« Maître Pokémon »
Le rêve de beaucoup de jeunes dresseurs. Pour Sigh Delgado, ce n'était pas un rêve, c'était une réalité. Enfin, une future réalité. Un jour, il sera un grand maître pokémon, reconnu par tous. Un jour... En attendant, c'était son frère aîné, Sven, qui s'apprêtait à partir pour devenir dresseur, et c'était lui, Sigh le débile, qui se trouvait sur le pas de la porte à lui faire de grands signes de la main. La silhouette de Sven disparue au détour d'un chemin, Sigh rentra à l'intérieur en se sentant très, très stupide. Et pas uniquement parce qu’il venait de s’essuyer machinalement les pieds sur un paillasson Delcatty fushia. Il s’assit dans la cuisine au papier peint kitsh et aux meubles en bois roses et regarda par la fenêtre, à travers les volets roses et la dentelle (blanche, celle-là) qui faisaient office de rideaux. Ah, si seulement il avait pu partir à l’aventure, lui aussi ! Mais Peggy Delgado, ancienne coordinatrice reconvertie en éleveuse de Skittys, était très inquiète de nature, et elle refusait que ses enfants partent à seulement dix ans capturer des pokémons. Donc, Sven était parti. À seize ans. Sigh se frappa le front contre la table, ou plutôt le napperon en crochet aux motifs Skitty que sa maman avait fait, pour être en accord avec les autres. Il n’y avait plus que quatre napperons Skitty autour de la table à manger, maintenant. Son frère aîné parti, ne restaient que ses deux sœurs, sa mère et lui. Leur père ? Ils avaient arrêtés de croire qu’il rentrerait pour le dîner.
Vingt-sept ans de carrière, quatre pokémons capturés, et toujours l’espoir de devenir quelqu’un. Comme quoi, la
débilité détermination est de famille.
… il avait vraiment envie de le ridiculiser. Il ne doutait pas que Sven y arrive, brillant fils qu’il était, mais il voulait lui aussi se lancer dans l’aventure. Il pourrait donner une bonne leçon à ce père qui n’avait jamais été présent pour eux, afin de lui prouver qu'ils pouvaient tous être meilleurs que lui, et sans son aide.
Ding-dong !« Sigh-chou, tu veux bien aller ouvrir ?
– ARRÊTE DE M’APPELER COMME ÇA.
– Oui, mais tu veux bien aller ouvrir ?
– OUI, MAMAN. »Sigh n’était pas particulièrement en colère contre sa mère, c’était juste sa façon naturel de s’exprimer. Il ouvrit la porte pour découvrir un facteur un peu secoué par l’accueil particulièrement bruyant. Mais c’était toujours comme ça, chez les Delgado.
« OUAIS ?
– Euh, bonjour je… je vous apporte le courrier de la semaine.
– Parle plus fort, j’entends rien.
– Le… le courrier.
– M’MAN C’EST LE FACTEUR !
– Eh bien prends le courrier mon poussin !
– D’ACCORD. TOI ! … toi, le courrier, et plus vite que ça », se corrigea-t-il en voyant que le pauvre type sursautait à chaque escalade de décibels.
« SOIS POLI SIGH-CHOU.
– RAAAAH ! Le courrier S’IL VOUS PLAÎT merde à la fin. »Sigh claqua la porte (rose) (avec un petit son de clochette) et retourna dans la cuisine en feuilletant les papiers. Des factures, une carte postale de ses grands-parents qui faisaient une croisière sur l’Azuria, des lettres de fans pour sa mère et… un dépliant.
« M’MAAAAAN ILS NOUS REFILENT ENCORE DE LA PUUUUB ! »Sigh ne savait pas, en disant cela, qu’il venait de recevoir la clef de sa liberté.
Car le dépliant venait de Pokémon Community et vantait les mérites de la belle école. Environnement paradisiaque (mouais, il connaissait), personnel dévoué et compétent (à voir), bâtiments fraîchement construits (on s’en fout), mais surtout « formation complète et sécurisée SÉCURISÉE SÉCURISÉE SÉCURISÉE…
Cha-chiing !« MAMAN C’EST POUR TOIIIIIII ! »Sigh aurait préféré partir son baluchon sur le dos, comme un homme, un vrai, mais l’école offrait une opportunité salvatrice. Il n’attendrait pas quatre ans pour avoir l’âge de partir. L’autre solution aurait été de trouver un dresseur plus compétent que lui pour l’entraîner. Sa sœur aînée, Val, avait trouvé une place de stage dans le Centre Pokémon de leur île. Mais comme ils ne connaissaient aucun dresseur susceptible d’aider Sigh… Enfin, il y avait bien son père… oui, voilà. Non. Comme ils ne connaissaient personne, donc, il s’était préparé à attendre.
Sauf que là.
Là.
LÀ.
Miracle. Il était sauvé ! Il lut le dépliant avec sa mère, qui était évidemment enchantée de l’idée (« tu te feras pleins d’amis, hihi ! – dis pas d’conneries »), et ils cherchèrent ensemble un numéro de téléphone ou quelque chose pour demander de plus amples informations. C’est là qu’ils apprirent que la rentrée était déjà passée. De deux mois. C’est ça, le problème avec la communication entre deux îles. Ça prend des plombes.
« NOOOOOOOOOOOOON !
– Calme-toi mon poussin, ce n’est pas dramatique.
– MAIS ILS DISENT QU’ILS ACCEPTENT PAS D’ÉLÈVES EN COURS DE ROUTE.
– Eh bien tu iras l’année prochaine.
– BORDEL DE MERDE JE VAIS PAS ATTENDRE ENCORE UN AN GNHNHNHN.
– Sigh, la ferme. »Val passa la tête par l’entrebâillement de la porte de sa chambre pour lui jeter un regard noir, un bébé Skitty dans les bras et leur petite sœur Frigg sur les talons.
« Sigh a dit un gros mot.
– MAIS VOS GUEULES MON AVENIR EST FOUTU. »Heureusement, le Delcatty de sa maman – seule réelle autorité dans cette famille – eut le bon sens de lui griffer la tronche pour le faire taire. Merci Delcatty. Tu nous manqueras à Pokémon Community.
C’est donc l’année suivante que Sigh, plus enthousiaste et bruyant que jamais, monta dans le petit bateau de pêche de son voisin pour se rendre sur l’île principale pour prendre le ferry pour aller à Azuria pour prendre le bateau pour Lansat. Ouf. Ça vous donne une bonne idée de son degré de motivation. Évidemment quand vint le moment du discours de rentrée, Sigh ne pensait qu’à une chose : son premier pokémon. SON POKEMON RIEN QU’À LUI. SON BÉBÉ. (Oui, bon chut. Une mère coordinatrice, ça laisse des séquelles.) Il tint très difficilement jusqu’au moment fatidique, sautillant dans tous les sens. On l’avait rarement vu aussi joyeux – et on le verrait rarement aussi joyeux. Aaaah, le plus beau jour de sa v-
« C’est quoi ce truc.
– C’est un Limagma.
– Lima-quoi ? »Malgré ses connaissances du Manuel du Dresseur de la Ligue Indigo, Sigh ne connaissait pas tous les pokémons, encore moins ceux qui ne vivaient pas sur son île – les pokédex ? pour les faibles – alors il n’était pas rare de le voir s’interroger ou s’ébahir sur une créature ou une technique inconnue. « Wah mais c’est quoi ce truc trop stylé ? » « OMG (Oh Mon Groudon) IL CRACHE DES FLAAAAAMMES ! » « C’est quoi cette technique craignos je suis sûr que c’est pas dans le règlement ! »
« Lima ! » répondit joyeusement son premier pokémon.
Qui était une femelle. Et une putain de limace baveuse en flammes. (Je cite.) (Moi j’adore les Limagma, ils sont si chou blblbl) Sigh se pinça l’arête du nez, comme on le fait toujours quand on veut se donner l’air de réfléchir alors qu’on pète un câble intérieurement, et poussa un long, très long soupir.
L’année allait être longue.