- L’aura est en chacun de nous. Peu de personnes la perçoivent, car peu se sont exercés à la ressentir. Pourtant lorsqu’on regarde certains individus exceptionnels, nous sommes à même de deviner leur aura, cette énergie qu’ils dégagent et qui transcende leur entourage, bien qu’ils ne soient pas aptes à la contrôler.

Robin, assise en tailleur au centre du dojo, rouvrit les yeux, émerveillée par les histoires de son grand-père Adonis. L’homme, dont la chevelure tendait vers le blanc depuis plusieurs années mais dont la musculature n’avait pas pris une ride, lui sourit d’un air taquin, contrastant avec le sérieux dont il avait fait preuve jusqu’alors. La gamine d’à peine cinq ans gloussa, essayant de contenir son rire, puis ne put s’empêcher de s’esclaffer devant le visage exagérément déformé du vieillard.

- Profites de ton rire, car ensuite je t’apprendrai à maîtriser l’aura.

La naïve, l’innocemment espiègle petite fille, ne se rendait pas compte que les années à venir ne seraient pas de tout repos. Dès qu’elle rentrait de l’école, son grand-père l’attendait pour sa leçon. Sa sensibilité à l’aura était faible d’origine, la faisant échouer à chaque test. Ce qui avait été un jeu amusant au départ, devint rapidement un fardeau à porter. Sa sensibilité d’origine à l’aura était faible et elle avait beau voir l’ancien à l’œuvre, elle commençait à se désintéresser de cette pratique car elle ne parvenait pas à ressentir la moindre trace d’aura.

- L’aura est une pratique de nos ancêtres. Tu ne peux pas la rejeter aussi facilement, persévère !

- Roooh, vieux Gouroutan, vas-tu arrêter d’embêter cette gamine ?

- Je ne te permets pas de me parler sur ce ton, Glacia. Ma petite-fille doit devenir maître de l’aura pour qu’elle puisse un jour perpétrer la tradition jusqu’à ce que…

- Oui, oui… Tu ne veux pas plutôt régler ce différent par un duel ? Mes Pokémon nous épargneront l’un de tes éternels sermons.

Aussi resplendissante que la neige, Glacia était le rayon de soleil de Robin. En dehors du Champion local, trop occupé avec les dresseurs avides de gloire, Glacia était la seule à tenir tête à Adonis autant verbalement que physiquement. Leurs duels impressionnaient l’enfant qui contemplait leurs joutes avec émoi, ne pouvant jamais prédire leur issue. La tension retombait à chaque fois de la même manière qu’elle était tombée. Une génération les séparait, mais les deux s’entendaient comme père et fille. En grandissant, Robin finirait par comprendre que la blonde représentait la fille qu’il avait perdu.

Glacia était leur voisine, mais en l’absence de ses parents, elle avait rempli un rôle de mère pour Robin. La petite était cajolée, réconfortée et protégée chez elle. Il lui arrivait de la surnommer « tatie » et c’était elle qui s’occupait de toute la partie éducation scolaire pour eux. Elle allait chercher Robin à l’école, lui faisait faire ses devoirs, manger le goûter et s’occupait des réunions parents-profs. L’autre vieux briscard n’aurait pas tenue une minute lors du déferlements de l’armée de bambins après la sonnerie. Il préférait nettement affronter une horde de Mammochon.

- Tatie ? Regarde ce que j’ai fait… S’interrompit brusquement Robin en voyant les valises de Glacia, entre ses mains elle tenait une luge en bois qu’elle venait de fabriquer avec Adonis. Tu t’en vas ?

La femme s’approcha et s’abaissa à sa hauteur pour sécher la première larme d’une longue série qui ne tarderait plus à tomber.

- Mon Passerouge, ne pleure pas. Il est des fois où nos chemins doivent se séparer, cela ne veut pas dire que nous ne nous reverrons plus.

- Cha vweut dire qwe tu pars longtemps ?

- Un moment, oui. Peut-être plus. Personne ne sait de quelle manière sera notre avenir. Mais je suis certaine que nous allons nous revoir.

- Je vweux pas qwe tu pawtes !

La dresseuse aurait beau la rassurer, Robin ne parviendrait pas à contenir sa tristesse. Même si elle lui avait promis qu’elles se retrouveraient, Robin eut la sensation d’être abandonnée. Elle n’avait jamais ressenti de manque auparavant, pourtant elle avait l’impression que son départ résonnait avec celui de ses parents, bien avant qu’elle ne soit capable d’exprimer un mot. Encore une personne disparaissait de son entourage. Il ne lui restait que son papi qui contre vents-et-marées ferait tout pour compenser l’absence. Peut-être pas de la manière la plus douce… Néanmoins, il permit à Robin de suivre les aventures de Glacia dans la région d’Hoenn à la télé et voir son ascension jusqu’au Conseil 4. C’était une joie et une fierté immense pour les Kestis, mais cela signifiait également qu’elle ne reviendrait pas. Alors, Robin, dix ans, fit cette promesse devant son téléviseur.

- Un jour Glacia, je te promets de devenir aussi forte que toi et grand-père. Et ce jour-là, je viendrais t’affronter à Hoenn !

Dès lors, elle redoubla d’efforts dans son entraînement. Elle donnait tout ce qu’elle avait, espérant parvenir rapidement à ses fins. Adonis qui avait dû la motiver des heures durant à pratiquer ses enseignements, se retrouvait contraint à devoir la freiner.

- Tu ne peux pas accélérer le processus. Cela requiert de la patience et de la discipline pour la ressentir et parvenir à la maîtriser. Te précipiter ne te fera qu’échouer.

Et si les débuts de ce renouveau furent encourageants, la rousse se retrouva tout aussi rapidement à stagner dans son apprentissage. A vouloir brûler les étapes, elle avait frustré son aura. Une aura trop fragile pour qu’elle puisse en faire un quelconque usage. Démunie et impatiente, rentrant dans sa pré-adolescence et rejetant les enseignements de ses aînés, elle pensa que passer à la pratique en conditions réelles l’aiderait à s’améliorer. En cachette, elle se mit à s’entraîner dans les bois où elle parvint à progresser. Lorsque son grand-père apprit la chose, il fut fou de rage et projeta la table basse par la fenêtre.

- Tu ne dois pas t’aventurer dans les bois. Tu es loin d’être prête !

- Vieux schnock, t’y connais rien. J’apprends plus vite là-bas qu’assis avec toi dans ton dojo miteux.

- Je ne veux plus jamais te voir y aller. C’est compris ?!

- T’as rien à m’dire ! T’es pas mon père !

Elle s’en alla fâchée, persuadée que sa méthode dépassait la sienne et comptait bien le lui prouver. Dans la nuit, alors que les ronflements tonitruants du octogénaire arpentaient leur chalet, elle attrapa son sac et s’échappa par la fenêtre. Elle fut remarquée par le Givrali de son grand-père qui, épuisé, pensa rêvé et se rendormit aussitôt. Robin traversa la ville et se rendit dans la forêt. Elle avait pris des vivres pour une semaine et de quoi faire un feu ou s’abriter du vent. Son orgueil la poussa à s’enfoncer plus profondément, où les Pokémon s’avéraient plus dangereux et où personne ne viendrait la chercher. Là-bas, elle construisit son campement et s’attaqua à son entraînement.

Au petit matin, elle se reposait près du feu, emmitouflée dans son sac de couchage. Son esprit était encore épris par la colère et le désir de faire ses preuves, ce qui ne facilitait pas son sommeil. Toutefois, c’était l’absence d’une source de chaleur qui la tira du royaume des rêves. Son feu s’était éteint et il faisait sacrément froid tout à coup. Même avec sa protection, le vent s’engouffrait et la gelait.

Quelques heures après seulement, une tempête de neige était déclarée aux informations. Adonis qui pestait que sa petite fille ne soit pas encore réveillée, fut alerté de son absence par son Givrali recouvrant la mémoire de la nuit dernière. Il n’y avait pas une minute à perdre !

Dans la forêt, Robin avait cherché un abri derrière des arbres. Elle ressentait moins les effets du vent glacial mais n’était pas parvenue à rallumer un feu. Son sac avait beau être bourré de nourritures, il ne lui serait d’aucune aide pour traverser la tempête qui s’était levée. De plus, avec le manque de vision, elle était incapable de retrouver son chemin. Paniquée, elle était coincée derrière ces deux arbres, contrainte de grelotter en attendant que la tempête passe.

Les heures défilent et son corps est gelé. Elle ne ressentait plus ses extrémités et s’est recroquevillée dans son couchage, tandis que chaque minute devenait aussi long qu’une heure. Si elle n’avait pas aussi froid, elle se mordrait les doigts de s’être lancée dans cette opération. Le sommeil revenait doucement. Elle n’avait de toute façon rien de mieux à faire pour patienter.

- ...rrrooooOOOBIIIIIIN ! ROOOOBIIIIIIN !

Adonis savait ne plus être loin de sa petite-fille. L’aura l’accompagnait et lui permettait de voir ce que ses yeux lui cachaient. Au milieu de la tempête, il finit par la débusquer, recouverte à demi de neige. Elle était endormie et aucune de ses paroles ne parvenait à la réveiller. Il l’embarqua entre ses bras, abandonnant tout l’équipement de la gamine et rebroussa chemin aussi vite qu’il le pouvait.

- Givrali, pars devant prévenir les secours.

- Givra !

Son Pokémon hocha de la tête et avec la légèreté qui était sienne, il partit au galop vers la ville. Lorsque Robin se réveilla, elle se trouvait dans une pièce inconnue, blanche et rose. Elle sentit le masque qui était apposé contre son visage et l’aidait à respirer. Son corps entier semblait ne plus avoir de force. Bouger ne serait-ce que le bout de ses doigts lui demandait un effort surhumain. Elle était cependant trop dans les vapes pour s’en inquiéter. Tout ce qui importait, c’était que son grand-père se tenait à côté d’elle et qu’elle lisait sur son visage une expression d’effroi qu’elle n’y avait jamais vu. Elle se rappelait de tout et savait qu’elle était la fautive dans cette histoire.

- P-par-don… grand-père…

Des larmes perlèrent sur le coin des yeux de l’homme.

- Ne t’agites pas, tu dois encore te reposer.

En sortie de l’hôpital, Robin garda des cicatrices sur ses mains et ses orteils, où la peau avait été brûlée par le froid. Son aura fut complètement bloquée. Il lui était impossible de l’utiliser et même de la ressentir, peu importe les efforts qu’elle y mettait. La frayeur étant passé, Adonis reprit son comportement habituel mais n’eut plus l’utilité de disputer sa petite-fille, qui se remit d’elle-même à l’écouter dans les grandes lignes. De son côté, Adonis accepta de l’accompagner dans les bois proches de la ville pour certaines leçons. Plusieurs années seront nécessaires avant qu’elle ne parvienne à ré-interagir avec l’aura. Arrivant ensuite le moment de quitter sa ville natale à son tour pour partir vivre son rêve.

- Je t’ai appris tout ce que mon père m’avait appris, qu’il avait lui-même reçu de sa mère et ainsi de suite depuis de nombreuses générations. Je suis fier de ce que tu es devenue ma petite Passerouge.

- Grand-père, je n’ai pas été la petite-fille modèle et j’t’en demande pardon. Tu as été un vieux schnock épuisant, gueulard et autoritaire… je pense savoir de qui je tiens mon entêtement. Dit-elle en souriant avant d’afficher une mine triste. Tu es comme un père pour moi et je n’aurais pas pu en imaginer de meilleur.

Inspirant un grand coup pour résister aux larmes qui lui venaient, l’homme donna une tape sur l’épaule la jeune femme.

- Va ! Je ne veux plus te voir avant que tu sois devenue une vraie dresseuse.

Pensant à sa prochaine boutade, Robin retrouva le sourire.

- T’inquiète pas, j’ai pas envie de revoir ta sale tronche d’aussitôt.

Sur ces paroles, elle le serra dans ses bras, chose qu’elle ne faisait jamais à l’accoutumée. Puis leurs chemins se séparèrent et elle prit le ferry en direction de Leiar, où se trouvait l’une des académies les plus réputées du globe : la Pokemon Community.