La voici, la raison. Mon calme était rompu. D'hirondelles je passais à corbeaux, de papillons je retrouvais les chenilles, et ce doux silence se transformait en un brouhaha digne d'un Brouhabam. Moi qui était là pour le calme, pour la sérénité et la pérennité, voilà qu'un dresseur s'imposait dans ma bulle en la perçant d'un coup de crâne du premier de ses Pokémon, et de grognements de l'autre.
Je n'avais pas l'habitude de boire comme le faisait mon père, c'est à dire avec une certaine joie à l'idée de se prendre une cuite. J'étais plus dans le recul, à boire ma gourde avec une certaine lenteur, tout en réfléchissant aux actes et oubliant les conséquences. Pour le coup, je sentais mon poids tomber progressivement, suite au coup de crâne du Pokémon qui se prenait pour un bélier. Aucun remord. Je portais la gourde à mes lèvres, déversant son contenu dans ma gorge comme s'il s'agissait d'alcool alors qu'elle n'était réservoir que d'eau, avant de déplacer ma main droite sur le côté de mon crâne, où se situait ce masque si particulier, afin de le poster sur mon visage.
L'Oni était un démon des cultures japonaises, principalement utilisé dans les événements pour montrer que l'homme a succombé aux plaisirs de la fête proposés par le diable. De ce fait, en arborant ce masque, il montrait une facette démoniaque de sa personnalité, partisane du mal. Si un démon m'était proche, ce serait l'Incube. Un démon qui, de par sa grâce et sa beauté, séduit les femmes (et pour le coup certains hommes) pour les faire pêcher. Mais tout ceci, en tant qu'enfant de quinze ans, c'était encore bien loin.
Je chutais en même temps que l'arbre, m'effondrant sur le sol dans une nuée poussiéreuse soulevée par le fracas. Au creux de celle-ci, une grande quantité de mousse de la jungle ayant amorti ma chute, je me relevais progressivement, d'un air assez branlant, titubant en direction du jeune homme qui possédait les deux Pokémon. Je songeais à la personnalité que j'allais lui montrer. L'hyperactif incompréhensible ? Le fêtard ?
"La prochaine fois que tu détruis cet arbre, je t'empaillerais ton foutu cabot."
L'antipathique détestable. La pire des personnalités que je pouvais arborer, tant pour le fait que je devenais exécrable à un point qui menait les dresseurs les moins réfléchis à m'attaquer, tant pour le fait que je m'attirais la haine de beaucoup de dresseurs plus venimeux. Cependant, cette froideur et cette distance n'étaient pas de la vulgarité, mais plutôt une forme d'orgueil exacerbé. Il ne manquait qu'à voir si mon jeu d'acteur tromperait ou non le dresseur, dont je regardais la jambe. Même s'il ne bougeait pas, il semblait avoir un appui assez peu commun.