Un petit corps fragile était avachi dans la coque du bateau, il dormait, paisible. Ses longs cheveux bruns aux reflets chocolat tombaient de façon éparse autour d’elle. La scène aurait arraché un sourire aiment aux vieilles harpies du manoir de l’intéressée. Même le grognement qui sortait de sa poitrine à cause de son nez bouchée par les basses températures avait quelque chose de d’attendrissant. Cherchez l’erreur. Sur son corps mince une sangle épaisse et rêche maintenait fermement la Faust à son siège. Le voyage avait commencé dans les cris et les sanglots. Une furie hurlante qui courrait sur le pont en hurlant qu’elle avait changé d’avis et que Mobydick allait MOURIR si on ne revenait pas TOUT DE SUITE à l’académie. Etait-il utile de préciser qu’à ce moment-là, le navire était déjà à plus d’une heure de la côte et que si on aurait volontiers balancé le corps d’Adèle à l’océan, il était hors-de-question de faire demi-tour ? La direction avait essayé en premier lieu de lui insuffler un peu de sagesse à renforts de mots apaisant, même Rivardi c’était fendu d’un minuscule sourire compatissant, rien à y coudre.  Adèle était résolument hermétique à toute forme de modération. Les ânonnements de la brune excitaient le reste de son équipe qui devenait, lui aussi, hors de contrôle. Zola avait mis hors circuit deux machines à café profitant joyeusement de la pagaille engendrée par sa dresseuse et Gollum émettait des bruits porcins aux tonalités si insupportables que l’équipage avait des difficultés à se concentrer pour maintenir le cap. Causette qui avait été chargée de veiller sur le Barpau pendant cette petite « promenade de santé » manquait cruellement…

La situation avait inévitablement dégénéré et on avait choisi « pour leur bien à tous », de les envoyer au pays des rêves et les attacher solidement à leur siège. Solution efficace bien qu’elle manqua un peu d’humanité. Adèle oublierait les auteurs de ce crime envers sa personne rapidement de toutes les manières. Ce n’était pas dans sa nature de se souvenir des hommes – ou des femmes – qui lui cherchaient querelles. Une voix traînante et fatiguée crachota dans l’interphone. Le port. Ils étaient dans le port. Cette idée tira la Coordinatrice du monde de brume et d’oisiveté dont elle émergeait juste. Port, terre ferme, glace, aaaaaaaaaaaah… Mal à la tête… L’adolescente était encore sous l’effet droguant de la Berceuse. Elle baragouina des phrases sans queue ni tête tout en détachant les liens de Gollum. La jeune femme faillit se faire marcher dessus par un troupeau de gens qui parlaient trop forts, écorchant ses malheureuses oreilles. La Givrali n’aimait pas toute cette précipitation, elle accentuait sa migraine. Pourquoi cet empressement ? Pourquoi cette joie impatiente à la perspective de devoir nourrir, loger et entretenir un énergumène laid et glouton ? Les élèves demeurés qui croyaient que posséder plus de Pokémons allaient les rendre heureux se mettaient le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Le Chovsourir libéré et réveillé braillait de nouveau, les sons ensommeillés qui sortaient de son orifice buccal étaient moins désagréables que d’habitude. Ses dents de rongeur bien en avant il cherchait – en vain – à capter l’attention de sa dresseuse.

Adèle qui était tout à autre chose, ignorait royalement son compagnon. La demoiselle se massait les tempes espérant atténuer ses maux de crâne. La Coordinatrice détacha enfin Zola qui tomba comme une loque par terre, engendrant un bruit sinistre. Le rongeur électrique ne se réveilla pourtant pas. Cette étrangeté acheva de réveiller la Styliste. Le Pokémon était-il mort ? Un sourire germa sur son visage alors qu’elle se redressait brusquement. La vision de la poitrine de l’Emolga se soulevant et s’abaissant extermina le bref espoir. Ronchonne, la Faust attrapa à pleines mains la masse duveteuse qu’était Gollum et l’enfonça dans son sac. Elle fit de même avec le petit corps flasque de son starter et bouscula les derniers passagers pour sortir à l’air libre. Dehors tout était grandiose, son âme de fillette se réveillait et la cadette Faust trépignait sur le pont en agitant les bras vers la voûte étoilée. Des millions de petites taches blanches qu’un Dieu avait un jour jetées en direction du ciel pour l’enjoliver… Encore fourré dans son épais sac de toile, Gollum s’inquiétait. Le fait d’être ainsi trimballé lui donnait probablement la nausée. On n’entendait pas encore Zola mais son sommeil - même de plomb - ne résisterait pas longtemps au cahotement régulier de la démarche audacieuse de sa dresseuse. La Coordinatrice ne jugea pas nécessaire de les libérer tout de suite. Elle préférait de loin explorer cet îlot obscur qu’était leur destination. Son âme était curieuse et cette soif de découvertes dépasser la peur de croiser le chemin d’un nouveau compagnon.

C’est avec un plaisir naïf que la gamine s’enfonça dans la jungle. Sous ses pieds le sol était humide et elle se félicita d’avoir pris des bottes en caoutchouc – en fait c’était Causette qui l’y avait obligé. Un grand vent frais faisait voler sa crinière en tous sens et agressait sa gorge nue. Elle accueillait l’imparable prolongation de son rhume avec un reniflement amer mais résigné. Adèle qui rêvait de voir des merveilles exotiques étaient quand même très déçue, dans l’obscurité de la nuit tout était… gris, terne, morne et fade. C’est tout juste si les gémissements contrariés de son Chovsourir encore au fond du sac couvrait le silence. Un bruissement de fougères très proche tétanisa la demoiselle. Un Pokémon, il ne pouvait s’agir que de cela. Sa désormais très longue expérience en la matière le lui sursurrait Surtout ne pas bouger, ne pas respirer, il passerait peut-être son chemin.

De l’obscurité un monstre jaillit. Il n’avait ni figure humaine, ni même bestiale, c’était un immense visage d’un brun sombre avec des dents partout. Un de ses monstres ethniques, ces âmes condamnées à l’errance éternelle qui hantent les îles. Le sang de l’académicienne ne fit qu’un tour, ses cheveux se dressèrent sur son crâne, elle devint plus blanche qu’un linge et hurla.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAHhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! »

Un cri strident qui déchira l’atmosphère. Un hurlement de terreur si absolu que n’importe qui aurait compris que c’était un appel à l’aide – ou à la débandade selon le courage de chacun. La solidarité étant une qualité extrêmement rare au sein d’une école aussi élitique que la Community Adèle déversa son sac par terre et brandit Zola.

« BRILLE ZOLA ! BRILLE ET FAIS RECULER LE MAL ! »

Le rongeur qu’on tirait juste d’un très lourd et très profond sommeil de la plus désagréable des façons obéit pour la toute première fois de son existence. Il transforma sa dresseuse en torche humaine et éclaira leur agresseur d’une lumière aveuglante. C’était un panneau de bois immense et sculpté derrière lequel un pauvre autochtone sans doute chargé d’amuser les touristes s’était caché en position fœtale. Le coupable croyait sans doute sa dernière heure arrivée.

Quand Adèle termina de clignoter comme un sapin de noël, - les batteries de Zola n’était pas inépuisables contrairement à la légende - elle baragouina comme le font parfois les Chuchmurs pendant plusieurs secondes. Ses longs cheveux bruns étaient dressés sur son crâne, son corps figé et de petits spasmes électriques la parcouraient à intervalle réguliers. Une suffocante odeur de brulée polluait un périmètre d’au moins une dizaine de mètre et il était étonnant que seules ses mains aient été noircies. La Faust ne pensait plus à rien. Parfois une image de Victor la traversait avant d’être remplacée par une image de Zola, puis une image de Gollum, une image de Causette et … non, pas d’image de Mobydick. C’était ses vêtements qui lui avaient sauvé la vie. Depuis que la brune se servait des tissus mis à disposition par l’académie, elle ne cousait plus des pièces ignifugées et conçues pour résister à tout type d’attaques pokémons. Sans doute le vêtement avait-il absorbé la majeure partie de l’attaque. La première chose que la Coordinatrice put faire c’est cligner des yeux. Ce mouvement ramena un peu de lucidité dans son esprit. LE MAL ? LE MAL ETAIT-IL TOUJOURS LA ? On ne voyait de nouveau plus grand chose, c’était donc dur à déterminer. Ahah, elle, Adèle Faust, la triomphante était venu à bout du démon en utilisant son Pokémon ! Elle méritait sans doute une médaille pour cela, non ? Une belle, ronde et dorée, lourde comme tous les titres honorifiques dont se couvraient les gens honorables.

Entre ses doigts encore paralysés par le courant, le petit corps gémissant de l’Emolga qui tentait en vain de se soustraire à l’étau des dextres de sa dresseuse. Il aurait bien remis un petit coup de jus mais le fait était que sa maîtresse était presque aussi chargée en électricité que lui rendait la manœuvre inutile. Il gesticulait donc, s’agitant avec désespoir et troublant le silence de la nuit de ses cris plaintifs. La styliste qui recouvrait progressivement ses capacités put bientôt desserrer ses doigts ce dont l’écureuil profita joyeusement en s’éjectant du piège en hâte. Le pauvre haletait de peur, ce qui faisait bien marrer sa dresseuse, dont le rire étirait douloureusement les lèvres.

« Vous… Vous vous voulez de l’aide mademoaselle ?
_ Nobl…Glumrrr….ffh. »

La voix grave avec un accent prononcé de l’inconnu terrorisa la gamine. C’était le Mal. Il était là tout près et il voulait  « l’aider ». Sa mâchoire ne lui permettait malheureusement pas encore de s’exprimer convenablement. L’attaque Chargeur de Zola éclaira la scène de nouveau, un garçon à la peau d’un caramel brun lui faisait face quelques mètres plus loin. Son visage semblait hésitant encore apeuré par le spectacle auquel il avait assisté, il fallait lui reconnaître un certain courage pour ne pas avoir pris les jambes à son coup. Il était vêtu d’une chemise usé trop large pour lui et d’un pantacourt sable clair qui avant d’être découpé avait était un pantalon. Malgré son manque de logique qui lui faisait parfois défaut, la Givrali fit instantanément le lien entre le panneau de bois et ce garçon malingre. Ah, le fourbe, c’était donc une blague ? On ne se moquait pas d’elle sans conséquence, c’était comme donné des baies pêcha à Ponyta désobéissant, c’était INNACEPTABLE. Son faciès se couvrit de mimiques colériques que l’électricité transformait en étranges grimaces démentes. Le pauvre garçon était toujours plus hésitant, il fronçait ses sourcils oscillant entre ses bonnes manières et la crainte naturelle que lui inspirait cette femme bizarre.

« Ecoutez mademoaselle, je suis désolé de vous avoar effrayé. Je peux vous aider si vous voulez.
_Jeeeeee… Veufff…
_ Mademoaselle, je pense que vous n’êtes pas en état de me parler laissez moa vous aider. Je m’appelle Jolan, ça veut dire dans votre langue : la vallée des chênes morts. »

Pendant que la cadette Faust s’obstinait à formuler un refus de plus en plus audible, le garçon s’approchait. Près de lui une créature s’était glissé. C’était un caméléon bipède avec des yeux très inquiétants et qui tenait dans ses bras tout un tas de bricole. La Coordinatrice se mit à crier – en fin à pousser des petits bruits avec des yeux exorbitaient - en observant l’animal s’approchait. Ce truc la dévisageait de son regard globuleux et intelligent. Adèle avait une peur EXTREME des pokémons intelligents. Ils n’étaient pas normaux, leur véritable ambition était de dominé le monde. Il n’y avait qu’à voir les montres, les baies et les bouts de cordes qui pendouillaient dans les pattes du Caméléon. Zola pas hardi pour un sous était resté en retrait, méfiant. L’affolement de la demoiselle sembla amuser Jolan qui se mit à rire avec chaleur.

« Lui c’est Totem, il me suit partout pour vendre aux touristes. Il n’est pas méchant, juste commercial. »

Devant le regard électrique de la Givrali, le garçon se sentit obligé d’avoir une merveilleuse idée pour s’excuser.

« Vous savez, Totem n’a pas de maître, mais c’est un bon compagnon à mon avis. Si vous voulez je peux le capturer pour vous, comme ça vous pourrez rentrer une fois libre.
_Noefosdf…. Merpiiii !
_ Inutile de me remercier mademoaselle, c’est un plaisir d’aider les touristes. »

L’indigène était plein de sollicitude à son égard. Une attention qui rendait Adèle ivre de désespoir. Elle avait beau tenté de trépigner pour se dégager de sa paralysie rien ne faisait. Il lui faudrait encore plusieurs longues minutes pour être enfin libre. Bref, plus de temps qu’elle n’en avait. Un esprit carthésien se serait résigné à son sort, aurait patiemment attendu pour mieux collé une droite à cet homme qui fouillait avec un grand sourire son bagage. Non, non, NON ! Elle le   voyait soulever avec curiosité les serviettes, les yeux de la brune étaient à moitié exorbités. La Faust n’avait pas beaucoup de manière mais l’hygiène lui tenait à cœur depuis le plus jeune âge, l’intimité aussi des fois. La Givrali était dans une position d’impuissance totale où elle devait observer son sac se faire déballer sans pouvoir réagir. Elle en devenait rouge Ecrapince tant l’émotion était forte. Ses petits doigts se contracter et se desserrer un peu au-dessus de sa tête d’une façon si misérable qu’on aurait dit un mannequin agitaient par des soubresauts de vie. Tout y passa, de ses gâteaux au chocolat dans lesquels Zola préleva rapidement son tribut à l’Ipok que le caméléon se sentit obligé d’examiner à grand coup de langue. Sa troisième main. songea la Coordinatrice. Et Jolan ne se départait pas de son sourire bon enfant qui illuminait la nuit.

A la grande surprise de la gamine, le plus civilisé des deux semblait être « Totem ». L’immonde créature d’écailles vertes avait sorti du baluchon de son compagnon de route un briquet doré dont il se servait pour faciliter l’inventaire des possessions de la brune. C’était désormais évident qu’il s’agissait de deux voleurs à la technique bien huilée. Dire que si Zola avait été un poil plus compétent elle n’en serait pas là ! La cadette Faust foudroyait le farfadet or et noir qui s’était allongé pour diriger les biscuits. Gollum avait bien sûr jaillit du sac en grouinant pour mieux se faire assommer par leurs agresseurs que la présence bruyante du petit Pokémon rebutait.

« Excusez-moa mademoaselle, chez moa on appelle ça des suceurs de vie. Ils sont partout et ils dévorent toutes nos richesses ou envahissent nos demeures. »

Adèle n’en avait strictement rien à faire, bien que le comparatif lui parle. Une chose beaucoup plus préoccupante venait d’avoir lieu. Jolan venait de mettre la main du une Pokéball noire et jaune, celles qui marchaient un peu mieux que la moyenne. Le garçon avait l’air tout content. Il regardait avec complicité le truc vert qui continuait à récupérer les feutres volés par l’élève et les échantillons de tissus dont était bourré son sac. Adèle qui gesticulait comme une sauvage ressemblé à une marionnette tentant de se mouvoir. L’autochtone fracassa l’objet sur le crâne du reptile avec une rare violence. C’était donc ainsi qu’on devait capturer un Pokémon ? Voilà qui expliquait bien des choses. Elle revoyait mentalement la capture de Gollum où la Styliste avait littéralement « canardé » le Chovsourir pour mieux s’en débarrasser… Echec de la mission Le « tunc » sonore arracha un gémissement de dépit à l’académicienne qui venait d’effectuer le pas plus douloureux de sa vie. La brune faillit s’effondre tant la frustration était violente.

L’indigène lui remit la Pokéball dans sa paume tendu et lui adressa un petit salut. Il avait l’air un peu ému, sans doute était-il triste d’abandonner son compère, son élèves, son apprenti, son disciple, son marmiton, son larbin. Adèle le comprenait, elle-même n’aurait pu se détacher de son Emolga sans quelques remords.

« Vous avec l’air d’aller mieux mademoaselle, au plaisir de vous revoar un de ces jours.
_ R’voir.
_Oui, oui, au revoar. Faites bonne route. »