A table !

L’appel provenait de la cuisine, en plus de la voix douce de sa maman émanait une délicieuse odeur de viande, sûrement de l’Ecremeuh. En l’entendant, le regard du jeune Jiminy s’illumina. Seul allongé sur la pelouse, il s’était lancé dans une longue discussion sur le bon temps de cuisson des Magicarpes en compagnie de quelques Pokémon insectes à moitié endormis par le discours sans intérêt du jeune garçon. A six ans, il avait déjà tout compris de ce que la vie avait à lui apporter, et ça commençait par de bons repas. Il se redressa tout fougueux qu’il était, manquant de se ramasser et de s’enfoncer le crâne dans la terre. Il courra vers sa maman, très rapide pour son âge, surtout lorsqu’il s’agissait d’aller manger. En un rien de temps, il se retrouvait assis à table regardant tendrement sa maman et plus particulièrement le plat délicieux qu’elle apportait. A peine posé, il tendit les mimines pour s’en servir un morceau. Ce qui lui valut une petite tapette sur les doigts de sa mère qui soupira. Jiminy regarda autour de lui et vit la chaise vide devant lui.

Où est-ce qu’il est encore ?

Ton frère s’entraîne figure-toi ! Et on ne commencera pas le repas tant qu’il ne sera pas là.

A son tour, il soupira et laissa tomber sa tête dans son assiette pour ne pas avoir à supporter la vue d’un si bon met qu’il ne pouvait goûter. Au bout de quelques secondes, son ventre se mit à gargouiller et il jeta un regard suppliant à sa maman.

J’ai faaaaaim…

Sois patient Jim ! Il ne devrait pas tarder.

Effectivement, même pas une minute plus tard, qui parut dix à Jim, Matéo débarqua dans la pièce, le regard fier et supérieur et il finit par s’asseoir à son tour. Il était suivi d’un Gueriaigle tout aussi hautain que son dresseur. Les deux étaient copains comme cochon, surtout lorsqu’il s’agissait de s’élancer dans les courses et combats aériens. Il était de deux ans son ainé mais paraissait bien plus expérimenté. Comme à son habitude, Jim les regarda d’un air envieux avant de se remettre à saliver devant le plat concocté avec amour par sa mère qui les servit sans attendre. Il se jeta sur la nourriture comme s’il n’avait pas mangé depuis trois jours et en un rien de temps eut fini son repas. Repus, il s’affala sur sa chaise comme un ivrogne.

Tiens-toi mieux que ça Jim !

Cette remarque provoqua un petit rire narquois et supérieur de la part de son grand frère qui à huit, avait la prétention d’un champion d’arène.

Pourquoi j’ai pas de Pokémon, moi ?

Précédant sa réponse d’un soupir, sa mère tourna à nouveau son regard vers lui. Son expression trahissait un mélange de tendresse et de désespoir mal dosé.

Nous en avons déjà parlé, inutile de remettre le sujet sur la table, ton frère est plus âgé et puis…

Il l’a depuis deux ans son Pokémon ! J’ai deux ans de moins que lui, à un Watouat près, je devrai en avoir un aussi !

C’est différent !

Jiminy croisa les bras, prit un air boudeur et quitta la table en retenant ses larmes. Il distingua à peine la réplique de sa mère qui lui redonna légèrement le sourire.

Si t’arrêtais de faire le beau toi aussi, il n’en aurait pas tant envie !

De retour sur la pelouse, il vit les Pokémon s’éloigner à son arrivée, craignant sûrement de se retrouver à nouveau coincés dans une discussion sans fin et sans intérêt. Il alla s’asseoir dans le creux d’un arbre pour se vider de quelques larmes et attendit patiemment que la journée ne se termine avant d’aller rejoindre son lit.

Trois ans plus tard, la situation n’avait pas vraiment changé. Sa mère refusait toujours qu’il ait un Pokémon, elle voulait le protéger de ses propres maladresses mais aussi et par-dessus tout, elle ne voulait pas le voir partir lui-aussi. Car à 11 ans seulement, Matéo avait vite grandi et s’apprêtait déjà à parcourir les routes d’Unys à dos de Gueriaigle pour remporter les compétitions et les badges. Malgré tout le ressenti qu’il avait pour son frère, leur relation ne se réduisait pas à la jalousie. Bien qu’envieux, il avait pris son frère pour modèle et appréciait chacun des petits moments qu’il lui accordait pour jouer. Son père étant un simple ouvrier, travaillant sans compter pour ramener des clopinettes, il savait que lui n’était pas son exemple. Lui aussi voulait parcourir le monde et en voyant son frère partir, il passa des heures à le supplier de l’emmener avec lui… sans succès. A dos de Gueriaigle, Matéo disparut vers l’horizon lointain, cette image, Jim n’était pas prêt de l’oublier.

Trois ans passèrent à nouveau sans que les choses n’évoluent. Jiminy enviait toujours terriblement son frère et se jetait sur chacune des lettres que le facteur lui apportait. Matéo décrivait ses exploits et sa réussite alors que lui restait bloqué à Flocombe, dans cette ville paumée où la neige recouvre le sol la moitié de l’année et le reste est d’un froid glacial. Cependant, il entendit parler d’une école qui lui permettrait de quitter ce quotidien si répétitif et morose. Bien qu’hésitant, ses parents finirent par accepter, l’excellence et la discipline vantée sur la brochure les ayant convaincus. Pour une fois, en répondant à la lettre de son frère, Jiminy avait autre chose à raconter que le dernier plat préparé pour sa mère ou les ragots sans intérêt de Flocombe. Il lui donna sa nouvelle adresse pour qu’ils puissent continuer leur correspondance et quand il fut temps de partir, il ne pensait pas au manque, à la nostalgie ou au stress d’un départ, il ne pensait qu’à l’excitation de l’apprentissage et de recevoir son premier Pokémon rien qu’à lui, car bien qu’il ait toujours vécu entouré de ces adorables bestioles, il n’avait encore jamais connu le bonheur d’en posséder une.

…

Tout le reste ne comptait pas, son arrivée, sa répartition, la découverte de son dortoir… Non tout ça n’avait pas d’intérêt, dès qu’il en eut l’occasion, il courra dans les souterrains à la recherche de son premier Pokémon. Sans y prêter trop attention, il répondit à toutes les questions du collectionneur, très souvent complètement à côté de la plaque. Il ne prêta pas attention non plus au comportement douteux du personnage, à ses manières extravagantes ou à son haleine fétide. Il s’arrêta de respirer lorsque pour la première fois, il pouvait une pokéball, sa pokéball entre ses mains. Jailli alors de la petite boule rouge et blanche… … une autre boule, mais celle-ci était bleue.

Ah je ne savais pas que les pokéballs fonctionnaient comme les poupées russes… mais à l’envers, elle est quand même vachement plus grosse celle-là ! … Mon Pokémon va sortir de ça ?

Il vit finalement la boule en question s’animait et taper dans ses mains, enfin ses espèces de petites pattes, ou nageoires… Elle criait de manière très étrange mais elle était visiblement contente d’être ici. Son regard était aussi vide de sens que celui de son dresseur.

C’est un Obalie femelle ! Tu peux lui donner un surnom si tu veux.

Ah… ça a l’air de nager… Mais est-ce que ça vole au moins ?

Erm, elle nage difficilement… elle ne vole pas non plus.

Mmmkay.

Il quitta le souterrain suivi de près par la grosse boule qui avançait en rebondissant sur son propre corps. Une fois dehors il regarda la bestiole en en faisant le tour à plusieurs reprises. Sans crier gare, il lui sauta sur le dos en se tenant à ses deux petites oreilles rondes.

Parfait tout ça ! Tu t’appelles Croûte maintenant ! Si t’aimes manger, on va être copains !

Difficilement, à cause de la nouvelle masse assise sur son dos, Croûte réussit quand même à applaudir, la gueule grande ouverte, laissant échapper ce bruit si particulier qui reflétait sans peine la taille supposée de sa cervelle, ou bien à quel point Jiminy l’écrasait à cet instant.