« Trinité »Lissa fixe le miroir.
Ginji fixe le miroir.
Caroline fixe le miroir.
Elle brosse ses cheveux châtains.
Il replace une mèche brune.
Elle enroule une boucle dorée autour de son doigt.
Soigneusement, elle réarrange son col.
Il défroisse sa veste, nonchalant.
Elle soupire, et enfile un blouson en cuir.
La benjamine met un point d’honneur à être présentable.
Le cadet est encore quelque peu négligent, mais il s’est promis de faire plus d’efforts.
L’aînée n’est pas vraiment d’humeur à faire attention à elle, aujourd’hui.
Ses yeux verts rencontrent alors son reflet dans la glace.
Ses yeux marrons croisent son reflet dans la glace.
Ses yeux violets toisent son reflet dans la glace.
Un instant, elle s’attarde sur ses cernes.
Il vient de remarquer une ébréchure, sur sa joue.
Son visage est impeccable, mais… Quelque chose cloche.
Elle a encore un peu de mal à trouver le sommeil, dernièrement.
Il ignore d’où cette marque peut venir… Il s’est probablement écorché, sans s’en rendre compte.
Elle paraît anormalement… Fatiguée ?
Mais c’est normal. Entre le déménagement, les nouveaux cours et la découverte du campus...
Logique, quand on gambade autant. Depuis qu’il a quitté l’académie, il n’a jamais été à ce point en mouvement.
Pourtant… Cela fait un moment, que… Elle n’a rien fait.
Certes, c’est éreintant, mais cela aussi quelque chose de… Gratifiant.
Il aime cette nouvelle vie. Il ignore combien de temps encore il pourra en profiter, mais… Pour la période que ça dure, ça lui plaît bien.
Elle s’ennuie un peu, dernièrement. Son frère est parti, sa sœur a changé d’île…
Le tout n’est pas de se surmener. Enfin… Pour ça, Lissa essaye de faire de son mieux.
Ginji a encore deux-trois endroits qu’il souhaiterait voir, avant de se poser. Dans le fond…
Et puis, Caroline n’est plus avec Enzo. Et, à contrario du moment où elle s’est mise en couple avec lui…
Même si elle a encore beaucoup de choses qui l’attendent. Depuis qu’elle fait partie des « ainés », elle a l’impression d’avoir quelques responsabilités supplémentaires.
Il a hâte de s’installer avec Erika.
Elle ne ressent pas le besoin d’être avec quelqu’un. En fait, elle se sent même un peu… Vide.
D’ailleurs...
D’ailleurs…
D’ailleurs…
Elle n’aurait pas encore grandi ?
Il n’aurait pas un peu grandi ?
… C’est un cheveux blanc, qu’elle voit, là ?
« -………………………………….. »C’est ainsi que le miroir de Caroline finit éclaté au sol.
Caroline a trente ans.
Trois décennies qu’elle se traîne dans ce monde.
Quelle trinité de merde.
Et vous savez, ce que c’est le pire ?
C’est que ses trente ans…
Elle les passe…
Seule.
Lissa et Ilea sont partis s’installer sur Leiar.
Ginji est perdu quelque part sur le globe.
Enzo et elle ont rompu.
Malcolm… N’en parlons pas.
Et ses collègues… Disons qu’ils ne sont pas portés très « vie privée ».
Alors…
Elle est seule.
Seule paumée sur Adala.
Parce que c’est là, qu’est son affectation.
Sa colocataire et sa petite sœur ont toutes les deux déménagé avec l’académie.
Caroline évidemment, n’a pas pu suivre.
Elle a encore d’autres missions à mener, après tout….
Des missions….
Ah. Quelle plaie.
Trente ans.
Trente ans, et…
Elle a toujours ce boulot de merde.
Ce n’était pas ça son rêve, putain.
Elle voulait devenir TopCoordinatrice.
Briller en concours.
Sur scène.
Faire la couverture des magazines.
Signer des autographes !
Jouer dans des publicités, pour des marques de shampoing randoms !
Quelque chose, genre…
« L’Oréal Kalos, parce que je le vaux bien ! »
Et elle aurait agité sa belle et longue chevelure, là, comme ça…
Ah la la…
Un cheveux blanc.
Non mais n’importe quoi.
Un cheveux banc, à trente ans ?
Ce n’est pas à quarante qu’ils apparaissent, normalement ?
Ça veut dire quoi, ça ?
Qu’elle est déjà en train de dépérir ?
Ça y est, madame se fait vieille ?
C’est quoi la prochaine étape ?
Des rides ?
Et puis quoi encore ?!
Non, c’est impossible…
On lui a fait inhaler un produit obscur lors d’une mission…
C’est tout.
Ou alors…
Ce sont ses multiples colorations qui commencent à montrer leurs limites.
Bordel…
Quel boulot à chier.
Alors oui, ok.
Elle se plaint de beaucoup de trucs qu’elle a déjà.
TopCoordinatrice ? Elle l’est, techniquement.
Des magazines ? Ouais, elle a fait quelques shootings photos.
Les publicités ? Il y a eu ce tournage à Papeloa, une fois…
Mais, tout ça…
Que ce soit aujourd’hui.
Hier.
Ou il y a dix ans.
C’est du mytho.
Du faux, du toc.
De la contrefaçon.
Sa carrière est un énorme mensonge.
Elle n’est pas vraiment Coordinatrice.
Quand elle a gagné ce titre de TopCoordinatrice…
Elle a triché.
Elle n’avait pas les rubans requis pour s’inscrire
Mais… Pour le bien d’une mission…
Il fallait qu’elle s’infiltre parmi les participants.
Alors…
Voilà. Son boulot a fait le taff pour elle.
Et par un coup du sort, elle a gagné.
Elle. Incapable d’amasser cinq rubans dans un délai imparti.
Elle a gagné le titre de TopCoordinatrice.
Et volé le trophée à quelqu’un de plus méritant qu’elle.
Ses Pokémon n’étaient même pas les siens !
Des bêtes de Concours surentraînées, et pour le spectacle, et pour l’infiltration.
Caroline, elle, n’est qu’une piètre dresseuse.
La plupart du temps, c’est d’ailleurs elle qui combat.
Pas ses Pokémon.
Parce qu’elle est pas fichue de les dresser correctement.
Que ce soit pour les affrontements, ou les prestations.
Et elle, comment elle combat ?
Pourquoi est-elle aussi douée pour ce job, déjà ?
Parce qu’elle y est naturellement prédisposée.
C’est tout.
Le seul domaine dans lequel Caroline réussit…
C’est parce que Mère Nature lui a filé quelques dons.
Voilà.
Concrètement, en termes de compétence…
D’efforts…
De mérite…
Caroline ne vaut rien.
Niet.
Quedale.
Que tchi.
Nada.
Walou.
Tant de mots pour la définir !
C’est fou.
Trente ans, putain…
Trente ans, et elle ne vaut rien.
Trente ans, et elle n’a rien.
Trente ans, et…
Elle n’a personne.
Elle est juste seule.
Toute nulle.
Au bout de sa vie.
Parce qu’à chaque fois qu’il lui a fallu faire des efforts, elle a échoué.
Parce qu’à chaque fois que des gens s’attachaient à elle, elle les a repoussés.
Parce qu’à chaque fois qu’il était question de prendre une décision raisonnable…
Et bah, elle était tout sauf ça.
Raisonnable.
Putain de merde.
Si sa mère la voyait…
Arceus, qu’elle se foutrait de sa gueule.
« Tu ne m’as pas écouté. »
« Je te l’avais bien dit. »
« Tu aurais dû être plus sage. »
« Gnn gnn je suis ta maman et je sais mieux les choses que toi. »
… Ouais, Caroline avait une vision assez étriquée de sa maternelle.
Mais bon…
C’était de leur faute, aussi.
S’ils ne s’étaient pas lancés dans ce rêve stupide…
Qu’ils avaient opté pour une situation plus stable que celle d’éleveurs…
Elle n’aurait pas eu cette enfance minable.
… Hmm ?
Quoi ?
Est-elle en train de reprocher à ses parents d’avoir cru en leurs ambitions ?
Elle qui n’est même pas capable de réaliser les siens ?
…
Ouais.
Ok.
Bien ce qu’il me semblait.
Elle est vraiment pitoyable, là.
Ah…
C’est quoi, la suite ?
Elle noie son chagrin dans l’alcool ?
Elle trouve un club de free fight ?
Elle investit toute sa thune dans un camion à glace et part faire le tour du monde avec ?
En tout cas, elle pourra continuer à vider des pots de crème vanille sans scrupules.
Ou alors…
Elle fait comme d’habitude.
Elle se contente d’attendre un signe, et…
Elle se laisse porter.
Bzz. Bzz.Nonchalamment, elle dégaine son téléphone.
« -Allôooo ?… »Oh god. Cette voix de déterrée.
« -Papa Ursaring. Changement de programme. Vous partez sur Leiar. »Caroline se redresse d’un seul bond.
« -Q… Quoi ? »Elle n’est pas certaine de savoir si elle a bien entendu, ou si elle a juste la tête dans le cul.
« -J’étais pas censée retrouver la trace de ce type, là…. ? Charles ? Lee ? Hum… Charlie ? »Bon, même si elle a bien entendu, elle a
vraiment la tête dans le cul.
« -Justement. On vous envoie à Leiar. On doute qu’il soit sur place, mais… Nous avons des raisons de croire que vous trouverez des éléments essentiels à cette affaire, sur place. »La blonde cligne des yeux, dubitative.
« -Vous en saurez plus une fois là-bas. Préparez vos affaires. »Elle lâche un vieux râle.
« -Merde, mais c’est que vous allez vraiment me faire poursuivre cette académie, en fait… Et je peux savoir comment je vais faire, pour justifier ma présence sur place ? »Son interlocuteur ne s’émeut aucunement de son état.
« -Détails. Un bateau vous attendra ce soir. »Et il raccroche.
« -… »Caroline jette son téléphone sur la table, puis s’affale dessus.
« -On dit "Joyeux anniversaire", connard. »« -… Ouaiiiiiiis, allô, Princesse ? Dis moi… Ton appart’, sur Leiar… Il est grand comment ? »