— Non Monsieur je ne veux pas

— Je pensais Monsieur Xoaelteño que depuis le temps nous avions passé le cap des refus catégoriques

— J’ai fait beaucoup d’efforts depuis que vous vous occupez de moi. Mais ça, c’est juste pas possible, je refuse.

— Et moi je ne vous laisse pas le choix.

Itzan avait déjà tenté par le passé de s’opposer à plusieurs reprises à des décisions de son référent, même si ça n’a jamais donné de résultats vraiment concluants. Ce n’est ni la première fois, et certaines pas la dernière. Le plus souvent maintenant, il râle pour la forme. Pour montrer que même s’il le fait gentiment sans broncher, ça ne lui plait pas à 100%. C’est vrai que ça arrive moins souvent maintenant. Mais quand même, il continue à le faire, ça fait partie de son identité.

Sauf que là, ce que lui impose son professeur est d’un tout autre niveau. Sa jambe tressaute contre le sol nerveusement, sentant dans le même temps ses dents se serrer. Ce n’est pas qu’une histoire de caprice, c’est bien plus grave que ça.

— Je sais que ça vous fait peur mais la chance est unique. Vous venez de valider votre Grade 5 Agent, et nous sommes à Paldea. Les démarches sont simplifiées et vos professeurs et camarades sont encore plus proches de vous. On ne parle pas de plusieurs jours d’expédition loin de vos repères mais d’à peine une journée.

— J’ai compris ça. Mais je veux dire, c’est vraiment obligatoire maintenant ? On ne peut pas attendre que j’ai gagné en expérience tout ça ? Je ne me sens pas encore prêt, c’est prématuré comme décision.

— Selon le règlement, les Agents G5 sont tout à fait prêts pour y aller.

— Et…je suis obligé d’y aller tout seul ? Magnolia aussi est Agent, elle pourrait m’accompagner. Ça nous serait plus profitable à deux, et ça vous ferez des économies de budget.

— Magnolia n’a pas encore validé le G5 administrativement parlant. Et même si c’était le cas, vous devez apprendre à vous débrouiller par vous-même, sans vous appuyer sur sa présence dès que vous avez un doute sur vous-même.

— Ça ne fait aucun sens que je sois G5 avant elle, il doit y avoir une erreur administrative.

— Itzan, je ne reviendrais pas sur ma décision. Vous irez dans la zone 0. Demain.

Son référent avait utilisé son prénom. Et quand il le fait, c’est que le gitan l’agace de trop. Le message est clair, il ne lâchera pas l’affaire. Le bleu aura beau protester encore et encore, il n’y a rien à faire. Leon Nahr a décidé pour lui. Il doit se rendre dans la zone 0.

Dans le nid des pokemons paradoxes.

L’adulte sait que cette idée terrifie le Voltali. Mais le gitan ne lui a jamais donné toutes les clés pour le comprendre. Le médecin a bien vu son élève faire une crise d’angoisse, mais il a cru que cela avait simplement un lien avec les cristaux manipulés par le Coven, ayant déjà provoqués des réactions brusques de la part d’Itzan par le passé.

Mais jamais l’agent ne lui a dit que le problème était plus profond que ça. Et que la crainte des brusques visions des cristaux n’était rien à côté de celle induite par les Pokemons Paradoxes, espèces venues d’ailleurs et attirant sans explication rationnelle l’âme du gitan.

Il n’en a jamais parlé à sa mère. Il n’en a jamais parlé à personne. Mais le mal est là, et jamais il n’oubliera les esprits nocturnes apparus clairement à son esprit lorsque le pokemon de l’ancienne élève de l’académie l’a touché. Cet esprit nocturne à forme de pokemon l’a appelé, l’a attiré avec une force contre laquelle Itzan n’a pas pu lutter. Et ça, c’est sans compter sur les très nombreuses visions et autres douleurs qu’il a ressenti dans cette région en s’approchant de certains lieux spécifiques. Le bleu a l’impression que toutes ses barrières s’abaissent ici, et qu’il ne peut plus lutter. Que quelque chose s’empare de lui sans qu’il ne puisse rien y faire.

Alors qu’en sera-t-il lorsqu’il aura mis les pieds dans cette brèche, ouverture vers d’autres temps ?

Il a entendu les récits, ici et là, autour des Pokemons Paradoxes. Ces créatures mystérieuses dont on ne sait pratiquement rien, si ce n’est qu’elles viennent d’ailleurs, et qu’elles sont bien plus puissantes et incontrôlables qu’un pokemon lambda. Mais pour Itzan, ce n’est qu’une toute petite partie du problème.

Le vrai problème, c’est qu’il n’a aucune idée si dans ce lieu, son étrange attraction pour les paradoxes ne va pas se manifester bien plus fortement que lors de leurs dernières confrontations. Il ne sait pas s’il va à nouveau avoir des visions incontrôlables.

Il ne sait pas si après une nouvelle crise, il sera en capacité de se relever seul.

Tout ça n’avait aucun sens pour Itzan.

Pourtant, Leon Nahr n’avait pas menti. Dès le lendemain, le bleu se retrouvait avec ce groupe de scientifiques, prêt à descendre dans le cratère de Paldea, autrement dit la zone 0.

Incapable de trouver le sommeil, le garçon a passé la nuit à lire toutes les revues qu’il trouvait à propos du nid des Paradoxes. Cette zone est interdite à la population depuis presque toujours, jugée bien trop dangereuse pour les gens lambdas. Même des scientifiques de renoms y ont disparu, payant surement de leur vie le prix de leurs recherches. Les expéditions n’ont repris que récemment, menée par des professionnels de terrain, équipés de pokemons entrainés à combattre le plus grand danger de cet endroit. Car au-delà de la nature plus que particulière qu’il a pu deviner des esquisses de ceux qui en sont revenus, l’endroit est peuplé de ces pokemons étranges, venus d’autres temps, et extrêmement puissants. En résumé, ce n’est pas un lieu pour les touristes.

Et c’est pourtant exactement ce qu’il a le sentiment d’être là tout de suite.

Encordé solidement par ses accompagnateurs, le gitan attend sagement son tour pour commencer la descente, bien moins inquiété par la courte performance sportive nécessaire pour accéder au plateau de la zone 0 que par ce qui l’attend réellement en bas. Contre son dos, il sent la présence de Doudou, tremblant de peur mais bien là.

En sachant que tout ceci n’était pas une vaste blague, le Voltali avait pris la décision de laisser son compagnon à l’académie. Il n’a aucune envie d’exposer Doudou au danger ou à la pression que va naturellement lui imposer cet étrange endroit. Il sait Belle suffisamment solide, et Porygon vit davantage dans son téléphone que dans le monde réel, alors il n’a pas à s’inquiéter. Mais la boule rose, ce n’est pas pareil. D’autant plus qu’elle a tendance à boire le stress du bleu, qui va sans aucun doute crever le plafond. En définitive, prendre Doudou avec lui sonne comme la pire des idées.

Mais ce matin, impossible de le laisser. Les hurlements mêlés aux pleurs du Toudoudou ont convaincu Itzan d’abandonner cette idée. La boule rose a parfaitement compris que son dresseur comptait la laisser le temps d’une journée, et elle s’y refuse catégoriquement. Les pleurs ont redoublé d’intensité, comme l’apprenti Agent ne les avait pas vu depuis très longtemps. Au-delà du désespoir d’être laissé par son dresseur, Doudou ne veut surtout pas que son meilleur ami affronte ça tout seul. Même s’il est faible et pleurnichard (il crache du feu mais bon), il se refuse à abandonner le garçon à son sort. Doudou sera le soutien psychologique dont le gitan a tant besoin.

A mesure que les secondes passent, Itzan descend en rappel grâce à un système efficace, jusqu’à enfin toucher le sol. Vite, les experts le desencordent tandis que d’autres montent le campement qui restera sur place toute la journée. Au-delà de la recherche de données sur les pokemons peuplant la zone 0, de nombreuses données géographiques sont recueillies, allant de l’analyse de l’air à celle du sol, de croquis et autres photos des lieux. Et officiellement, on attend du bleu une expédition dans cet immense gouffre pour identifier des pokemons et éventuellement croiser des espèces jamais vues. On ne lui impose pas s’en capturer. Un élément qui aurait dû le soulager.

Si déjà il n’avait pas déjà le cœur serré par l’angoisse, sentant déjà sans qu’il ne sache trop comment la présence d’un esprit nocturne proche de lui.

Sur ordre de l’équipe d’exploration, Itzan n’a eu d’autres choix que de commencer son exploration de la zone 0. Doudou dans sa capuche, il est pour l’instant le seul de ses pokemons à l’air libre. Belle est encore dans sa pokeball, objet qu’il n’apprécie pas mais dont il reconnait l’utilité en cas d’urgence. Quant à Porygon, il erre probablement dans son téléphone, seul endroit où son corps à la composition étrange peut se matérialiser. Le matériel électronique n’est pas extrêmement présent ici. Seuls les appareils de mesure des scientifiques fonctionnent, ainsi que quelques téléphones, mais sans wifi, le cratère de Paldea ne permettant pas de le capter. Heureusement, il semble tout de même y avoir un peu de réseau, de quoi appeler à l’aide s’il finit par se faire dévorer par les esprits nocturnes.

Parce que dès l’instant où il a mis les pieds dans cet horrible endroit, il a senti leur présence. Ce n’est évidemment pas aussi intense que la fois où il s’est retrouvé en face à face avec l’esprit contrôlé par Aniline Chowa, mais c’est tout de même perceptible pour lui. Peut-être qu’il n’est pas le seul à sentir leurs présences. Après tout il n’en sait rien, il n’a jamais demandé à personne son avis sur la question. Mais en revanche, il est à peu près sûr qu’au même endroit, sa mère serait actuellement incapable du moins mouvement. La faute à son don qui donne un accès facile aux esprits nocturne. C’est surement le même processus qui se joue à l’heure actuelle pour le bleu, sauf que lui n’ayant pas développé ce don, ils ne peuvent pas s’emparer complètement de lui. Un don qui dans cette situation s’apparente plutôt à une malédiction.

Calmement, le gitan explore les lieux, découvrant une flore toute particulière. Cet endroit semble complètement hors du temps. Les bruits de l’extérieur ne percent pas le cratère, et les plantes arborent des formes étranges, des choses qu’il n’a pas vu ailleurs à Paldea. Tout est luxuriant, comme si la terre était riche et en capacité de s’autoréguler sans intervention humaine, malgré le maigre accès à l’eau apparent. Itzan n’est pas surpris que les scientifiques se donnent à cœur joie d’explorer chaque centimètre de la zone 0, ou en tout cas de la partie la plus haute.

Des maigres informations qu’il a réellement écouté du briefing, il sait que pour l’heure, les expéditions ne descendent pas dans les profondeurs. C’est là-bas qu’aurait disparu il y a quelques temps deux éminents scientifiques, et depuis personne n’a osé reprendre les recherches. C’est tout de même un peu triste pour ces gens, personne n’a essayé de venir les sauver.

Sans qu’il ne s’en rende particulièrement compte, comme mu par un instinct qui le dépasse, Itzan se dirige vers une zone bien spécifique. Bien que particulièrement distinguable, ce n’est pas tellement cette odeur de soufre qui a attiré le garçon. Ses pas avançant, il n’a pas eu de mal à distinguer l’environnement verdoyant se changer en terre aride, sentant le brûlé. Il n’a pas pourtant pas l’impression d’avoir beaucoup marché depuis qu’il a quitté le point de rassemblement.

C’est comme si dans cet endroit, il était possible de changer temporellement d’époque en quelques pas, quelques instants, sans à peine s’en apercevoir.
Davantage par réflexe que par nécessité immédiate, le bleu passe ses mains devant sa bouche, sentant déjà des particules de cendre dans l’air. Il n’a pas de manches pour se protéger réellement, mais s’il ne reste pas trop longtemps cela ne devrait pas poser problème. Doudou est à peu près protégé grâce à la capuche, et au pire des cas, peut-être que Belle pourra humidifier l’air pour rendre la cendre moins irritante.

Toutes ces choses sont certainement des bonnes options. En espérant simplement que le cœur du bleu, battant à mille à l’heure, ne le perturbe pas trop dans ses réflexions.

Car avoir de nouveau à quelques mètres de soit un Esprit Nocturne, c’est probablement la matérialisation de l’une des plus grandes phobies du gitan.

Il se l’était promis pourtant. Il s’était promis que s’il devait recroiser cette créature, il serait fort. Il s’était promis qu’il ne s’effondrerait pas comme la dernière fois qu’il en a vu une. Il s’était promis que, comme tous ses camarades, la présence d’un pokemon ayant pris l’apparence d’un esprit nocturne ne le clouerait pas sur place, incapable de ne serait-ce que lever les yeux pour le confronter. Il s’était promis que même sans la présence de Magnolia ou de ses amis à ses côtés, il serait brave, courageux, et qu’il affronterait ses peurs du mieux qu’il peut.

Mais, tout comme cette fois où il a confronté l’esprit appartenant à Aniline, il s’effondre complètement. Si ses jambes parviennent encore à le porter, son cœur lui menace d’exploser à tout moment. Il sent déjà sa respiration devenir lourde, paralysé par les sensations qui l’envahissent. A nouveau, c’est comme s’il sentait cette créature enserrer à l’aide de longs bras noirs couverts d’yeux toute son essence. Ses yeux rouges, complètement plats et dispersés de manière incohérente sur ces formes linéaires, semblent le fixer avec amusement. Comme s’ils se nourissaient de sa terreur.

Pourtant, la créature en face de lui n’a rien fait. Malgré sa taille imposante pour un spectre, elle aurait presque l’air sympathique si son sourire n’était pas à la limite entre la taquinerie et la moquerie. Ces fameux bras ne viennent pas d’elle, en tout cas pas qu’elle en est conscience. Mais, ce qui est sur, c’est qu’elle aussi est étrangement attirée par le garçon.

La Flotte-Mèche aime se moque des scientifiques osant s’aventurer ici, plein d’espoir pour révolutionner le monde. Elle aime leur tendre des pièges, les entrainer dans des endroits d’où ils ne pourront pas facilement sortir. Elle aime se dire que certains n’en réchapperont pas, ne récoltant que les conséquences de leurs ambitions démesurées.

Mais cette fois, en voyant cette petite chose fragile devant lui, elle ne se dit pas ça. En le voyant trembler de toute son âme devant elle, ce n’est pas ce genre de pensée qui lui vient en premier. Non ce qui lui vient en premier c’est…

Qu’on dirait qu’il est comme elle.

Ce n’est pas possible. Un humain ne peut pas être comme elle. Elle est un esprit venu d’un autre temps, presque d’un autre monde. Elle est coincée depuis elle ne sait combien de temps dans cette ligne temporelle, dans cet endroit pas désagréable mais qui n’a rien à voir avec celui dont elle vient. Pourtant, ce sentiment ne s’amenuise pas au contact du garçon. Bien au contraire, il ne fait que se renforcer. Et alors que lui se décompose de plus en plus, elle sent ce lien se renforcer, la poussant à s’approcher.

Après tout, qu’a-t-elle à perdre en sortant de cet endroit ? Qu’a-t-elle à perdre à suivre cet humain dont la présence semble tant la fasciner ?

Les générations ont passé, peut-être même les siècles, et jamais rien ne l’avait autant amusé que cet instant, cette rencontre inexplicable mais bien réel.

L’enfant est mort de peur. Tout ce qui se passe à l’intérieur de lui ne fait plus sens. Plus du tout. Et si elle ne prend pas l’initiative, il va s’écrouler, manquant d’oxygène. Elle n’a que maintenant pour agir. Maintenant, avec ces drôles de balle qui pendant à son sac à dos.

Profitant d’un instant où il est obligé de fermer les yeux pour ne pas tomber, la Flotte Mèche s’approche tout près de lui, juste assez pour le sortir de sa torpeur. Mais il est trop tard pour qu’il résiste. Mécaniquement, sa tête spectacle touche la pokeball, juste assez pour l’enclencher, et l’aspirer sous forme réduite.

La respiration sifflante, le garçon parvient tout juste à décrocher cette pokeball de sa ceinture avant de la jeter au sol, puis de s’y écrouler lui-même. Ce n’est pas possible, l’esprit nocturne n’a pas pu se capturer tout seul ? La ball va forcément se rouvrir ? Il n’a pas tissé de lien avec lui comme on lui a appris, ni même cherché à l’affaiblir. Il n’a rien fait de tout ça. Il l’a juste aperçu, puis plus rien.

Alors pourquoi cette capture est une réussite ?

Marchant à 4 pattes sur le sol, le gitan ramasse la pokeball complètement à l’arrêt et constate avec horreur que non seulement la capture a bien fonctionné, mais qu’en plus celles que lui ont donné les scientifiques ne disposent pas de l’option pour forcer la relâche du pokemon sauvage.

— Non non c’est pas possible

Maladroitement, Itzan libère la créature, exactement la même que quelques instants plus tôt. Par un miracle qu’il n’explique pas, il arrive à la fixer dans les yeux pour s’adresser à elle.

— Tu ne peux pas te laisser capturer comme ça, et encore moins venir avec moi ! Tu dois rester ici, c’est là où tu vis et où tu dois rester !

Pour seule réponse, le bleu obtient un ricanement, tandis que la Flotte-Mèche s’approche de lui pour lui tourner autour. Bien qu’en moins grand nombre, les bras spectraux sont toujours là, sur son âme, comme se délectant de son cœur palpitant. Blanc comme un linge, des sueurs froides plein le visage et les pleurs de Doudou en arrière-plan, l’Agent est obligé de se rendre à l’évidence.

Nocturna ne le lâchera pas.