Elle ? Stoppée dans ses actions ? La créature n'aimait pas ça. Quelque chose forçait pour reprendre le contrôle. Son hôte ?
Oui, au fond, Raudhr n'avait pas cessé de lutter.

« Sors de ma tête.. SORS DE MA TÊTE ! »

Il criait mentalement, hurlait, chaque partie de son âme se révulsait sous la douleur, dont il devenait de plus en plus conscient.
Il se débattait comme il pouvait, serrant sa tête le plus fort possible avec ses mains ensanglantées, faisant encore couler le précieux liquide rouge.





Le dos de Raudhr se cogna contre le mur, créant un nouveau type de douleur physique, mais il n'en avait rien à faire. Le monde tournait autour de lui, le rendant incapable de tenir sur les jambes. Sa conscience reprenait tout doucement le dessus, comme il le pouvait, tant bien que mal. Ses efforts mentaux semblaient vains jusqu'alors, mais peu à peu, il la sentit reculer, un peu plus loin, pas à pas. Malgré les protestations et les vagues déchirantes de plaisirs sous la douleur qu'elle lui envoyait, il continuait de la pousser hors de lui, de l'enterrer au plus profond des abîmes de sa conscience. Loin, très loin de lui.

Des perles de sueur roulaient sur sa tempe alors qu'il haletait, son dos plaqué contre le mur. Il s'était laissé glisser contre la structure, incapable de tenir sur ses jambes, vidées de leur force. Il leva la tête, une expression de douleur apparente sur son visage. Lorsqu'il ouvrit l’œil, sa vision était floue. Cependant, son œil avait reprit sa couleur dominante, ce rouge pâle, virant au rose. Peut-être que le rouge rubis était juste une hallucination, après tout ?

Alors qu'il essayait de reprendre son souffle, la douleur dans son dos s'effaça peu à peu, et la conscience de la créature s'échappa, sans réellement disparaître. Raudhr resta là, pendant plusieurs minutes. Sans qu'il ne s'en rende compte, une larme roula sur sa joue. Pourquoi pleurait-il ? Raudhr ne pleurait jamais. Ses nerfs étaient-ils en train de le lâcher ? Peut-être.
Baissant la tête vers ses mains tremblantes, il observa ses coupures, clignant plusieurs fois de l’œil afin de retrouver une vue convenable.
Pour la première fois, il se souvenait de ce qu'il s'était passé. Il se souvient des frissons de plaisir qui ont traversé son corps sous le contact de la lame, sous le goût du sang emplissant sa bouche.

Il se contenta de sourire. Pourquoi souriait-il ? Il ne le savait pas. Suivi par un soupir, son sourire resta là, alors qu'une nouvelle larme descendit le long de sa joue.
Alors elle était réveillée, ça y est. Tournant la tête vers le cutter par terre, dont la lame était couverte de sang, Raudhr continua de sourire. Peut-être par folie. Il ne savait même plus s'il sentait la douleur de ses coupures ou non.

Fermant son œil unique, il finit par baisser la tête.