caractère
Je croise le regard de mon reflet dans le miroir. Il me sourit timidement. J'ai jamais aimé la tronche que j'ai. Cette face rondelette, encadrée par ces cheveux bruns qui m'arrivent aux épaules... Ces grands yeux marrons, qui, d'après ma mère, sont ceux de mon père.. Ce petit nez qui fait à peine acte de présence, et cette large bouche. Bien sûr ça m'a aidé à gueuler plus fort que les autres. Mais bon...
Je laisse mon regard dévier plus bas. Fringuée à la garçonne, comme d'hab. Chemise, cravate, pantalon serré, chaussures de marche. J'ai piqué la cravate dans les affaires de mon vieux. Jsuis pas si mal foutue, en fait.. Une taille plutôt fine, un corps pas trop grand, des formes.. Présentes sans être absurdement généreuses, jsuis plus ou moins l'adolescente moyenne en fait. Et c'est très bien comme ça, quand on y pense. Si je voulais qu'on me remarque, jporterais surement des robes ou des jupes. Mais c'pas le cas. Je passe le doigt sur une cicatrice visible sur mon poignet gauche. Jme souviens même plus comment j'ai eu celle ci. J'en ai tellement d'autres sur le corps, que chacune d'elle devient anecdotique...
Je soupire un peu, et regarde de nouveau mon reflet. C'est comme ça que les gens me voient, alors. Pas étonnant que je déteste me voir en reflet. Je ressemble à une gamine gentille et toute sage, qui cherche quelques embrouilles par ci par là. Alors qu'en vrai, je demande pas mieux qu'avoir une vie tranquille, moi. Je demande que ça, d'avoir un peu la paix, de pas avoir à crapahuter ma couenne dans le désert de Rhode parce qu'un tordu assure y avoir vu un truc incroyable. Ah et bien sûr, les pokémon sauvages sont pas tendres dans le coin. J'imagine que l'environnement hostile, ça aide pas à adoucir les bestioles. Je pose une main sur la glace froide. Si seulement quelqu'un pouvait voir à l'intérieur. Voir qui je suis pour de vrai. Que sous mes airs de gamine à problème, je suis juste curieuse et enthousiaste. Que sous l'aspect de la gosse qui gueule tout le temps, je cherche juste un peu d'attention. Que je suis seule, finalement. Je soupire. Comme si ça allait changer.
Je contemple une dernière fois mon reflet dans le miroir. Peut être qu'il vaudrait mieux que j'agisse comme ce que les gens pensent que je suis, finalement... Que j'arrête d'être qui je suis, pour devenir qui le monde pense que je suis. Mon reflet esquisse un sourire narquois. Bien sûr que non. Je suis beaucoup trop fière pour ça. Beaucoup trop têtue. Evidemment. Aucun risque qu'un jour, je me laisse avoir bêtement par ce genre de sentimentalisme mielleux. Je secoue la tête doucement, et laisse tomber le drap devant le miroir. J'ai ni le temps ni l'envie pour une introspection, il est bientôt minuit, bientôt l'heure de partir loin de Maman.
histoire
D'aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été comme ça. Tu rentres à la maison. Tu t'installes à table, dans le plus grand des silences. Comme d'habitude. J'ai préparé le repas. Ca fait bien quatre ans que tu ne l'as pas fait, de toutes façons. Et même avant, on se faisait livrer la plupart du temps. Je mâche bruyamment. Comme toujours. Juste pour te souler. Juste pour essayer de te tirer un mot. Mais comme à chaque fois, tu me jettes juste un regard sombre. J'ai fini par comprendre, avec le temps. Tu vois en moi son image. Tu vois le visage et les yeux de celui qui est parti après votre vie commune.
J'arrive encore à me rappeler, quand j'étais petite. Tu me racontais votre histoire. Vous vous étiez rencontrés ici. A Phenacit. Vous avez vécu votre vie, vous vous êtes aimés. Tu as abandonné tes rêves. Il a choisi de retrouver les siens. C'est six mois plus tard que tu m'as mise au monde. Tu m'as aimée, au début. Sincèrement. Et je pense même qu'au fond, tu m'aimes peut être encore. Je peux revoir encore et encore chaque petit geste. Chaque petite attention. Entendre cet air que tu chantonnais en coiffant mes cheveux. Te revoir couper les croûtes du pain. T'écouter me raconter pendant des heures que je suis ton rayon de soleil.
Puis tout changea. Du jour au lendemain. Je suis incapable de l'expliquer. J'avais huit ans, maman. Et c'est à cet âge que tu commença à t'éloigner. A me regarder de moins en moins. C'est à cet âge que j'ai senti au fond de moi ce sentiment d'être une étrangère à tes yeux. Les heures se multipliaient. J'étais seule. On ne se voyait que quelques heures par jour, quand tu rentrais du travail et qu'on dinait toutes les deux. Puis tu m'emmenais dans ma chambre, et tu me bordais. Il me fallut bien longtemps pour comprendre que je n'étais pas une étrangère à tes yeux. On ne déteste pas quelqu'un que l'on ne connait pas.
Les jours s'enchaînèrent. Et avec eux les semaines, puis les mois et les années. J'ai quatorze ans aujourd'hui, Maman. J'ai passé les six dernières années à te regarder de loin. J'ai même voulu te montrer que j'étais digne de toi. Te montrer que je pouvais réussir. J'ai étudié avec l'infirmière. J'ai passé deux ans à l'assister pour des tâches ingrates, pour quelques poignées de dollars. Le seul résultat que j'ai obtenu a été un silence encore plus imposant. C'est paradoxal, quand on y pense. Plus ton silence est pesant, plus il résonne dans mes oreilles.
-.. Ca a été ta journée ?
Aucune réponse. Tu poursuis ton repas. Comme à chaque fois que j'ai tenté d'engager la conversation.
-... J'aurais du m'y attendre.. C'est un jour spécial aujourd'hui, tu sais?...
Encore une fois, un silence. C'est mon anniversaire aujourd'hui. Mais comme l'année dernière, j'imagine qu'il est inutile d'espérer une petite attention. Je sens une larme couler sur ma joue. J'allais te le dire. J'allais t'annoncer ma décision d'entrer dans une école pour que tu sois fière de moi. Je chassais cette idée, le coeur en peine. Je me levais, et vidais mon assiette dans la gamelle de Caninos. Au moins, lui pourra profiter du repas chaud. Moi, j'ai l'estomac trop noué.
La nuit tomba rapidement. Et avec elle, ta respiration ralentit. Tu dormais enfin. J'ouvrais lentement ma fenêtre. Ma décision était prise. Je passais mes jambes de l'autre côté, et me laissait tomber sur le sol. Je marchais longtemps, mon sac à dos sur une épaule, à travers le désert. J'empruntais l'une de ces nombreuses routes que le temps et les passages successifs avaient creusés. Il me fallut deux jours pour arriver au port. J'imagine que tu t'es rendue compte de ma disparition, à présent. Est ce que tu cherches seulement à savoir où je suis? Je n'en suis même pas sûre... J'essaierais peut être de t'appeler quand j'arriverais. Quand il sera trop tard pour regretter.
Sur les quais, je présentais mon billet à un marin un peu bourru. Un petit sourire, et il m'invite à monter à bord. J'observe le lointain. La mer. L'immensité. La liberté. J'ouvre mon sac, et j'en contemple le contenu une minute. Quelques biscuits, du linge de rechange, le reste de mes économies, et ton carnet à dessin. Je n'ai pas pu résoudre à l'abandonner. C'est dans ce carnet qu'on dessinait quand j'étais petite. C'est la seule chose qui m'aide à me souvenir de qui tu étais. Je sens les larmes couler de nouveau, alors que la sirène du bateau retentit, et que le quai commence à lentement s'éloigner. Trop tard pour les regrets. Je renifle bruyamment, et par m'isoler dans ma cabine. Le voyage sera long.