Ils n’eurent que vingt minutes de tranquillité avant que des coups donnés à la porte n’indiquent que le père d’Orren venait d’arriver. Aileen était curieuse. A quoi ressemblait ce paternel dont on lui avait dressé un portrait fort peu flatteur ? Elle allait vite être fixée, vu que la mère d’Orren appela ce dernier pour qu’il vienne saluer son père. Aileen se redressa, et Sphax, qui jouait précédemment avec le Solochi, se tourna vers elle, sa corne commençant à luire doucement. La description officielle d’Absol lui revint en mémoire. Sa corne avait le pouvoir de prédire les catastrophes, et quand il apparaissait aux gens, il allait leur arriver malheur. Bondissant par-dessus du Solochi, Sphax essaya de barrer la route au Voltali, qui l’esquiva souplement pour s’engouffrer dans le couloir. Alors il barra la route de sa dresseuse, muet et immobile, les yeux grands ouverts.
« Quoi, tu as vu quelque chose ? »
L’Absol hocha la tête avec empressement. Inquiète, Aileen lui caressa la tête et s’engouffra dans le couloir à la suite d’Orren. Allait-il arriver quelque chose à sa mère ? Elle dégringola l’escalier deux marches par deux marches, arrivant assez vite pour entendre Orren parler à son père en lui présentant ses Pokémon. La réaction de l’adulte ne se fit pas attendre. Froide, hautaine, méprisante et dédaigneuse, une flèche de glace parfaitement ajustée qui transperça le cœur de son fils. Aileen haussa légèrement les sourcils en se disant qu’elle avait peut-être été un peu trop désinvolte avec lui, au Lac Corail. Il avait en effet bien besoin d’une épaule sur laquelle pleurer. Son père lui interdisait tout bonnement de devenir Topdresseur, alors que sa mère à elle s’était résignée à ne pas voir sa fille devenir Coordinatrice. Après, qu’elle devienne espionne ou vendeuse de porte-clés, tant qu’elle faisait un truc qui lui plaisait, c’était le principal. Les sourcils d’Aileen se haussèrent encore plus quand le père d’Orren la salua d’un ton distrait. Ma petite ? MA PETITE ?! Sentant son humeur, Sphax lâcha un grondement sourd, et sa corne se remit à luire doucement. Orren revint vers elle, persifla sa rancœur, et Aileen ne put qu’approuver.
« Je rêve ou il vient de m’appeler ma petite ? Non mais il se prend pour qui celui-là, pour le Père Noël ? »
Leiko Sôma pensait visiblement la même chose que sa fille. Si elle ne s’était pas mêlée de la discussion, jugeant qu’elle n’avait pas à intervenir, elle n’aimait pas qu’on traite SA fille aussi négligemment. De ce fait, elle ne prit pas la peine d’houspiller sa fille quand cette dernière décida de remonter dans sa chambre après un vague salut de la tête qui était tout de même assez insultant. Cependant, Melinda se poussait pour laisser une chaise à son mari, pendant que Leiko se levait pour refaire du thé. Leurs regards se croisèrent. Et la jambe d’Aileen s’arrêta à mi-chemin quand la voix perçante de surprise de sa mère s’éleva de manière incongrue. Au contraire, elle fit demi-tour pour redescendre au salon, les sourcils froncés. Quoi, comment, ils se connaissent ?! Où, quand, comment, pourquoi, en quelle occasion, bref, quel lien unissait sa maman chérie d’amour au détestable paternel d’Orren ?
« … C’est moi, Leiko ! Qu’est-ce que tu fais ici ?! »
« Je vous demande pardon, je ne vois où vous voulez en venir. »
« Arrête de te moquer de moi ! »
La voix sèche de l’adulte avait claqué comme un coup de fouet dans le silence, et ce fut au tour d’Aileen d’esquisser un sourire arrogant. Ah, on a trouvé plus fort que soi, on fait moins le malin là, monsieur le brillant scientifique en carton-pâte ! La façade impassible du prénommé Samuel semblait s’affaisser doucement, surtout quand sa femme, n’y tenant plus, mêla son grain de sel dans la conversation.
« Samuel Losvrôk ! Je suis ta femme et je sais que tu mens ! Maintenant s'il te plait tais-toi ! Leiko, ma chère, si vous pouviez m'expliquer ce qu'il se passe ici ? »
Le sourire arrogant d’Aileen fondit quand elle se rendit compte que sa mère semblait étouffer de stupéfaction. Elle devenait livide. Inquiète, Aileen faillit sauter par-dessus la rambarde pour aller chercher la trousse de médicaments, mais Sphax la retint en lui attrapant le bras, serrant ses crocs autour de son poignet. Elle ne lança qu’un bref regard à l’Absol, qui la lâcha aussitôt. Sa corne rougeoyait avec force, mais aucune des personnes présentes ne s’en rendaient compte, tout le monde étant focalisé sur le problème en cours. La mère d’Aileen connaissait le père d’Orren. Et elle connaissait son prénom. La jeune brune sentit un frisson glacé lui descendre le long du dos quand sa mère reprit la parole d’une voix glaciale et mesurée, mais non dépourvue de menace.
« Oh, alors comme ça, monsieur le brillant scientifique ne voit pas où je veux en venir. Café Toutou, Avenue Floréal, Illumis, Kalos, il y a à peu près quinze ans, tu vois mieux ? Si je te parle de cette soirée d’hiver, où tu as offert une bière à une jolie brune qui passait par là en lui souriant d’un air charmeur, qu’elle s’est demandée pourquoi un célibataire portait une alliance, et que tu l’as enlevée en lui disant être divorcé depuis peu, tu vois mieux, Samuel Olprac ? »
La mère d’Orren ouvrait de gros yeux choqués. Oui, elle avait l’air de bien voir, elle. Certainement un soir où son mari avait découché alors qu’il n’aurait normalement pas du, certainement à cause d’une dispute. Mais il était rentré, et ils n’en avaient jamais parlé. Aileen, elle, ne comprenait pas. Donc ils se connaissaient. Depuis quinze ans. Il avait dragué sa mère, ce qui n’était quand même pas très propre vis-à-vis de Melinda quand même. Aileen tourna la tête vers Orren pour voir s’il avait compris, mais il était figé, semblant aussi perdu qu’elle. La voix très calme de Melinda attira à nouveau son attention vers le salon.
« Samuel. Dis-moi que ce n’est pas vrai. »
« Je ne vois pas de quoi elle veut parler. »
« Comme c’est étrange. Olprac, Losvrôk, il faut avouer que c’est presque la même sonorité, j’ai pu me tromper. Tout comme je peux me tromper sur l’existence d’un hypothétique tatouage. C’est bien un serpent vert sur le bassin droit, ou je me trompe encore ? »
Et la tempête se déchaîna. A l’extérieur, elle arracha les parasols qui n’avaient pas été rangés, à l’intérieur, les cris de fureur de Melinda réveillèrent Aurum en sursaut. Il allait vrombir avec force pour se plaindre, quand il croisa le regard insistant de sa dresseuse. Ah ? D’accord. Message reçu. Reculer, rester dans l’ombre, se faire oublier, espionner la conversation, et tout rapporter à Aileen ensuite. Silencieux, il fila de l’autre côté de l’armoire pour se cacher dans l’obscurité et mieux écouter l’engueulade en cours. Aileen avait compris. Elle avait surtout compris que dans quelques minutes tout au plus, sa mère les enverrait tous les deux dans sa chambre, sans se soucier de savoir si elle avait la moindre autorité sur Orren. D’ailleurs, elle venait de les voir, et ouvrait la bouche pour le leur ordonner quand Aileen haussa le ton. Quitte à être renvoyée, autant avoir la réponse à sa question.
« Parce que ce CONNARD, c’est mon PERE ?! Mais t’es pas SERIEUSE ?! »
« C’est ça l’éducation que tu donnes à notre fille, Leiko ? Elle m’insulte et tu la laisses dire ? Cette gosse est vraiment mal élevée ! »
La gifle retentissante que lui colla Leiko eut le mérite de le faire taire quelques secondes, que la Coordinatrice utilisa pour hurler à son tour. Aileen, qui avait ouvert la bouche pour lâcher d'un ton méprisant à cet adulte malvenu qu'elle n'avait aucun conseil à recevoir d'un lâcheur, fut interrompue avant même d'avoir commencé par le hurlement de sa mère. Comme ça, Orren pouvait voir d’où venait son caractère exécrable et ses cordes vocales à l’épreuve des balles.
« C’est MA fille, et je T’INTERDIS de parler comme ça de MA fille ! Et au vu de l’éducation DEPLORABLE que tu as donnée à TON fils, vu le MAUVAIS PERE que tu sembles être pour ce jeune homme, il est heureux que tu n’aies pas été présent pendant ces QUATORZE années où j’ai écumé TOUS les laboratoires de TOUTES les régions pour annoncer à un monsieur Olprac INEXISTANT qu’il a une fille ! »
« MAIS PARCE QU’EN PLUS, TU SAVAIS QU’ELLE EXISTAIT ?! »
Samuel recula, et leva le ton, vite imité par les deux femmes qui hurlaient plus fort que lui. Il ne s’attendait pas au fait qu’il allait se heurter à sa femme et à sa maîtresse d’un soir, désunies sur la scène, mais unies dans l’adversité. Aileen serait bien restée plus longtemps, mais Melinda tourna légèrement la tête pour leur envoyer un regard acéré, et quand sa mère fit de même à peine un quart de seconde après, Aileen recula sans regarder en direction de l’armoire, attrapa Orren par le bras, et le tira jusqu’à sa chambre pour fermer la porte à clé et se rasseoir d’un geste lourd sur la moquette. Les sons de la dispute leur parvenaient toujours, assourdis par le plancher. Choquée, elle regarda son verre encore rempli à moitié. La partie la plus rationnelle de sa conscience la félicita d’avoir pris assez de limonade et de chips, vu qu’ils risquaient d’en avoir besoin pendant un petit moment. Elle piocha machinalement dans les chips, qu’elle mâchonna tout aussi machinalement. Finalement, elle releva le regard vers Orren. Non mais quelle andouille … Même cheveux, même regard perçant, même profil longiligne, et il avait fallu qu’on lui mette la vérité sous le nez pour qu’elle la voie enfin. Elle faisait vraiment une piètre espionne.
« Donc si je récapitule, ton très charmant et très sympathique paternel se trouve être également le mien. Merde alors, ça veut dire que t’es vraiment mon frère. »
Sentant une pression sur son flanc gauche, elle tourna la tête vers Sphax qui frottait sa tête contre son bras, histoire de lui remonter un minimum le moral. Il avait compris la majeure partie du problème, ça lui suffisait amplement. Avec un sourire, elle lui caressa la tête, s'apercevant avec un peu de retard que sa corne avait cessé de briller. Alors c'était ça, son grand danger ? Le retour de son père sous le toit familial, et l'énorme dispute que ça allait engendrer ? Oui, lui répondit l'Absol d'un regard, c'était exactement ça. Se tournant vers Orren, elle entreprit de détendre maladroitement l'atmosphère, pour qu'il ne se mette pas à hurler, ou pire encore, à pleurer.
« Quand même, t'aurais pu te manifester plus tôt, espèce de branleur. Je me suis ennuyée, toute seule dans ces loges pompeuses, à regarder des Coordinateurs trémousser leur derrière sur scène. T'aurais quand même pu faire un petit effort et me pousser dans l'eau plus tôt hein ! »