Etre un héros
Le mois de Juillet a à peine le temps de laisser la place à Août que Léon Nahr se dirige déjà d’un bon pas vers la Demeure Mentali. Il ne lui faut pas longtemps pour trouver la chambre de Magnolia et encore moins de temps pour la prévenir de préparer un sac et de venir avec lui.

Si la jeune fille est quelque peu décontenancée, elle ne perd pas de temps en questions inutiles et après s’être assurée que ses deux colocataires savent qu’elle est partie et qu’elle ne sait pas encore exactement quand elle rentre, elle prend la suite de son professeur référent. Lyria lui adresse deux gros pouces en l’air sur la sortie et à l’air presque plus enthousiaste que la rose.  

Sur le court chemin qu’il faut faire pour rejoindre le Pôle PokeAthlète, Léon a juste assez de temps pour expliquer à l’Agente en herbe que sa demande pour suivre un ranger pendant quelques temps a été accepté et qu’il est là pour la récupérer avant de partir immédiatement vers sa prochaine mission. Si Magnolia aurait bien apprécié un peu de temps de préparation, elle est principalement reconnaissante envers son professeur, qui, elle le sait, a poussé sur ses contacts pour lui permettre, jeune étudiante sans grand-chose pour booster son dossier, d’avoir une telle opportunité. Quand elle le remercie, le grand brun se contente de lui adresser un sourire et de gentiment lui ébouriffer le haut du crâne.

Il ne leur reste que quelques pas rapides pour arriver sur le haut du Pôle où Magnolia découvre avec une grande inspiration impressionnée, un large Hélédelle et une jeune femme blonde. Cette dernière, dès qu’elle les remarque, s’approche d’un bon pas et place une main ferme sur l’épaule de Léon.

- C’est ta gosse ? Bon, salut toi, on a pas trop le temps, appelle moi Kara et le pokémon derrière moi, c’est mon partenaire, Dex-Star. Il se contente de Dex en général. Aller la miss, en selle et on file, on a une situation critique à Hoenn.

Magnolia perd une demi seconde pour chercher le regard de Léon et être rapidement rassurée par son sourire avant de s’approcher du large oiseau. Une rapide explication sur la manière de le monter et la voilà sur son dos. Kara ne perd pas de temps, récupère le dossier que lui tend Léon avec un regard sévère et elles s’envolent.

Une fois en route, Kara prend un peu plus le temps d’apprendre le nom de sa jeune élève et de lui expliquer leur route. Elles s’arrêteront à Lansat où elles prendront un avion direct vers Poivressel. Apparemment, un large trafic de Spoink a été révélé récemment et tout le corps des rangers a été mobilisé pour se rendre sur les lieux d’exploitation, faire un premier contact avec les pauvres pokémons et les rediriger vers leur plateforme de transfert.

Kara ne mâche pas ses mots sur le trajet. Elle explique clairement à Magnolia que c’est une situation horrible, qu’elle va voir des choses terribles et que, malgré l’importance du job, elle reste une enfant et que si elle a besoin de faire une pause ou de sortir de la situation, personne ne lui en tiendra rigueur. C’est une première mission sur le terrain difficile, surtout à son âge.

Assise confortablement dans un siège d’avion, Magnolia fixe la photo du Spoink qui a à peine assez d’espace pour rebondir et se dit que des horreurs, elle en déjà vu beaucoup. Si elle comprend le besoin de Kara de la rassurer et de quelque part, se rassurer également, Magnolia a déjà déterminé il y a bien longtemps que, lorsqu’elle est confrontée à des horreurs, elle préférera toujours agir qu’observer, que sortir de la situation.

Peut-être que quelque part, inconsciemment, elle a une certaine empathie pour ces créatures sans défense. Peut-être qu’elle voit l’inaction face à leur situation comme un miroir de toutes ces personnes qui ont vu sa situation et qui n’ont jamais réagit. Qui n’ont pas sut réagir. Peut-être qu’elle se revoit, à dix ans, identité à peine camouflée sous un large sweat à capuche noir, impuissante face à la violence de la rue. Peut-être qu’il y a une part d’elle qui reconnaît une situation horrible et qui voit enfin, enfin, la possibilité d’agir.

La possibilité d’apprendre comment aider.

Au fond, pendant tout le discours de Kara, tout ce que Magnolia ressent c’est une sombre colère qui colore son être tout entier. C’est cette colère qui se fait glaciale et tranchante et Magnolia veut agir. Elle ne veut pas être enfermée dans un avion, à des kilomètres encore de tous ces pokémons qui ont désespérément besoin d’elle. D’elle et Kara. Peut-être que la ranger reconnaît cette détermination dans le regard de la rose, mais elle n’insiste pas plus, se contentant de l’inciter à dormir quelques heures. Sur le terrain, le repos est difficile à trouver.

Magnolia tente. Mais il y a en elle cette énergie qui tourne et vire et c’est comme impossible de fermer les yeux suffisamment longtemps pour s’endormir.

Le reste du trajet se fait dans cette même tension nerveuse qui semble presque contaminer Kara quand elles sortent de l’aéroport. Dex est rappelé pour les transporter jusqu’au Sentier Sinuroc, un ensemble de petites cavernes proches du Mont Chimnée où la planque des trafiquants a été trouvée.

Les responsables ont déjà été arrêté et quand les deux demoiselles arrivent, l’endroit a une sorte d’étrange calme vide. Seuls quelques policiers sont encore présents pour garder un œil sur la situation et maintenant que Magnolia et Kara sont là pour s’occuper des pokémons, vont gérer la sécurité du camps. Kara la prévient qu’elles seront rapidement rejoint par d’autres équipes de rangers, de médecins et divers volontaires qui aideront.

Les premiers pas dans le simili d’élevage est tout simplement affreux. Les gémissements des pokémons, les faibles bonds qui résonnent, la taille des cages … Les yeux de Magnolia ne savent pas où se poser et si le temps d’un instant, elle regrette de n’avoir aucun trafiquant à combattre pour déverser les torrents de colère qui l’envahissent, quelques profondes inspirations lui permettent de se reprendre et de focaliser cette énergie envers ce qu’elle peut faire.

Kara prend rapidement le contrôle de la situation et en quelques minutes expliquent qu’elles ne peuvent pas soudainement libérer les Spoinks. Une période de transition est obligatoire, surtout quand ils n’auront ni l’énergie ni la musculature pour les grands bonds que leurs instincts incitent. Ce qui compte pour le moment, c’est de nourrir tout le monde, repérer les blessés et faire les premiers soins. L’équipe qui arrive juste après sera chargée de cages plus larges où les Spoinks pourront commencer à se familiariser avec un espace plus large et potentiellement rouvrir la socialisation entre eux.

Désormais bien occupée, Magnolia se met à la tâche sans attendre. Elle attelle deux larges seaux de nourriture sur le dos d’Aries tandis qu’elle et Taurus se chargent de la distribution. L’Ecreumeuh ajoute également un bol de son propre lait aux Spoinks les plus mal en point. Le passage de nourriture permet de revitaliser les pokémons et bien vite la batterie d’élevage se remet à vivre. Passer ainsi auprès de chaque Spoink à le double avantage que de les prévenir de ce qu’il se passe et de vérifier les états de chaque pokémons.

Si nombre d’entre eux sont trop traumatisés pour réellement mettre en place l’intelligence qui définit les types psy, les pokémons les plus haut niveaux et les plus vieux comprennent qu’un changement ont eut lieu et aident à calmer leurs congénères.

Kara, largement plus expérimenté et avec des connaissances en médecine de terrain, met en place une infirmerie d’appoint et quand Magnolia lui pointe un blessé, l’y amène pour y faire un premier examen et soigner ce qu’elle peut. Elles s’installent rapidement dans un va et vient. Magnolia s’occupe des nécessités générales de nourriture, eau et hygiène tandis que Kara s’occupe des cas quelques plus sérieux.

Ce qui semble être à peine quelques minutes mais qui, en réalité, est de longues heures plus tard, le deuxième groupe, composé de rangers, agents médicaux et volontaires arrivent avec des cages bien plus larges et du matériel de soin plus avancé.

Tout s’enchaîne rapidement après ça. Les Spoinks sont transférés de cages et les cas les plus critiques sont pris en charge par les médecins, soulageant Kara qui peut rejoindre ses collègues et leurs Capstiks pour calmer les pokémons les plus récalcitrants au changement d’environnement.

Les cages apportés par les volontaires sont celles qui seront utilisées pour le transport. Et là aussi, c’est une sacré aventure. Le Sentier Sinuroc est historiquement reconnu comme un endroit difficile d’accès et il faut s’organiser pour faire descendre les cages au bas du sentier pour que les larges camions puissent prendre le relais et amener les pokémons jusqu’à la route 117 et la Pension Pokémon de la région qui prête ses terres.

Tant que possible, Magnolia assiste. Sans réelle spécialisation, elle est envoyée en renfort à droite à gauche. Une minute et elle assiste une infirmière Joëlle en aidant un Spoink a rebondir sur une machine et juste après, elle aide a tirer une cage jusqu’au bas du sentier.

Une fois le camps complètement vidé et tous les Spoinks en route vers la route 117, Kara récupère Magnolia et elles s’envolent vers Lavandia pour quelques heures de sommeil avant de continuer le travail à la pension.

Allongée dans son lit, alors que le soleil brille haut dans le ciel, Magnolia se sent un peu vide. Si elle a l’habitude des nuits sans sommeil, elle doit bien reconnaître que ça fait longtemps qu’elle n’a pas pu sortir et s’activer autant la nuit tombée, la sécurité de la Pokémon Community ne lui offrant pas cette liberté. Pourtant, malgré la profonde fatigue qu’elle ressent, c’est impossible de s’endormir. Elle est encore trop nerveuse, trop branchée. Son cerveau tourne à mille à l’heure, incapable de redescendre. Il lui faudra un large verre de lait chaud, apporté par son Ecreumeuh, qui la regarde avec un doux sourire pour qu’enfin, l’enfant se calme et parvienne, finalement, à s’endormir.

Son sommeil est réparateur mais pas très long. Quelques heures plus tard, vers la fin d’après-midi, Kara vient la chercher à nouveau et elles font ensemble le court trajet de Lavandia à la pension pokémon. Là bas, tout est en mouvement et les deux jeunes femmes s’intègrent rapidement à l’activité ambiante. Kara rejoint ses collègues dans la gestion des pokémons les plus nerveux tandis que Magnolia préfère rejoindre les volontaires qui s’occupent du gros des secourus.

Kara lui a bien proposé de rejoindre les rangers mais à la condition d’observer et apprendre. Si Magnolia reconnaît qu’elle n’a pas le niveau d’aider réellement sur les cas les plus complexes et qu’observer les rangers en action serait très instructifs, elle préfère être utile et faire tout ce qu’elle peut pour les Spoinks qui acceptent leurs aides. Kara accepte avec un large sourire et lui ébouriffe les cheveux, mentionnant qu’elle viendra la chercher à la fin de la nuit pour aller se reposer.

Comme la veille, Magnolia s’engage dans une routine qui sera la sienne pour les prochains jours. Donner à manger et à boire, nettoyer les cages et les pokémons, leur apporter de l’affection, aider aux soins les plus simples, aider au transfert vers de plus grands espaces des pokémons les plus en forme … Les tâches sont nombreuses et rapidement, Magnolia se forme et se perfectionne. Ses deux pokémons l’assistent autant qu’ils peuvent. Le large dos d’Aries en fait le parfait moyen de transport pour le matériel dont elle a besoin et la douceur (et le lait) de Taurus sont largement appréciés des pauvres petits pokémons.

Les jours s’enchaînent dans une espèce d’étrange frénésie. Les pokémons sont peu à peu renvoyés dans différents centres en fonction de leurs besoins et origines. Beaucoup sont des pokémons qui sont nés dans l’élevage et donc incompatible à une réintroduction en milieu sauvage. Ils sont donc envoyés vers des refuges et centres d’adoption. Ceux qui le peuvent sont envoyés en centre de réintroduction et malheureusement, certains partent vers des hôpitaux et centre de rééducation.

Quand, plus d’une semaine après leur arrivée à Hoenn, les derniers Spoinks sont envoyés en centre d’adoption et que la pension se vide de tous ses invités non prévus, Magnolia se sent un peu vide et Kara lui tapote doucement l’épaule.

- C’est toujours bizarre ce genre de mission. T’as accompli quelque chose de grand, mais là, y’a plus rien que tu peux faire pour eux. On veut toujours en faire plus, il faut apprendre à laisser la main, ok ?

Elle hoche vaguement la tête, le regard rivé vers le dernier véhicule. Kara rigole doucement et entraîne la plus jeune vers Lavandia pour une dernière nuit avant de rentrer à Leiar.

Magnolia ne sait pas trop comment se sentir et tout le trajet du retour se passera dans cet espèce de non état qu’elle ne sait pas trop comment gérer. Quand elle arrive enfin au port de Leiar et qu’elle constate que Léon l’y attend, les larmes lui montent aux yeux et toute cette énergie se décharge soudainement.

Le pauvre professeur ne s’attend probablement pas à ce que sa stoïque petite élève fonde ainsi en larmes devant lui mais il ne perd pas de temps avant de la prendre dans ses bras pour un gros câlin dont elle a désespérément besoin.

Elle a donné et donné et donné et il lui semble qu’elle n’a plus grand-chose à offrir. Qu’elle doit se reconstruire avant de pouvoir continuer. Se reconstruire autour de cette intense expérience.

Et peut-être que c’est ça, au fond, être un héros.