C’est un beau matin de mai. Il y avait un arbre fleuris. C’était un bel arbre au corps sombre piqueté de dizaine de fleur d’un jaune canari et sur l’écorce duquel était gravé les initiaux d’une artiste inconnue. AF. Et ce n’était pas Adèle Faust, non, c’était quelqu’un d’autre. C’est pour ça que la brune en imprimait la gravure sur son index, curieuse. C’était peut-être une ancêtre ? Quelqu’un comme elle qui lui envoyait un message à travers ce tronc. C’était une énigme qui faisait craqueler ses méninges. La bourgeoise louchait sur la signature de l’Autre. La brune avait le sentiment qu’elle ne verrait jamais cette personne, que ce n’était pas possible de la rencontrer. Son existence ressemblait à une ligne parfaitement parallèle à la sienne et c’était beau.
La demoiselle fit délicatement sortir une paire de ciseaux argentés de son sac. La fit tourner entre ses dextres, miroiter devant ses yeux. Ce qui allait se produire était inéluctable. Une réponse devait apparaître près de ce message. Seulement quoi dire, quoi mettre. Quoi ajouter près de cette primaire façon de signifier que l’arbre avait un maître. La Givrali souhaita y apposer les lettres de son frère, pour le rendre plus vivant. Pour que le fraternel doux de ses souvenirs d’enfance rejoigne l’âme écorché l’arbre la première. Mais ça lui serrait trop la gorge. Les mots virulents de sa lettre lui revenaient, des lettres accrochées les unes aux autres qui avaient réduits son cœur de petite fille en miettes de Poffin. Elle s’assit en tailleuse devant l’ancêtre de bois, songeuse.
Une tête pelucheuse apparue près d’elle. Il ne s’agissait de Gollum mais d’une jeune fauve : Friponne. Friponne était une mauvaise fille, elle renversait la gamelle des autres, faisait ses griffes sur les rideaux et prenait un malin plaisir à mordiller les oreilles de sa dresseuse. Le lionceau azuré ne tarda pas à mettre entre ses crocs de lait les ouïes de sa petite maîtresse. La Coordinatrice lâcha un gémissement de douleur et plaqua la chatonne au sol. Vive comme la pluie Friponne frappa le minois de la fillette de ses pattes postérieures et s’enfuit en feulant. Quel drôle d’animal tout de même. La cadette Faust s’apercevait qu’à part Zola, elle n’avait jamais eu de souci d’autorité avec ses Pokemons – Gollum était abruti mais c’était un souci d’un autre ordre. A quelques mètres l’une de l’autre, Lixy et bipède se toisaient. Les yeux ambre de l’une jetaient des éclairs mécontents, son poil hérissé et sa posture ramassé prouvaient que la peste était prête à en découdre. L’autre, vêtue dans son habit noir et son ruban écarlate défait, avait le regard larmoyant des bambins vexés. La jeune femme sentait un caprice gros comme un Wailord montait dans sa gorge, aussi tourna-t-elle le dos à la responsable dans un signe de mépris royal.
Les ciseaux avaient été posés dans l’herbe encore perlée de rosée. Ils attendaient patiemment l’inspiration de la confectionneuse. Ils savaient que quand l’index et le pouce se glisseraient à nouveau dans leurs une oeuvre prendrait vie. En attendant ce fatidique moment, la bourgeoise fouillait son sac. Il était plein de bric-à-brac, de gris-gris et d’autres fantaisies. Au milieu de cet amas d’objets saugrenus un cocon énorme prenait beaucoup de place. C’était une fille du dortoir qui lui avait dit que pour voir le jour ces coquilles-là avait besoin de voyager – ils faillaient toujours que les autres Givrali mettent le nez dans ses affaires de toute manière. Au début l’enfant ne pensait même pas garder son œuf, jouait les couveuses pendant des mois pour voir apparaître un être ingrats et sale, très peu pour elle. Seulement au fur et à mesure des jours, Chelsea et Causette s’étaient transformées. L’Osselait rugueuse s’installait devant l’œuf pour marmonner ce qui ressemblait à une berceuse, avec beaucoup de grognements ronflants et de voyelles étirées. C’était la première fois qu’Adèle entendait le dinosaure formait des sons, l’élève avait toujours cru la lézarde muette. Avec l’arrivé du futur petit, la diva venait parfois se lover autour de la coque et n’hésitait à retrousser les babines quand Zola faisait ses acrobaties à proximité.
L’héritière n’avait pas connu sa mère, elle n’avait pas connu cet amour maternel. Voir ses créatures faire preuve d’une tendresse inhabituelle était sa première occasion de définir les lignes incertaines du mot « maman ». Ce mot la rendait mûre. Parce qu’Adèle n’avait que treize ans que son esprit fourmillait de désirs puérils et qu’elle n’anticipait rien. Parce que son frère avait besoin d’une femme pour le soutenir dans la mort future de Grand-mère. Pour tout cela, la Givrali avait besoin de devenir mère à son tour. Elle n’enfantait pas. D’ailleurs ce petit serait un peu orphelin, il ne verrait jamais sa vrai mère. Il n’en souffrirait sans doute pas mais c’était un fait qui tourmenter le cœur de la gamine. Friponne avait renoncé à sa famille sans scrupule. La félidée était-elle malheureuse du temps où il fallait tout partager avec sa fratrie ? Peut-être que c’était pour ça qu’elle était toujours en colère, toujours mauvaise. Un grognement. L’œuf venait de grogner de façon rauque. Mais les œufs ne parlent pas. Adèle comprit et le fit aussitôt rouler hors du bagage. Il y eut de petites fissures un peu partout sur la surface écrue et verte. Le cœur de la petite dresseuse tambourinait. Pou-poum. Pou-poum. Elle regardait de ses grands yeux sarcelles l’évènement. La coquille qui gonflait et déformait ses parois les éclatant par endroit jusqu’à ce qu’une grande lumière inonde toute et révèle la naissance.
Un corps disgracieux tout en courbe qui avait quatre pattes. La créature était d’un jaune qui tirait sur l’ocre et avait sur le dos une étrange tâche verte qui faisait penser à une variété de gangrène. Il y avait sur ce même dos un étrange dôme, une colline trouée, un… un cratère ? Oui, un petit volcan qui prenait bien de la place. Le faciès du bébé était pâteux et peu expressif, de grands yeux à moitié fermé de sommeil fouillaient l’environnement en quête du lait maternel. La brune hésitait entre manifestait clairement son dégout pour la bête molle et peu esthétique qui venait de sortir de l’œuf ou s’essayait au rôle de mère. Friponne choisit pour elle. La chatonne azurée se jeta toutes griffes dehors sur l’intrus. L’assaut sortit la dresseuse de son effroi et elle se rua sur le chat pour l’arrêter. Il y eut des cris, des oreilles mordus, un cratère malmené, des touffes de poils célestes arrachées mais le chaos finit par prendre fin. La lionne respirait vite et se tenait en position de repli, pourquoi la petite maîtresse ne voulait-elle pas réduire cet immonde herbivore en charpie ? N’était-elle pas rongée par la faim ? « Le petite maîtresse » était haletante, elle encerclait de ses bras pâles le nouveau-né. Sans lâcher le lionceau du regard, la Coordinatrice murmura près du crâne du petit dromadaire.
« Tu t’appelleras Oliver Twist. »
Oliver Twist était un orphelin. Victor lui en avait raconté l’histoire d’une voix tremblante il y a très longtemps. C’était une histoire triste et ils avaient tous deux beaucoup pleurés. Victor car une peine sincère l’envahissait à la lecture de ces lignes, sa cadette parce que voir des larmes sur les joues claires de son frère c’était déjà trop. Le petit chameau à bosse unique était orphelin à sa façon. D’après Melty, il aurait même pu être une omelette et – soyons francs – victime d’une tentative d’assassinat aux premières minutes de son existence, sa vie ne s’annonçait pas sous les meilleurs hospices. Les boucles des ciseaux chuintèrent quand la petite « maman » les ramassa. Des petits mouvements répétés et déterminés contre l’écorce brune usèrent les lames. Ce travail prit un certain temps pendant lequel Oliver geint plein de faim et d’angoisse. Un temps où Friponne s’assit, le regard avide et contrarié fixé sur le nourrisson dont venait de s’enticher la petite maîtresse. L’outil de confection retomba dans le sac, laissant dans ses sillons un mot «
Oliver ». Désormais l’arbre n’appartenait plus à l’Autre.