« Laisse-moi une minute, Lem » déclara la voix d’une Cleve dont les traits étaient tendus par la concentration.
La petite tique jaune citron, logée dans sa roue de hamster, continua de galoper tel un beau diable pour produire de l’électricité. Le système relié à une grosse batterie permettait de l’alimenter continuellement, et la Pokémécanicienne, branchée à cette source d’énergie, était à même d’utiliser n’importe laquelle de ses fabrications sans arrêt. Enfin… Jusqu’à ce que le Statitik se décharge, chose qui prenait en général une bonne journée, à la suite de quoi la rousse pouvait déposer Lem à proximité d’une prise électrique de son dortoir pour qu’il refasse le plein de batterie. Le cadeau du Collectionneur était une véritable aubaine pour la Givrali, qui commençait à se constituer une équipe plus axée « bricolage » qu’avant. Bon certes, Pep’ n’était pas très utile lorsqu’elle faisait ses petites créations –disons même que son gros derrière avait tendance à gêner un peu-, et Biske avait toujours cet irrésistible désir de destruction massive lorsqu’il était dans une pièce trop exiguë –et même quand il était en extérieur, d’ailleurs-. Mais Ritsu, son Goupix, lui servait par moments de fer à souder, tandis que son Statitik était une véritable batterie portable. Curl’, son Psystigri, pouvait quant à lui faire léviter des objets utiles et éviter à Cleve de transporter des masses outrageusement élevées lorsqu’elle devait bricoler. Les autres étaient bons pour les fouilles, et, entre nous, particulièrement doués pour réduire en charpie les créations de la jeune fille, ce qui lui permettait de tester leur solidité ; autant voir le bon côté des choses.
Ayant terminé son nouveau joujou, Cleve demanda à Lem de s’arrêter et le récupéra du bout du doigt pour le poser sur son épaule. Elle sortit ensuite une minuscule bouteille d’eau munie d’une paille pour que la tique électrique puisse se désaltérer avec reconnaissance. Elle contempla alors sa nouvelle création avec un air de satisfaction non camouflé. Cependant, elle restait encore dubitative quant à sa réelle efficacité sur le terrain, mais pour le moment, elle admirait juste les fascinantes courbes de l’appareil et ses rouages complexes qui n’avaient de signification que pour elle. Un véritable Peppéroni robotisé chercheur miniature, qui devait faire grosso modo la taille de Curly, lui faisait face avec une expression vide. Ses nageoires munies de griffes extensibles pouvaient attraper ou relâcher les objets, tandis que ses yeux lasers étaient équipés d’un détecteur de matière laser. Elle pouvait paramétrer la « substance » qu’elle voulait trouver, comme du métal, des pierres, ou des choses non identifiées. La carapace métallique du Peppérobot pouvait également se soulever pour récolter les objets trouvés. Avec ce petit bijou, finies les fouilles hasardeuses et harassantes ! Il lui suffisait de se poser au bord d’un point d’eau et de regarder le Peppérobot revenir avec toutes sortes de choses intéressantes. Car en plus de tout ça, ce spécimen était fait pour nager, et la lampe fixée sur son front lui donnait une vision panoramique tout en éloignant les potentiels prédateurs.
Gonflée de fierté à la vue de ce modèle digne d’un véritable mécanicien, Cleve ne pouvait attendre plus longtemps pour l’essayer. Pep’, à qui ce duplicata format réduit ne convenait que moyennement, lui donna une pichenette pour l’éloigner. Fronçant les sourcils, la rouquine le houspilla en caressant la tête froide et dure de son nouveau protégé.
« Ca-suffit-Pep’ ! Tu ne vas pas commencer à l’abimer alors que je viens juste de le finir ! Regarde comme il est beau ! J’ai passé des semaines à fabriquer tous les différents composants ; le Capitaine du navire a même voulu me balancer par-dessus bord parce que selon lui ‘Miss Carter vous n’avez le droit qu’à un bagage de main’. Et j’ai enfin fini de le monter ! Il faut absolument qu’on aille le tester MAINTENANT ! » déblatéra-t-elle, surexcitée à l’idée de tester ce nouveau prototype.
Passant une main sous la carcasse robotique de son Peppérobot, Cleve essaya de soulever le bougre mais ne parvint qu’à devenir rouge, une veine lui battant aux tempes. Le vrai Pep’ regarda sa dresseuse, pas le moins du monde impressionné, tandis que Ritsu et Lem sirotaient un peu d’eau sans vouloir bouger le petit doigt après avoir fourni tant d’effort.
« Huuuumpppppppppf ! Si je continue, je vais accoucher de mon colon. » marmonna Cleve, tout en se tournant vers le pauvre petit Curl. Le Psystigri pencha la tête de côté en se demandant ce qu’on pouvait bien lui vouloir. « Curl’ ! Fait léviter ce machin jusqu’au Lac Corail s’il te plaît. Je n’arriverai pas à le faire seule alors viens dans mes bras, je préfère te porter toi. »
Aussitôt dit et le chaton psychique venait se loger contre la poitrine de sa dresseuse en ronronnant. Il déclencha ensuite ses pouvoirs, et la fine équipe se dirigea vers les abords du Lac Corail.
***
Au bout de vingt minutes de marche, Cleve et ses Pokémon parvinrent enfin aux abords du Lac, épuisés par tant d’effort. La rousse se posa sur un rocher lisse sur le dessus et regarda autour d’elle. Ce Lac, elle y était venue pour la première fois dans le but de pêcher des objets rares. Elle avait fait équipe avec un certain Liam Wilson des Voltalis parce que le fichu loueur de barques ne voulait pas lui en prêter une. Enfin bon, il fallait avouer aussi qu’à l’époque, elle ne savait pas nager. Depuis, la Givrali savait comment flotter en surface grâce aux bons conseils de son camarade Leonidas, et les capacités Plongée de Biske et Pep’ lui permettaient de s’en sortir plutôt pas trop mal. Pour autant, elle n’avait plus eu trop le temps de venir aux abords de ce Lac pour chercher quoi que ce soit, et elle observa un long moment de silence devant le spectacle éblouissant qui s’offrait à elle.
A marée basse, l’eau avait toujours ces teintes violacées qui lui donnaient un air presque irréel. De nombreux coraux pointaient hors de l’eau, comme s’ils formaient une barrière empêchant l’onde de s’enfuir, et quelques Pokémon troublaient parfois ce panorama de rêve en venant barboter à la surface. Ces lumières dansantes à la surface lui rappelaient un célèbre monument qu’elle avait vu dans ses jeux vidéo ; une espèce de fontaine au cœur de laquelle étaient disposés des centaines de néons lumineux de couleurs différentes. Les arcs de lumière, les jeux de couleur, tout faisait penser à un décor virtuel et le cœur de Cleve battait devant tant de beauté. Les contours des coraux multicolores –bleus, roses, violets ou jaunes- étaient flous lorsqu’ils étaient plongés dans l’eau, mais avaient une incroyable netteté en surface ; comme si la résolution de ces images avait brusquement doublé. S’approchant doucement de l’eau, la Scientifique y plongea un doigt et l’agita pour troubler encore plus ces couleurs. Elle s’amusait à les comparer aux décors 3D qu’elle affectionnait lorsqu’elle était devant ses consoles. Il ne manquait plus qu’une petite musique de fond bien reposante et mélodieuse pour parachever son décor, et une jeune fille en détresse qui se dirigeait vers elle pour lui dire d’aller tuer elle ne savait quel dragon des montagnes. Et d’ailleurs, en parlant de demoiselle et de bestioles, voilà que les yeux mordorés de Cleve se posaient sur Ambre et son Ptera.
Le duo était encore assez loin d’elle, mais elle reconnut immédiatement une fille brune de son dortoir. Elle savait que l’étudiante était de la même promotion qu’elle, et qu’elle était Scientifique également. Son nom devait lui être familier, mais elle ne s’en souvenait qu’à moitié. Amélie… Amel… Ariel peut-être ? Il lui semblait qu’elle était une excellente élève et qu’elle sortait avec un garçon des Phyllali, mais tout ça restait encore assez incertain pour elle. Par contre, le spécimen qui reposait auprès de la brune était forcément un Ptera, un monstre fossilisé qui ne pouvait être ramené à la vie que grâce à une machine particulière –dont Cleve brûlait d’envie d’étudier le fonctionnement !-. Comment pouvait-elle en avoir ? Les rumeurs disaient que certains élèves pouvaient trouver des fossiles dans les tréfonds de l’académie, mais ces dernières n’avaient jamais été vérifiées. Eleve archéologue ?
Rongée par la curiosité, Cleve s’approcha à pas furtif de la brune pour l’observer d’un peu plus près. Elle était plutôt jolie, avec de longs cheveux raides qui tombaient sur ses épaules. Elle au moins, elle ne devait pas se faire enquiquiner par les autres élèves pour ses cheveux roux. ! Pep’ derrière elle continuait de se trainer mollement sur le sol, baillant aux Cornèbre sans se préoccuper des notions de discrétion ou d’espionnage. Il finit par avancer sans se rendre compte que sa dresseuse s’était arrêtée, la précipitant en avant. Tombant de tout son long non loin d’Ambre avec de bruyants CLING CLING émanant de ses poches bourrées de tournevis et de clés métalliques, Cleve ferma les yeux en pensant que c’était fichu pour l’approche incognito. Elle se releva donc et épousseta ses vêtements, l’air de rien, en adressant un petit sourire timide à sa camarade.
« Salut. » lui dit-elle de sa petite voix de souris, en ramenant ses bras derrière elle comme si elle venait de faire une bêtise. « Je suis désolée, je ne voulais pas te déranger… »
Cracbadaboum dans toute sa splendeur. Cleve Carter s’était rétamée de tout son long devant un public, et pour une fois, elle n’avait pas trébuché sur ses propres pieds. Rouge de honte, la rousse regarda autour d’elle pour voir s’il y avait un rocher derrière lequel se cacher ; mais outre le gros derrière de Peppéroni, il n’y avait pas de cachette propice –ou alors il fallait qu’elle plonge dans l’eau et s’enterre derrière les coraux, mais heu… non merci-. Le visage écarlate, à demi caché derrière son rideau de cheveux roux, la Givrali se releva gauchement en essayant de faire comme si de rien n’était –« Ahaha nan tu n’as rien vu. Enfin si mais c’était fait exprès. Enfin non mais… roh zut. »-. Cependant, Ambre Lawford était une personne plutôt gentille, et elle lui parla amicalement en se présentant et en lui disant qu’elle était enchantée. Cleve en tombait des nues. A part Ikiala, elle n’avait jamais rencontré quelqu’un de gentil dans son dortoir ; et de gentil avec elle, qui plus est ! Etait-ce un ange ? Sa réputation n’était pas surfaite, la célèbre Archéologue était une envoyée du ciel. Essayant d’arrêter de sourire bêtement, la Mécanicienne attrapa la main que lui tendait sa camarade et la serra chaleureusement. Le simple fait que la brune connaisse son prénom la rendait à la fois heureuse et anxieuse. Heureuse car si c’était grâce à sa réputation de mécanicienne, c’était plutôt flatteur. Anxieuse car les articles qu’Ezra avait écrit sur elle ne lui rendaient pas vraiment justice, et elle aurait préféré qu’Ambre n’ait pas entendu parler d’elle via des portraits acerbes et acides. Mais bon, de souvenir, la brune avait aussi eu droit à son article –bizarrement très similaire à celui de Cleve, à croire que la désagréable journaliste recyclait ses idées-. De ce fait, elle n’était sûrement pas assez naïve pour penser que ce qu’écrivait Ezra était vrai.
« Enchantée de même. » répondit-elle sur un ton enthousiaste, avec un sourire timide. Un coup d’œil jaugeur lui permis de déterminer qu’Ambre ne la voyait pas comme un succube qui essayait de sortir avec tous les Voltalis de l’école. Tant mieux ! Quelque peu rassurée, Cleve tourna les yeux en même temps qu’Ambre lorsque celle-ci lui demanda ce qu’était le robot que faisait flotter son Psystigri –qui, dans la chute, avait été largement écrabouillé. Mais le gentil bougre ne s’en était même pas plaint !-. Réalisant soudainement pourquoi elle était venue aux abords du Lac Corail, Cleve demanda à Curl’ de déposer le Peppérobot sur le sol humide. Puis, en faisant signe à Ambre de s’approcher de sa machine, elle lui montra ses nageoires chercheuses métalliques. « Ça, c’est heu… un Peppérobot… enfin non, je veux dire, c’est une machine qui permet de faire des fouilles. Tu la mets dans l’eau, et tu l’actives comme une voiture téléguidée avec une télécommande. Les caméras intégrées dans ses yeux permettent d’avoir une vision de ce qu’il se passe sous l’eau, et avec les bras équipés de détecteurs de métaux, tu peux trouver certains types d’objets. Il y a aussi un filet qui permet de filtrer le sable et de récupérer uniquement les objets d’un certain gabarit, comme les pierres évolutives ou tout ce qui est plus gros qu’une coquille vide de Kokiyas, par exemple. Enfin bon… c’est encore à l’état d’expérimentation alors je ne sais pas si ça va vraiment marcher sous l’eau. Je voulais faire un test sur le Lac Corail, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit Marée basse, il va falloir que je traverse tout le champ de coraux pour atteindre l’eau… »
Elle soupira. Effectivement, elle n’avait pas pensé à regarder sur son iPok l’état de la marée avant d’y aller. Si elle avait su, elle serait partie plutôt sur la Plage ; mais les courants marins n’étaient pas forcément une bonne chose pour le crash test d’une machine qui allait peut-être être réduite en bouillie par la houle, et elle avait préféré arrêter son choix sur le Lac, beaucoup moins turbulent. Avec ses explications à Ambre, Cleve se rendait compte du statut un peu improbable de sa machine. C’était trop gros et trop pratique pour que ça marche vraiment, mais elle avait fait ses tests, et pourquoi ne pas l’essayer ? Au pire si elle déconnait, elle pourrait lui apporter des modifications, ou simplement la démonter pour en récupérer les composants. Le Peppérobot allait-il fonctionner comme elle le souhaitait ? Un bruissement d’aile à côté d’elle lui fit tourner la tête, et la rousse reporta son attention sur l’énorme Ptéra qui reposait aux côtés d’Ambre Lawford. La bête aux ailes parcheminée avait vraiment l’air archaïque ; sa couleur et son ossature ne laissaient pas de doutes quant à son origine. Comment la Givrali avait-elle trouvé un fossile aussi impressionnant ? Dans toutes les émissions télé que Cleve avait regardée sur les fossiles, il s’agissait en général de petits rochers recouverts de sable fossilisé, qu’on pouvait ranimer pour en faire des Kabuto par exemple. Mais le format était beaucoup moins imposant ! Comment diable Ambre avait-elle pu transporter toute la carcasse fossilisée de ce Ptéra, le sable fossilisé en plus ? Encore que, songea Cleve, la recherche devait être moins difficile. Pas moyen de passer à côté de quelques tonnes d’os de Ptéra ! Ou alors il fallait être sacrément aveugle. Légèrement envieuse, la Pokémécanicienne posa la question qui lui brûlait les lèvres : « Hm dis-moi, ce Ptéra est à toi ? Tu l’as trouvé sous la forme d’un fossile ? Comment ça s’est passé ? Je veux dire, c’est incroyable… tu as trouvé ça dans l’école ? »
Pas besoin d’être une archéologue pour s’intéresser aux fouilles. Cleve avait beau avoir son domaine de prédilection, elle n’en restait pas moins curieuse ; et les fossiles la fascinaient pas mal. Bon certes, ils n’étaient pas robotisés et ils ne bipaient pas quand ils passaient le portillon des aéroports, mais tout de même ! Réalisant soudain qu’elle avait affaire à une Scientifique de haut niveau, la rousse eut un léger sourire. Ambre s’intéressait probablement à sa mécanique autant qu’elle s’intéressait à ses fouilles. La conversation risquait d’être extrêmement enrichissante, tout comme lorsque Cleve parlait à Chypre. Allait-elle apprendre des choses ? En tout cas, elle était plutôt contente d’avoir trébuché devant Ambre ; ce petit signe du destin allait peut-être l’amener à faire de grandes découvertes. Une journée riche en rebondissements s’annonçait !
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