MARIE R. UANA
« Histoire d'un aller simple »Marie était impressionnée.
Était-ce cette pile disproportionnée de documents, la dévotion de Jackie envers son poste de vice-directrice en dépit du chaos, ou le fait qu’elle avait justement été destituée il y a quelques mois ?
Non, ce n’était rien de tout de ça.
Elle était simplement impressionnée par la réactivité de Nolan.
60 %. C’était la probabilité d’acceptation qu’elle avait octroyé à sa proposition insensée. Nolan, à son image, était un garçon réfléchi et méticuleux : s’il n’était question que de bon sens, il n’aurait jamais accepté sa saugrenue idée.
Mais, toujours à son instar, Nolan était amoureux. Et couper sa bien aimée dans son élan romanesque, sans même réfléchir à ses propos, ce n’était pas ce que faisait une personne amoureuse.
En tout cas, dans son couple, ça fonctionnait ainsi. Elle l’avait arbitrairement décidé.
Et du coup, voila comment se découpaient ces 60 % : 50 % étaient accordés au scénario où Nolan accepterait son idée, mais réclamerait néanmoins quelques jours de réflexion supplémentaires – histoire de mûrir proprement leurs intentions, et, pourquoi pas, genre, je ne sais pas, méditer sur le fait que c’était peut-être
un poil random – tandis que les 10 % restants consistaient en une embrassade pure et dure de ce yolotisme, into on récupère nos bagages, into on se casse fissa de l’académie, into on ne sait pas parce que justement, c’était ça le projet.
Pourtant, et en dépit des talents attestés de statisticienne de Marie, et bien moins attestés de sociologue, il n’avait opté pour aucune de ces deux options. Ou plutôt, si : il avait opté pour les deux à la fois.
Il était prêt à partir derechef. Mais pas n’importe comment.
Et ce fut ainsi qu’elle se retrouva entraînée (et non traînée) dans le bureau de la Générale. Nolan allait accepter son idée, Nolan allait la suivre dans son délire, mais Nolan allait faire ça
proprement.
Et Arceus. Arceus qu’elle l’aimait pour ça.
En quelques sortes, on pouvait dire que son petit ami exposant un projet d’avenir monté en deux-deux à la vice-directrice d’un établissement en ruine était, pour elle, le summum du sexy.
Et, euh. La jugez pas. Svp.
Quand elle daigna enfin détacher ses yeux de son si beau et pragmatique (<3) visage, Marie prit la suite du discours.
« -Pour pouvoir intégrer leurs équipes de manière efficace et pérenne, nous devons simplement révoquer notre statut d’étudiants. Je me verrai alors affectée à une Base Ranger, et sieur Dèannag n’aura plus qu’à postuler en tant que Chercheur Pokémon dans celle-ci, ou dans un laboratoire associé. » La Mentali détourna un instant le regard.
« -Mon niveau d’étude et de professionnalisation ne devrait pas me permettre de choisir l’emplacement de mon affectation. Mais, à l’aide d’une recommandation… » elle acquiesça
« Je serai en mesure de spécifier son type. De toute manière, il suffira d’observer mon dossier pour comprendre que je suis bien plus efficace en étude de terrains que sur des interventions. » En dépit de la solennité des lieux, et du représentant administratif auquel ils faisaient face, Marie sentit une profonde hardiesse lui monter, et osa le geste odieux, frivole, que dis-je, indécent !, qu’était de saisir la main de Nolan.
« -Par la suite, nous n’aurons plus qu’à attendre qu’une opportunité se présente. Dès lors qu’une expédition sera montée, je pourrai appuyer la candidature de mon compa- » elle s’interrompit. Trop de hardiesse.
« … De mon camarade. Et ensuite… Nous n’aurons plus qu’à nous appliquer efficacement à notre tâche. » Elle toisa la Générale. Si on lui avait dit qu’elle aurait l’outrecuidance de présenter à une telle autorité un plan à ce point improvisé, avec une telle attitude décadente de surcroît, elle ne l’aurait pas cru.
Pourtant, la voila. A l’aune de son entrée dans la vie active, au départ d’une existence nouvelle, maintenant qu’elle pouvait réellement entrapercevoir un avenir, Marie se sentait pousser des ailes.
Et pour décoller… Elle n’avait besoin… Que d’un tout petit peu d’élan…
« -… »Jackie attrapa une feuille volante, et griffonna quelque chose dessus. Après un court instant passé à écrire, elle y apposa un tampon, puis leur tendit le papier.
« -Entre la crise récente et les fêtes de fin d’année, les traitements administratifs vont être ralentis. Apportez directement cela à Mademoiselle Prince en lui détaillant votre projet, et laissez là passer quelques coups de fils. » la vice directrice détournait déjà le regard pour se ré-intéresser à sa propre paperasse
« Le transfert officiel prendra un peu de temps, mais vous serez au moins en mesure de démarrer les démarches. »Marie laissa Nolan se saisir du papier, et lui adressa un fin sourire.
… C’était bon.
Ils s’en allaient.
Elle interpréta le silence qui suivit comme une invitation à partir. Elle se mit debout, effectua une révérence polie à la Générale…
« -Nous vous en sommes grès. » … Puis quitta la pièce aux côtés de Nolan.
***
Sa tête était appuyée sur son épaule.
Le soleil déclinait à l’horizon, et le ciel se teintait de couleurs jaunes, orangées, violettes, bleutées. De timides étoiles pointaient le bout de leur nez, et s’il faisait certes un peu frais, sa proximité avec Nolan la réchauffait.
En contre-bas, c’était toujours le chaos. Mais la vue depuis le toit de l’école restait appréciable : autant pour le paysage qu’il offrait que pour le souvenir de ce premier baiser qu’il lui évoquait.
Voilà. C’était fini. Leur scolarité allait prendre fin, et… Marie partait. Main dans la main avec son partenaire.
Que d’ironie. Dire qu’elle avait intégré cette école pour concrétiser à la fois sa vie sentimentale et professionnelle, mais qu’elle y avait ensuite renoncé, pour alors toucher le fond, et finalement, voir son avenir se concrétiser à nouveau.
Que penseraient ses parents adoptifs de tout cela ? La ferait-ce remonter un temps soit peu dans leur estime, ou au contraire, finirait-elle de les déshonorer ? La voila entichée d’un fils de marin, et partie pour intégrer officiellement les Rangers au plus bas de l’échelle. Tout lui portait à croire que si elle les croisait, ils n’oseraient même pas la toucher, par dégoût.
Pas de bol pour eux. C’était ainsi qu’elle était heureuse. Par contre…
Elle était plus soucieuse de l’avis de ses bienfaiteurs de Véterville. De l’eau avait coulé sous les ponts, depuis qu’ils lui avaient littéralement sauvé la vie… Maintenant qu’elle allait véritablement travailler, serait-elle utile à la Fédération ? Parviendrait-elle à alléger leur peine, même depuis une autre base, ou un autre secteur ? Elle se surprit à croire qu’un effet Papillusion puisse se produire, et qu’en dépit de son choix égoïste d’avenir, elle serait en mesure de leur rendre honneur.
Elle se tourna lentement vers Nolan. Ses lèvres proches de ses joues, elle se pencha un petit peu pour y apposer un baiser.
Puis en reculant, elle murmura un
« -Merci. » dont elle-même n’identifiait pas vraiment la cause.
Elle était juste… Reconnaissante.
Marie ne s’était jamais sentie aussi épanouie.