Matin brumeux, matin merdeux.

Les yeux grands ouverts, rivés sur le plafond, Victoria s'est levée de bonne heure. Impossible toutefois de quitter son lit, son corps lui paraît comme mort. Pourquoi lui faire-cela? Pourquoi formater ses enfants? D'abord Dorian puis elle. Il ne manquerait plus que ce stupide de feunard pour avoir le tiercé gagnant.
Elle bouillonne de l'intérieur. Stupide monde, stupide croyance, stupide mère aussi trop discrète et affectueuse pour s'opposer à son mari. Depuis quand tous les Pritzker sont-ils obligés d'intégrer une académie? L'Académie de L'Île Lansat était la plus prestigieuse disait-il, encore faudrait-il avoir une idée de ce qu'est le prestige. Partir de zéro et se démarquer, marcher hors des sentiers et réussir tout de même. N'est-ce pas plus jouissif? Peut-être que son père la prend pour une incapable. Sait-on jamais, elle ne s'intéresse déjà pas aux pokémons. Sa vie est probablement foutue. Laissez-la rire.
Dorian avait déjà suivi l'enseignement de l'académie de Kalos, la plus réputée à ce moment. En était-il ressorti plus intelligent? Plus arrogant et hautain, certainement. Lui, toujours dans ces laboratoires, lui travaillant sans cesse avec les pokémons, lui impliquait dans une sale histoire à cause d'eux, lui sur le banc de touche. Laissez-la rêver.

Dans son modeste école de Poivressel, Victoria se sentait épanouie. Trois ans qu'elle y était, trois ans d'informations recueillies. Peu de choses diront-certains. Des idiots, voilà tout. Dans ce collège, elle se sentait forte entourée de quelques pions. Puis, il y avait Elliot. Bien que leurs rapports soient un peu tendus ces derniers temps, parfois ils venaient à s'échanger quelques mots durant la pause. Rien de bien intéressant mais cela comptait pour Vic. Cela lui prouvait qu'Elliot reviendrait un jour ou l'autre, qu'il fallait juste qu'elle soit patiente, discrète. En partant pour l'Île, elle allait tout bonnement disparaître, emportant avec elle ces petits moments. Elliot cesserait de la voir tous les jours, Elliot penserait parfois à elle avant de l'oublier. Comme tout le monde. Comme cette superbe ville. Laissez-la rager.

Allongée sur son lit, l'air frais du matin s'engouffrant dans sa chambre. Bientôt, il sera l'heure. Dire au revoir à tout cela et ne vouer qu'un culte à ces stupides de créatures. Laissez-la vomir.

Relativise, jeune Victoria. Ton père t'a peut-être forcé la main mais tu l'as toi-même reconnu, les pokémons peuvent s'avérer dangereux mais ils sont surtout un moyen de réussir. Tous les hommes collaborent avec ces pika-sur-pattes. Ne pas en faire parti reviendrait peut-être à se fermer des portes. D'autant plus que si tu râles à l'heure actuelle, petite, tu appréciais les pokémons. Il n'a suffit que d'une fois, un grognement un peu trop appuyé, des canines un peu trop dévoilés et des pleurs. Dire que tu as été accusé d'avoir "dérangé" le pokémon-canin. Balivernes, tu n'étais qu'une enfant. Peut-être aurait-on dû te surveiller davantage avant de te punir. Tu revois l'air satisfait de la vieille Kessel quand ton père te gronde et que, penaude, tu vas s'excuser. Vieille pomme ridée.
Depuis ce jour, tu t'es désintéressée de ces bêtes. Pourtant, ce n'est pas ce qui manque dans la demeure familiale. Entre ton père, avocat, toujours accompagné de son Dimoret et de Feunard, ta mère, fleuriste, suivie de son Ludicolo et Dorian. Dorian et sa fascination pour les pokémons poisons. L'université lui avait permis de se constituer une bonne équipe. Il était si fier, si… détestable. Bref. Tu avais de quoi faire durant ta jeunesse mais non. N'est-il pas trop tard maintenant? Tu voudrais tellement te débrouiller toute seule, tellement leur montrer que tu n'as pas besoin d'un pokémon eau pour arroser tes plantes. Un simple verre et un robinet te suffiraient ! Bon sang, que nous sommes assistés ou devons-nous y voir une  forme de progrès? Laissez-la douter.

Certes, tu ne voulais pas y aller. Certes, tu vas regretter ce petit confort que tu as su te créer à Poivressel mais vois y une sorte de défi. L'académie est un challenge, l'académie grouille d'étudiants et surtout, des connaissances t'attendent. A toi d'en faire bon usage. Laissez-la dormir.

Poignée tournée, porte entrouverte.
Vic tourne sa tête en direction du bruit et voit sa mère, la si jolie et douce Agnès ne disant jamais un mot plus haut que l'autre, se tenir dans l'encadrement de la porte. Agnès lui sourit, du moins essaies. Son air est triste, elle n'était pas forcément pour que Victoria aille à cette académie. Pourquoi tout le temps forcer ces gamins? Bref, il était trop tard de toute manière. Filipe avait pris sa décision fin mai et depuis, rien ni personne ne pouvait le faire changer d'avis. Ainsi, il espérait que Victoria ouvre les yeux sur le monde, sur cette réalité et non se contenter de son minuscule collège où l'apprentissage pokémon n'est qu'une option. Elle est jeune mais sans bases pour son avenir. L'académie peut réparer cela. Dès le premier jour d'ailleurs, selon la brochure. D'ici quelques heures, Victoria aura enfin son pokémon et là, elle ne pourra pas gueuler après le personnel de l'académie. Délicieuse idée pour Filipe. Laissez-la mourir.

- Vic, tu viens petit-déjeuner? Il sera l'heure ensuite.

Elle acquiesce de la tête, tout est joué d'avance de toute manière. Tout ce qu'elle espère, c'est qu'Elliot vienne lui dire au revoir sur le quai.