« Je propose de faire de ce mur le pilier de l'art Anarchique, aucune réflexion, juste balancer des couleurs, des dessins sans aucuns rapports entre eux, que ce mur soit une pagaille totale. »
Anarchie. Je n'aime pas ce mot. Ça fait penser aux araignées et je n'aime pas ces bestioles. Balancer des couleurs, en revanche, je disais oui et encore oui.
Je l'observai empocher un pinceau et le tremper dans son sceau rouge. Rouge comme le sang qui coule dans nos
veines. Un rouge pur. Elle traça un grand cercle et écrit un grand « A » au milieu. Ensuite, elle changea d'instrument et prit un plus fin. Des nuages. Plein. Beaucoup. De la laine de moutons qui
vagabonde dans le ciel imaginaire que représentait le mur en face de nous. Je la regardai les créer de son coup de crayon habile.
Finalement, elle me lança de m'y mettre aussi. Je ne me fis pas prier. Je sortis une bombe au hasard. Je tombai sur le vert. Vert comme le jardinage. Et qui dit jardin dit plante. Mieux encore, une plante carnivore. Je souris.
Un grand cercle, une tige, des feuilles. Je sortis ensuite mon jaune. Des dents, pointues. Une rangée, puis une seconde. Je regardais mon art. Il n'était pas exceptionnel, mais il me plaisait. Je ressortis la couleur épinard et fit quelques taches. Un tag représentant l'appétit
vorace de la bête s'en suivit.
Mon œuvre était plutôt brute. Comme les dessins des bandes dessinées. Mais en même temps, quelque chose de mignon s'en dégageait. À moins que ça ne soit mon âme de psychopathe qui ressort. Mais qu'est-ce que je dis, moi ? Je suis l’innocence incarnée !
Bon, je délire. Je regardai mes deux bombes qui se trouvaient dans mes mains. Peut-être est-ce Kay qui les a trafiquées ? En tout cas, rien qu'en les sortant, mon état n'était plus tout à fait normal. Mais en même temps, peindre le mur d'un dortoir, depuis quand est-ce censé être normal ?
Mon rose fluo devait se sentir seul. Alors sans plus attendre, je le saisis. Rose c'est la couleur de la barbapapa, mais aussi des marshmallows. Ces deux douceurs sucrées apparurent alors en taille XXL sur notre ciel. Je m'appliquais pour les colorier tout en ajoutant quelques ombres. Quelques minutes plus tard, je débutai la création de deux yeux.
Oui, parce que les marshmallows ont des yeux, c'est bien connu. Avec mon vert, je lui traçai deux grosses billes en guise d'oeil. Je les remplis avec chacune une étoile réalisée grâce à mon jaune fluo.
Quant à la barbapapa, après avoir observé ce nuage rose devant moi un bon moment, je décidai qu'il lui fallait une bouche. Mais pas comme la petite plante verte innocente que j'avais fait apparaître un peu plus tôt. Il lui fallait une bouche avec des lèvres de pin-up. Des lèvres de femme fatale. Rouge.
Oui, mais je n'en avais pas. Je regardais alors Audrey toujours concentrée sur ses nuages. Elle les faisait vraiment bien.
Je saisis son pinceau qui traînait dans le pot de peinture couleur sang. Je l'informai brièvement que je lui l’empruntait et me mis à mon projet.
La peinture de mes bombes séchait vite. Le rose de la barbapapa était déjà bien sec. Je remarquai alors que la taille de l'instrument que je tenais en main était trop importante pour faire ce que je voulais. Alors j'en piquai un qui se trouvait sur le short de ma coopératrice. Elle n'a pas dû s'en rendre compte, trop concentrée sur ses dessins.
J'en fis de même.
De mon doigt, je pointai l'endroit où devra figurer la bouche, clignant d'un œil pour la précision. Bien au milieu du rose, mais un peu plus bas... Voilà, c'est parfait.
Je levai mon arme. Une courbe en haut, comme deux montagne, et une plus simple en bas. Le forme était bonne, constatai-je en reculant d'un pas.
Ensuite, je la coloriais en laissant du blanc sur la partie supérieure gauche des lèvres. Je replongeai le pinceau dans la peinture. Un peu trop brusquement, quelques gouttes gicla sur l'herbe verte, les coloriant d'un rouge sanglant. Les taches s'éparpillaient sur le gazon, le rendant semblable à la peau d'un extraterrestre atteint de l'
ulcère.
Mon jean reçut quelques gouttes également. Aïe, il va falloir faire attention. Si quelqu'un remarque, je suis foutu. Remarque, j'espère qu'elle partira facilement au lavage. Encore heureux qu'on ne doive pas porter d'
uniforme. Si c'était le cas, je n'aurai pas eu moyen de me changer.
Revenons à nos moutons. Les plis. Elles doivent partir de la ligne centrale de la bouche et s'arrêter vers le milieu des lèvres. Je plissai mes yeux. Pas trop régulier, des tailles et des espaces plus ou moins variés. Mmmm. Bon, j'avais raté deux des traits, mais rien de dramatique.
La touche finale. Je sortis mon indélébile noir. Il fallait bien faire les contours. De ce côté-là, aucun soucis. J'avais l'habitude de ces stylo. Remarque, si je me baladais toujours avec un indélébile, une colle
universelle serait pas mal aussi dans le genre. Je note ça dans un coin de mon cerveau. J'en achèterai à ma prochaine sortie en ville.
Quelques secondes plus tard, je fixai mes trois créatures.
Une plante carnivore aux dents jaune fluo, un marshmallow aux yeux énormes et une barbapapa aux lèvres d'une couleur sanglante. J'étais plus que ravie.
J'osai interrompre Audrey dans son travail.
« Au faite, si tu veux emprunter mon indélébile ou mes bombes, n'hésite pas, hein ? »
À présent, cherchons notre prochain élément à rajouter à ce tableau.