GINJI LABELVI

« L’examen cyan »

« -La recherche est une quête perpétuelle. On pourrait croire qu’elle s’achève à l’aube d’une découverte, mais il n’y a rien de plus faux. Il n’est même pas question de mi-parcours ou de commencement : les interrogations auxquelles elle doit répondre sont inquantifiables. Aussi longtemps que nous existerons, certains de nos confrères dédieront leur vie à cette mythique recherche. Et si la Pokémon Community peut, ne serait-ce qu’à son échelle, contribuer à son essor, alors nous aurons accompli une partie de notre devoir. »


Il fait chaud.

Le picotement des rayons sur ma peau est agréable. Le soleil m’enrobe dans ses braises, et m’invite à m’abandonner dans une paresse infinie. Un souffle fébrile vient m’apporter ses fragrances, délectable mélange de bois et de terre, et agite timidement mes vêtements. Les yeux clos, j’inspire à plein poumon cette senteur galvanisante, et me laisse bercer par son balancement.

« -… Volt ? »

Le cri inquisiteur de mon compagnon me tire de ma rêverie. Lorsque je rouvre les huis de ma vision, c’est pour me faire submerger par une vive et aveuglante lumière. L’absence de nuage dans le ciel habilite l’astre qui y règne à étendre irrémédiablement son influence, et nous permet à tous de jouir d’un net éclairage. Bien que parfois ombragé par l’imposante stature des arbres alentours, ce rayonnement m’aide à concevoir sous de meilleurs auspices le cours de cette journée. Espiègle, je rassure donc le Mygavolt.

« -Ça va. Je médite juste. »

C’est rassuré que Webble agite vivement ses mandibules.

Nous sommes à flanc de montagne. Si le sommet du Mont Skiddo constitue pour moi un lieu d’entraînement privilégié, pour autant, je ne peux prétendre connaître ses moindres recoins. Se retrouver ainsi en terre inconnue est aussi excitant qu’angoissant ; mais je compte bien sur la présence de ma superviseure pour m’aiguiller un minimum.

Des longs cheveux gris, hirsutes par endroits, et des yeux bleus-verts en permanence entrouverts, soulignant sa nonchalance. Le pancho brun qu’elle porte a certainement pour but de garder son corps à l’ombre, plutôt que de tenir chaud : j’ai pu percevoir lors de notre ascension la présence d’un simple débardeur aux couleurs de son dortoir, par dessous ; certainement apprécié en une aussi chaude journée. Le large pantalon en tissu qu’elle arbore révèle par moment ses sandales, peu propices à la randonnée, mais celles-ci n’ont pour autant nullement entravé sa marche. Étrangement, la visqueuse et malodorante Gotadmorv qui l’accompagne a également bien tenu le rythme de la montée… Mais en toute franchise, cela ne me surprend pas vraiment de la part de Janice Jauplain et sa Princesse.

La référente des Givrali est bien connue pour ses pérégrinations, après tout. Sa fâcheuse tendance à s’intéresser à tout et rien rendent ses excursions compliquées… Je me souviendrai toujours de la fois où nous l’avions égarée, au cours d’une Sortie Capture. Au moins, nous avons un point en commun…

Expectatif, je l’observe jeter un nouveau coup d’œil à sa montre. Elle ne peut pas démarrer les explications de l’épreuve avant l’heure prévue. Comme nous sommes arrivés à proximité des lieux avec un peu d’avance, nous sommes contraints d’attendre. Mais visiblement, ce silence devient trop long à supporter, même pour elle.

« -Tu dois avoir une grande confiance en ton Mygavolt pour faire appel à lui avant même de connaître le sujet de l’examen. »

Je ne réagis pas tout de suite, et avise mon compagnon. Celui-ci me rend un regard curieux, qui m’arrache un fin sourire.

« -C’est à ses côtés que j’ai mené l’essentiel de mes fouilles et cueillettes. Vous m’auriez donné rendez-vous en bord de plage, j’aurai peut-être réfléchi à deux fois… Mais ici, Webble est à son aise. »

Janice m’observe, un certain air attendri sur le visage. Visiblement perdue dans ses pensées, elle met un instant avant de reprendre.

« -C’est dommage que tu ne m’aies jamais fait part de tes trouvailles. Malgré toutes ces années, je ne te connais qu’à peine… »

Je ne sais pas vraiment quoi dire. Il est vrai que Janice Jauplain est certainement l’un des professeurs avec lequel j’ai le moins d’accroche, si ce n’est la plus. Cela dit, je suis bien heureux de ne pas être tombé sur Roseverte pour mon évaluation de fin d’étude… L’ambiance aurait été tout autre, c’est sûr. Je préfère de loin son calme et son air rêveur à la mauvaise humeur du vieil homme.

Finalement, le silence qui suit me pousse à simplement répondre :

« -… Désolé. »

J’ignore si je le suis réellement, à vrai dire. Mais l’espace d’un instant, j’ai réellement eu la sensation que Janice était peinée de ne pas avoir été plus présente au cours de ma scolarité. Heureusement, elle vient rapidement balayer mes doutes.

« -Ne le sois pas. Il y a tant de choses à apprendre et découvrir, il est normal que tu ne t’intéresses pas à tout. Ton choix s’est porté sur le dressage et l’entraînement, et c’est tout à ton honneur. » son expression devient subitement plus sérieuse « Cependant… »

Elle lève un doigt pour appuyer ses explications.

« -Ce n’est pas parce que tu n’as jamais côtoyé la filière Scientifique que je serai plus douce dans mon évaluation. D’autant que… Je n’ignore pas la présence de Pokémon fossiles parmi les tiens. J’ose espérer des résultats qualitatifs à l’issue de cet examen… Sache donc que je serai intransigeante. »

Je me gratte l’arrière du crâne, gêné. Je crois que Janice me surestime quelque peu…

« -C’est que… Je… Je n’ai trouvé qu’un seul fossile... »

Elle secoue la tête de gauche à droite, signe que cela n’a pas de réelle importance.

« -Dans tous les cas, je ne te ferai aucun cadeau. Ne prends pas cet examen à la légère sous prétexte qu’il a un faible coefficient sur ta moyenne… D’accord ? »

Je sens mon cœur battre contre ma poitrine, et une certaine anxiété me nouer l’estomac. J’ignore si j’avais besoin d’un tel coup de pression, mais… Respectueux, je me mets bien droit, et effectue une courte révérence envers ma professeure.

« -Je vous le promets, madame. »

Maladroitement, et avec un certain retard, Webble tente de m’imiter. Cela fait rire Janice, qui finit par regarder sa montre.

« -Il va être temps. Vous allez pouvoir découvrir les lieux de l’épreuve. »

A son tour de se redresser. Son poing devant sa bouche, elle se racle la gorge un instant, pour finalement prendre un air plus solennel.

« -Il est 14h, l’examen final associé à la filière Scientifique va démarrer. L’évaluation sera supervisée par moi-même et correspondra à 10 % de la note finale. Nul outil n’est interdit, mais aucune intervention extérieure n’est autorisée. L’élève est néanmoins en droit de faire appel à deux Pokémon. »

J’échange une œillade avec Webble. Je choisirai ce deuxième partenaire en fonction des tenants de l’épreuve. Si le Mygavolt est assez versatile, ce n’est pas plus mal d’avoir un Pokémon plus spécialisé pour un exercice aussi important…

« -Pour les modalités, il s’agira simplement… D’une cueillette. L’étudiant doit étudier et analyser le terrain pour rapporter un maximum de baies dans le délai imparti. »

J’affiche un air quelque peu dubitatif, assez représentatif de mon état d’esprit. Une… Cueillette ? Après que Janice ait bien insisté sur le fait qu’elle ne me ferait aucun cadeau, je m’attendais à devoir effectuer une fouille. J’ai certes déjà trouvé un fossile par le passé, mais c’était du pur hasard. L’exploration, à la base, n’avait pas cet objectif là… Et elle ne doit pas non plus ignorer mon attrait pour les récoltes et les baies. Clairement, d’une cueillette ou d’une fouille, c’est la cueillette qui m’avantage le plus. Alors pourquoi… ?

« -Quant au lieu de la chasse, une délimitation sera mise en place. L’étudiant et ses Pokémon ne seront en aucun cas autorisés à le quitter, sous peine de voir l’examen s’achever prématurément. Ginji Labelvi… Je vais vous demander de me suivre. »

J’acquiesce, alors que Janice et Princesse font volte-face, pour cheminer le long de cette route de montagne. C’est extrêmement perturbant d’entendre la professeure avec un ton si… Professionnel – d’autant qu’elle est subitement passée du tutoiement au vouvoiement, le temps des explications. Je présume qu’elle prend cet examen beaucoup plus à cœur que ce qu’elle a laissé transparaître, jusqu’ici...

Webble et moi suivons. Rapidement, le flanc que nous longeons révèle un léger détail que je n’avais pas remarqué, jusqu’alors dissimulé derrière les rochers. Je l’ai déjà aperçu à maintes reprises, même de loin, mais… Jamais d’aussi près. Et surtout… J’ignorais que nous en étions si proches.

Lorsque nous arrivons à son pied, j’écarquille en grand les yeux, et entrouvre la bouche. Janice, quant à elle, s’immobilise, et conclut sobrement son monologue.

« -L’épreuve se déroulera exclusivement ici, à l’emplacement de l’épave d’Algatia 11. »

L’énorme engin est couché sur des mètres et des mètres de longueur. Je serai bien incapable d’estimer sa taille, très sincèrement… Probablement celle d’un immeuble… Ou deux ? En tout cas, elle est démesurée. Rien à voir avec les serres des exploitations agricoles que j’ai pu visiter enfant… Non, vraiment, je suis face à un colosse.

Si le tout a la forme d’un tube, il y a quelques spécificités qui permettent d’identifier à quoi nous avons exactement affaire. Ainsi, cinq énormes ailes sur l’une des extrémités permettent d’identifier la partie inférieure – bien que certaines d’entre elles soient salement amochées et ont été dissociées du reste. D’énormes canons situés au centre ont probablement eu pour rôle de moteur, ou à défaut, ont généré les flammes servant à propulser le tout. Le reste du tube est plutôt uniforme : recouvert d’énormes plaquettes blanches et noires, elles laissent parfois place à des trous béants dans la coque du vaisseau, certainement causés lors de l’atterrissage en catastrophe. Un énorme logo, celui du centre spatial d’Algatia, prône d’ailleurs sur l’une d’elles. Mais les nombreuses rayures et salissures pardessus s’évertuent à rappeler le cuisant échec qu’ils ont essuyé lors de cette tentative de vol… Finalement, l’épaisseur du vaisseau s’amincit vers l’extrémité supérieure, et laisse entrevoir une grande vitre brisée, ainsi qu’une antenne fendue, tout au bout.

Globalement, de la poussière, de la terre et des décombres parsèment l’ensemble. On peut d’ailleurs aisément déterminer l’emplacement de la première collision avec la montagne, grâce au cratère dans le sol juste devant, et qui s’étend sur plusieurs mètres. Mais le temps a passé depuis, et la végétation s’est bien installée pour reprendre ses droits… Que ce soit sur cette traînée, ou la fusée en elle-même. Je crois en effet apercevoir des lianes qui en ressortent par endroit, et même des feuilles qui percent au travers des fentes de la coque.

Ce qui m’amène à réfléchir à ma présence en ces lieux…

… A savoir une…  Cueillette… Dans un vaisseau abandonné ?!

J’aurai dû m’en douter… Simplement me larguer en forêt aurait été bien trop simple ! Tout comme me demander de dénicher un trésor là-dedans… Non, bien sûr, ce que je dois accomplir moi, c’est trouver des baies dans l’épave d’une fusée ! Évidemment !

Bon sang, Pokémon Community… Jusqu’au bout, tu testeras mes limites.

Comme si de rien n’était, Janice me désigne divers points de repère aux alentours, et me précise les restrictions de déplacement que je dois respecter. Évidemment, le périmètre est restreint à quelques mètres autour de la fusée en elle-même, ainsi qu’à son intérieur… Lorsqu’elle a terminé, elle quitte un instant son rôle de superviseure stricte pour innocemment m’interroger.

« -Tu as déjà exploré cette épave, Ginji ? »

Je lui coule un regard en coin qui en dit long sur ma réponse. Évidemment que non, je n’ai jamais exploré cette fusée… Surtout pas pour y cueillir des baies ! Il y a des recoins qui me paraissent BEAUCOUP plus appropriés, étrangement !

Elle n’attend pas de réponse particulière, et reprend immédiatement son air sérieux.

« -Je vais vous demander de m’énoncer à haute voix les espèces de Pokémon que vous allez utiliser pour l’examen, et déposer le reste de vos Pokéballs ici. Après quoi, je lancerai le chrono, et vous aurez exactement une heure pour réunir un maximum de baies. »

Je croise les bras, et affiche une expression pensive. Même si je comptais clairement sur un environnement naturel pour exploiter les capacités de Webble… Je ne vais pas revenir sur mon choix. En toute circonstance, mon Mygavolt peut s’avérer utile. Mais quant à choisir un second compagnon approprié pour chercher des baies dans une fusée…

Hmm….

Hmmmm….

Hmmmmmmmmmmmmmmmm….

Je finis, sans m’en rendre compte, par tirer une réelle grimace. Il n’y a pas vraiment de choix évident pour ces circonstances si particulières, donc… Thoron a le meilleur flair, Spark une plus grande agilité et capacité à se déplacer, Punch est le plus à même à dégager les encombrements… Il y a aussi lui qui pourrait s’avérer utile, mais… Est-ce une bonne idée ? Je suis toujours un peu mal à l’aise depuis son évolution… A l’instar de Cutie Cute et son départ, je n’arrive pas à me résigner au fait que…

… Non, je ne dois pas laisser mes ressentiments parasiter mon jugement. Objectivement… Il est peut-être mon meilleur atout. Le choix va laisser Janice sceptique, mais… J’ai confiance.

Je saisis une Pokéball, et en libère le locataire. Un rayon de lumière jaillit, et prend lentement la forme de trois sphères, d’où dépassent des excroissances difformes. Ces dernières s’avèrent être des boulons… Et des aimants.

« -Mes partenaires seront Webble, le Mygavolt, et… Théo, le Magnéton. »

A son nom, Webble agite vivement ses mandibules, tandis que Théo fait une pirouette sur lui-même. Comme escompté, la professeure se montre perplexe. Et il y a de quoi : les Magnéton ne sont pas réputés pour leur odorat…

« -Pouvez-vous m’expliciter la raison de ces choix ? »

Je prends une courte inspiration. Je sens déjà une certaine pression peser sur mes épaules… Aucun chrono n’a débuté, mais l’examen, lui, a déjà commencé.

« -Webble est un Pokémon polyvalent. Ses toiles peuvent servir à immobiliser, attraper, tracter, consolider, tirer, et j’en passe. De plus, les crochets dont sont pourvus ses pattes lui permettent de grimper partout, ce qui offre un large panel de manœuvre. Théo, quant à lui… Lévite,  contrôle les magnétismes, et possède de nombreuses capacités analytiques. Dans un décor pareil, il constitue un excellent compromis entre mobilité et maîtrise de l’environnement. Au final, ces deux Pokémon sont ceux qui démontrent le plus d’intérêts pour les recherches et fouilles en tout genre, parmi l’ensemble de mes équipiers. »

Je serre les dents avant même la fin de ma phrase. C’est complètement faux. Tobby démontrait beaucoup d’intérêts pour les recherches. Mais c’était déjà moins le cas de Thibault, et encore moins d’Obbyt. Alors, que sais-je du fait que Théo y soit intéressé ou non… ?

En évoluant, les esprits des trois Magnéti ont fusionné. Théo est une entité propre. Avec sa personnalité, ses envies, et ses préférences… Inconsciemment, j’ai misé sur le fait que l’exercice aurait beaucoup plu à Tobby. Mais…

Tobby n’est plus.

Un douloureux rappel qui me reste au travers de la gorge, même quand Janice reprend.

« -Ainsi donc, vos choix se rapportent à une question de mobilité et d’aisance dans l’exploration. Mais qu’en est-il de l’optimisation des recherches ? Sur quoi vous baser pour dénicher des baies ? »

Je me crispe un peu plus à mesure qu’elle me questionne. Du coin de l’œil, j’avise l’épave qui gît derrière moi. C’est bien ça le soucis ! Qu’est-ce que j’y connais, moi, au développement des baies au sein d’une fusée échouée… ?

Je comprends tout de suite mieux pourquoi elle a insisté sur la difficulté de l’examen. C’était un réel avertissement, plus qu’une simple confession. Et l’épreuve n’a même pas officiellement commencé que j’ai déjà l’impression de perdre des points…

Mais je dois me ressaisir. Tout peut encore se jouer… C’est parce que je ne suis pas du genre à me laisser abattre que nous allons nous en sortir.

Alors je prends une nouvelle inspiration, et réunis toute mon assurance pour formuler une réponse.

« -Ça sera là mon rôle. J’ai une excellente expérience dans la cueillette et la pousse des baies, je saurai identifier les lieux propices à leur récolte. Je ne compte pas attendre que mes Pokémon les dénichent à ma place. Ils sont là pour me soutenir dans les recherches, pas les mener. »

A ma réponse, Janice se contente de simplement hocher la tête. J’ignore si je l’ai ou non convaincue, mais je pense réellement ce que je viens d’affirmer. Je ne suis pas du genre à prétendre que ce sont les Pokémon qui font la majorité du boulot… Non, les dresseurs ont également leur rôle à jouer. Croyez-moi… Être un Pokémon ne permet pas tout.

Mon dos me démange, l’espace d’une seconde, mais Janice ne s’en soucie guère. Elle pose ses doigts de part et d’autre de sa montre, et prépare le signal de départ…

« -Bien… Je vais vous demander de déposer le reste de vos Pokéballs. Vous êtes évidemment autorisé à garder celles de vos partenaires pour cet examen, pour pouvoir les rappeler en cas de problème. Je reste à votre entière disposition si jamais une intervention d’urgence est nécessaire. Êtes-vous prêts ? »

J’échange un regard avec Webble, qui opine du chef avec une expression des plus déterminées. Puis je me tourne vers Théo, et fixe tour à tour ses trois yeux. Le Magnéton se contente de léviter de haut en bas, ce qui est chez lui signe d’un acquiescement. Alors je fais face à Janice, et imite mes deux comparses.

« -Oui. »

Elle presse l’un des boutons de sa montre.

« -Alors bonne chance ! »



Une ouverture dans la partie inférieure nous a permis de rentrer. Il n’en faut pas plus pour se voir propulser dans un décor totalement insolite.

Initialement blancs, des placos et des palettes recouvrent la quasi-totalité des parois, mais le passage de nombreux curieux et Pokémon ont laissé, avec le temps, des nombreuses traces de terre au sol. Si certains murs ont été éventrés pour permettre de les fouiller, il reste encore de nombreux fils et appareils à l’utilité obscurs qui en débordent. Du reste, nous sommes dans une sorte de couloir cubique, avec quelques barres bleues servant possiblement aux déplacements en apesanteur. Il y a tout au bout une porte de forme circulaire, pas totalement refermée.

Intrigués, Webble et Théo commencent par s’intéresser à cet étrange environnement. Le Mygavolt se contente de grimper sur les murs pour tester son adhérence, tandis que le Magnéton observe certains fils et appareils. De mon côté, je ne fais rien de tout ça, et me contente de m’agenouiller, pour ensuite poser mon sac au sol. J’ai besoin de quelques minutes pour farfouiller dedans, et en tirer de quoi nous aider dans les recherches.

« -Webble… Attrape ! »

Le Pokémon a tout juste le temps de se tourner vers moi que je lui lance une paire de jumelles. Il la rattrape à la volée en tirant sa toile dessus, et en la ramenant vers lui. Je ne sais pas si ces Jumelles Cani-Cani Crush vont s’avérer utiles, mais si elles servent ne serait-ce qu’une seule fois, le paquet de céréales d’où elles sont tirées aura été le plus rentable de mon existence.

J’attrape un deuxième objet, me relève, puis repasse la lanière de mon sac sur les épaules. Je m’approche ensuite de Théo, qui met un instant à capter ma présence. Lorsque j’arrive à ses côtés, je loge les cordes de mon Collier Aimanté entre deux de ses têtes.

« -Tiens. Si ça peut t’aider à contrôler les magnétismes… »

Il émet un grincement reconnaissant. Après quoi j’appose mes mains sur mes hanches, et contemple les alentours. Je pense que… Tout ceci va s’avérer compliqué.

« -Bon… Comment on est supposés trouver des baies dans ce taudis ? »

En temps normal, j’aurai cherché un point d’eau ou la trace de Pokémon sauvages. Mais là.. A moins que l’un d’eux se soit réfugié dans une partie de vaisseau ? Si on a de la chance, on peut possiblement trouver la réserve d’une espèce particulièrement prévoyante. Même si ça me ferait du mal de lui arracher sa nourriture juste pour le bien de ma note…

Pensif, je commence à machinalement me gratter le front. Je ne peux pas simplement chercher au petit bonheur la chance… Je suis en plein examen scientifique. Si on m’a dit de venir ici trouver des baies, cela veut dire qu’il y a moyen pour moi d’en dégoter en faisant preuve d’un minima de méthodologie. Alors…

« -On va voir s’il y a un espace cuisine, ou affilié. Si des Pokémon errants sont venus grappiller de la nourriture ici, ils ont possiblement laissé des traces de baies derrière eux. »

Webble approuve vivement. J’ignore à quel point l’intérieur de ce vaisseau est vaste, mais on devrait trouver sans trop de difficulté. Ne serait-ce qu’en suivant les traces de terre sur le sol… Je m’avance donc jusqu’à la porte, coulissante, et la fait glisser pour permettre à mes compagnons de passer. Une fois exécutés, je passe à mon tour de l’autre côté, et au moment de retirer mes mains, la porte se referme toute seule à cause de son inclinaison. Je ne dois pas oublier que le vaisseau s’est crashé et que beaucoup de choses ne fonctionnent sans doute pas comme il faut…

L’architecture de cette deuxième pièce ressemble beaucoup à la première, à la différence qu’à la place des plaques, c’est de la mousse qui recouvre la quasi-totalité des parois. De plus, la sortie n’est plus unique : s’il y a bien une seconde porte menant à l’autre extrémité du couloir, deux couloirs sont accessibles de chaque côté, ainsi qu’une échelle qui traverse la pièce de bas en haut. On peut donc continuer tout droit, à gauche, à droite, monter ou descendre… C’est déjà beaucoup plus diversifiée, comme perspective d’exploration.

En m’approchant, je remarque néanmoins que les barreaux de l’échelle sont cassées en contre-bas, et ne permettent pas de remonter en cas de descente. Je ne fais pas non plus totalement confiance à la solidité de l’attache en haut… Pour ce qui est de la porte, elle semble aussi fonctionnelle que la précédente. Le couloir de droite est visible et donne sur une pièce à l’entrée complètement détruite, tandis que celui de gauche est obstrué par tout un tas d’engins.

« -Hmm... »

J’observe un instant le tout, et notamment, les traces sur les sols. La plupart des marques de chaussures, humaines, vont soit dans la continuité de la fusée, soit dans la petite salle de libre. Les appareils électriques entassés sur la gauche ne laissent entrevoir que de petites interstices, mais la pièce semble bien accessible derrière. Impossible de voir ce qu’il y a au-dessus de moi depuis ma position, et la salle en dessous semble être du même acabit que l’actuelle. Donc…

« -Si on continue tout droit, on devrait juste accéder à la tête de la fusée. Dans le cadre d’une fouille, ça aurait pu être chouette, mais là… Webble, je te laisse monter pour voir ce qu’il y a en haut ?
-Volt ! 
-Théo, est-ce que tu penses pouvoir dégager tout ce qu’il y a là, pour qu’on puisse aller à gauche ? Pendant ce temps, je fouille à droite.
-BZZZT ! »

C’est sur la pièce à l’entrée encombrée que je mise le plus. Non seulement la présence d’autant d’obstacles est bon signe quant au peu d’humains passés par là, mais également… Des Pokémon de petites tailles auraient aisément pu s’y faufiler. Si je devais planquer ma nourriture quelque part dans les environs, ça serait là-bas.

Mais cela ne nous empêche pas, Webble et moi-même, d’observer le reste par principe. Le Mygavolt parvient très vite à se hisser sur l’étage du dessus, et commence à fouiller de façon bien audible. Même si je ne vois rien de ce qu’il fait, l’absence de signaux immédiats signifie qu’il doit prendre le temps de farfouiller pour déterminer si oui ou non il y a des choses d’intérêt.

Je m’avance donc simplement vers la droite. Il s’avère très vite que cette pièce s’apparente à... Une cabine.

Du moins, c’est ce que je déduis de son aménagement. On ne peut pas vraiment dire que cela ressemble à une cabine comme il y en a dans les paquebots… En fait, les murs sont tapissés d’une mousse semblable à celle d’avant, mais moins épaisse… Et plus douce, comme si une couverture en soie recouvrait toute la pièce. Il n’y a pas de lit, mais un duvet fixé au mur, et sanglé par une ceinture rouge et rigide. Dormir là dedans, en plein apesanteur… Cela doit être quelque chose.

Finalement, il y a quelques étagères, un bureau et une chaise, fermement fixés. Je fouille bien pour le principe, mais évidemment, je ne trouve rien d’intéressant… Le peu qui a dû être placé ici a probablement déjà été dérobé.

Un certain vacarme se fait entendre de là où je viens. Lorsque je quitte la cabine, c’est pour voir que Théo a entrepris de soulever les appareils obstruant le passage de l’autre pièce via sa force magnétique, et déblaye tranquillement le chemin. En faisant bien attention à ce qu’il jette derrière lui, je me rapproche pour lui venir en aide.

« -Je te file un coup de main ? »

Le Magnéton émet un grincement reconnaissant. Après quoi, il fait léviter une sorte de moteur contre lequel je plaque mes mains, puis que je redirige vers un endroit où il ne nous gênera pas. Cela me rappelle les rochers de la Grotte Electrolithe… C’est plutôt amusant, comme façon de ranger.

Plusieurs minutes plus tard, une voie commence à être dégagée. La tête de Webble finit par surgir du trou menant à l’étage, d’où il revient bredouille. Je le rassure d’un sourire, puis avise la porte dont nous venons de faciliter l’accès.

« -Voyons voir… »

Il reste encore quelques débris sur les côtés, mais je peux aisément passer au milieu. La pièce derrière est clairement ouverte, et sa porte branlante, de sorte que je n’ai aucune difficulté à rentrer. Et à l’intérieur….

C’est une cuisine. Enfin… Je crois. Il n’y a pas vraiment de four ou autre… Mais une table avec des chaises, fixées aux parois, ainsi que de nombreuses armoires.

Toutes vides, évidemment. Il y a bien quelques sachets éventrés… Contenant très certainement de la nourriture déshydratée. Et à ce propos…

« -… ? C’est… Une plante ? »

En m’abaissant pour fouiller les étagères du bas, je remarque un petit amas de moisissure, et notamment… Une toute petite germe, qui a commencé à pousser en son sein. Webble et Théo viennent s’accoler à moi pour l’observer, de leurs nombreux yeux curieux, alors que les miens suivent la trace brune qui a progressivement rongé les parois de l’armoire…

« -… De l’eau ? Elle s’est développée… A cause de l’humidité. »

Je me redresse, et regarde ce qui se trouve juste au dessus. Caché entre deux plaquettes déchues et quelques déchets… Un tuyau, qui part jusque derrière les étagères. Aussitôt, mes pensées s’enchaînent…

« -… Chercher un point d’eau… Les astronautes ne peuvent pas prendre de douche à cause de l’absence de gravité, mais… Ils ont quand même recours à des serviettes humides. Et ils ont des recycleurs pour économiser leur consommation d’eau… Donc…  »

Je me tourne vers mon Mygavolt.

« -Webble… Est-ce qu’il y avait d’autres pièces, là-haut ? »

Il acquiesce subrepticement. Je fais aussitôt volte-face, et quitte la pièce.

« -Le vol d’Algatia 11 était inhabité car il ne s’agissait que d’un test pour s’assurer de la bonne trajectoire de la fusée. Pourtant, il y avait de la nourriture déshydratée, et tout le nécessaire pour vivre. Peut-être qu’ils avaient déjà installé un réservoir à eau pour correspondre au poids final de l’engin… Nous devons trouver la salle d’eau ! »

Si j’ai aperçu des lianes depuis l’extérieur du vaisseau, cela signifie qu’à force d’être immobilisé ici, des graines ont fini par s’infiltrer à l’intérieur. Et si de l’eau a fui abondamment suite à l’atterrissage en catastrophe, elles ont très bien pu pousser à proximité ! Les Pokémon qui sont venus boire ont aussi pu faire chuter les graines coincées dans leur pelage, et permis ce genre de pousse insolite… Il faut que j’aille vérifier tout ça !

Précipitamment, je rejoints l’échelle installée dans le couloir central, et vais pour monter à l’étage supérieur. Webble me devance et passe par le plafond pour se faufiler dans le passage en premier, tandis que Théo arrive juste après moi.

Mais à peine ai-je plaqué mes deux mains de part et d’autre de l’échelle, et placé un pied sur une barre, que le tout s’ébranle et descend d’un cran.

Je comprends immédiatement mon erreur… L’échelle est instable.

Et je l’ai complètement oublié…

Crac.

Elle se désolidarise aussitôt du niveau d’au dessus. Webble tente de projeter sa toile pour la raccrocher, mais la manque de peu. C’est alors Théo, à ma hauteur, qui tend vers moi l’un de ses aimants. Je veux m’y accrocher par réflexe, mais pas le temps : je passe déjà au travers du trou menant à l’étage inférieur, et chute tout en bas.

Un brouhaha bien audible résonne, en même temps que de vives douleurs traversent mon corps. L’atterrissage est loin d’être agréable, sans parler du tas de ferraille que je me suis mangé en tombant. Mais bon… Me ramasser, c’est un peu dans mes habitudes. Tout en grimaçant, je me redresse, même si j’ai besoin de l’aimant tendu par mon compagnon, venu me rejoindre, pour pleinement réussir à me relever.

« -Merci Thib…  »

Je m’arrête au milieu de ma phrase. C’est Théo. Pas Thibault. A cause du choc et de la perspective, j’ai cru voir un Magnéti m’aider à me relever… Mais c’est bien mon Magnéton. Lui et moi nous dévisageons un instant sans que je ne trouve quoi dire pour me corriger. C’est extrêmement gênant, et je me mets alors à bafouiller.

« -Euh. Je…
-Myga ? »

Nous nous tournons vers Webble, venus s’assurer que nous allons bien. Gêné, je me gratte l’arrière de la tête.

« -Ça va. Grâce à… Théo. Théo est venu m’aider.
-NETON. »

Le Pokémon ne semble pas m’en tenir rigueur et répond simplement au Mygavolt. J’essaye donc de faire abstraction de ce qu’il vient de se passer, et observe plutôt l’endroit où nous venons d’atterrir.

Même s’il fait sombre (la seule lumière environnante provenant du trou d’où nous arrivons), je peux distinguer les alentours. De là-haut, j’ai cru comprendre que cette pièce était similaire aux deux couloirs précédents…. Mais ce n’est vrai que pour la partie centrale… Les rebords de la salle, invisibles depuis haut dessus, sont dans un état bien plus miteux. A l’est, en dessous de la cabine, les parois sont couvertes de terre et salement amochées. Et à l’ouest…

Une étrange coloration brune s’est répandue sur tout le mur. A cela vient s’ajouter une sévère impression d’humidité, mêlée à une odeur de poussière et de renfermé. Et surtout…

Des lianes. Des lianes poussent depuis les amoncellements de terres, que le vent, la pluie et les va-et-vients ont progressivement créé ici bas. Des graines ont fini par tomber dedans, et grâce à l’eau transmise par les parois… Ont pu germer. Je remarque que certaines des lianes se sont infiltrées dans les canalisations de la fusée, probablement à la recherche de lumière. Peut-être même s’agit-il des mêmes tiges que j’ai aperçu depuis l’extérieur, traversant certaines des vitres brisées tout en haut.

Je m’approche du mur humide, et passe ma main dessus. Il est imprégné d’eau… La petite fuite que j’ai aperçu au dessus n’est rien à côté… Quelque chose de plus gros encore a provoqué cela. Comme je l’ai supposé, il s’agit probablement d’un réservoir installé à proximité. Le fait que les lieux soient renfermés, et situés tout en bas, peut justifier que l’eau de pluie ait finit par stagner ici, sans parvenir ensuite à s’évaporer. La pièce est sombre, et l’humidité la rend peu viable. S’il y avait plus d’eau encore, des Axoloto pourraient bien y trouver leur bonheur, mais encore devraient-ils réussir à rentrer dans la fusée et parvenir jusqu’ici. Humains ou Pokémon, peu de gens ont dû s’attarder dans les parages.

« -... »

Je baisse les yeux, et écarte mon pied. La boue collée à mes semelles grippent légèrement, laissant une sensation désagréable, mais pourtant très éclairante.

« -Des gens sont passés par ici, mais pas restés. Il y a de l’eau. De la terre. Une raison pour laquelle des graines ont pu atterrir là, sans que qui que ce soit puisse profiter de leur floraison ensuite. » je relève la tête, et fixe le plafond, plongé dans le noir « Tout ce qu’il manque… C’est du soleil. »

Oui… Avec un poil de lumière, cet endroit serait propice à la pousse de baies. Peut-être faudrait-il aussi un chouïa plus de terre pour les nutriments, et pas seulement des pauvres lianes sans fruits… Mais bon, trouver ça dans une fusée…

« -… ! »

Arceus.

« -Je sais où en trouver. »

Mes deux Pokémon s’échangent un regard circonspect suite à ma soudaine exclamation. Je souhaite me précipiter vers l’échelle pour remonter, mais réalise bien vite que je l’ai cassée en m’y accrochant à peine plus tôt.

« -On doit remonter ! Webble ! »

A peine l’ai-je appelé que le Mygavolt a acquiescé, et escaladé les parois pour retourner au dessus. De là-haut, il tire une toile à laquelle je m’accroche pour grimper à mon tour, talonné de près par Théo.

De retour dans le couloir principal, je me dirige sans la moindre hésitation vers l’extérieur de la fusée. Je reviens ainsi sur nos pas jusqu’à débouler dehors, où la vive lumière du soleil m’éblouit un instant. Je titube le temps de m’écarter de l’entrée, ce qui laisse à Janice l’occasion de m’interpeller.

« -Tu as trouvé des baies ? »

En guise de réponse, rien. Je l’ignore, et lui tourne le dos pour plutôt longer la fusée, sans perdre de vue cette dernière. Je ne prête aucunement attention à là où je mets les pieds, et marche la tête bien relevée.

« -Là… Ça doit être le premier couloir… Là…. Le deuxième… Ce qui veut dire…  »

Je m’arrête brusquement, et baisse les yeux. Sous l’immensité de la structure écrasée au sol, un court interstice est visible. Je me couche à même la terre, et de manière plutôt imprudente, y glisse ma main. J’y agrippe rapidement quelque chose, que je tire sans ménagement.

Une tige. Il y a une tige là-dessous.

Sous la fusée.

« -Webble ! Théo ! Il va falloir creuser ! »

Mes pauvres compagnons ont à peine le temps de me rattraper que je les réquisitionne. Mais bien heureusement, leur motivation ne laisse pas à désirer, et ils se joignent tous deux à moi, qui suis déjà à genoux pour déblayer un maximum de terre.

Ce qui s’avère étrangement aisé. Enfin, étrangement… Maintenant que j’ai compris ce que l’on attendait de moi, cela ne me surprend plus vraiment.

Très vite, l’absence de sol se fait ressentir juste en dessous de l’énorme appareil. Il y a un terrier gigantesque, là-dessous ! De quoi installer une véritable base secrète ! Nous passons près de cinq minutes à creuser un passage, qui aboutit heureusement à une ouverture largement assez grande pour le passage de Webble – bien plus gros que moi.  

Je ne passe qu’une dizaine de secondes à presser la paroi de la fusée pour m’assurer que cette dernière reste bien en place. Après tout, vu la longueur qu’elle fait, ce n’est pas ce petit trou qui la fera s’effondrer sur nous… Puis, les vêtements déjà presque entièrement recouverts de terre, je passe deux pieds au travers de l’ouverture, et…

Me laisse glisser.

La descente ne dure que deux secondes à peine. C’est une authentique tanière que je rejoints ainsi, dissimulée depuis le début sous l’imposante épave. Elle est bien assez profonde pour que je m’y tienne debout, et plutôt large. Le sol sous mes pieds semble meuble, mais… Pour m’en attester, il faudrait déjà que je parvienne à l’apercevoir sous cette masse feuillue qui la recouvre.

Des feuilles et des plants en abondance. Certains ont même commencé à ramper, accrochés à la fusée qui les abritent. La cuve formée par les reliefs du sol laissent entrevoir, par endroit, des flaques, probablement formées via l’eau qui s’échappe des parois. Avec le temps, la pluie, et l’humidité, celle accumulée en bas du vaisseau a fini par fuiter et… Couler ici.

Comme escompté, en face de moi, se trouve une ouverture bien plus large, et où passent les rayons du soleil. J’aurai pu rentrer ici plus facilement si j’avais contourné la fusée pour rejoindre l’autre côté, mais… Je risquais de hasardeusement quitter la zone d’examen en faisant un trop grand écart.

Ce qu’ici, je n’ai pas fait.

Alors que Théo et Webble me rejoignent, j’entends de succins applaudissements. Se tenant devant l’autre entrée, Janice nous a rejoint, suivie de près par Princesse. Tant bien que mal, j’essaye de capter son regard, depuis ma position.

« -Vous ne m’avez jamais demandé d’explorer la fusée. J’ai cru pouvoir miser sur l’aspect volatile de la dispersion des graines, mais un tel lieu n’était définitivement pas propice à leur pousse. »

Elle s’accroupit, et je peux alors apercevoir son visage.

« -Et en quoi chercher sous la fusée semblait tout désigné ? »

J’écarte les bras, et lui indique la végétation qui m’entoure.

« -C’est ici qu’atterrissent l’eau et les graines portées par les ruissellements de la pluie. L’accumulation de l’humidité juste au dessus de moi me l’a fait comprendre. Nous n’étions tout simplement pas descendus assez bas. Et puis, on ne risquait pas de trouver quoi que ce soit en intérieur. » je lève un pied pour regarder ce qui se trouve juste en dessous « Il faut de la terre et des nutriments pour permettre une pousse fructueuse des baies. Le fait que nous soyons dans une cuve abritée par l’épave a protégé les graines parvenues jusqu’ici du vent et des bêtes, et la lumière qui passe au travers des interstices a permis la photosynthèse. » je fixe de nouveau Janice « Tout simplement. »

La professeure sourit. Puis son regard dévie, et se balade sur l’immense infrastructure qui me surplombe.

« -On pourrait croire que l’atterrissage catastrophique de cette fusée constitue un réel drame, autant économique, que sociale, ou écologique. En fait… C’est même très certainement le cas. Et pourtant… » cette fois, elle regarde aux alentours « Ce flanc de la montagne est particulièrement exposé au soleil. Depuis toujours, il y fait très sec, et les reliefs ne permettent pas à l’eau de s’y répandre convenablement. »

J’avise les plants alentours.

« -Cette fusée a créé malgré elle un espace propice à la pousse des baies. »

Janice acquiesce.

« -Il y a toujours du bon à tirer d’un échec. Souvent, cela viendra des conclusions qu’on en a tiré… Mais parfois, il s’agira tout simplement d’une conséquence bienheureuse. »

Je ne peux pas empêcher un fin rictus d’apparaître sur mon visage.

« -J’ai un doute… Vous supervisez mon examen ou vous me donnez cours ? »

Elle-même en rigole. Pourtant, son visage redevient des plus sérieux immédiatement après.

« -Tu sais pertinemment que la vie est un enseignement perpétuel. Par ailleurs… » elle se redresse « Je tiens à te rappeler que ton examen n’est pas encore terminé. Dois-je te rappeler ton objectif ?... »

J’avoue avoir un court instant de flottement. Mon objectif ? Ce n’est pas tout simplement de dénicher un maximum de baie… ?

… Oh !

Des baies ! J’ai trouvé des plants, mais je n’ai encore rien cueilli ! Quelque peu alerté, je me tourne vers mes compagnons.

« -A-attention où vous mettez les pieds ! Webble ! Écarte les plants avec Coupe ! Théo ! Utilise Verrouillage pour en repérer un maximum !  »

Bon sang, j’étais tellement content à l’idée d’avoir trouvé cet endroit, que je n’ai même pas fait attention à là où j’ai marché ! Je vais avoir l’air fin si après toute cette réflexion, je rentre bredouille ! Ah bon sang, faîtes qu’il y en ait, et que je n’ai rien écrasé ! Que nous n’ayons pas fait tout ça pour rien… !



Il fait toujours aussi chaud.

Tout est passé très vite. L’heure s’est écoulée à une vitesse folle, et finalement, Webble, Théo et moi-même avons dû remettre le fruit de notre cueillette à Janice.

Elle ne nous délivra notre note que bien plus tard.

Pour l’instant…

« -… »

Toujours depuis le Mont Skiddo, j’observe la ville de Nuevo, nettement visible en contre-bras. Mes deux Pokémon et moi-même nous sommes installés auprès d’une falaise, juste après la fin de l’examen, le temps de souffler un peu.

Hélas, on ne peut pas dire que mon cerveau soit au repos. Je ne peux évidemment pas m’empêcher de ressasser ce qu’il s’est produit, au sein d’Algatia 11. Aussi….

« -Pardon Théo. »

Je finis par lâcher ces excuses. Le Magnéton dirige vers moi ses trois yeux analytiques, parfaitement insondables. Je ne les toise pas immédiatement, et me contente alors de scruter l’horizon.

« -Je pensais avoir fini par accepter les… Changements, que ton arrivée dans l’équipe a apporté. Mais… Cet examen m’a juste fait réaliser que…  » je me gratte l’arrière du crâne, incertain « Au final, je n’arrive pas à te cerner. » je me tourne finalement vers lui « Je ne parviens toujours pas à m’accorder sur… Si je dois te considérer comme l’héritier de mes Magnéti, ou… Comme une entité toute autre. » je fronce les sourcils « Qu’as-tu gardé d’eux, au juste ? Leurs points communs ? Ce qui caractérisait le plus chacun d’entre eux ? Ou… Autre chose ? Voire même… Rien du tout ? Tout ce que tu ressens, tout ce que tu éprouves… Tu le tiens d’eux, ou de ta personnalité propre ? »

Le Pokémon plisse lentement ses trois yeux, et détourne légèrement le regard. Sa mine pensive m’en arrache une plus inquiète.

« -… Toi-même, tu ne sais pas ? »

Théo acquiesce tristement. J’incline légèrement ma tête vers l’avant, tout aussi affecté. Mais…

De petites mandibules se manifestent dans mon champ de vision. Venu se placer entre nous, Webble s’approche timidement, et capte notre attention. Lorsque je me tourne vers lui, il a déjà saisis ma main entre certaines de ses pattes velues, et fait signe à Théo de se rapprocher grâce aux autres. Une fois qu’il est descendu suffisamment bas, le Mygavolt joint ma main à l’un des aimants du Magnéton, et pousse un cri innocent.

« -Mygavolt ! ♪ »

Cela m’arrache un sourire attendri. Je viens alors poser ma seconde main sur la première, accentuant le geste.

« -C’est vrai. Nous n’avons qu’à prendre le temps de le découvrir ensemble. »

A la mémoire de Tobby, Thibaul et Obbyt. Ce sont leurs volontés respectives qui ont donné naissance à Théo. Lorsque je fixe un à un les trois yeux du Magnéton… J’ai souvent l’illusion de les reconnaître. Et, quelque part… Ils sont toujours là. Seulement... Leurs esprits sont désormais… « Ailleurs ». Cela me fait toujours aussi mal de le reconnaître, mais… C’est leur choix. Et je suis certain qu’ils n’ont pas le moindre regret.

Si dans un premier temps, Théo ne comprend pas où veut en venir Webble, il finit par grincer en concordance avec son cri. Il est très certainement très heureux d’être là aujourd’hui… Alors, je vais tout mettre en œuvre pour que son existence se passe au mieux.